SACREMENT DE L'ORDRE / 2022-2023

 

Plan du cours

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0. Préambule

 

CHAPITRE  I

L’ORDRE, LE SACREMENT DU MINISTÈRE APOSTOLIQUE

 

1.1. Qu’est-ce que le sacrement de l’Ordre ?

 

1.2. Le sacrement de l’Ordre dans l’économie du salut

 

1.2.1. Le sacerdoce de l’Ancienne Alliance

1.2.2. L’unique sacerdoce du Christ

1.2.3. Deux participations à l’unique sacerdoce du Christ

1.2.4. En la personne du Christ-Tête

1.2.5. Au nom de l’Église

 

1.3. Les trois degrés du sacrement de l’Ordre

 

1.3.1. L’ordination épiscopale – plénitude du sacrement de l’Ordre

1.3.1.1. L’institution de l’épiscopat

1.3.1.2. La sacramentalité de l’épiscopat

1.3.1.3. La collégialité de l’épiscopat

 

1.3.2. L’ordination des prêtres (presbytres) – coopérateurs des évêques 

1.3.2.1. L’axe missionnaire

1.3.2.2. La nature du presbytérat

1.3.2.3. La condition des prêtres dans le monde

1.3.3. L’ordination des diacres – « en vertu du service »

 

 

CHAPITRE II 

L’ÉGLISE QUI CÉLÈBRE LE SACREMENT DE L’ORDRE

 

 

2.1. La célébration de ce sacrement

 

2.2. Le ministre de ce sacrement

 

2.3. Qui peut recevoir ce sacrement ?

 

 

CHAPITRE III

LE CARACTÈRE IMPRIMÉ PAR LE SACREMENT DE L’ORDRE

 

 

3.1. Les effets du sacrement de l’ordre 

 

3.1.1. Le caractère indélébile

 

3.1.2. La grâce du Saint-Esprit

 

3.2. La grâce sacramentelle de l’Ordre et la grâce commune des baptisés

 

3.2.1. La grâce d’instrument

3.2.2. La grâce de service

3.2.3. Une spiritualité sacerdotale

3.2.4. La grâce d’être prêtre

 

CONCLUSION 

 

 

BIBLIOGRAPHIE 

 

A. Sources magistérielles

 

·      Catéchisme de l’Église catholique, n° 1536-1600.

·      Vatican II, La Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium, promulguée le 21 novembre 1964.

·      Vatican II, Décret sur la charge pastorale des évêques dans l’Église, Christus Dominus, promulgué le 28 octobre 1965.

·      Vatican II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis, promulgué le 7 décembre 1965.

 

B. Sources liturgiques

 

·      Pontifical romain, L’ordination de l’évêque, des prêtres, des diacres, Paris, AELF, 1977, 1996. 

 

C. Ouvrages et articles

 

·      Doré Joseph (Mgr) & Vidal Maurice, Des ministères pour l’Église, Paris, Bayard Éditions/Centurion, Fleurus-Mame et les Éditions du Cerf, 2001. 

·      Grieu Étienne, Un lien si fort. Quand l’amour de Dieu se fait diaconie, Paris, Éditions de l’Atelier, 2009. 

·      Mounier Michel & Tordi Bernard, Les prêtres, Paris, Les Éditions de l’Attelier/Éditions Ouvrières, 1994. 

·      Mouret René, « Les ordinations au service de l’Église », Dans vos assemblées, Joseph Gelineau (dir.), Volume 2, Paris, Desclée, 1989, 506-519. 

·      Nicolas Jean-Hervé, Synthèse dogmatique, Paris, Beauchesne, 1985, 20114

·      Parent Rémy & Dufour Simon, Les ministères, Paris, Éditions du Centurion, 1993. 

·      Pierre Jounel, « Les ordinations », L’Église en prière. Introduction à la liturgie, Aimé-Georges Martimort (dir.), Tournai (Belg.), Desclée & Co., 1961, 477-513. 

·      Rigal Jean, L’Église en chantier, Paris, Cerf, 1994.

·      Rey-Mermet  Théodule Croire. Vivre la foi dans les sacrements, Limoges, Droguet & Ardant, 1977.

·      Rigal Jean, Découvrir les ministères, Paris, Desclée de Brouwer, 2001.

·      Roguet Aimon-Marie, Les sacrements, Paris, Cerf, 1952.

 

0. Préambule

 

Le sacrement de l’Ordre est largement pris en considération par le concile Vatican II. Il est plus juste de dire, pour mieux le comprendre, que le sacerdoce ministériel que vise le sacrement de l’Ordre, est au service du sacerdoce baptismal. Le Décret Presbyterorum ordinis (désormais PO) pour parler des prêtres et des évêques, a voulu désacerdotaliser le vocabulaire comme l’affirment Rémi Parent et Simon Dufour[1]. Deux termes s’interpellent pour désigner les prêtres tout au long de la rédaction du décret que nous venons de mentionner : sacerdotes et presbyteri. Mais dans le texte final, les rédacteurs désignent les prêtres par le terme  presbyteri  (presbytres) et, pour dire la nature du presbytérat, ils ont plutôt recours à des mots signifiant des fonctions comme munusministerium, etc[2].

La fonction sacerdotale des prêtres dérive de la charge des évêques et reliée à elle. Une charge apostolique. C’est ce que Lumen gentium et Christus Dominus ont élaboré. Le sacerdoce des prêtres est défini en lien avec celui des évêques. La fonction des prêtres et des évêques ne se trouve pas liée à la fonction eucharistique, mais à la fonction apostolique. Le ministère des prêtres ne se repose plus sur la seule question du pouvoir d’ordre ou le pouvoir sur la messe. Dans l’esprit du concile, le ministère ordonné ne peut être compris « sans porter une attention préalable au sacerdoce baptismal »[3]

Alors il y a un véritable problème de vocabulaire à résoudre avant même d’aborder le sacrement de l’Ordre comme champ d’étude théologique. Pour le faire, suivons les travaux de Rémi Parent et Simon Dufour. Le terme « sacerdoce » et, de manière plus générale, le langage « sacerdotal », appliqué aux ministres de l’Église, a provoqué des polémiques et a été une des causes de la séparation au moment de la Réforme[4]. Clarifions les choses[5]. Le mot « prêtre », en français, est un mot ambigu. Il est la traduction de deux mots différents en latin, en grec et en hébreu :

1. Dans le langage habituel, le plus souvent, le mot « prêtre » désigne celui qui est chargé de célébrer le culte, de faire des sacrifices, d’accomplir les rites religieux officiels. Dans ce sens : « prêtre » = sacerdos (en latin) = hiereus (en grec) = kohén (en hébreu)[6].

2. Mais, comme nous le rappelle les dictionnaires, étymologiquement le mot « prêtre » désigne l’« homme âgé », le « sénateur », l’« ancien », le membre du conseil responsable d’une communauté. Dans ce sens : « prêtre » = presbyter(en latin) = presbyteros (en grec) = zâqén (en hébreu), et on peut lui rattacher les mots « presbytère » (maison où habite le prêtre), « presbyterium » (collège des prêtres d’un diocèse) ainsi que l’adjectif « presbytéral » (cf. conseil presbytéral)[7].

Comme le souligne Rémi et Parent et Simon Dufour, cette ambiguïté du mot « prêtre » dans le français actuel n’est pas un pur accident du langage ; elle reflète vraisemblablement une confusion assez générale entre la notion de sacerdoce et celle du presbytérat. Elle est la conséquence directe de l’emploi du langage sacerdotal appliqué à certains ministres de l’Église et manifeste la confusion de l’emploi des mots latins sacerdos et presbyter dans de nombreux textes officiels ou semi-officiels de l’Église catholique latine[8].

Le concile Vatican II trace la voie à suivre pour une meilleure précision dans notre langage. Il privilégie le terme « presbytérat » que celui de « sacerdoce », du « ministère presbytéral » que du « ministère sacerdotal ». Pourtant il met beaucoup d’emphase sur le sacerdoce baptismal. Il est donc clair que la nature du presbytérat exige que celui-ci soit compris sur le fond du sacerdoce commun à tous les baptisés[9]. Tous les baptisés participent à l’onction de l’Esprit que le Seigneur Jésus a reçue (cf. PO, n° 2). Tous les baptisés sont oints par l’Esprit pour servir Dieu et l’homme dans l’amour. Ils deviennent un « sacerdoce saint et royal » par leur participation au ministère du Christ que leur confère leur baptême. C’est une bonne compréhension du sacerdoce baptismal qui nous permettra de mieux réfléchir sur le sacerdoce ministériel ou sur le sacrement de l’Ordre qui, comme celui du mariage, est au service de la mission de l’Église. Ce service comporte trois missions essentielles : l’enseignement, la sanctification et le gouvernement du peuple de Dieu. Nous notons d’entre de jeu, qu’il y a trois ministères ordonnés : les évêques (l’Ordo episcoprum), les prêtres (l’Ordo presbyterorum) et les diacres (l’Ordo diaconorum). Nous étudierons plus à fond ces trois ministères dans les notes qui suivent. Pour l’ensemble de la démarche, nous aborderons le sacrement de l’Ordre comme le sacrement du ministère apostolique, célébré par l’Église avec son caractère propre.

 

CHAPITRE I

L’ORDRE, LE SACREMENT DU MINISTÈRE APOSTOLIQUE

 

Comme il a choisi autrefois les Apôtres, le Christ choisit aujourd’hui encore des ministres qu’il charge de rassembler son Église dans la prière et de l’animer dans la mission. La préséance de l’un d’eux, serviteur de la Parole et du Sacrement, au sein de l’assemblée eucharistique, signifie que le Christ lui-même préside le repas où il se donne en nourriture (Groupe des Dombes). 

 

Tout fidèle qui a reçu les sacrements de l’initiation chrétienne est un chrétien complet. Il a tout ce qui lui faut pour la sainteté. Mais, pour participer à la charge apostolique, il doit être appelé par l’Église à recevoir l’imposition des mains et être consacré à cela. C’est le sacrement de l’Ordre qui fait un diacre, un prêtre, un évêque. Quand nous parlons de « l’Ordre », nous parlons du sacrement de l’ordination et de la catégorie de personnes que concerne ce sacrement et qui constitue ce qu’on appelle la « Hiérarchie » de l’Église. Deux termes non bibliques. 

Ainsi, la porte d’entrée que nous choisissons pour une telle réflexion théologique est l’axe ecclésiologique. Notamment celui de Vatican II. Cela nous permettra de comprendre les ministères dans une dynamique ecclésiologique, d’ouvrir d’emblée la réflexion à leur diversité et de considérer leur contenu dans toute son ampleur[10]. En ce sens, nous ne pouvons pas parler du sacrement de l’Ordre sans chercher à le comprendre dans l’axe de la ministérialité de l’Église à partir des triples fonctions ecclésiales : prophétique, sacerdotale et royale selon LG 9 à 12. Ceci dit, nous ne pouvons plus penser comme autrefois, le sacrement de l’Ordre « uniquement et premièrement en fonction de l’Eucharistie mais en fonction du service du Peuple de Dieu sur le triple plan de l’annonce de la foi, du culte public et de l’animation pastorale »[11]. Revenons à l’expression « sacrement de l’Ordre » (sacramentum ordinis), sans toutefois oublier qu’une définition ne suffit pas pour énoncer l’identité du sacerdoce « ministériel » ou parler du sacrement de l’Ordre. Le Christ est le seul vrai prêtre : le sacerdoce ministériel est ordonné au sacerdoce baptismal, en la personne du Christ Tête. Pour cela, il nous faut réunir les études d’exégèse et de liturgie dans ce présent travail comme un faisceau d’éléments pour comprendre le sacrement de l’Ordre comme le don fait par Dieu au monde pour manifester sa présence sacramentelle dans l’Eucharistie et la réconciliation, pour nourrir et aider les communautés chrétiennes, pour construire et conduire son Église. Toute réflexion théologique sur le sacrement de l’Ordre doit partir de « la dynamique d’une Église communion ou le peuple de Dieu apparaît comme la réalité enveloppante qui donne sa signification à la diversité des membres du Corps »[12]. Car tous les baptisés participent au ministère de l’Église. Il y a de fait une commune responsabilité dans la vie de l’Église. Et le sacrement de l’Ordre est ordonné à cela. 

 

 

1.1. Qu’est-ce que le sacrement de l’Ordre ?[13] 

 

Le mot « Ordre » est entré dans notre vocabulaire chrétien avec Tertullien de Carthage au début du IIIe siècle pour désigner les ministres de l’Église, l’évêque d’abord qu’il appelle summus sacerdos=le premier prêtre), les prêtres ensuite (sacerdotes). Le mot « Ordre » renvoie à l’organisation de la société antique, qui a vu naître l’Église. Il désignait en effet pour les romains les différents corps constitués qui structuraient et gouvernaient la société : les sénateurs, les chevaliers et le peuple. Les nouveaux venus y étaient intégrés par une « ordinatio ». Chez Tertullien, les termes « ordonner, ordination » se rapportent exclusivement à la fonction sacerdotale et à la même époque, ordinare, ordinatio peuvent revêtir plusieurs sens : choisir, élire, désigner (Didascalie des Apôtres) ; investir d’une charge (cf. le mot ordinatio dans saint Cyprien ) ; imposer les mains (cf. saint Cyprien)[14]. Ainsi, l’Église repose sur des « ordres » reconnus depuis ses origines : l’ordre des évêques, l’ordre des prêtres, et celui des diacres, notamment. Étranger au Nouveau Testament, il est utilisé pour distinguer le clergé du peuple. En effet, si les membres de l’Église, dans l’esprit paulinien, forment un « corps », on imagine que ce « corps » ne peut pas exister ou fonctionner sans l’ordre. Nous ne pouvons pas « penser l’Église sans un ordre propre où chaque baptisé trouve sa place, honneur et fonction »[15].

Le sacrement de l’Ordre est le sacrement par lequel la mission confiée par le Christ à ses Apôtres continue à être exercée dans l’Église, jusqu’à la fin des temps. Ordre indique un corps d’Église, dans lequel on est intégré au moyen d’une consécration spéciale (Ordination). Par un don particulier du Saint-Esprit, cette consécration permet d’exercer un « pouvoir sacré » (sacra potestas) au nom et par l’autorité du Christ pour le service du Peuple de Dieu.

« Ordination » désigne le rite liturgique qui intègre à l’un de ces trois ordres. Il s’agit plus que d’une simple cérémonie de prise de fonction : c’est une véritable consécration (consecratio), car l’ordination confère un don spécifique de l’Esprit Saint, par lequel la personne ordonnée est mise à part et investie par le Christ lui-même pour le service de l’Église. D’où le sens et l’importance de l’imposition des mains de l’évêque et la prière consécratoire qu’il prononce. Les deux (imposition et prière consécratoire) constituent en effet, le signe visible de cette consécration pour le service de l’Église au nom du Christ. 

Dans le ministère apostolique, certaines fonctions majeures relèvent à un titre spécial du sacerdoce du Christ, telle la charge pastorale à la tête de chaque communauté de croyants, la garde de l’intégrité de la foi dans l’annonce du Message de salut, la présidence de toutes les assemblées où l’on célèbre les sacrements, en particulier celles où est conféré le don de l’Esprit et où le pain et le vin sont changé au corps et au sang du Seigneur, ainsi que l’usage du pouvoir de remettre les péchés.

 

 

 

1.2. Le sacrement de l’Ordre dans l’économie du salut

 

Si les sacrements de Baptême, de Confirmation, de l’Eucharistie, de la Pénitence et de la Réconciliation et de l’onction des malades ont un aspect beaucoup plus personnel dans le sens où ils concernent la sanctification de celui qui les reçoit, l’Ordre et le Mariage tout en gardant cet aspect personnel, ne sont ordonnés qu’à la mission. Le sacrement de l’Ordre surtout, concerne l’Église comme telle, lui permettant d’assurer, par certains de ces membres, l’action sacramentelle par laquelle se rend présent et agissant dans le monde le Christ en acte de sauver[16]. Laissant pour le moment le sacrement de Mariage qui ne fait pas partie de notre sujet, le sacrement de l’Ordre est destiné à faire, parmi les baptisés, membres du Corps du Christ des « prêtres ». 

Réfléchir sur le sacrement de l’Ordre comme étant destiné à faire de certains membres de l’Église des « prêtres » comme le souligne Jean-Hervé Nicolas, se heurte à deux graves difficultés, antinomiques d’ailleurs : la première est que, dans le régime de la nouvelle Alliance, il n’y a qu’un seul prêtre, Jésus ; la seconde est que, selon l’Écriture, tous les fidèles sont prêtres[17]. Pourtant, le sacrement de l’Ordre existe pour faire des ministres « ordonnés » pris parmi les baptisés pour leur service. Le ministère ecclésiastique est destiné au service du peuple sacerdotal. Un autre écueil se trouve dans le double caractère du sacerdoce hiérarchique qui est à la fois un service (service de l’Église, donc du peuple sacerdotal ou du peuple de Dieu) et un pouvoir (sacra potestas) qui établit une certaine autorité au milieu de la communauté ecclésiale pour le service (cela implique aussi toute la question d’autorité et d’honneur) ; bref, le sacrement de l’Ordre est à la fois une fonction dans l’Église, et une vocation personnelle pour celui qui en est revêtu[18]. Tout au long de ce parcours, nous aurons à rencontrer ces difficultés et nous chercherons à les résoudre. 

 

 

1.2.1. Le sacerdoce de l’Ancienne Alliance

 

Il semble qu’il est difficile de réfléchir au terme « sacerdoce » tel qu’il nous est donné de l’appréhender dans la Nouvelle Alliance – sacerdoce baptismal et sacerdoce ministériel – sans chercher à comprendre celui de l’Ancienne Alliance et sans chercher à définir l’articulation des deux. Cela touche à la nature du sacerdoce. Cette parole de Jésus : « Je ne suis pas venu abolir (katalusai), mais accomplir (plèrôsai) » (Mt 5, 17) en est une clé d’interprétation : Si Jésus est venu accomplir  la Loi et les Prophètes, si la Nouvelle Alliance est l’accomplissement de l’Alliance conclue avec Israël, alors le sacerdoce de la Nouvelle Alliance ne peut pas couper le souffle à celui de l’Ancienne Alliance. Même si le sacerdoce de la Nouvelle Alliance est d’un tout autre ordre. Nous ne pouvons pas dire que le sacerdoce de la Nouvelle Alliance est la copie ce celui de l’Ancienne Alliance. Pour comprendre cela, il faut prendre trois aspects en considération : 1. accomplissement ne veut pas dire destruction de ce qui est accompli mais plutôt déploiement ; 2. il ne s’agit pas de n’importe quel déploiement mais d’un renouvellement messianique et eschatologique ; 3. paradoxalement, l’accomplissement peut présenter des incomplétudes : de fait, la Nouvelle Alliance est blessée par la « partition des chemins » entre l’Église et le peuple élu et, plus profondément, elle est en attente de sa réalisation complète lors de la Parousie[19].

Dans l’Ancien Testament, il y a des préfigurations du sacrement de l’Ordre : le service des Lévites, le sacerdoce d’Aaron et l’institution des soixante-dix Anciens (cf. Nb 11, 25). C’est pourquoi la liturgie de l’Église les mentionne dans la prière consécratoire (ou prière d’ordination) pour l’ordination épiscopale : « Dieu et Père de Jésus Christ notre Seigneur, (...) tout au long de l’ancienne Alliance tu commençais à donner forme à ton Église ; dès l’origine, tu as destiné le peuple issu d’Abraham à devenir un peuple saint ; tu as institué des chefs et des prêtres et toujours pourvu au service de ton sanctuaire »[20].

De même pour l’ordination presbytérale, l’Église prie ainsi : « Seigneur, Père très saint, ... déjà dans la première Alliance, des fonctions sacrées préparaient les ministères à venir.  Tu avais mis à la tête du peuple Moïse et Aaron, chargés de le conduire et de le sanctifier ; tu as aussi choisi des hommes, d’un autre ordre et d’un autre rang, pour les seconder dans leur tâche. C’est ainsi que, pendant la marche au désert, tu as communiqué l’esprit donné à Moïse aux soixante-dix hommes pleins de sagesse qui devaient l’aider à gouverner ton peuple. C’est ainsi que tu avais étendu aux fils d’Aaron la consécration que leur père avait reçue, pour que des prêtres selon la Loi soient chargés d’offrir des sacrifices qui étaient l’ébauche des biens à venir »[21].

In fine dans la prière d’ordination des diacres, l’Église dit : « Tu construis ton Église, qui est le Corps du Christ, par les dons infiniment variés de ta grâce : tu veux que chacun de ses membres ait une fonction particulière, et que tous contribuent, par l’Esprit Saint, à l’unité de cet ensemble admirable. Pour la faire grandir en un temple nouveau, tu as établi des ministres de trois ordres, les évêques, les prêtres et les diacres, chargés, les uns et les autres, de te servir, comme autrefois, déjà, dans la première Alliance, tu avais mis à part les fils de la tribu de Lévi pour le service de ta demeure »[22].

Signalons que le sacerdoce de l’Ancienne Alliance a beaucoup évolué. L’époque des patriarches n’a pas connu de prêtres, les fonctions rituelles étaient accomplies par les pères de familles ou les anciens de la tribu. Cela s’est mis en place petit à petit avec la sédentarisation et l’apparition des sanctuaires. Les premiers prêtres (kohanim) ont assumé cette charge (cf. Nb 1, 53 ; Jg 18, 30 ; 1 S 1, 3b ; 1 R 12, 32). Aussi, la tribu de Lévi est mise à part pour la fonction sacerdotale, particulièrement la famille d’Aaron assistée par les autres lévites (cf. Nb 1, 48-54 ; 3, 1-13 ; 16, 1-22). 

Il faut voir le rapport entre le sacerdoce de l’Ancienne Alliance et celui de la Nouvelle Alliance en termes de figure (τύπος). Ainsi, nous pouvons donc conclure : 1) Le sacerdoce de la Nouvelle Alliance ne peut être conçu à partir d’une dénégation du sacerdoce de l’Ancienne Alliance[23]. Les noms de plusieurs grandes figures qui ont exercé le sacerdoce dans l’Ancienne Alliance sont mentionnés et dans les textes du Nouveau Testament et dans les textes liturgiques de l’Église. Il y a une reconnaissance du sacerdoce de l’Ancienne Alliance dans les Évangiles. Il est important de souligner que « les prophètes vétérotestamentaires annoncent un rôle pour le sacerdoce lévitique jusqu’à la fin des temps (voir Malachie 3, 3) et que le Siracide souligne que le sacerdoce aaronique est "établi par une règle perpétuelle", par une  "alliance éternelle",  valide "à jamais" (Siracide 45, 7.15.24) »[24] ; 2) « Il importe de reconnaître une réalité et une efficacité dans le sacerdoce de l’Ancienne Alliance »[25]. Il permet de recevoir la grâce. Cette réalité et cette efficacité du sacerdoce de l’Ancienne Alliance ne sont pas sans lien avec le Christ, car toute grâce provient de lui. Le Christ était déjà à l’œuvre dans le sacerdoce ancien. Ce qu’il faut dire, c’est que le sacerdoce du Christ, au lieu de remplacer celui de l’Ancienne Alliance, le fonde et lui donne sa substantialité. On pourrait dire de même pour le culte dans l’Ancien Testament. Donc, on ne peut en aucun cas, dissocier le sacerdoce de l’Ancienne Alliance de celui de la Nouvelle Alliance. Il y a continuité entre les deux. « Les deux sacerdoces sont fondamentalement médiateurs, veillent sur l’Alliance et témoignent de la sainteté de Dieu. Les traits fondamentaux du sacerdoce de l’Ancienne Alliance permettent de comprendre ce qui doit faire partie du sacerdoce de la Nouvelle Alliance et de vérifier que celui-ci correspond réellement au sacerdoce selon la volonté de Dieu »[26].

 

 

 

1.2.2. L’unique sacerdoce du Christ

 

Toutes les préfigurations de l’Ancienne Alliance trouvent leur accomplissement dans le Christ Jésus qui, par le sacrifice de la croix, est le « seul médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Tm 2, 5), « grand-prêtre selon le sacerdoce de Melchisédech » (He 5,10). Cela marque l’indépendance du sacerdoce christique à celui du Lévitique. Toutefois, la lettre aux Hébreux n’oppose pas un sacerdoce ancien à un sacerdoce « nouveau », dont il n’est jamais d’ailleurs question[27]. Il s’agit plutôt dans la lettre aux Hébreux, d’une comparaison entre le sacerdoce céleste du Christ (8, 1-2), ce sacerdoce parfait et plénier (7,11), et le sacerdoce terrestre (8, 4). Le sacerdoce céleste du Christ est éternel. Dans la personne du Christ, la perfection de ce qu’est le prêtre est réalisée. L’unique sacerdoce du Christ se rend présent par le sacerdoce ministériel. Le peuple juif était organisé dans l’Ancien Testament en 12 tribus. L’une d’elle, celle de Levi, est spécialement en charge du service liturgique.  Ses membres, les lévites, ont des règles de vies propres, en fonction de leur rôle d’intermédiaire entre Dieu et son peuple. Leur tâche consiste principalement à faire entendre la Parole de Dieu, et à célébrer les sacrifices de réconciliation. 

Jésus ne fait pas partie de la tribu de Lévi. Pourtant, il remplit vraiment le rôle du prêtre. Il est même le seul à pouvoir être pleinement prêtre, puisque les sacrifices des lévites n’étaient que  des rites impuissants à faire le lien entre Dieu et les Hommes (cf. He 5, 3 ; 7, 27; 10, 1-4). Jésus, lui, est médiateur entre Dieu et les hommes par sa personne et par son œuvre : en s’offrant sur la Croix, il est à lui seul le prêtre et la victime du sacrifice définitif. Cet unique sacrifice « est rendu présent dans le sacrifice eucharistique de l’Église » (CEC, n° 1545) et, « il en est de même de l’unique sacerdoce du Christ : il est rendu présent par le sacerdoce ministériel sans que soit diminuée l’unicité du sacerdoce du Christ : " Aussi le Christ est-il le seul vrai prêtre, les autres n’étant que ses ministres " » (id.). Il y a un renouvellement de l’identité sacerdotale par le fait même de la dimension christique du sacerdoce de la Nouvelle Alliance. Le baptême confère à tous une participation-configuration au Christ et tous, en effet, participent à son unique sacerdoce. Ce que le sacerdoce de l’Ancienne Alliance ne pouvait pas faire. Le sacerdoce du Christ comporte non seulement une dimension christologique, mais aussi pneumatologique et universelle. En Jésus, « le sacerdoce fait partie du dessein de Dieu pour tous et que le sacerdoce commun est la première participation au sacerdoce du Christ. Le sacerdoce ministériel est un moyen, au service de la fin, qui est le sacerdoce des baptisés »[28]. Sans nier, d’un point de vue chrétien le rapport entre le sacerdoce de l’Ancienne Alliance et le Christ, celui de « la Nouvelle Alliance est participation et témoignage explicites de son Incarnation, sa Passion et sa Résurrection »[29]

À la différence du sacerdoce naturel où le prêtre est la figure d’un Dieu lointain, inaccessible, le sacerdoce du Christ est un sacerdoce d’agrégation, c’est-à-dire qu’il s’offre dans l’acte même qu’il s’unit tous les hommes et fait des prêtres avec lui. Il n’y a pas de mise à part ou d’ordination pour le Christ : il agrège à son sacerdoce éternel. C’est pourquoi, « la participation au Christ par le baptême ou par le sacrement de l’ordre est participation à l’ensemble de ces fonctions : le sacerdoce chrétien, parce qu’il est christique, est sacerdotal mais aussi royal et prophétique »[30]. Tous participent à son unique offrande par le don de l’Esprit Saint : « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire » demande l’Église dans la 3e Prière eucharistique. Par la grâce du baptême, on renaît à la grâce du Christ et on devient en lui un autre Christ en participant aussi à son unique sacerdoce. 

Dans le Nouveau Testament, Jésus associe ses Apôtres à ce sacerdoce d’un nouveau genre, notamment le soir du Jeudi Saint, lorsqu’il institue l’Eucharistie. Désormais, ce sont les Apôtres qui portent la charge de conduire l’Église en l’enseignant, en la gouvernant, et en la sanctifiant. C’est cette charge qui se transmet depuis à travers le sacrement de l’Ordre.

 

Quelques remarques : 

1. Nous constatons que dans les Évangiles et dans les Actes des Apôtres on n’attribue pas le vocabulaire sacerdotal à Jésus. C’est seulement dans la lettre aux Hébreux, la première lettre de Pierre et le livre de l’Apocalypse que le terme « grand-prêtre/ierus », est utilisé pour désigner Jésus. Le fait de ne pas mentionner le vocabulaire sacerdotal dans les Évangiles et dans les Actes des Apôtres pour qualifier Jésus montre que son sacerdoce ne s’inscrit pas dans la lignée du sacerdoce lévitique : son sacerdoce est d’un autre ordre, il est éternel. Il y a une radicale nouveauté puisqu’il est l’unique prêtre de la Nouvelle Alliance (Hé 5, 1) ; l’unique médiateur en tant qu’homme (Hé 7, 23-26). Ainsi, c’est par la grâce capitale, en tant qu’elle rejaillit sur l’ensemble de son Corps mystique, c’est-à-dire l’Église, que se transmet le sacerdoce unique du Christ. 

2. Le sacerdoce de Jésus est dans la lignée de l’ordre de Melchisédeck, donc avec trois caractéristiques principales : 1°) sa supériorité par rapport à l’Ancienne Alliance qu’il transcende ; 2°) sa perpétuité : il est éternel ; 3°) son universalité : ce sacerdoce, d’origine mystérieuse, s’ouvre donc à tous les hommes ;

3. Jésus est prêtre en tant qu’homme et c’est la clef de voûte de la compréhension de la transmissibilité de son sacerdoce ;

4. Le sacerdoce du Christ se prolonge dans le ministère apostolique. D’où le sens du mandat missionnaire confié aux Apôtres en Mt 18, 18. 

 

 

1.2.3. Deux participations à l’unique sacerdoce du Christ[31]

 

Le Christ, grand prêtre et unique médiateur, a fait de l’Église « un Royaume de prêtres pour son Dieu et Père » (Ap 1, 6 ; cf. Ap 5, 9-10 ; 1 P 2, 5. 9). Toute la communauté des croyants est, comme telle, sacerdotale. Les fidèles exercent leur sacerdoce baptismal à travers leur participation, chacun selon sa vocation propre, à la mission du Christ, Prêtre, Prophète et Roi. C’est par les sacrements du Baptême et de la Confirmation que les fidèles sont « consacrés pour être ... un sacerdoce saint » (LG 10), donc pour participer au sacerdoce de leur chef, pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par le Christ (1 P 2, 5.9), le culte spirituel selon l’Apôtre Paul (Rm 12, 1). Toute la communauté des croyants est donc sacerdotale. Ainsi, les fidèles exercent leur sacerdoce en participant à la liturgie, spécialement en offrant le sacrifice eucharistique, mais aussi dans toutes leurs activités familiales et sociales. C’est là qu’ils porteront témoignage au Christ et rendront raison de l'espérance qui est en eux (LG, 10).

Le sacerdoce ministériel ou hiérarchique des évêques et des prêtres, et le sacerdoce commun de tous les fidèles, bien que « l’un et l’autre, chacun selon son mode propre, participent de l’unique sacerdoce du Christ » (LG 10), diffèrent cependant essentiellement, tout en étant « ordonnés l’un à l’autre » (LG 10). En quel sens ? Alors que le sacerdoce commun des fidèles se réalise dans le déploiement de la grâce baptismale, vie de foi, d’espérance et de charité, vie selon l’Esprit, le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce commun, il est relatif au déploiement de la grâce baptismale de tous les chrétiens. Il est un des moyens par lesquels le Christ ne cesse de construire et de conduire son Église. C’est pour cela qu’il est transmis par un sacrement propre, le sacrement de l’Ordre.

Les allocutions qui ouvrent la liturgie de l’ordination de l’évêque et des prêtres mettent en lumière leurs charges respectives : « Par le ministère de l’évêque, c’est le Christ qui continue d’annoncer la Bonne Nouvelle et de dispenser aux croyants les sacrements de la foi ; par la paternité spirituelle de l’évêque, c’est lui qui agrège à son propre corps de nouveaux membres ; par la sagesse et la prudence de l’évêque, c’est lui qui guide (le peuple de Dieu), dans son pèlerinage terrestre, jusqu’au bonheur du ciel ». 

Les prêtres sont institués pour être collaborateurs des évêques, associés à eux dans la fonction sacerdotale au service du peuple de Dieu. Configuré au Christ, Prêtre souverain et éternel, le prêtre est consacré pour annoncer l’évangile, pour être le pasteur du peuple de Dieu et pour célébrer la liturgie, surtout en offrant le sacrifice du Seigneur. Ces points seront développés plus amplement à la troisième partie de ce premier chapitre (1.3). 

Alors cela nous amène-t-il à préciser deux choses : 1°) le sacerdoce des fidèles n’est pas fonctionnel mais eucharistique. Recevant la grâce de la vie nouvelle en Jésus Christ, les baptisés sont donc capables de s’offrir à Dieu. Ils s’offrent efficacement et cela se réalise de manière parfaite dans l’Eucharistie. Les baptisés exercent leur sacerdoce dans l’acte par lequel le Christ continue de s’offrir pour le salut des hommes, dans la célébration de l’Eucharistie. Là, le culte nouveau se fait le plus visible, le plus concret, le plus prégnant et montre aussi sa singularité. Toujours dans la dynamique d’une Église communion comme nous l’avons déjà souligné ; 2°) le sacerdoce ministériel n’est pas en opposition avec le sacerdoce de tous les baptisés. Il fait voir que la communauté ecclésiale ne peut pas grandir sans une existence hiérarchique en son sein. Il s’agit aussi d’une hiérarchie de service en vue de permettre aux baptisés d’exercer le sacerdoce dans le Christ. Le sacerdoce ministériel est ordonné au service du sacerdoce unique du Christ et des fidèles. Il est ministériel et référentiel. Il ne faut jamais séparer ces deux dimensions. 

Ainsi, revenons-nous à la dimension sacramentelle de l’Ordre, sans oublier cette attention particulière de « la commune responsabilité dans la mission »[32], impliquant la reconnaissance des ministères suscités par l’Esprit pour le bien du Corps entier. C’est dans la logique de cette ouverture, dont le fondement christologique et pneumatologique, souligne Jean Rigal, que la dimension sacramentelle de l’Ordre retrouve sa juste place[33]. Nous admettons sans ambages que « le ministère est fondé sur un acte sacramentel que l’on ne saurait réduire à un investiture parmi d’autres. L’ordination est un charisme, donc un don de l’Esprit, mais en vue d’une charge spécifique »[34]. Ce qui fait que « le service apostolique ne constitue donc pas une extension du sacerdoce baptismal : un élément nouveau, de nature sacramentelle, intervient avec l’ordination »[35]. Cependant, puisque le ministère pastoral ne peut être compris qu’en lien avec la vocation et la mission de tous les baptisés, les ministres ordonnés « ne sont ni à l’extérieur ni au-dessus du peuple de Dieu, mais en son sein et à son service »[36].

 

 

1.2.4. En la personne du Christ-Tête[37]

 

Le Christ lui-même est présent à son Église en tant que Tête de son corps, Pasteur de son troupeau, grand prêtre du sacrifice rédempteur, Maître de la Vérité dans le service ecclésial du ministre ordonné. C’est ce que l’Église exprime en disant que le prêtre, en vertu du sacrement de l’Ordre, agit in persona Christi Capitis[38] (cf. LG 10 ; 28 ; SC 33 ; CD 11 ; PO 2 ; 6). Ainsi, l’exprime Pie XII dans son encyclique Mediator Dei : « C’est le même Prêtre, le Christ Jésus, dont en vérité le ministre tient le rôle. Si, en vérité, celui-ci est assimilé au Souverain Prêtre, à cause de la consécration sacerdotale qu’il a reçue, il jouit du pouvoir d’agir par la puissance du Christ lui-même qu’il représente (virtute ac persona ipsius Christi) ». Nous le retenons : la source de tout le sacerdoce est le Christ et que par le ministère ordonné, spécialement des évêques et des prêtres, la présence du Christ comme chef de l’Église, est rendue visible au milieu de la communauté des croyants (cf. LG 21). Selon la belle expression de saint Ignace d’Antioche, l’évêque est « typos tou Patros », il est comme l’image vivante de Dieu le Père (Trall. 3, 1 ; cf. Magn. 6, 1).

Cette présence du Christ dans le ministre ne doit pas être comprise comme si celui-ci était prémuni contre toutes les faiblesses humaines, l’esprit de domination, les erreurs, voire le péché. La force de l’Esprit Saint ne garantit pas de la même manière tous les actes des ministres. Tandis que dans les sacrements cette garantie est donnée, de sorte que même le péché du ministre ne peut empêcher le fruit de grâce, il existe beaucoup d’autres actes où l’empreinte humaine du ministre laisse des traces qui ne sont pas toujours le signe de la fidélité à l’Évangile, et qui peuvent nuire par conséquent à la fécondité apostolique de l’Église.

Ce sacerdoce est ministériel. « Cette charge, confiée par le Seigneur aux pasteurs de son peuple, est un véritable service » (LG 24). Il est entièrement référé au Christ et aux hommes. Il dépend entièrement du Christ et de son sacerdoce unique, et il a été institué en faveur des hommes et de la communauté de l’Église. Le sacrement de l’Ordre communique « un pouvoir sacré », qui n’est autre que celui du Christ. L’exercice de cette autorité doit donc se mesurer d’après le modèle du Christ qui par amour s’est fait le dernier et le serviteur de tous (cf. Mc 10, 43-45 ; 1 P 5, 3). « Le Seigneur a dit clairement que le soin apporté à son troupeau était une preuve d’amour pour Lui » (S. Jean Chrysostome, sac. 2, 4 : PG 48, 635 D ; cf. Jn 21, 15-17). 

Relevons quelques résonnances théologiques majeures : 

1°) L’Église n’est Corps du Christ que par son union à lui qui en est la Tête. Le salut et la vie qui sont les réalités de l’Église sont un don reçu de Celui qui donne l’influx à son Corps. Personne n’est détenteur de la grâce divine, de tous les dons de la vie nouvelle. Jamais l’Église ne s’érige en propriétaire du salut ;

2°) Le Christ n’est pas présent physiquement, visiblement à la tête de son Église. Outre l’Esprit Saint qui l’anime (l’Église), il faut donc que la Tête soit représentée pour que la grâce soit reçue de quelqu’un, c’est-à-dire du ministre ordonné, de celui qui a reçu la charge de le représenter, de le manifester sacramentellement. Cette représentation n’est pas de l’ordre de la sainteté personnelle, mais de l’ordre de la fonctionnalité, de l’instrumentalité : on exerce un rôle. Dans l’ordre de la grâce sanctifiante, le prêtre n’est pas au-dessus de la grâce des baptisés. Le fondement sacramentel de sa sainteté à Dieu n’est pas son ordination, mais son baptême, même si cette sainteté se trouve particularisée par l’exercice de son ministère[39]. Le prêtre ne possède pas une grâce plus grande du fait qu’il a été ordonné. Il devient saint d’abord grâce à son baptême ;

3°) Le prêtre représente le Christ, non pas dans sa totalité, mais en tant que Tête du Corps qui est l’Église : « La référence à l’Église est inscrite dans l’unique et même rapport du prêtre au Christ, en ce sens que c’est la représentation sacramentelle du Christ par le prêtre qui fonde et anime son rapport à l’Église » (PDV, n° 16) ; 

4°) Cette représentation se situe dans l’exercice de la fonction sacerdotale du Christ Tête et Pasteur de son peuple ;

5°) Le prêtre joue un rôle figuratif qui n’est pas du même ordre que le sacerdoce naturel. Dans ce rôle, il est « pontife ». Il est au service de la rencontre de Dieu et de l’homme, un Dieu qui se fait proche de l’homme. Dans le sacerdoce naturel, le prêtre est la figure d’un Dieu lointain, un Dieu inaccessible. Cette représentation n’est pas une simple délégation de pouvoir, mais une qualité ontologique infuse par Dieu par l’ordination et qui habilite cet homme à exercer sa fonction surnaturelle. C’est toute la richesse théologique, christologique, pneumatologique et ecclésiologique de la sacramentalité du ministère ordonné ou pastoral. Dans cette dynamique, citons ce texte du BEM pour sa dimension œcuménique : « Le Christ qui a choisi et envoyé les Apôtres, continue, par le Saint-Esprit, à choisir et appeler des personnes en vue du ministère ordonné. Comme hérauts et ambassadeurs, les ministres ordonnés représentent Jésus Christ pour la communauté et proclament son message de réconciliation » (n° 11) ;

6°) Cette représentation du Christ Tête et Pasteur est d’ordre surnaturel. Aucun homme ne peut s’attribuer cette fonction : représenter le Christ Tête et Pasteur de son peuple ;

7°) Un tel ministère manifeste la gratuité absolue du don de Dieu. Le choix n’est pas méritoire. Il n’est pas la récompense des qualités intellectuelles ou du « copinage » : « Le prêtre apparaît, dans la structure de l’Église, comme signe de la priorité absolue et de la gratuité de la grâce, qui est donnée à l’Église par le Christ ressuscité » (id.) ;

8°) La représentation ne s’inscrit pas dans la personne du prêtre mais dans le ministère qu’il exerce (agissant en la personne du Christ Tête – « in persona Christi captitis agere »). Pensons à propos de cela, aux trois « munera », à la prédication et à la célébration des sacrements, en particulier à la célébration eucharistique, où le Mystère pascal s’actualise dans tout son déploiement ;

9°) Le prêtre ne représente le Christ que « parce qu’il est ministre de l’Église, de sa foi, de ses sacrements et donc pour autant qu’il demeure dans l’Église ou se trouve reconnu par elle »[40] ;

10°) La représentation du Christ Tête et Pasteur est importante pour la vie de foi du peuple sacerdotal. Il « en a besoin pour établir et vérifier son identité, pour s’éprouver comme convoqué et envoyé, pour actualiser et accueillir l’action libératrice du Christ »[41].

Alors, dans le cadre d’une telle représentation, le prêtre « devient comme le sacrement du Christ, de son initiative, de sa présence, de son action, mais en même temps de sa différence, de sa distance, de son altérité »[42]

 

 

1.2.5. Au nom de l’Église[43]

 

Le sacerdoce ministériel n’a pas seulement pour tâche de représenter le Christ – Tête de l’Église – face à l’assemblée des fidèles, il agit aussi au nom de toute l’Église lorsqu’il présente à Dieu la prière de l’Église (cf. SC 33) et surtout lorsqu’il offre le sacrifice eucharistique (cf. LG 10).

« Au nom de toute l’Église », cela ne veut pas dire que les prêtres soient les délégués de la communauté. La prière et l’offrande de l’Église sont inséparables de la prière et de l’offrande du Christ, son Chef. C’est toujours le culte du Christ dans et par son Église. C’est toute l’Église, corps du Christ, qui prie et qui s’offre, « per ipsum et cum ipso et in ipso », dans l’unité du Saint-Esprit, à Dieu le Père. Tout le corps, « caput et membra », prie et s’offre, et c’est pourquoi ceux qui, dans le corps, en sont spécialement les ministres, sont appelés ministres non seulement du Christ, mais aussi de l’Église. C’est parce que le sacerdoce ministériel représente le Christ qu’il peut représenter l’Église.

 

 

 

 

1.3. Les trois degrés du sacrement de l’Ordre[44]

 

« Le ministère ecclésiastique, institué par Dieu, est exercé dans la diversité des ordres par ceux que déjà depuis l’antiquité on appelle évêques, prêtres, diacres » (LG 28). Exprimée dans ces trois lieux théologiques : la liturgie, le magistère, et la pratique constante de l’Église, la doctrine catholique reconnaît qu’il existe deux degrés de participation ministérielle au sacerdoce du Christ : l’épiscopat et le presbytérat. Le diaconat est destiné à les aider et à les servir. C’est pourquoi le terme sacerdos désigne, dans l’usage actuel, les évêques et les prêtres, mais non pas les diacres. Néanmoins, la doctrine catholique enseigne que les degrés de participation sacerdotale (épiscopat et presbytérat) et le degré de service (diaconat) sont tous les trois conférés par un acte sacramentel appelé « ordination », c’est-à-dire par le sacrement de l’Ordre. Déjà aux premiers temps de l’Église, saint Ignace d’Antioche disait : « Que tous révèrent les diacres comme Jésus-Christ, comme aussi l’évêque, qui est l’image du Père, et les presbytres comme le sénat de Dieu et comme l’assemblée des apôtres : sans eux on ne peut parler d’Église » (S. Ignace d’Antioche, Trall. 3, 1).

Le concile Vatican II, nous le remarquons bien, a mis de l’ampleur sur la sacramentalité de l’épiscopat. Tel n’était pas le cas pour le concile de Trente qui a axé son enseignement sur le « sacerdoce des prêtres ». Le concile Vatican I, lui, non plus, n’a rien formulé en ce sens. Il a surtout mis l’emphase sur la définition de la primauté et de l’infaillibilité du pape[45].

 

 

1.3.1. L’ordination épiscopale – plénitude du sacrement de l’Ordre

 

Nous le reconnaissons avec une grande importance : Vatican II est un concile foncièrement ecclésiologique. Il a accordé une large part à la question des ministères dans laquelle la priorité est nettement accordée au peuple de Dieu dans la diversité des charismes et des fonctions ecclésiales en posant les bases de la théologie de l’épiscopat, en révisant la théologie du presbytérat avec une nette nouveauté, en rétablissant le diaconat permanent, en définissant la vocation des baptisés et leur participation ministérielle à la mission de l’Église[46]. C’est dans cette grande ouverture et ce grand mouvement ecclésiologique que nous devons chercher à comprendre l’ordination épiscopale comme plénitude du sacrement de l’Ordre. 

Ainsi précise Lumen Gentium : « Parmi les différents ministères qui s’exercent dans l’Église depuis les premiers temps, la première place, au témoignage de la Tradition, appartient à la fonction de ceux qui, établis dans l’épiscopat, dont la ligne se continue depuis les origines, sont les sarments par lesquels se transmet la semence apostolique » (LG, n° 20).

Pour remplir leur haute mission, « les apôtres furent enrichis par le Christ d’une effusion spéciale de l’Esprit Saint descendant sur eux ; eux-mêmes, par l’imposition des mains, transmirent à leurs collaborateurs le don spirituel qui s’est communiqué jusqu’à nous à travers la consécration épiscopale » (LG, n° 21).

 

 

 

 

 

1.3.1.1. L’institution de l’épiscopat

Face à toutes les divergences sur la question de l’épiscopat, le concile de Trente a trouvé une formule de compromis : la hiérarchie est instituée par « une disposition divine »[47]. Vatican fera une approche beaucoup plus précise et plus historique de l’épiscopat : « Le Christ, que le Père a consacré et envoyé dans le monde (Jn 10, 36), a fait les évêques successeurs des Apôtres et, par ces Apôtres eux-mêmes, participants de sa consécration et de sa mission. À leur tour, les évêques ont transmis légitimement dans l’Église la charge de leur ministère selon divers degrés à divers sujets. C’est ainsi que le ministère ecclésiastique, institué par Dieu, est exercé dans la diversité des ordres par ceux que déjà depuis l’Antiquité on appelle évêques, prêtres, diacres » (LG, n° 28). 

La perspective est typiquement christologique et « économique », c’est-à-dire centré sur l’initiative de Dieu au cœur de l’histoire[48]. Il ne faut pas oublier aussi que le rôle de l’Esprit Saint tient une moindre place, et lorsqu’elle est évoquée, c’est surtout en fonction de "l’économie du salut" et de la continuité apostolique[49] : « Pour remplir de si hautes charges, les Apôtres furent enrichis par le Christ d’une effusion de l’Esprit Saint descendant sur eux (cf. Ac 1, 8 ; 2, 4 ; Jn 20, 22-23) ; eux-mêmes, par l’imposition des mains, transmirent à leurs collaborateurs le don spirituel (cf. 1 Tm 4, 14 ; 2 Tm 1, 6-7) qui s’est communiqué jusqu’à nous à travers la consécration épiscopale » (LG n° 21). Vatican II élucide ce que Trente avait laissé dans une certaine obscurité[50].

Qu’est-ce à dire de la question de l’institution des prêtres ? Le concile de Trente affirmait, dans sa XXIIe session, qu’à la dernière Cène, le Christ a constitué ou institué les Apôtres prêtres du Nouveau Testament. Il ne dit pas que la dernière Cène est le lieu du sacrement de l’Ordre[51]. Vatican II n’aborde pas la question de l’institution des presbytres par le Christ lui-même. Il affirme tout simplement que « les évêques ont transmis légitimement dans l’Église la charge de leur ministère selon divers degrés à divers sujets » (LG n° 28). Cela reste véritablement une question à approfondir…

 

 

 

1.3.1.2. La sacramentalité de l’épiscopat

 

Vatican II « enseigne que, par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l’Ordre, que la coutume liturgique de l’Église et la voix des saints Pères désignent en effet sous le nom de sacerdoce suprême, de réalité totale (summa) du ministère sacré » (LG n° 21). Ainsi, « la consécration épiscopale, en même temps que la charge de sanctification, confère aussi les charges d’enseigner et de gouverner, lesquelles cependant, de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres. En effet, […] par l’imposition des mains et les paroles de la consécration, la grâce de l’Esprit Saint est donnée et le caractère sacré imprimé, de telle sorte que les évêques, d’une façon éminente et patente, tiennent la place du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife et agissent en sa personne – (in Eius persona agant) » (id.).

Cela nous fait voir en clair la valeur sacramentelle de l’épiscopat en tant qu’ordre distinct du presbytérat. Vatican II s’appuie donc sur « la Tradition qui s’exprime surtout par les rites liturgiques et par l’usage de l’Église, tant orientale qu’occidentale » (LG n° 21). La Tradition apostolique d’Hippolyte de Rome (vers 220), dans la prière d’ordination épiscopale, à deux reprises, parle de l’épiscopat en termes de « Souverain sacerdoce », tandis que pour Cyprien, il s’agit du « rang sublime du sacerdoce »[52] Ainsi, Vatican II, envisageant la sacramentalité de l’épiscopat a fait un retour aux sources patristiques. 

En résumé :

1°) Il convient d’admettre que la sacramentalité de l’épiscopat a été longtemps occultée surtout dans l’Antiquité avec par exemple saint Jérôme, puis tout le Moyen-Âge. On ne considérait l’épiscopat que comme la dignité suprême de l’Ordre. Ce qui comptait c’était le pouvoir d’ordre ou de consécration et cela mettait les évêques et les prêtres à égalité ;

2°) La sacramentalité de l’épiscopat est amorcée avec l’évolution du Magistère à partir du concile de Trente mais surtout à Vatican I, puis par les papes Léon XIII et Pie XII. Mais c’est Vatican II qui l’a mieux montrée en enseignant que, « par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l’Ordre » (LG n° 21). Cette affirmation conciliaire est confirmée et développée par les papes, en particulier Jean Paul II dans son exhortation apostolique post-synodale Pastores gregis de 2003 ;

3°) La sacramentalité de l’épiscopat est liée à celle de l’Église. Ainsi, comme le précise Roland Varin : 

 

L’Ordre n’est plus simplement considéré en fonction de l’eucharistie mais en fonction de la construction du Corps mystique tout entier. Il découle de là que définir l’épiscopat comme sacramentel a d’importantes implications ecclésiologiques. La sacramentalité de l’épiscopat fonde la collégialité épiscopale et aussi d’une certaine manière la primauté romaine. Parce qu’il est une réalité avant tout sacramentelle, l’épiscopat peut être signe de l’unité et de l’universalité de l’Église. La sacramentalité de l’épiscopat est également signe et fondement de l’unité et de l’universalité au sein de l’Église particulière. L’évêque à la tête de l’Église particulière a la charge de diriger et de garder dans l’unité la portion du peuple de Dieu qui lui est confiée. Il le fait par la charge pastorale qu’il a reçue sacramentellement. Il assure également le lien avec l’Église universelle, de par son appartenance sacramentelle au collège épiscopal[53].

 

En résumé, l’épiscopat est un sacrement, et l’évêque n’est pas seulement doté d’un pouvoir juridique supérieurpar rapport aux prêtres, comme le Pape par rapport aux évêques. Si on restait à cette compréhension, on fausserait la note théologique de l’épiscopat : l’ordination épiscopale investit l’évêque d’un ordre supérieur de plénitude sacramentelle. 

 

 

 

1.3.1.3. La collégialité de l’épiscopat

La collégialité épiscopale est le lien radical entre les évêques à cause de la sacramentalité de l’épiscopat. Vatican II l’a merveilleusement mis en lumière en affirmant : « C’est en vertu de la consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres que quelqu’un est fait membre du corps épiscopal » (LG n° 22). La collégialité épiscopale découle de la sacramentalité de l’épiscopat. Elle est intrinsèquement liée à la nature même de l’épiscopat. On devient membre du Collège des évêques par l’ordination épiscopale. Cette collégialité ne supprime pas le caractère de l’épiscopat qui n’est en aucun cas limité aux actes de celle-ci. Chaque évêque exerce son ministère propre dans son Église particulière. La collégialité est l’expression de la communion au niveau épiscopal. 

Le concile Vatican II déclare : « C’est sur le fondement de la communion qui, dans un certain sens, maintient ensemble toute l’Église, que s’exprime et se réalise ainsi la structure hiérarchique de l’Église, dotée par le Seigneur d’une nature collégiale en même temps que primatiale lorsque lui-même fit des Douze ses apôtres, leur donnant forme d’un collège, c’est-à-dire d’un groupe stable, et mit à leur tête Pierre choisi parmi eux » (LG n° 19).  

La collégialité épiscopale implique l’articulation entre le collège des évêques et la primauté romaine. D’où l’importance de la communion et cette communion ne se situe pas seulement au niveau de l’organisation structurelle ou sociale, « elle est un charisme (un don spécial de Dieu)  d’unité réalisée en premier lieu par l’Esprit Saint »[54]. Toutefois, il ne faut pas oublier que « la collégialité et toujours associée à la primauté. Les deux termes s’appellent, se conjuguent et se renforcent mutuellement, selon la volonté de Jésus Christ qui a appelé les Douze en donnant à Pierre d’être le roc, le centre d’unité du collège des Apôtres : la pierre d’angle c’est le Christ ; le fondement, c’est la confession de foi de Pierre (« Tu es le Christ »). Cette conception catholique de la communion est dite hiérarchique »[55]. Même si Vatican II reprend, à la lettre, l’enseignement de Vatican I, à savoir que le Pontife romain a le pouvoir suprême sur l’ensemble de l’Église, en vertu de sa charge de vicaire du Christ et de Pasteur de toute l’Église, il est bon de souligner que cela, selon la perspective théologique et ecclésiologique de la réforme conciliaire, ne va pas sans l’intégration formelle du Collège épiscopal. 

En bref,

 

Théologiquement parlant, la collégialité regroupe tout ce qui fonde l’existence d’un collège des Évêques (primauté pétrinienne et sacramentalité de l’ordre épiscopal) et tout ce que cette existence concrète implique (la manière dont elle s’exerce). Elle ne désigne pas une autorité concurrente à celle du Pape ni un pouvoir confondu avec son autorité personnelle (lorsqu’il agit seul comme Pasteur de l’Église universel). La collégialité épiscopale dérive théologiquement du collège des Apôtres fondé par Jésus-Christ et dont elle assure analogiquement, et conjointement avec la primauté pontificale, la succession. Le collège des Évêques succède au collège des Apôtres, l’Évêque de Rome succède à l’Apôtre Pierre (cette succession personnelle vaut pour tous les sièges de fondation apostolique, pour les autres sièges, les évêques ne succèdent qu’analogiquement)[56]

 

En ce sens, il faut ajouter :

 

Conformément à l’enseignement de Lumen Gentium (n.25), le collège des Évêques est lui aussi sujet du pouvoir suprême et plénier sur l’Église entière. L’Évêque de Rome ne la détient pas exclusivement. L’unique autorité est détenue par lui à titre personnel et par le collège présidé par lui et uni à lui (cum et sub Petro). La collégialité désigne juridiquement la seconde modalité d’exercice de l’autorité suprême[57].

 

 

La collégialité épiscopale est une réalité incontournable de l’épiscopat « qui demeure unique et identique dans une pluralité de participants »[58]. « L'épiscopat, écrira saint Cyprien, est un et indivisible ». « Il est nombreux, dit le même Père, le corps des évêques, lié par le ciment de la concorde mutuelle et le lien de l'unité. Bien que nous soyons de nombreux pasteurs, nous faisons paître un seul troupeau et notre devoir est de rassembler et de soigner toutes les brebis que le Christ s'est acquises par son sang »[59]

 

1.3.3.4. Les ministères des évêques

Les ministères des évêques sont clairement définis par la réforme conciliaire (n’oublions pas l’approche ecclésiologique du sacrement). Lumen Gentium et Christus Dominus sont des textes fondamentaux qui nous fournissent les données maîtresses :  

 

Parmi les charges principales des évêques, la prédication de l’Évangile est la première. Les évêques sont, en effet, les hérauts de la foi, amenant au Christ de nouveaux disciples, et les docteurs authentiques, c’est-à-dire pourvus de l’autorité du Christ, prêchant au peuple qui leur est confié la foi qui doit régler leur pensée et leur conduite […]. Les évêques qui enseignent en communion avec le Pontife romain ont droit, de la part de tous, au respect qui convient à des témoins de la vérité divine et catholique. Lors qu’ils s’accordent pour enseigner authentiquement qu’une doctrine concernant la foi et les mœurs s’impose de manière absolue, alors, c’est la doctrine du Christ qu’infailliblement ils expriment (LG, n° 25). 

 

Les évêques sont revêtus de la plénitude du sacrement de l’Ordre ; ils portent « la responsabilité de dispenser la grâce du suprême sacerdoce » :

1°)  en particulier dans l’Eucharistie qu’ils offrent eux-mêmes ou dont ils assurent l’oblation, c’est-à-dire l’Eucharistie que leurs prêtres célèbrent, et d’où vient continuellement à l’Église vie et croissance. […]. Chaque fois que la communauté de l’autel se réalise, en dépendance du ministère sacré de l’évêque, se manifeste le symbole de cette charité et de cette unité du Corps mystique sans laquelle le salut n’est pas possible. 

2°) par les sacrements dont ils organisent et en assurent la distribution régulière et féconde, ils sanctifient les fidèles. Dans cette dynamique, ils règlent la célébration du baptême, où est donnée participation au sacerdoce royal du Christ. Ils sont les ministres originaires de la confirmation ; ce sont eux qui donnent les saints ordres et règlent la discipline de la pénitence et s’emploient avec zèle, par l’exhortation et l’instruction, à ce que leurs peuples prennent, dans la foi et le respect, la part qui est la leur dans la liturgie et surtout dans le saint sacrifice de la messe. 

3° enfin, ils doivent  donner à ceux qu’ils paissent, le bénéfice de leur exemple, s’abstenant dans leur conduite de tout ce qui est mal, et réformant leur conduite autant qu’ils le peuvent, avec l’aide de Dieu, dans le sens du bien, en sorte qu’ils puissent parvenir, avec le troupeau qui leur est confié, jusqu’à la vie éternelle (cf. LG, n° 26). 

 

 

 

 

Le concile Vatican poursuit ainsi : 

 

Chargés des Églises particulières qui leur sont confiées, les évêques les dirigent comme vicaires et légats du Christ, par leurs conseils, leurs encouragements, leurs exemples, mais aussi par leur autorité et par l’exercice du pouvoir sacré, dont l’usage cependant ne leur appartient qu’en vue de l’édification en vérité et en sainteté de leur troupeau, se souvenant que celui qui est le plus grand doit se faire le plus petit, et celui qui commande, le serviteur (cf. Lc 22, 26-27). 

Ce pouvoir qu’ils exercent personnellement au nom du Christ, est un pouvoir propre, ordinaire et immédiat […]. La charge pastorale, c’est-à-dire le soin habituel et quotidien de leurs brebis, leur est pleinement remise ; on ne doit pas les considérer comme les vicaires des Pontifes romains, car ils exercent un pouvoir qui leur est propre et, en toute vérité, sont, pour les peuples qu’ils dirigent, des chefs. Ainsi, leur pouvoir n’est nullement effacé par le pouvoir suprême et universel ; au contraire, il est affermi, renforcé et défendu par lui, la forme établie par le Christ Seigneur pour le gouvernement de son Église étant indéfectiblement assurée par l’Esprit Saint.

L’évêque doit garder devant ses yeux l’exemple du bon Pasteur venu, non pas pour se faire servir, mais servir (cf. Mt 20, 28 ; Mc 10, 45), et donner sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10, 11). Pris parmi les hommes et enveloppé de faiblesse, il peut se montrer indulgent envers les ignorants et les égarés (cf. He 5, 1-2). Qu’il ne répugne pas à écouter ceux qui dépendent de lui, les entourant comme de vrais fils et les exhortant à travailler avec lui dans l’allégresse. Appelé à rendre compte à Dieu de leurs âmes (cf. He 13, 17), que sa sollicitude s’étende, par la prière, la prédication et toutes les œuvres de charité, soit à eux, soit également à ceux qui ne sont pas encore de l’unique troupeau et qu’il doit considérer comme lui étant confiés dans le Seigneur. Étant comme l’apôtre Paul débiteur à l’égard de tous, qu’il soit prompt à annoncer l’Évangile à tous (cf. Rm 1, 14-15) en engageant tous ses fidèles à une activité apostolique et missionnaire. Quant aux fidèles, ils doivent s’attacher à leur évêque comme l’Église à Jésus Christ et comme Jésus Christ à son Père, afin que toutes choses conspirent dans l’unité et soient fécondes pour la gloire de Dieu (LG, n° 27).

 

 

1.3.2. L’ordination des prêtres (presbytres) – coopérateurs des évêques 

 

Avant même de continuer notre démarche, il est bon de remarquer que le concile Vatican II situe les prêtres dans leur relation au Christ, aux évêques, au presbyterium et au peuple chrétien, donc dans un réseau de relation : 

 

Le Christ, que le Père a consacré et envoyé dans le monde (Jn 10, 36), a fait les évêques successeurs des Apôtres et, par ces Apôtres eux-mêmes, participants de sa consécration et de sa mission. À leur tour, les évêques ont transmis légitimement dans l’Église la charge de leur ministère selon divers degrés à divers sujets. C’est ainsi que le ministère ecclésiastique, institué par Dieu, est exercé dans la diversité des ordres par ceux que déjà depuis l’Antiquité on appelle évêques, prêtres, diacres. Tout en n’ayant pas la charge suprême du pontificat et tout en dépendant des évêques dans l’exercice de leurs pouvoirs, les prêtres leur sont cependant unis dans la dignité sacerdotale ; et par la vertu du sacrement de l’Ordre, à l’image du Christ prêtre suprême et éternel (He 5, 1-10 ; 7, 24 ; 9, 11-28), ils sont consacrés pour prêcher l’Évangile et pour être les pasteurs des fidèles et célébrer le culte divin en vrais prêtres du Nouveau Testament. Participant, à leur niveau de ministère, de la charge de l’unique Médiateur qui est le Christ (1 Tm 2, 5), ils annoncent à tous la Parole de Dieu. C’est dans le culte ou synaxe eucharistique que s’exerce par excellence leur charge sacrée : là, agissant en la personne du Christ et proclamant son mystère, ils réunissent les vœux des fidèles au sacrifice de leur chef, représentant et appliquant dans le sacrifice de la messe, jusqu’à ce que le Seigneur vienne (cf. 1 Co 11, 26), l’unique sacrifice du Nouveau Testament, celui du Christ s’offrant une fois pour toutes à son Père en victime immaculée (cf. He 9, 11-28). En faveur des fidèles pénitents ou malades, ils remplissent, à un titre éminent, le ministère de la réconciliation et du soulagement ; ils présentent à Dieu le Père les besoins et les prières des fidèles (cf. He 5, 1-4). Exerçant, pour la part d’autorité qui est la leur, la charge du Christ, pasteur et chef, ils rassemblent la famille de Dieu, fraternité qui n’a qu’une âme, et, par le Christ, dans l’Esprit, ils la conduisent à Dieu le Père. Ils rendent à Dieu le Père, au milieu de leur troupeau, l’adoration en esprit et en vérité (cf. Jn 4, 24). Enfin, ils peinent à la parole et à l’enseignement (cf. 1 Tm 5, 17), croyant ce qu’ils lisent et méditent dans la loi du Seigneur, enseignant ce qu’ils croient, pratiquant ce qu’ils enseignent. 

Coopérateurs avisés de l’ordre épiscopal dont ils sont l’aide et l’instrument, appelés à servir le Peuple de Dieu, les prêtres constituent, avec leur évêque, un seul presbyterium aux fonctions diverses. En chaque lieu où se trouve une communauté de fidèles, ils rendent d’une certaine façon présent l’évêque auquel ils sont associés d’un cœur confiant et généreux, assumant pour leur part ses charges et sa sollicitude, et les mettant en œuvre dans leur souci quotidien des fidèles. Sanctifiant et dirigeant, sous l’autorité de l’évêque, la portion du troupeau du Seigneur qui leur est confiée, c’est l’Église universelle qu’ils rendent visible aux lieux où ils sont, et c’est le Corps entier du Christ à l’édification duquel (cf. Ep 4, 12) ils contribuent efficacement. Sans cesse tendus vers ce qui est le bien des fils de Dieu, ils doivent mettre leur zèle à contribuer aussi à l’œuvre pastorale du diocèse entier, bien mieux, de toute l’Église. En raison de cette participation au sacerdoce et à la mission de leur évêque, les prêtres doivent reconnaître en lui leur père et lui obéir respectueusement. L’évêque, lui, doit considérer les prêtres, ses coopérateurs, comme des fils et des amis, tout comme le Christ appelle ses disciples non plus serviteurs, mais amis (cf. Jn 15, 15). Tous les prêtres, par conséquent, tant diocésains que religieux, en raison de l’ordre et du ministère, sont articulés sur le corps des évêques et, selon leur vocation et leur grâce, sont au service du bien de l’Église entière. 

Une intime fraternité lie entre eux tous les prêtres en raison de la communauté d’ordination et de mission : cette fraternité doit se manifester spontanément et volontiers sous forme d’aide mutuelle, tant spirituelle que matérielle, tant pastorale que personnelle, dans les réunions et la communion de vie, de travail et de charité. De leurs fidèles, qu’ils ont engendrés spirituellement par le baptême et l’enseignement (cf. 1 Co 4, 15 ; 1 P 1, 23), les prêtres doivent avoir, dans le Christ, un souci paternel. Se faisant généreusement l’exemple du troupeau (1 P 5, 3), ils doivent diriger et servir leurs communautés locales, de telle sorte qu’elles puissent être dignes de recevoir le nom qui marque l’unique Peuple de Dieu en sa totalité : l’Église de Dieu (cf. 1 Co 1, 2 ; 2 Co 1, 1 ; et passim). Qu’ils se souviennent qu’ils doivent, par leur comportement quotidien et dans leur sollicitude, montrer aux fidèles et aux infidèles, aux catholiques et aux non-catholiques, le visage d’un ministère vraiment sacerdotal et pastoral, et rendre à tous le témoignage de la vérité et de la vie ; être également comme de bons pasteurs en quête (cf. Lc 15, 4-7) de ceux qui, malgré le baptême reçu dans l’Église catholique, ont abandonné la pratique des sacrements ou même la foi. 

Et comme le genre humain, aujourd’hui de plus en plus, tend à l’unité civile, économique et sociale, les prêtres ont le devoir d’autant plus pressant d’unir leurs préoccupations et leurs moyens sous la conduite des évêques et du Souverain Pontife, pour écarter toute forme de division et amener le genre humain tout entier à l’unité de la famille de Dieu (LG, n° 28).

 

 

C’est un ancrage christologique et ecclésiologique majeur qui aidera à saisir le sens de la consécration des prêtres. Autrement dit, ce numéro 28 de Lumen Gentium décrit avec finesse et netteté la nature du ministère presbytéral. Le décret Presbyterorum ordinis, est une émanation de ce texte. 

 

1.3.2.1. L’axe missionnaire

PO se base essentiellement sur la dimension pastorale et missionnaire de la vie des prêtres. Dès le début, le texte précise : « Par la sainte ordination et la mission reçues des évêques, les prêtres sont promus au service du Christ Docteur, Prêtre et Roi ; ils participent à son ministère, qui, de jour en jour, construit ici-bas l’Église pour qu’elle soit Peuple de Dieu, Corps du Christ, Temple du Saint-Esprit » (PO, n° 1). Les prêtres, par leur(s) ministère(s), cherchent, par la grâce de l’Esprit Saint, à rendre à Dieu le culte qui lui est agréable en annonçant l’Évangile (cf. Rm 8, 9). 

 

1.3.2.2. La nature du presbytérat

La nature du presbytérat se trouve essentiellement dans ce paragraphe du deuxième numéro de PO : « La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à l’ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ édifie, sanctifie et gouverne son Corps. C’est pourquoi le sacerdoce des prêtres, s’il repose sur les sacrements de l’initiation chrétienne, est cependant conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l’onction du Saint-Esprit, les marque d’un caractère spécial, et les configure ainsi au Christ Prêtre pour les rendre capables d’agir au nom du Christ Tête en personne ».  

Prenant en la richesse de ce texte, nous pouvons, au moins, comme le souligne Jean Rigal, relever ce qui semble en constituer l’axe principal et unificateur : la représentation sacramentelle[60]. Cette expression théologique, poursuit-il, recouvre traditionnellement quatre dimensions inséparables[61] :

1. Le prêtre, coopérateur de l’ordre épiscopal, membre d’un presbyterium, tient son ministère spécifique d’un sacrement particulier (l’Ordre),

2. il renvoie à un Autre dont il est signe, 

3. il le rend visiblement présent,

4. son ministère s’inscrit dans la communion de l’Église. 

Nous pouvons voir que le texte se focalise sur la formule « agir au nom du Christ Tête en personne » (in persona Christi Capitis agere). « La représentation ne se situe pas sur le plan de « l’être » du ministre mais sur le plan de sa « fonction ecclésiale. « Elle de s’inscrit pas en sa personne mais dans le ministère qu’il exerce. Cette précision permet d’écarter toute représentation immédiate du Christ. Le ministre ne représente le Christ que parce qu’il est ministre de l’Église »[62]

De ce point de vue, l’annonce de l’Évangile est la première mission des prêtres comme « coopérateurs des évêques »[63]. C’est une particularité de Vatican II de mettre la mission au premier plan. Il le fait « en s’appuyant sur la mission du Christ, en se référant à l’envoi des apôtres, en pointant la nécessité de la Parole pour susciter la foi, en rappelant que tout homme a droit à la Bonne Nouvelle… »[64].

Toutefois, le concile n’oppose pas la mission au culte. Il prend le soin de souligner leur unité et leur interdépendance en rappelant que « le service sacré de l’Évangile » (Rm 15, 16) est acte cultuel (PO, n° 2), que réciproquement « l’Eucharistie est la source et le sommet de toute évangélisation » (PO, n° 5), que le service de la Parole et la célébration des sacrements sont des lieux privilégiés de la conduite pastorale (PO, n° 6)[65].

 

 

 

 

1.3.2.3. La condition des prêtres dans le monde

En aucun cas, on ne peut dissocier le ministère de la vie des prêtres. Ils s’interpellent l’un à l’autre. Le concile clarifie soigneusement cette « mise à part » en vue du ministère et la réalité sociologique à laquelle vivent les prêtres : « Par leur vocation et leur ordination, les prêtres de la Nouvelle Alliance sont, d’une certaine manière, mis à part au sein du Peuple de Dieu ; mais ce n’est pas pour être séparés de ce peuple, ni d’aucun homme quel qu’il soit ; c’est pour être totalement consacrés à l’œuvre à laquelle le Seigneur les appelle » (PO, n° 3).

Les prêtres ne sont pas séparés du monde comme c’était le cas après l’époque post-tridentine. L’ordination ne sépare pas, précise Jean Rigal, elle envoie[66]. Le concile Vatican II l’a bien perçu en soulignant que les prêtres « ne seraient pas […] capables de servir les hommes s’ils restaient étrangers à leur existence et à leurs conditions de vie » (PO, n° 3). 

Le Pape François, avec son cœur de pasteur, et sa grande proximité avec les prêtres nous aide à mieux comprendre leur condition dans le monde sans langue de bois. Nous reprenons ici quasi intégralement son discours au symposium « Pour une théologie fondamentale du sacerdoce », prononcé à la salle Paul VI, le jeudi 17 févier 2022[67].

 

Je dois en dire autant de ces frères prêtres que j'ai dû accompagner parce qu'ils avaient perdu le feu du premier amour et que leur ministère était devenu stérile, répétitif et presque vide de sens. Le prêtre passe dans sa vie par différentes conditions et différentes phases. Je suis passé moi-même par diverses conditions et phases, et, en “ruminant” les motions de l'Esprit, j'ai constaté que dans certaines situations, y compris dans les moments d'épreuve, de difficulté et de désolation, lorsque je vivais et partageais le vécu, d'une certaine manière, la paix demeurait. […]. L'époque dans laquelle nous vivons nous demande non seulement de prendre acte du changement, mais aussi de l'accueillir avec la conscience que nous sommes devant un changement d’époque – je l'ai déjà répété plusieurs fois. […].

La vie d'un prêtre est avant tout l'histoire de salut d'un baptisé. […]. Nous oublions parfois le Baptême, et le sacerdoce devient une fonction : le fonctionnalisme, et c'est dangereux. Nous ne devons jamais oublier que toute vocation spécifique, y compris celle de l’Ordre, est accomplissement du Baptême. La tentation est toujours grande de vivre un sacerdoce sans Baptême, - et il n’y a pas de prêtres « sans baptême » - c'est-à-dire sans se rappeler que le premier appel est celui à la sainteté. […]. Saint Jean-Paul II nous a rappelé à juste titre que « le prêtre, comme l'Église, doit prendre de plus en plus conscience du besoin permanent qu'il a d'être évangélisé » (Exhort. ap. post-syn. Pastores Dabo Vobis, 25 mars 1992, n. 26). Et quand vous allez dire à certains évêques, certains prêtres qu’ils ont besoin d'être évangélisés... ils ne comprennent pas. Et ce qui se passe est le drame d'aujourd'hui. […].

Chacun, en regardant sa propre humanité, sa propre histoire, son propre caractère, ne doit pas se demander si un choix de vocation convient ou non, mais si, en conscience, cette vocation révèle en lui ce potentiel d'Amour qu’il a reçu le jour du Baptême.

Dans ces périodes de changement, beaucoup de questions doivent être affrontées ; de même que les tentations à venir. C'est pourquoi je voudrais simplement m’arrêter, dans cette intervention, sur ce qui me semble être décisif pour la vie d'un prêtre aujourd'hui, en gardant en mémoire ce que dit Paul : « En Lui [c’est-à-dire dans le Christ] toute la construction s’élève harmonieusement pour devenir un temple saint dans le Seigneur. » (Ep 2, 21). Une croissance bien ordonnée signifie une croissance en harmonie, et la croissance en harmonie ne peut se faire que par l'Esprit Saint, comme le définit si bien Saint Basile : « Ipse harmonia est », au numéro 38 du Traité [« Sur l'Esprit Saint »]. J'ai pensé que tout édifice, pour tenir debout, a besoin de fondations solides. Je veux donc partager les attitudes qui donnent de la solidité à la personne du prêtre […] ; les quatre piliers constitutifs de notre vie sacerdotale, que nous appellerons les “quatre proximités” parce qu'elles suivent le style de Dieu, qui est fondamentalement un style de proximité (cf. Dt 4, 7). Il se définit ainsi au peuple : « Dis-moi, quel peuple a ses dieux aussi près que toi de moi ? ». Le style de Dieu est la proximité, une proximité spéciale, compatissante et tendre. Les trois mots qui définissent la vie d'un prêtre, et d'un chrétien aussi, car ils sont tirés précisément du style de Dieu : proximité, compassion et tendresse.

[…]. Saint Paul exhorta Timothée à garder vivant le don de Dieu qu'il avait reçu par l'imposition des mains, qui n'est pas un esprit de crainte, mais de force, d'amour et de sobriété (cf. 2 Tm 1, 6-7). […]. Ces quatre « proximités » […] peuvent aider de manière pratique, concrète et pleine d'espérance à raviver le don et la fécondité qui nous ont été un jour promis, à maintenir ce don vivant. […]. La première est la proximité avec Dieu.

 

1) Proximité avec Dieu

C'est la proximité avec le Seigneur des proximités. « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments - C'est le moment ou Jean, dans l'Évangile, parle de " demeurer ". Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous » (Jn 15, 5- 7).

Le prêtre est invité avant tout à cultiver cette proximité, cette intimité avec Dieu. Il pourra puiser de cette relation toute la force nécessaire à son ministère. La relation avec Dieu est, pour ainsi dire, la greffe qui nous maintient dans un lien de fécondité. Sans une relation sérieuse avec le Seigneur, notre ministère devient stérile. La proximité avec Jésus, le contact avec sa Parole, nous permet de placer notre vie devant la sienne, d’apprendre à ne pas nous scandaliser de tout ce qui nous arrive, à nous défendre des “scandales”. Comme ce fut le cas pour le Maître, vous passerez par des moments de joie et de noces, de miracles et de guérisons, de multiplication des pains et de repos. Il y aura des moments où vous pourrez être loués, mais il y aura aussi des moments d'ingratitude, de rejet, de doute et de solitude, au point de dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46).

La proximité avec Jésus nous invite à ne craindre aucun de ces moments, non pas parce que nous sommes forts, mais parce que nous regardons vers Lui, nous nous accrochons à Lui et nous Lui disons : « Seigneur, ne permets pas que je tombe en tentation ! Fais-moi comprendre que je vis un moment important de ma vie et que tu es avec moi pour éprouver ma foi et mon amour » (C.M. Martini, Rencontre avec le Seigneur ressuscité, San Paolo, p. 102). Cette proximité avec Dieu prend parfois la forme d'une lutte : lutter avec le Seigneur surtout dans les moments où son absence se fait le plus sentir, dans la vie du prêtre ou dans celle des personnes qui lui sont confiées. Lutter toute la nuit et demander sa bénédiction (cf. Gn 32, 25-27) qui sera une source de vie pour beaucoup. […].

De nombreuses crises sacerdotales ont pour origine une vie de prière pauvre, un manque d'intimité avec le Seigneur, une réduction de la vie spirituelle à une simple pratique religieuse. […]. Sans l'intimité de la prière, de la vie spirituelle, de la proximité concrète avec Dieu à travers l'écoute de la Parole, la célébration de l'Eucharistie, le silence de l'adoration, la confiance en Marie, le sage accompagnement d'un guide, le sacrement de la Réconciliation, sans ces “proximités” concrètes, le prêtre n'est, pour ainsi dire, qu'un travailleur fatigué qui ne jouit pas des bienfaits des amis du Seigneur. […].  

Trop souvent, par exemple, la prière est pratiquée dans la vie sacerdotale uniquement comme un devoir, en oubliant que l'amitié et l'amour ne peuvent être imposés comme une règle extérieure mais sont un choix fondamental du cœur. Un prêtre qui prie reste, radicalement, un chrétien qui a pleinement compris le don reçu au baptême. Un prêtre qui prie est un fils qui se souvient continuellement qu'il est un fils et qu'il a un Père qui l'aime. Un prêtre qui prie est un fils qui se fait proche du Seigneur. […]. Le prêtre doit avoir un cœur suffisamment “large” pour faire place à la souffrance du peuple qui lui est confié et, en même temps, annoncer comme une sentinelle l'aurore de la Grâce de Dieu qui se manifeste précisément dans cette souffrance. Embrasser, accepter et présenter sa propre misère dans la proximité du Seigneur sera la meilleure école pour faire place, peu à peu, à toute la misère et à toute la souffrance qu'il rencontrera quotidiennement dans son ministère, jusqu'à devenir lui-même semblable au cœur du Christ. Et cela préparera aussi le prêtre à une autre proximité : celle avec le peuple de Dieu. Dans sa proximité avec Dieu, le prêtre renforce sa proximité avec son peuple. Et inversement, dans sa proximité avec son peuple, il expérimente aussi la proximité avec son Seigneur. Et cette proximité de Dieu  […] est le premier devoir des évêques, car lorsque les Apôtres "inventent" les diacres, Pierre en explique la fonction et dit : "Et à nous - aux évêques - la prière et la proclamation de la Parole" (cf. Ac 6,4). C’est-à-dire que le premier devoir de l'évêque est de prier ; et cela, le prêtre doit aussi l'assumer : prier. « Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue », disait Jean Baptiste (Jn 3, 30). L'intimité avec Dieu rend tout cela possible car l’on fait dans la prière l'expérience d'être grand à ses yeux. Et ce n'est alors plus un problème, pour les prêtres proches du Seigneur, de devenir petits aux yeux du monde. Et là, dans cette proximité, cela ne fait plus peur de se conformer à Jésus Crucifié, comme il nous est demandé de le faire dans le rite de l'ordination sacerdotale, ce qui est très beau mais que nous oublions souvent. Passons à la deuxième proximité qui sera plus courte que la première.

 

2) Proximité avec l'évêque

Pendant longtemps, cette seconde proximité a été comprise seulement de manière unilatérale. Trop souvent dans l’Église, et aujourd'hui encore, on a donné de l'obéissance une interprétation éloignée de l'Évangile. L'obéissance n'est pas un attribut disciplinaire mais la caractéristique la plus forte des liens qui nous unissent dans la communion. Obéir, dans ce cas à l'évêque, signifie apprendre à écouter et se rappeler que personne ne peut se dire détenteur de la volonté de Dieu. Celle-ci ne peut être comprise que par le discernement. L'obéissance est donc l'écoute de la volonté de Dieu, discernée précisément dans une relation. Une telle attitude d'écoute permet de mûrir l'idée que personne n'est le principe et le fondement de sa vie, mais que chacun doit nécessairement se confronter aux autres. Cette logique de proximité - dans ce cas avec l'évêque, mais cela est valable aussi pour les autres - permet de briser toute tentation de se fermer, de s'auto justifier et de mener une vie de “célibataire” ou "vieux garçon". Quand les prêtres se ferment, ils se ferment..., ils finissent "vieux garçon" avec tous les défauts des " vieux garçons", et ce n'est pas bon. Cette proximité invite, au contraire, à faire appel à d'autres instances pour trouver le chemin qui mène à la vérité et à la vie.

L'évêque, quel qu'il soit, n'est pas un surveillant d'école, ce n'est pas un gardien, c'est un père, et il devrait manifester cette proximité. L'évêque doit essayer de se comporter de cette manière, car sinon il fera fuir les prêtres, ou il ne s'attirera que les ambitieux. L'évêque, reste pour chaque prêtre et pour chaque Église particulière un lien qui aide à discerner la volonté de Dieu. Mais n’oublions pas que l'évêque lui-même ne peut être un instrument de ce discernement que s'il est lui aussi à l'écoute de la réalité de ses prêtres et du peuple saint de Dieu qui lui est confié. J'écrivais dans Evangelii gaudium : « Nous avons besoin de nous exercer à l’art de l’écoute, qui est plus que le fait d’entendre. Dans la communication avec l’autre, la première chose est la capacité du cœur qui rend possible la proximité, sans laquelle il n’existe pas une véritable rencontre spirituelle. L’écoute nous aide à découvrir le geste et la parole opportune qui nous secouent de la tranquille condition de spectateurs. C’est seulement à partir de cette écoute respectueuse et capable de compatir qu’on peut trouver les chemins pour une croissance authentique, qu’on peut réveiller le désir de l’idéal chrétien, l’impatience de répondre pleinement à l’amour de Dieu et la soif de développer le meilleur de ce que Dieu a semé dans sa propre vie » (n° 171).

Ce n'est pas un hasard si le mal, pour détruire la fécondité de l'action de l'Église, cherche à saper les liens qui nous constituent. Défendre les liens du prêtre avec l'Église particulière, avec l'institut auquel il appartient et avec l'évêque, rend la vie sacerdotale solide. Défendre les liens. L'obéissance est le choix fondamental d'accueillir celui qui est mis devant nous comme le signe concret de ce sacrement universel du salut qu'est l'Église. Cette obéissance peut aussi être confrontation, écoute et, dans certains cas, tension, qui ne rompt pas. Cela implique nécessairement que les prêtres prient pour les évêques et sachent exprimer leurs avis avec respect, courage et sincérité. Elle exige également des évêques humilité, capacité à écouter, à faire son autocritique et à se laisser aider. Si nous défendons ce lien, nous poursuivrons notre route en toute sécurité.

 

3) Proximité entre les prêtres

  […]. C'est précisément en partant de la communion avec l'évêque que s'ouvre la troisième proximité, celle de la fraternité. Jésus se manifeste là où se trouvent des frères disposés à s'aimer : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt 18,20). La fraternité, comme l'obéissance, ne peut être une imposition morale de l’extérieur. La fraternité, c'est choisir délibérément de chercher à être saint avec les autres, et non pas tout seul, saints avec les autres. Un proverbe africain, que vous connaissez bien, dit : "Si tu veux aller vite, va seul ; si tu veux aller loin, va avec les autres". Il semble parfois que l'Église soit lente - et c'est vrai - mais j'aime à penser qu’il s’agit de la lenteur de ceux qui ont décidé de marcher en fraternité. Même en accompagnant les derniers, mais toujours en fraternité.

Les notes de la fraternité sont celles de l'amour. Saint Paul, dans la Première Lettre aux Corinthiens (chapitre 13), nous a laissé une “carte” claire de l'amour et, dans un certain sens, il a indiqué ce à quoi la fraternité doit tendre. Tout d'abord, apprendre la patience qui est la capacité de se sentir responsable des autres, de porter leurs fardeaux, de souffrir en un certain sens avec eux. Le contraire de la patience est l'indifférence, la distance que nous construisons vis-à-vis des autres pour ne pas nous sentir impliqués dans leur vie. Le drame de la solitude, du sentiment d'être seul, se consume dans de nombreux presbytères. On se sent indigne de patience, de considération. Il semble même que, de l’autre, ne vient que du jugement, et non pas du bien, de la bénignité. L'autre est incapable de se réjouir du bien qui survient dans ma vie, ou bien je suis moi-même incapable de le faire quand je vois le bien dans la vie des autres. Cette incapacité, de se réjouir du bien des autres, c'est l'envie, - je veux souligner ce point - qui tourmente beaucoup nos milieux et qui constitue une difficulté dans la pédagogie de l'amour, pas simplement un péché à confesser. Le péché est la dernière chose, c'est l'attitude qui est envieuse. L'envie est tellement présente dans les communautés sacerdotales. Et la Parole de Dieu nous dit que c'est une attitude destructrice : à cause de l'envie du diable, le péché est entré dans le monde (cf. Sa 2, 24). C’est la porte, la porte de la destruction. Et sur ce point nous devons parler clairement, dans nos prêtres il y a de l'envie. Tout le monde n'est pas envieux, non, mais la tentation de l'envie est là. Faisons attention. Et de l'envie naît le commérage.

Pour se sentir membre de la communauté, de « l’être-nous », il ne faut pas porter de masques n’offrant qu'une image victorieuse de nous-mêmes. Nous n'avons pas besoin de nous vanter, ni de nous enfler ni, pire encore, d'adopter des attitudes violentes manquant de respect à ceux qui nous entourent. Il existe également des formes cléricales de bullying.  La seule chose dont un prêtre peut se vanter, c'est la miséricorde du Seigneur. Il connaît son péché, sa misère et ses limites, mais il a fait l'expérience que là où le péché a abondé, l’amour a surabondé (cf. Rm 5,20) ; et c'est sa première bonne nouvelle. Un prêtre qui a cela en tête n'est pas envieux, il ne peut pas être envieux.

L'amour fraternel ne cherche pas son propre intérêt, il ne laisse pas de place à la colère, au ressentiment, comme si le frère à côté de moi m'avait en quelque sorte spolié de quelque chose. Et quand je rencontre la misère de l'autreje suis prêt à ne pas me souvenir pour toujours du mal reçu, à ne pas en faire le seul critère de jugement au point peut-être de me réjouir de l'injustice quand elle concerne celui qui m'a fait souffrir. Le véritable amour se réjouit de la vérité et considère comme un grave péché le fait de s'attaquer à la vérité et à la dignité des frères par la calomnie, la médisance et les ragots. L’origine c’est l'envie. On y arrive, même aux calomnies pour obtenir un poste... Et c'est très triste. […]. 

Il ne faudrait cependant pas croire que l'amour fraternel serait une utopie, ou encore un « lieu commun » pour susciter de beaux sentiments ou des paroles de circonstance ou un discours lénifiant. Non. Nous savons tous combien il peut être difficile de vivre en communauté, ou dans le presbytère - un saint disait ceci : la vie communautaire est ma pénitence -, combien c'est difficile de partager la vie quotidienne avec ceux que nous avons voulu reconnaître comme des frères. L'amour fraternel, si nous ne voulons pas l'édulcorer, l'accommoder ou le déprécier, est la « grande prophétie » que nous sommes appelés à vivre dans cette société du déchet. […]. Aujourd'hui, la prophétie de la fraternité reste vivante et a besoin de hérauts. Elle a besoin de personnes qui, conscientes de leurs propres limites et des difficultés qui se présentent, se laissent toucher, interpeller et émouvoir par les paroles du Seigneur : « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35).

Pour les prêtres, l’amour fraternel ne reste pas enfermé dans un petit groupe, mais il se traduit en charité pastorale (cf. Exort. ap. post-syn. Pastores dabo vobis, n. 23) qui les pousse à le vivre concrètement dans la mission. Nous pouvons dire que nous aimons si nous apprenons à le traduire à la manière décrite par saint Paul. Et c’est seulement celui qui cherche à aimer qui est en sécurité. Celui qui vit avec le syndrome de Caïn, convaincu de ne pas pouvoir aimer parce qu’il sent toujours qu’il n’est pas aimé, valorisé, tenu en juste considération, finit toujours par vivre comme un vagabond, sans jamais se sentir à la maison, et c’est pour cela précisément qu’il est plus exposé au mal : à se faire du mal et à faire du mal. C'est pourquoi l'amour fraternel entre prêtres a une fonction de sauvegarde, de sauvegarde mutuelle.

 […]. Là où la fraternité sacerdotale et la proximité entre les prêtres, sont mise en pratique, et là où il y a des liens d’amitié véritable, il est possible aussi de vivre avec plus de sérénité le choix du célibat. Le célibat est un don que l’Église latine conserve, mais il est un don qui, pour être vécu comme sanctification, nécessite des relations saines, des rapports d’estime véritable qui trouvent leurs racines dans le Christ. Sans amis et sans prière, le célibat peut devenir un poids insupportable et un contre-témoignage à la beauté même du sacerdoce. Nous arrivons maintenant à la quatrième proximité, la dernière, la proximité avec le Peuple de Dieu, avec le Saint Peuple fidèle de Dieu. Cela nous fera du bien de lire Lumen Gentium, numéro 8 et numéro 12.

 

4) Proximité avec le peuple

 […]. La relation avec le Peuple Saint de Dieu est pour chacun de nous non pas un devoir mais une grâce. « L’amour pour les gens est une force spirituelle qui permet la rencontre totale avec Dieu » (Evangelii gaudium, n. 272). Voilà pourquoi la place de tout prêtre se trouve au milieu des gens, dans un rapport de proximité avec le peuple. […]. « Pour être évangélisateurs, il convient aussi de développer le goût spirituel d’être proche de la vie des gens, jusqu’à découvrir que c’est une source de joie supérieure. La mission est une passion pour Jésus mais, en même temps, une passion pour son peuple. Quand nous nous arrêtons devant Jésus crucifié, nous reconnaissons tout son amour qui nous rend dignes et nous soutient, mais, en même temps, si nous ne sommes pas aveugles, nous commençons à percevoir que ce regard de Jésus s’élargit et se dirige, plein d’affection et d’ardeur, vers tout son peuple fidèle. Ainsi, nous redécouvrons qu’il veut se servir de nous pour devenir toujours plus proche de son peuple aimé. Jésus veut se servir des prêtres pour se rapprocher du Saint Peuple fidèle de Dieu. Il nous prend du milieu du peuple et nous envoie à son peuple, de sorte que notre identité ne se comprend pas sans cette appartenance » (ibid., n. 268). L'identité sacerdotale ne peut être comprise sans l'appartenance au Saint Peuple fidèle de Dieu.

 […].  Pour comprendre à nouveau l’identité du sacerdoce, il est aujourd’hui important de vivre en rapport étroit avec la vie réelle des gens, à côté d’elle, sans la fuir d’aucune manière. « Parfois, nous sommes tentés d’être des chrétiens qui se maintiennent à une prudente distance des plaies du Seigneur. Pourtant, Jésus veut que nous touchions la misère humaine, la chair souffrante des autres. Il attend que nous renoncions à chercher ces abris personnels ou communautaires qui nous permettent de nous garder distants du cœur des drames humains, afin d’accepter vraiment d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse. Quand nous le faisons, notre vie devient toujours merveilleuse et nous vivons l’expérience intense d’être un peuple, l’expérience d’appartenir à un peuple » (ibid., n. 270). Et le peuple n'est pas une catégorie logique, non, c'est une catégorie mythique ; pour le comprendre, il faut l'aborder comme on aborde une catégorie mythique.

Proximité avec le Peuple de Dieu. Une proximité qui, enrichie par les « autres proximités », les trois autres, invite – et dans une certaine mesure l’exige – à adopter le style du Seigneur. Un style de proximité, de compassion et de tendresse, qui donne de marcher non pas comme un juge mais comme le Bon Samaritain reconnaissant les blessures de son peuple, la souffrance vécue dans le silence, l’abnégation et les sacrifices de tant de pères et de mères pour faire progresser leurs familles, et aussi les conséquences de la violence, de la corruption et de l’indifférence qui essaient de réduire au silence tout espoir. Une proximité qui permet d’oindre les blessures et de proclamer une année de grâce du Seigneur (cf. Is 61, 2). Il est décisif de rappeler que le Peuple de Dieu souhaite trouver des pasteurs ayant le style de Jésus, et non des « clercs d’état »-  rappelons-nous cette époque en France : il y avait le curé d'Ars, le vicaire, mais il y avait aussi « monsieur l'abbé », les clercs d’État. Aujourd'hui encore, le peuple nous demande d'être des pasteurs du peuple et non des clercs d'État -  ou des « professionnels du sacré » ; des pasteurs qui sachent faire preuve de compassion, de pertinence ; des hommes courageux, capables de s’arrêter près de ceux qui sont blessés pour leur tendre la main ; des hommes contemplatifs qui, dans la proximité avec leur peuple, peuvent annoncer sur les plaies du monde la force agissante de la Résurrection.

Le sentiment répandu d’être orphelin, qui est un phénomène actuel, est une des caractéristiques de nos sociétés de « réseaux ». Connectés à tout et à tous, il nous manque l’expérience de l’appartenance qui est bien plus qu’une connexion. Avec la proximité du pasteur, il est possible de convoquer la communauté et de favoriser la croissance du sens d’appartenance. Nous appartenons au Saint Peuple fidèle de Dieu qui est appelé à être signe de l’irruption du Royaume de Dieu dans l’aujourd’hui de l’histoire. Si le pasteur s’égare, si le pasteur s’éloigne, les brebis se dispersent et sont à la merci du premier loup venu.

Cette appartenance, à son tour, fournit l’antidote contre une déformation de la vocation qui naît de l’oubli du fait que la vie sacerdotale est destinée aux autres ; au Seigneur et aux personnes qu’il a confiées. Cet oubli est à la base du cléricalisme –  […] – et de ses conséquences. Le cléricalisme est une perversion, et même l'un de ses signes, la rigidité, est une autre perversion. Le cléricalisme est une perversion parce qu’il se forme sur des « éloignements ». C’est une curiosité : il ne s'agit pas de proximité, mais du contraire. Quand je pense au cléricalisme, je pense aussi à la cléricalisation du laïcat : cette promotion d’une petite élite qui, autour du prêtre, finit aussi par dénaturer sa mission fondamentale (cf. Gaudium et spes, n. 44), celle du laïc. Tant de laïcs cléricalisés, tant de : «  je fais partie de cette association, nous sommes là dans la paroisse, nous sommes... ». Les «  élus », laïcs cléricalisés, c'est une belle tentation. Rappelons que « la mission au cœur du peuple n’est ni une partie de ma vie ni un ornement que je peux quitter, ni un appendice ni un moment de l’existence. Elle est quelque chose que je ne peux pas arracher de mon être sacerdotal si je ne veux pas me détruire. Je suis une mission sur cette terre, et pour cela je suis dans ce monde. Je dois reconnaître que je suis comme marqué au feu par cette mission afin d’éclairer, de bénir, de vivifier, de soulager, de guérir, de libérer » (Evangelii gaudium, n. 273).

J’aimerais mettre en relation cette proximité du Peuple de Dieu avec la proximité de Dieu, car la prière du pasteur se nourrit et s’incarne dans le cœur du Peuple de Dieu. Quand il prie, le pasteur porte les marques des blessures et des joies de son peuple, qu’il présente en silence au Seigneur afin qu’il les oigne du don de l’Esprit Saint. C’est l’espérance du pasteur qui a confiance et qui lutte pour que le Seigneur bénisse son peuple.

[…]. Ces quatre proximités sont une bonne école pour « jouer en plein air », là où le prêtre est appelé, sans crainte, sans rigidité, sans réduire ni appauvrir la mission. Un cœur sacerdotal est capable de proximité parce que le premier qui a voulu être proche c’est le Seigneur. 

 

 

 

1.3.3. L’ordination des diacres – « en vertu du service »

 

« La seule autorité que l’ordination diaconale imprime en nous, c’est celle du serviteur, bon et fidèle » (Mgr Luc Ravel).

 

Du grec diakonos : « serviteur », diakonein voulant dire « servir ». Le diacre est le chrétien baptisé et confirmé qui a reçu, lors de son ordination diaconale, une participation sacramentelle à la mission de l'évêque, dans la ligne du service (diakonia). 

Le concile Vatican II, dans LG 29, précise avec clarté la théologie du diaconat : 

 

Au degré inférieur de la hiérarchie se trouvent les diacres auxquels on a imposé les mains « non pas en vue du sacerdoce, mais en vue du ministère ». La grâce sacramentelle, en effet, leur donne la force nécessaire pour servir le Peuple de Dieu dans la « diaconie » de la liturgie, de la parole et de la charité, en communion avec l’évêque et son presbyterium. Selon les dispositions à prendre par l’autorité qualifiée, il appartient aux diacres d’administrer solennellement le baptême, de conserver et de distribuer l’Eucharistie, d’assister, au nom de l’Église, au mariage et de le bénir, de porter le viatique aux mourants, de donner lecture aux fidèles de la Sainte Écriture, d’instruire et exhorter le peuple, de présider au culte et à la prière des fidèles, d’être ministres des sacramentaux, de présider aux rites funèbres et à la sépulture. Consacrés aux offices de charité et d’administration, les diacres ont à se souvenir de l’avertissement de saint Polycarpe : « Être miséricordieux, zélés, marcher selon la vérité du Seigneur qui s’est fait le serviteur de tous »

 

Ce qui est dit ici, dans cet éminent numéro, peut s’appliquer aussi pour les diacres qui se préparent au presbytérat. En réalité, les diacres sont consacrés par Dieu pour son Église. La prière d’ordination diaconale dresse le tableau récapitulatif de ce qu’on attend des diacres : « être animés d’une charité sincère ; prendre soin des malades et des pauvres ; faire preuve d’une autorité pleine de mesure et d’une grande pureté de cœur ; s’efforcer d’être dociles à l’Esprit Saint ; être un modèle pour le peuple saint par leur fidélité aux commandements du Seigneur et l’exemple de leur conduite ; donner le témoignage d’une conscience pure ; demeurer ferme et inébranlables dans le Christ ». 

Bref, en ce qui a trait au profil du diacre, il convient d’utiliser le verbe martureô qui signifie « avoir bon témoignage, bonne réputation ». Les Actes des Apôtres emploient ce verbe pour le choix des sept diacres, mais il a été appliqué à Jésus à la Synagogue de Nazareth (Lc 4, 22). Il s’agit ici d’une reconnaissance. Cette reconnaissance est importante pour tous ceux qui exercent une responsabilité dans la communauté ecclésiale. Outre ce « bon témoignage » ou cette « bonne réputation », les diacres doivent être « remplis d’Esprit », cet Esprit qui confère l’aptitude à parler (Ac 2, 4) et à dire la Parole de Dieu avec assurance (Ac 4, 31). Ils doivent être également des hommes sages et expérimentés pour accomplir leur mission dans la communauté chrétienne.

Entre l’évêque et le diacre, il y a un lien fort. Le diacre est le « collaborateur-né » de l’évêque dit-on souvent. Par son ministère diaconal, il rend l’évêque proche de son peuple et le peuple, proche de son évêque. Il crée le pont entre l’évêque et le peuple, le peuple entre l’évêque. Cela est exprimé dans la Didascalie, dès les premiers instants de la vie ecclésiale : « Que le diacre rapporte tout à l’évêque comme le Christ à son Père. Que le diacre ordonne par lui-même tout ce qui est de son ressort et que l’évêque juge le reste ; cependant, que le diacre soit l’oreille de l’évêque, qu’il soit sa bouche, son cœur et son âme, parce que vous êtes une seule volonté et, dans votre humanité, l’Église aussi trouvera la paix ». Ambroise, rapportant les martyres du pape Sixte II et de Laurent donne une illustration saisissante de ce lien particulier entre l’évêque et le diacre. Ambroise met en scène le diacre Laurent qui interpelle vigoureusement son évêque, le pape Sixte II alors que celui-ci était conduit vers la mort : « Où vas-tu sans ton diacre ? ». Cela s’explique en filigrane au moment de l’engagement des ordinands : « Voulez-vous être consacrés à la diaconie de l’Église par l’imposition de mes mains et le don du Saint-Esprit ? » et également : « Promettez-vous de vivre en communion avec moi et mes successeurs dans le respect et l’obéissance ? » Le diacre témoigne de la communion, du respect et de l’obéissance envers son évêque. Il est l’homme de la diocésanité, c’est-à-dire il vit en parfaite communion avec son évêque, les prêtres et les fidèles laïcs. C’est à travers ces trois catégories qu’il vit et développe les dimensions de la diocésanité.

Il faut noter entre autres, que comme pour l’évêque et le prêtre, le premier des services du diacre est l’annonce de l’Évangile : « Recevez l’Évangile du Christ, que vous avez la mission d’annoncer. Soyez attentif à croire à la Parole que vous lirez, à enseigner ce que vous avez cru, à vivre ce que vous aurez enseigné ». 




ARTICLE II 

L’ÉGLISE QUI CÉLÈBRE LE SACREMENT DE L’ORDRE

 

 

2.1. La célébration de ce sacrement

 

L’ordination d’un évêque, d’un prêtre ou d’un diacre réclame une célébration solennelle en rassemblant le plus grand nombre possible de fidèles en raison de son importance pour la vie de l’Église.

Ainsi précise le Rituel de l’ordination de l’évêque, des prêtres et des diacres : 

 

L'imposition des mains et la prière d'ordination sont l'élément essentiel de chaque ordination c'est la prière même de bénédiction et d'invocation qui détermine la signification de l'imposition des mains. C'est pourquoi, puisque ces rites sont le centre de l'ordination, ils doivent être expliqués dans la formation catéchétique et mis en lumière par la célébration elle-même.

Pendant l'imposition des mains, les fidèles supplient en silence ; ils participent à la prière en l'écoutant, en la ratifiant et en la concluant par l'acclamation finale. 

Au cours de la célébration de l'ordination, les rites préparatoires ont une grande importance ; ce sont la présentation de l'élu (s'il s'agit d'un évêque) ou l'appel des candidats, l'homélie, l'engagement des ordinands, la prière litanique, et surtout les rites explicatifs, différents selon les Ordres, par lesquels sont indiquées les charges conférées par l'imposition des mains et l'invocation de l'Esprit Saint. 

L'ordination doit être célébrée au cours d'une messe solennelle, à laquelle les fidèles, surtout le dimanche, participent activement, « auprès de l'autel unique où préside l'évêque, entouré de son presbyterium et de ses ministres ».

En faisant ainsi, on unit plus étroitement la principale manifestation de l'Église et la célébration du sacrement de l'Ordre avec le sacrifice eucharistique, qui est source et sommet de toute la vie chrétienne. 

L'intime lien de l'ordination avec la célébration de l'eucharistie est opportunément manifestée, non seulement par l'insertion du rite à l'intérieur de la messe, par les formules propres dans la prière eucharistique et dans la bénédiction finale, mais aussi, les règles étant observées (cf. nn.23, 110, 185), par le choix des lectures et l'utilisation de la messe rituelle propre à l'ordination conférée[1].

 

Tout cela met en évidence l’axiome lex orandi, lex credendi (la loi de la prière constitue la loi de la foi/l’Église prie comme elle croit). L’ordination est l’affaire de toute la communauté chrétienne. L’Église dit ce qu’elle croit et ce qu’elle est quand elle ordonne un ministre. Le Rituel recommande la participation d’un plus grand nombre de fidèles à la liturgie de l’ordination qu’elle soit épiscopale, presbytérale ou diaconale.

Ainsi pouvons-nous dire que toute célébration d’ordination comporte quatre dimensions indissociables : 1) Elle est une célébration de l’Église locale. Elle est un acte éminemment ecclésial qui demande la participation active de toute l’assemblée. L’évêque préside l’assemblée, mais le principal sujet de l’ordination est l’assemblée. L’évêque pose les gestes sacramentels et l’Église prie. La liturgie de l’ordination manifeste la relation du peuple ecclésial à ses pasteurs[2]. Le premier acte de la célébration est l’appel de l’Église. Par exemple, pour l’ordination d’un évêque, un des prêtres assistants s’adresse à l’évêque qui préside la célébration en ces termes : « Père, l’Église de N. vous présente N., prêtre, et vous demande de l’ordonner pour la charge de l’épiscopat ». C’est le même type de formule utilisée pour l’ordination presbytérale et diaconale. Déjà, le concile Vatican II, dans la logique même de la réforme liturgique déclare : « La principale manifestation de l’Église consiste dans la participation plénière et active de tout le saint peuple de Dieu, aux mêmes célébrations liturgiques, surtout dans la même Eucharistie, dans une seule prière, auprès d’un autel unique où préside l’évêque, entouré de son Presbyterium et de ses ministres » (Sacrosanctum concilium, n° 41). Ceci dit, la participation du peuple de Dieu à la célébration d’une ordination doit être une « participation active, intérieure, plénière ». L’ordination est le rassemblement d’un peuple autour de l’évêque et des prêtres : le rite de la présentation des candidats en témoigne. C’est tout le peuple de Dieu qui est appelé à prendre part dans le discernement de ceux qui auront à exercer une fonction ministérielle avec lui et pour lui. 

 

2.2. Le ministre de ce sacrement

 

Par rapport à question du ministre du sacrement de l’Ordre, le Catéchisme de l’Église Catholique aux numéros 1575 à 1576 précise :

 

C’est le Christ qui a choisi les Apôtres et leur a donné part à sa mission et à son autorité. Élevé à la droite du Père, il n’abandonne pas son troupeau, mais le garde par les Apôtres sous sa constante protection et le dirige encore par ces mêmes pasteurs qui continuent aujourd’hui son œuvre (cf. MR, Préface des Apôtres). C’est donc le Christ « qui donne » aux uns d’être apôtres, aux autres, pasteurs (cf. Ep 4, 11). Il continue d’agir par les évêques (cf. LG 21).

Puisque le sacrement de l’Ordre est le sacrement du ministère apostolique, il revient aux évêques en tant que successeurs des Apôtres, de transmettre « le don spirituel » (LG 21), « la semence apostolique » (LG 20). Les évêques validement ordonnés, c’est-à-dire qui sont dans la ligne de la succession apostolique, confèrent validement les trois degrés du sacrement de l’Ordre (cf. DS 794 et 802;   CIC, can. 1012; CCEO, can. 744 ; 747).

 

            

2.3. Qui peut recevoir ce sacrement ?[3]

 

À travers ses trois degrés, (épiscopat, presbytérat, diaconat), le sacrement de l’ordre est réservé aux hommes baptisés. Depuis ses origines, l’Église perpétue le geste du Christ qui a choisi des hommes comme apôtres. Les apôtres ont ensuite choisi des collaborateurs pour leur succéder dans la tâche apostolique. Le collège des évêques auquel est uni le collège presbytéral, le collège des prêtres dans le sacerdoce, actualise jusqu’au retour du Christ le collège des douze premiers apôtres. C’est pourquoi l’ordination des femmes n’est pas possible. Attention, l’expression « entrer dans les ordres » ne signifie nullement que l’on reçoit le sacrement de l’ordre, mais que l’on fait profession religieuse. On entre alors dans un des grands ordres réguliers, c’est-à-dire soumis à une règle écrite. Cette vie religieuse n’est pas un sacrement mais un état de consécration à Dieu sous forme de vœux perpétuels de pauvreté, chasteté et obéissance que l’on nomme vœux de religion.

On est appelé par Dieu au sacrement de l’ordre. Aucun homme chrétien ne peut s’arroger cette charge. L’Église seule a autorité pour appeler quelqu’un à recevoir les ordres. Comme toute grâce, ce sacrement est un don immérité. Dans l’Église latine, tous les ministres ordonnés sont choisis parmi les hommes croyants célibataires et déterminés à le rester. Appelés à se consacrer sans partage à Dieu et à ses affaires, ils se donnent tout entiers au Christ et aux hommes. Seuls les diacres permanents peuvent être mariés quand ils accèdent à l’ordination.

 

Ainsi résume le CEC : 

 

« Seul un homme (vir) baptisé reçoit validement l’ordination sacrée » (CIC, can. 1024). Le Seigneur Jésus a choisi des hommes (viri) pour former le collège des douze apôtres (cf. Mc 3, 14-19 ; Lc 6, 12-16), et les apôtres ont fait de même lorsqu’ils ont choisi les collaborateurs (cf. 1 Tm 3, 1-13 ; 2 Tm 1, 6 ; Tt 1, 5-9) qui leur succèderaient dans leur tâche (S. Clément de Rome, Cor. 42, 4 ; 44, 3). Le collège des évêques, avec qui les prêtres sont unis dans le sacerdoce, rend présent et actualise jusqu’au retour du Christ le collège des douze. L’Église se reconnaît liée par ce choix du Seigneur lui-même. C’est pourquoi l’ordination des femmes n’est pas possible (cf. MD 26-27 ; CDF, décl. « Inter insigniores »).

Nul n’a un droit à recevoir le sacrement de l’Ordre. En effet, nul ne s’arroge à soi-même cette charge. On y est appelé par Dieu (cf. He 5, 4). Celui qui croit reconnaître les signes de l’appel de Dieu au ministère ordonné, doit soumettre humblement son désir à l’autorité de l’Église à laquelle revient la responsabilité et le droit d’appeler quelqu’un à recevoir les ordres. Comme toute grâce, ce sacrement ne peut être reçu que comme un don immérité.

Tous les ministres ordonnés de l’Église latine, à l’exception des diacres permanents, sont normalement choisis parmi les hommes croyants qui vivent en célibataires et qui ont la volonté de garder le célibat " en vue du Royaume des cieux " (Mt 19, 12). Appelés à se consacrer sans partage au Seigneur et à " ses affaires " (cf. 1 Co 7, 32), ils se donnent tout entier à Dieu et aux hommes. Le célibat est un signe de cette vie nouvelle au service de laquelle le ministre de l’Église est consacré ; accepté d’un cœur joyeux, il annonce de façon rayonnante le Règne de Dieu (cf. PO 16).

Dans les Églises Orientales, depuis des siècles, une discipline différente est en vigueur : alors que les évêques sont choisis uniquement parmi les célibataires, des hommes mariés peuvent être ordonnés diacres et prêtres. Cette pratique est depuis longtemps considérée comme légitime ; ces prêtres exercent un ministère fructueux au sein de leurs communautés (cf. PO 16). D’ailleurs, le célibat des prêtres est très en honneur dans les Églises Orientales, et nombreux sont les prêtres qui l’ont choisi librement, pour le Royaume de Dieu. En Orient comme en Occident, celui qui a reçu le sacrement de l’Ordre ne peut plus se marier (N° 1577-1580).

 

 

 

ARTICLE III

LE CARACTÈRE IMPRIMÉ PAR LE SACREMENT DE L’ORDRE

 

 

3.1. Les effets du sacrement de l’ordre 

 

3.1.1. Le caractère indélébile

 

Le sacrement de l’Ordre confère un caractère spirituel indélébile, qui est une nouvelle participation spéciale à la fonction de Jésus Christ, le seul Grand Prêtre et l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes (cf. 1 Tm 2, 5). Celui qui reçoit l’ordination sacrée participe au sacerdoce du Christ, afin de servir comme son instrument en faveur de l’Église. Tout comme le baptême et la confirmation, le sacrement de l’Ordre n’est pas réitérable. Il ne peut pas être non plus conféré temporairement.

 

Le Catéchisme de l’Église catholique ajoute :

 

Un sujet validement ordonné peut, certes, pour de graves motifs, être déchargé des obligations et des fonctions liées à l’ordination ou être interdit de les exercer (cf.  CIC, can. 290-293 ;  1336, § 1, 3. 5 ; 1338, § 2), mais il ne peut plus redevenir laïc au sens strict (cf. Cc. Trente : DS 1774) car le caractère imprimé par l’ordination l’est pour toujours. La vocation et la mission reçues au jour de son ordination le marquent d’une façon permanente.

 Puisque en fin de compte c’est le Christ qui agit et opère le salut à travers le ministre ordonné, l’indignité de celui-ci n’empêche pas le Christ d’agir (cf. Cc. Trente : DS 1612 ; DS 1154). S. Augustin le dit avec force :

« Quant au ministre orgueilleux, il est à ranger avec le diable. Le don du Christ n’en est pas pour autant profané, ce qui s’écoule à travers lui garde sa pureté, ce qui passe par lui reste limpide et vient jusqu’à la terre fertile. ... La vertu spirituelle du sacrement est en effet pareille à la lumière : ceux qui doivent être éclairés la reçoivent dans sa pureté et, si elle traverse des êtres souillés, elle ne se souille pas » (Augustin, ev. Jo. 5, 15).

 

La participation à la fonction de Jésus Christ est accordée une fois pour toutes et non pour un petit moment de bonheur. Le sacrement de l’ordre augmente la grâce sanctifiante et confère la grâce spécifique sacramentelle, qui « est celle d’une configuration au Christ Prêtre, Maître et Pasteur dont l’ordonné est constitué ministre » (CEC, n° 1585). Le sacrement marque d’une empreinte, que nul ne peut faire disparaître, l’évêque et le prêtre, configurés au Christ prêtre, ainsi que le diacre, configuré au Christ serviteur. Le sacrement de l’ordre a donc valeur de consécration définitive. 

 

 

3.1.2. La grâce du Saint-Esprit[4]

 

Le sacrement de l’Ordre donne la grâce du Saint-Esprit en vue d’exercer un ministère dans l’Église au nom du Christ Prêtre, Maître et Pasteur. Celui qui reçoit l’ordination est constitué le ministre du Christ.

Pour l’évêque, c’est d’abord une grâce de force («  L’Esprit qui fait chefs » : Prière de consécration de l’évêque du rite latin - Pontificale Romanum. De Ordinatione Episcopi, presbyterorum et diaconorum, 47) : celle de guider et de défendre avec force et prudence son Église comme un père et un pasteur, avec un amour gratuit pour tous et une prédilection pour les pauvres, les malades et les nécessiteux (cf. CD 13 et 16). Cette grâce le pousse à annoncer l’Évangile à tous, à être le modèle de son troupeau, à le précéder sur le chemin de la sanctification en s’identifiant dans l’Eucharistie avec le Christ Prêtre et Victime, sans craindre de donner sa vie pour ses brebis :

 

Accorde, Père qui connais les cœurs, à ton serviteur que tu as choisi pour l’épiscopat, qu’il fasse paître ton saint troupeau et qu’il exerce à ton égard le souverain sacerdoce sans reproche, en te servant nuit et jour ; qu’il rende sans cesse ton visage propice et qu’il offre les dons de ta sainte Église ; qu’il ait en vertu de l’esprit du souverain sacerdoce le pouvoir de remettre les péchés suivant ton commandement, qu’il distribue les charges suivant ton ordre et qu’il délie de tout lien en vertu du pouvoir que tu as donné aux apôtres ; qu’il te plaise par sa douceur et son cœur pur, en t’offrant un parfum agréable, par ton Enfant Jésus-Christ ... (S. Hippolyte, trad. ap. 3). 

 

Le don spirituel que confère l’ordination presbytérale est exprimé par cette prière propre au rite byzantin. L’évêque, en imposant la main, dit entre autres :

 

Seigneur, remplis du don du Saint-Esprit celui que tu as daigné élever au degré du sacerdoce afin qu’il soit digne de se tenir sans reproche devant ton autel, d’annoncer l’Évangile de ton Royaume, d’accomplir le ministère de ta parole de vérité, de t’offrir des dons et des sacrifices spirituels, de renouveler ton peuple par le bain de la régénération ; de sorte que lui-même aille à la rencontre de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ, ton Fils unique, au jour de son second avènement, et qu’il reçoive de ton immense bonté la récompense d’une fidèle administration de son ordre (Liturgia Byzantina. 2 oratio chirotoniae presbyteralis, Euchologion, [Roma 1873] p. 136). 

 

Quant aux diacres, « la grâce sacramentelle leur donne la force nécessaire de servir le peuple de Dieu dans la « diaconie » de la liturgie, de la parole et de la charité, en communion avec l’évêque et son presbyterium » (LG, n° 29). Devant la grandeur de la grâce et de la charge sacerdotales, les saints docteurs ont ressenti l’urgent appel à la conversion afin de correspondre par toute leur vie à Celui dont le sacrement les constitue les ministres. Ainsi, S. Grégoire de Nazianze, tout jeune prêtre, s’écrie :

 

Il faut commencer par se purifier avant de purifier les autres ; il faut être instruit pour pouvoir instruire ; il faut devenir lumière pour éclairer, s’approcher de Dieu pour en rapprocher les autres, être sanctifié pour sanctifier, conduire par la main et conseiller avec intelligence (Or. 2, 71 : PG 35, 480B ; Or. 2, 74 : PG 46, 481B ; Or. 2, 73 : PG 35, 481A). Je sais de qui nous sommes les ministres, à quel niveau nous nous trouvons et quel est celui vers lequel nous nous dirigeons. Je connais la hauteur de Dieu et la faiblesse de l’homme, mais aussi sa force (ibid., 74). [Qui est donc le prêtre ? Il est] le défenseur de la vérité, il se dresse avec les anges, il glorifie avec les archanges, il fait monter sur l’autel d’en haut les victimes des sacrifices, il partage le sacerdoce du Christ, il remodèle la créature, il rétablit [en elle] l’image [de Dieu], il la recrée pour le monde d’en haut, et, pour dire ce qu’il y a de plus grand, il est divinisé et il divinise (ibid., 73). 

 

Par la grâce du Saint-Esprit, le ministre ordonné est capable d’atteindre le double but auquel tend son ministère : la glorification de Dieu et le service des hommes. 

 

 

 

3.2. La grâce sacramentelle de l’Ordre et la grâce commune des baptisés

 

Il est bon de rappeler que la grâce sacramentelle n’est pas une autre grâce que la grâce commune, souligne Jean-Hervé Nicolas : elle est la grâce commune en connexion avec le caractère[5]. Le ministre ordonné ne reçoit pas l’ordination pour un temps limité, avons-nous déjà dit. Il n’est pas mandaté par une entité quelconque. Sa consécration est instrumentale et diaconale

 

 

3.2.1. La grâce d’instrument

 

Dans l’action sacramentelle, le ministre ordonné (le prêtre) s’identifie sacramentellement avec le Christ. Il le re-présente. Par exemple, dans la célébration de l’Eucharistie, le prêtre prononce les paroles mêmes que le Christ a prononcées à la Cène (en particulier lors de la consécration des oblats) ; dans les autres sacrements, il parle au nom et par mandat du Christ[6]. En effet, il prête au Christ sa propre humanité pour représenter la sienne et rendre manifeste son action souveraine qui, en elle-même, est secrète, invisible[7]. Ce n’est pas un soi disant « mise en présence ». Le Christ s’affirme véritablement par son représentant mais sans aucune manifestation ostentatoire. 

Les actions sacramentelles, même si elles sont au premier plan, ne constituent pas le seul lieu où les pasteurs doivent montrer qu’ils sont instruments du Christ. Ils le sont aussi dans les activités pastorales en agissant comme causes secondes, c’est-à-dire non de manière sacramentelle mais comme conséquence de cette re-présentation. On doit découvrir le Christ à travers l’agir du prêtre.  

 

 

3.2.2. La grâce de service

 

Le prêtre doit être conscient qu’il n’a pas été ordonné pour lui-même, mais pour le service ecclésial, pour les autres. Par son ordination, il s’engage dans le service apostolique. Il représente sacramentellement le Christ Pasteur et Serviteur qui continue de rassembler, de construire, d’animer son Église en vue de son avènement eschatologique[8]. Cela demande de la part du ministre ordonné, d’éprouver un véritable sentiment de responsabilité à l’égard des autres. Il doit se préoccuper des autres. Ainsi, « la grâce du sacrement de l’ordre suscite en l’âme du prêtre cette sollicitude ardente, qui se traduit toujours par la prière pour le salut des hommes, et dans le cas ordinaire par l’action au service du Christ Sauveur et des hommes qu’il veut sauver »[9].

Le prêtre participe, par son ordination, à la charité rédemptrice du Christ. Il est vrai que tous les baptisés ont la responsabilité de travailler pour le salut du monde mais le prêtre le fait en fonction même du Christ Pasteur et Serviteur dont il est le ministre. 

 

 

3.2.3. Une spiritualité sacerdotale

 

La spiritualité du prêtre consiste principalement en une profonde relation d’amitié avec le Christ qui l’appelle à venir auprès de lui (cf. Mc 3, 13). Dans la vie du prêtre, Jésus a toujours la prééminence sur tout. Chaque prêtre agit dans un contexte historique particulier avec ses défis et exigences. 

La spiritualité sacerdotale doit être vue « sous la modalité particulière de la participation à la charité rédemptrice et aux vertus du bon Pasteur »[10]. Les prêtres sont disciples missionnaires de Jésus Bon Pasteur, titre qu’endosse Aparecida pour les qualifier. Cela résume la vie du prêtre dans sa globalité. C’est la clef de l’enracinement de sa spiritualité. Le célibat qu’il embrasse librement fait partie intégrante de cette spiritualité qui lui permet « une spéciale configuration au style de vie de Jésus lui-même et le fait signe de sa charité pastorale dans le don à Dieu et aux hommes avec un cœur entier et non divisé » (Aparecida, n° 195). Une telle spiritualité se fonde sur la charité pastorale, se nourrit dans l’expérience personnelle avec Dieu (nous l’avons déjà évoqué ci-dessus) et dans la communion avec frères ; dans les relations avec l’évêque, avec les autres prêtres du diocèse et avec les laïcs (cf. id.). 

Comme le souligne encore le Document d’Aparecida, « le prêtre doit être un homme de prière, mûr dans son choix de vie pour Dieu, faire usage des moyens de persévérance, comme le Sacrement de la confession, la dévotion à la très sainte Vierge, la mortification et le don passionné à sa mission pastorale » (id.). Bref, en tout, le prêtre, comme tous les autres baptisés, doit grandir en sainteté, mais à un titre nouveau, découlant du sacrement de l’Ordre. 

Au sujet de la vie spirituelle des prêtres, et du don de la sainteté et de la responsabilité de devenir « saints »le concile nous donne une synthèse riche et stimulante :

 

Les prêtres sont ministres du Christ Tête pour construire et édifier son Corps tout entier, l'Église, comme coopérateurs de l'Ordre épiscopal : c'est à ce titre que le sacrement de l'Ordre les configure au Christ Prêtre. Certes, par la consécration baptismale, ils ont déjà reçu, comme tous les chrétiens, le signe et le don d'une vocation et d'une grâce qui comporte pour eux la possibilité et l'exigence de tendre, malgré la faiblesse humaine, à la perfection dont parle le Seigneur: "Vous, donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5, 48). Mais cette perfection, les prêtres sont tenus de l'acquérir à un titre particulier : en recevant l'Ordre, ils ont été consacrés à Dieu d'une manière nouvelle pour être les instruments vivants du Christ Prêtre éternel, habilités à poursuivre au long du temps l'action admirable par laquelle, dans sa puissance souveraine, il a restauré la communauté humaine tout entière. Dès lors qu'il tient à sa manière la place du Christ en personne, tout prêtre est, de ce fait, doté d'une grâce particulière ; cette grâce lui permet de tendre, par le service des hommes qui lui sont confiés et du peuple de Dieu tout entier, vers la perfection de Celui qu'il représente ; c'est encore au moyen de cette grâce que sa faiblesse d'homme charnel se trouve guérie par la sainteté de Celui qui est devenu pour nous le Grand Prêtre "saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs" (He 7, 26) » (PO, n° 12). 

 

 

Pour approfondir[11]

 

L'ESPRIT DU SEIGNEUR EST SUR MOI
La vie spirituelle du prêtre

Un appel « spécifique » à la sainteté

19. « L'Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4,18). L'Esprit ne se tient pas seulement « sur » le Messie, mais il le remplit, le pénètre, le rejoint dans son être et dans son action. L'Esprit, en effet, est le principe de la « consécration » et de la « mission » du Messie : « Parce qu'il m'a consacré par l'onction et m'a envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres... » (Lc 4,18). Par la force de l'Esprit, Jésus appartient totalement et exclusivement à Dieu, il participe à l'infinie sainteté de Dieu qui l'appelle, le choisit et l'envoie. Ainsi, l'Esprit du Seigneur se révèle source de sainteté et appel à la sanctification.

Ce même « Esprit du Seigneur » est « sur » le peuple de Dieu tout entier, qui est constitué comme peuple « consacré » à Dieu et « envoyé » par Dieu pour annoncer l'Évangile qui sauve. De l'Esprit, les membres du peuple de Dieu sont « enivrés » et « marqués » (cf. 1 Co 12, 13 ; 2 Co 1, 21-22 ; Ep 1, 13 ; 4, 30) et appelés à la sainteté.

En particulier, l'Esprit nous révèle et nous communique la vocation fondamentale que le Père depuis l'éternité adresse à tous : la vocation d'être « saints et immaculés en sa présence dans l'amour », en vertu de la prédestination « à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ » (Ep 1, 4-5). Non seulement il nous révèle et nous communique cette vocation, mais l'Esprit se fait en nous principe et source de sa réalisation : lui, l'Esprit du Fils (cf. Ga 4, 6), nous conforme au Christ Jésus et nous rend participants de sa vie filiale, c'est-à-dire de sa charité envers le Père et envers ses frères. « Puisque l'Esprit est notre vie, que l'Esprit nous fasse aussi agir » (Ga 5, 25). Par ces paroles, l'Apôtre Paul nous rappelle que l'existence chrétienne est « vie spirituelle », c'est-à-dire vie animée et guidée par l'Esprit vers la sainteté et la perfection de la charité.

L'affirmation du Concile : « L'appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s'adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur forme de vie » s'applique tout spécialement aux prêtres : ils sont appelés, non seulement en tant que baptisés, mais aussi et spécifiquement en tant que prêtres, à savoir à un titre nouveau et selon des modalités propres, découlant du sacrement de l'Ordre.

20. Au sujet de la « vie spirituelle » des prêtres, et du don de la sainteté et de la responsabilité de devenir « saints », le décret conciliaire sur le ministère et la vie des prêtres nous offre une synthèse riche et stimulante : «  Les prêtres sont ministres du Christ Tête pour construire et édifier son Corps tout entier, l'Église, comme coopérateurs de l'Ordre épiscopal : c'est à ce titre que le sacrement de l'Ordre les configure au Christ Prêtre. Certes, par la consécration baptismale, ils ont déjà reçu, comme tous les chrétiens, le signe et le don d'une vocation et d'une grâce qui comporte pour eux la possibilité et l'exigence de tendre, malgré la faiblesse humaine, à la perfection dont parle le Seigneur: "Vous, donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5, 48). Mais cette perfection, les prêtres sont tenus de l'acquérir à un titre particulier : en recevant l'Ordre, ils ont été consacrés à Dieu d'une manière nouvelle pour être les instruments vivants du Christ Prêtre éternel, habilités à poursuivre au long du temps l'action admirable par laquelle, dans sa puissance souveraine, il a restauré la communauté humaine tout entière. Dès lors qu'il tient à sa manière la place du Christ en personne, tout prêtre est, de ce fait, doté d'une grâce particulière ; cette grâce lui permet de tendre, par le service des hommes qui lui sont confiés et du peuple de Dieu tout entier, vers la perfection de Celui qu'il représente ; c'est encore au moyen de cette grâce que sa faiblesse d'homme charnel se trouve guérie par la sainteté de Celui qui est devenu pour nous le Grand Prêtre "saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs" (He 7, 26) ». 

Le concile affirme avant tout la vocation « commune » à la sainteté. Cette vocation s'enracine dans le baptême, qui définit le prêtre comme un « fidèle » (Christifidelis), comme « un frère parmi des frères », inséré et uni au peuple de Dieu, dans la joie de partager les dons du salut (cf. Ep 4, 4-6) et dans le devoir commun de marcher « selon l'Esprit », à la suite de l'unique Maître et Seigneur. Souvenons-nous de la célèbre parole de saint Augustin : « Pour vous, je suis évêque ; avec vous, je suis chrétien. Le premier nom est celui d'un office reçu ; le second, de la grâce ; le premier nom est celui d'un danger ; le second, du salut ».

Avec la même clarté, le texte conciliaire parle aussi d'une vocation « spécifique » à la sainteté, plus précisément d'une vocation qui se fonde sur le sacrement de l'Ordre, comme sacrement propre du prêtre, donc en raison d'une nouvelle consécration à Dieu au moyen de l'ordination. À cette vocation spécifique, saint Augustin fait allusion également en faisant suivre l'affirmation « Pour vous, je suis évêque ; avec vous, je suis chrétien », de ces autres paroles : « Si donc être avec vous comme racheté m'apporte plus de joie que d'être placé à votre tête, en suivant le commandement du Seigneur, je tâcherai de vous servir, avec le plus grand dévouement, pour ne pas être ingrat envers celui qui m'a racheté au prix de m'avoir fait votre serviteur ».

Le texte du Concile continue en signalant quelques éléments nécessaires pour définir le contenu spécifique de la vie spirituelle des prêtres. Ces éléments sont liés à la « consécration » propre aux prêtres qui les configure à Jésus Christ Tête et Pasteur de l'Église. Ils sont liés à la « mission » ou au ministère particulier des prêtres eux-mêmes, qui les habilitent et les engagent à être des « instruments vivants du Christ Prêtre éternel » et à agir « au nom et en la personne du Christ lui-même » ; ils sont aussi liés à toute leur « vie », devant manifester et témoigner d'une façon originale le « radicalisme évangélique ». 

La configuration à Jésus Christ Tête et Pasteur et la charité pastorale

21. Par la consécration sacramentelle, le prêtre est configuré à Jésus Christ en tant que Tête et Pasteur de l'Église et reçoit le don d'un « pouvoir spirituel » qui est participation à l'autorité avec laquelle Jésus Christ, par son Esprit, guide l'Église. 

Grâce à cette consécration, opérée par l'effusion de l'Esprit dans le sacrement de l'Ordre, la vie spirituelle du prêtre est empreinte, modelée, et marquée par les comportements qui sont propres au Christ Tête et Pasteur de l'Église et qui se résument dans sa charité pastorale.

Jésus Christ est Tête de l'Église, son Corps. Il est « Tête » dans le sens nouveau et original d'être « serviteur », selon ses paroles mêmes : « Aussi bien, le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45). Le service de Jésus atteint sa plénitude par la mort sur la croix, c'est-à-dire par le don total de soi dans l'humilité et l'amour : « Il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur la croix... » (Ph 2, 7-8). L'autorité de Jésus Christ Tête coïncide donc avec son service, avec le don total de lui-même, humble et plein d'amour, à l'Église. Et cela, en parfaite obéissance au Père: il est l'unique vrai Serviteur souffrant du Seigneur, en même temps Prêtre et Victime.

La vie spirituelle de tout prêtre doit être animée et vivifiée par ce type précis d'autorité ou de service envers l'Église, précisément comme exigence de sa configuration à Jésus Christ Tête et serviteur de l'Église. C'est ainsi que saint Augustin s'adressait à un évêque le jour de son ordination : "Celui qui est à la tête du peuple doit avant tout se rendre compte qu'il est le serviteur de beaucoup. Et qu'il ne dédaigne pas de l'être, je le répète, qu'il ne dédaigne pas d'être serviteur de beaucoup parce que le Seigneur des seigneurs n'a pas dédaigné de se faire notre serviteur ». 

La vie spirituelle des ministres du Nouveau Testament devra donc être empreinte de cette attitude primordiale de service à l'égard du peuple de Dieu (cf. Mt 20, 24-28 ; Mc 10, 43-44), et exempte de toute présomption et de tout désir « de faire le seigneur » sur le troupeau qui leur est confié (cf. 1 P 5, 2-3). Un service accompli librement et de bon cœur, pour Dieu: de cette façon, les ministres - les « anciens » de la communauté, c'est-à-dire les prêtres - pourront être « forme » du troupeau qui, à son tour, est appelé à assumer au regard du monde entier cette même attitude sacerdotale de service pour le plein épanouissement de l'homme et sa libération intégrale.

22. L'image de Jésus Christ Pasteur de l'Église, son troupeau, reprend et présente, avec des nuances nouvelles et plus suggestives, les mêmes sens que celle de Jésus Christ Tête et Serviteur. Réalisant l'annonce prophétique du Messie Sauveur, chantée joyeusement par le psalmiste en prière et par le Prophète Ezéchiel (cf. Ps 23/22 ; Ez 34, 11-16), Jésus se présente lui-même comme « le Bon Pasteur » (Jn 10, 11.14) non seulement d'Israël mais de tous les hommes (cf. Jn 10, 16). Et sa vie est une manifestation ininterrompue, et même une réalisation quotidienne de sa « charité pastorale » : il éprouve de la compassion pour les foules parce qu'elles sont fatiguées et épuisées, comme des brebis sans pasteur (cf. Mt 9, 35-36) ; il cherche celles qui sont perdues et dispersées (cf. Mt 18, 12-14), et il éclate de joie quand il les a retrouvées ; il les rassemble et les défend ; il les connaît et les appelle une à une (cf. Jn 10, 3) ; il les conduit sur des prés d'herbe fraîche et vers des eaux tranquilles (cf. Ps 23/22) ; pour elles, il prépare la table, les nourrissant de sa propre vie. Le Bon Pasteur offre sa vie, dans sa mort et sa résurrection, comme le chante la liturgie romaine de l'Église : « Il est ressuscité, Jésus, le vrai Pasteur, lui qui a donné sa vie pour son troupeau, lui qui a choisi de mourir pour nous sauver, Alléluia ».

Pierre appelle Jésus le « Chef des pasteurs » (1 P 5, 4) parce que son œuvre et sa mission se poursuivent dans l'Église, par les Apôtres (cf. Jn 21, 15-17) et leurs successeurs (cf. 1 P 5, 1-4), par les prêtres. En vertu de leur consécration, les prêtres sont configurés à Jésus le Bon Pasteur et sont appelés à imiter et à revivre sa propre charité pastorale.

Le don que le Christ fait de lui-même à son Église, fruit de son amour, prend le sens original du don propre de l'époux envers son épouse, comme le suggèrent plus d'une fois les textes sacrés. Jésus est l'époux véritable, qui offre le vin du salut à l'Église (cf. Jn 2, 11). Lui, qui est « la Tête de l'Église, lui le Sauveur du Corps » (Ep 5, 23), « a aimé l'Église et s'est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d'eau qu'une parole accompagne ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée" (Ep 5,25-27). L'Église est certes le corps dans lequel le Christ Tête est présent et opérant, mais elle est aussi l'Épouse, qui sort comme une nouvelle Ève du côté ouvert du Rédempteur sur la Croix : c'est pourquoi le Christ se tient « devant » l'Église, « la nourrit et en prend soin » (cf. Ep 5,29) par le don de sa vie pour elle. Le prêtre est appelé à être l'image vivante de Jésus Christ, Époux de l'Église : assurément, il reste toujours dans la communauté dont il fait partie, comme croyant, uni à tous ses frères et ses sœurs rassemblés par l'Esprit ; mais, en vertu de sa configuration au Christ Tête et Pasteur, il se trouve en cette situation sponsale, qui le place en face de la communauté. « En tant qu'il représente le Christ Tête, Pasteur et Époux de l'Église, le prêtre a sa place non seulement dans l'Église, mais aussi en face de l'Église ». C'est pourquoi il est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l'amour du Christ époux envers l'Église épouse. Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d'être témoin de l'amour sponsal du Christ ; ainsi sera-t-il capable d'aimer les gens avec un cœur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une « jalousie » divine (cf. 2 Co11, 2), avec une tendresse qui se pare même des nuances de l'affection maternelle, capable de supporter les « douleurs de l'enfantement » jusqu'à ce que « le Christ soit formé » dans les fidèles (cf. Ga 4, 19).

23. Le principe intérieur, la vertu qui anime et guide la vie spirituelle du prêtre, en tant que configuré au Christ Tête et Pasteur, est la charité pastorale, participation à la charité pastorale du Christ Jésus : don gratuit de l'Esprit Saint, et, en même temps, engagement et appel à une réponse libre et responsable de la part du prêtre.

Le contenu essentiel de la charité pastorale est le don de soi, le don total de soi-même à l'Église, à l'image du don du Christ et en partage avec lui. « La charité pastorale est la vertu par laquelle nous imitons le Christ dans son don de soi et dans son service. Ce n'est pas seulement ce que nous faisons, mais c'est le don de nous-mêmes qui manifeste l'amour du Christ pour son troupeau. La charité pastorale détermine notre façon de penser et d'agir, notre mode de relation avec les gens. Cela devient particulièrement exigeant pour nous... ». 

Le don de soi, racine et sommet de la charité pastorale, a comme destinataire l'Église. Ainsi en a-t-il été du Christ « qui a aimé l'Église et s'est livré pour elle » (Ep 5, 25). Ainsi doit-il en être du prêtre. Avec la charité pastorale qui imprègne l'exercice du ministère sacerdotal, comme un « office d'amour », « le prêtre, qui accueille la vocation au ministère, est en mesure d'en faire un choix d'amour, par lequel l'Église et les âmes deviennent son intérêt principal. Vivant concrètement cette spiritualité, il devient capable d'aimer l'Église universelle et la partie qui lui en est confiée, avec tout l'élan d'un époux pour son épouse ». Le don de soi n'a pas de limites, marqué qu'il est par le même élan apostolique et missionnaire que le Christ, le Bon Pasteur, qui a dit : « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10, 16).

À l'intérieur de la communauté ecclésiale, la charité pastorale du prêtre demande et exige, d'une façon particulière et spécifique, qu'il soit en rapport personnel avec le presbyterium, en dépendance de l'évêque et avec lui, comme l'écrit explicitement le Concile : « La charité pastorale exige des prêtres, s'ils ne veulent pas courir pour rien, un travail vécu en communion permanente avec les évêques et leurs autres frères dans le sacerdoce ».

Le don de soi à l'Église la concerne en tant qu'elle est le corps et l'épouse de Jésus Christ. C'est pourquoi la charité du prêtre se relie d'abord à celle de Jésus Christ. C'est seulement si elle aime et sert le Christ Tête et Époux que la charité devient source, critère, mesure, impulsion de l'amour et du service du prêtre envers l'Église, corps et épouse du Christ. C'est bien ce dont l'Apôtre Paul a une conscience limpide et forte, lui qui écrit aux chrétiens de l'Église de Corinthe : « Nous ne sommes, nous, que vos serviteurs, à cause de Jésus » (2 Co 4, 5). C'est surtout l'enseignement explicite de Jésus qui ne confie à Pierre le ministère de paître son troupeau qu'après un triple témoignage d'amour, et même d'un amour de prédilection : « Il lui dit pour la troisième fois "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?" Pierre... lui dit : "Seigneur tu sais tout ; tu sais bien que je t'aime". Jésus lui dit : "Pais mes brebis" » (Jn 21, 17).

La charité pastorale, qui a sa source spécifique dans le sacrement de l'Ordre, trouve son expression plénière et son aliment principal dans l'Eucharistie : « Cette charité pastorale - lisons-nous dans le Concile - découle surtout du sacrifice eucharistique ; celui-ci est donc le centre et la racine de toute la vie du prêtre, dont l'esprit sacerdotal s'efforce d'intérioriser tout ce qui se fait sur l'autel du sacrifice ». C'est en effet dans l'Eucharistie qu'est représenté - plus précisément rendu à nouveau présent - le sacrifice de la Croix, le don total du Christ à son Église, le don de son corps livré et de son sang répandu, comme témoignage suprême de sa qualité de Tête et Pasteur, Serviteur et Époux de l'Église. C'est précisément pourquoi la charité pastorale du prêtre non seulement naît de l'Eucharistie, mais trouve dans la célébration de celle-ci sa plus haute réalisation. De même, c'est de l'Eucharistie que le prêtre reçoit la grâce et la responsabilité de donner un sens « sacrificiel » à toute son existence.

Cette même charité pastorale constitue le principe intérieur et dynamique capable d'unifier les diverses et multiples activités du prêtre. Grâce à elle, peut se réaliser l'exigence essentielle et permanente d'unité entre la vie intérieure et de nombreux actes et responsabilités du ministère. Or cette exigence est plus que jamais impérieuse dans un contexte socio-culturel et ecclésial fortement marqué par la complexité, la fragmentation et la dispersion. C'est seulement, en rapportant chaque instant et chaque geste au choix fondamental, celui de « donner sa vie pour le troupeau », que l'on peut assurer cette unité vitale, indispensable pour l'harmonie et l'équilibre de la vie spirituelle du prêtre : « Ce qui doit permettre aux prêtres de la construire, c'est de suivre, dans l'exercice du ministère, l'exemple du Christ Seigneur, dont la nourriture était de faire la volonté de celui qui l'a envoyé et d'accomplir son œuvre... Menant ainsi la vie même du Bon Pasteur, ils trouveront dans l'exercice de la charité pastorale, le lien de la perfection sacerdotale qui ramènera à l'unité leur vie et leur action ».

La vie spirituelle dans l'exercice du ministère

24. L'Esprit du Seigneur a consacré le Christ et l'a envoyé annoncer l'Évangile (cf. Lc 4, 18). La mission n'est pas un élément extérieur et parallèle à la consécration, mais elle en constitue le but intrinsèque et vital : la consécration est pour la mission. De cette façon, non seulement la consécration, mais aussi la mission se trouvent sous le signe et la force sanctificatrice de l'Esprit.

Il en a été ainsi de Jésus. Il en a été ainsi des Apôtres et de leurs successeurs. Il en est ainsi de l'Église entière et, en elle, des prêtres : tous reçoivent l'Esprit comme appel et comme don de sanctification dans et par l'accomplissement de leur mission.

Il existe donc, entre la vie spirituelle du prêtre et l'exercice de son ministère, un rapport intime que le Concile exprime ainsi : « C'est en exerçant le ministère d'Esprit et de justice (cf. 2 Co 3, 8-9), que [les prêtres] s'enracinent dans la vie spirituelle, pourvu qu'ils soient accueillants à l'Esprit du Christ qui leur donne la vie et les conduit. Ce qui ordonne leur vie à la perfection, ce sont leurs actes liturgiques de chaque jour, c'est leur ministère tout entier exercé en communion avec l'évêque et les prêtres. Par ailleurs la sainteté des prêtres est d'un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère qu'ils accomplissent ».

« Vivez ce que vous accomplirez et conformez-vous au mystère de la Croix du Seigneur ! » Telle est l'invitation, la monition que l'Église adresse aux prêtres dans le rite de l'ordination quand les offrandes du peuple saint pour le sacrifice eucharistique leur sont remises. Le « mystère », dont le prêtre est le « dispensateur » (cf.1 Co 4, 1), c'est, en définitive, Jésus Christ lui-même qui dans l'Esprit, est source de sainteté et appel à la sanctification. Le « mystère » doit être au cœur de la vie quotidienne du prêtre. Il exige donc grande vigilance et vive conscience. C'est encore le rite d'ordination qui fait précéder les paroles citées plus haut de la recommandation : « Prenez bien conscience de ce que vous ferez ». Déjà, Paul avertissait l'évêque Timothée : « Ne néglige pas le don spirituel qui est en toi (1 Tm 4, 13 ; cf. 2 Tm 1, 6).

Le rapport entre vie spirituelle et exercice du ministère sacerdotal peut aussi trouver son explication à partir de la charité pastorale donnée par le sacrement de l'Ordre. Le ministère du prêtre, précisément parce qu'il est une participation au ministère salvifique de Jésus Christ Tête et Pasteur, ne peut manquer de rendre présente sa charité pastorale qui est à la fois source et esprit de son service et du don de lui-même. Dans sa réalité objective, le ministère sacerdotal est amoris officium, selon l'expression déjà citée de saint Augustin ; cette réalité objective se présente justement comme un fondement et comme l'appel d'un ethos correspondant, qui ne peut être que celui de l'amour, ainsi que le dit saint Augustin : « Sit amoris officium pascere dominicum gregem ». Cet ethos, et donc la vie spirituelle du prêtre, n'est autre que l'accueil de la « vérité » du ministère sacerdotal, comme amoris officium, dans la conscience et dans la liberté, et donc dans l'esprit et le cœur, dans les décisions et dans les actions.

25. Il est essentiel, pour une vie spirituelle qui se développe dans l'exercice du ministère, que le prêtre renouvelle sans cesse et approfondisse toujours plus sa conscience d'être ministre de Jésus Christ en vertu de sa consécration sacramentelle et de la configuration au Christ Tête et Pasteur de l'Église. Cette conscience ne correspond pas seulement à la vraie nature de la mission que le prêtre accomplit en faveur de l'Église et de l'humanité, mais elle détermine aussi la vie spirituelle du prêtre qui accomplit cette mission. En effet, le prêtre est choisi par le Christ, non pas comme un « objet » mais comme une « personne » ; il n'est pas un instrument inerte et passif, mais un « instrument vivant », comme dit le Concile, là où il parle de l'obligation de tendre à la perfection. Et c'est encore le Concile qui présente les prêtres comme « associés et collaborateurs » d'un Dieu « saint et sanctificateur ».

En ce sens, la personne du prêtre, consciente, libre et responsable, est profondément engagée dans l'exercice du ministère. Le lien avec Jésus Christ, assuré par la consécration et la configuration qui découlent du sacrement de l'Ordre, fonde et exige de la part du prêtre un autre lien, qui est celui de « l'intention », celui de la volonté consciente et libre de faire, par l'acte ministériel, ce que l'Église entend faire. Ce lien tend par sa nature à devenir le plus ample et le plus profond possible, engageant l'esprit, les sentiments, la vie, en un mot une série de dispositions morales et spirituelles correspondant aux actes ministériels que le prêtre accomplit. 

Il n'y a pas de doute que le ministère sacerdotal, en particulier la célébration des sacrements, reçoit son efficacité salutaire de l'action même de Jésus Christ, présente dans les sacrements. Mais, par un dessein divin qui veut exalter l'absolue gratuité du salut, en faisant de l'homme à la fois un « sauvé » et un « sauveur » - toujours et seulement avec Jésus Christ -, l'efficacité de l'exercice du ministère est aussi fonction de la participation humaine et de l'accueil plus ou moins grands. En particulier, la sainteté plus ou moins réelle du ministre a une véritable influence sur sa façon d'annoncer la parole, de célébrer les sacrements et de conduire la communauté dans la charité. Et c'est bien ce qu'affirme avec clarté le Concile : « La sainteté elle-même des prêtres est d'un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère qu'ils accomplissent ; la grâce de Dieu, certes, peut accomplir l'œuvre du salut même par des ministres indignes, mais, à l'ordinaire, Dieu préfère manifester ses hauts faits par des hommes accueillants à l'impulsion et à la conduite du Saint-Esprit, par des hommes que leur intime union avec le Christ et la sainteté de leur vie rend capables de dire avec l'Apôtre : "Si je vis, ce n'est plus moi, mais le Christ qui vit en moi" (Ga 2, 20) ».

La conscience d'être ministre de Jésus Christ Tête et Pasteur porte aussi en elle la joie d'avoir reçu de Jésus Christ une grâce particulière : la grâce d'avoir été choisi par le Seigneur comme « instrument vivant » de l'œuvre du salut. Ce choix témoigne de l'amour de Jésus Christ pour le prêtre. Cet amour qui, plus grand que tout autre amour, exige qu'on y réponde. Après sa résurrection, Jésus pose à Pierre la question fondamentale sur l'amour : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? ». C'est après la réponse de Pierre que la mission est conférée : « Pais mes agneaux » (Jn 21, 15). Pour pouvoir lui confier son troupeau, Jésus demande auparavant à Pierre s'il l'aime. Mais en réalité, c'est l'amour libre et prévenant de Jésus lui-même qui le pousse à adresser cette demande à l'Apôtre et à lui confier « ses » brebis. Ainsi, tout acte ministériel, en même temps qu'il conduit à aimer et à servir l'Église, pousse à mûrir toujours davantage dans l'amour et dans le service du Christ Tête, Pasteur et Époux de l'Église ; cet amour se présente toujours comme une réponse à l'amour prévenant, libre et gratuit de Dieu dans le Christ. À son tour, la croissance de l'amour envers Jésus Christ détermine la croissance de l'amour envers l'Église : « Nous sommes vos pasteurs (pascimus vobis) ; avec vous, nous sommes nourris (pascimur vobiscum). Que le Seigneur nous donne la force de vous aimer au point de pouvoir mourir pour vous, ou effectivement ou par le cœur (aut effectu aut affectu) ».

26. Grâce au précieux enseignement du Concile Vatican II, nous pouvons saisir les conditions, les exigences, les modalités et les fruits du rapport intime qui existe entre la vie spirituelle du prêtre et l'exercice de son triple ministère : de la Parole, des Sacrements et du service de la Charité.

Le prêtre est avant tout ministre de la Parole de Dieu. Il est consacré et envoyé pour annoncer à tous l'Évangile du Royaume, appelant tout homme à l'obéissance de la foi et conduisant les croyants à une connaissance et à une communion toujours plus profondes du mystère de Dieu, à nous révélé et communiqué par le Christ. C'est pourquoi le prêtre lui-même doit tout d'abord acquérir une grande familiarité personnelle avec la Parole de Dieu. Il ne lui suffit pas d'en connaître l'aspect linguistique ou exégétique, ce qui est cependant nécessaire. Il lui faut accueillir la Parole avec un cœur docile et priant, pour qu'elle pénètre à fond dans ses pensées et ses sentiments et engendre en lui un esprit nouveau, « la pensée du Seigneur » (1 Co 2,16). Ainsi, ses paroles et plus encore ses choix et ses attitudes seront toujours plus transparents à l'Évangile, l'annonceront et en rendront témoignage. C'est seulement en « demeurant » dans la Parole que le prêtre deviendra parfait disciple du Seigneur, connaîtra la vérité et sera vraiment libre, dépassant tout conditionnement contraire ou étranger à l'Évangile (cf. Jn 8,31-32). Le prêtre devra être le premier à croire à la Parole dans la pleine conscience que les paroles de son ministère ne sont pas « siennes », mais de Celui qui l'a envoyé. De cette Parole, il n'est pas maître: il en est le serviteur. De cette Parole, il n'est pas l'unique possesseur : il en est le débiteur à l'égard du peuple de Dieu. C'est justement parce qu'il évangélise, et pour qu'il puisse évangéliser, que le prêtre, comme l'Église, doit prendre de plus en plus conscience du besoin permanent qu'il a d'être évangélisé. Il annonce la Parole, en sa qualité de « ministre », il participe à l'autorité prophétique du Christ et de l'Église. À cette fin, pour avoir en lui-même et pour donner aux fidèles la garantie de transmettre l'Évangile dans son intégrité, le prêtre est appelé à cultiver en lui une sensibilité, une disponibilité et un attachement particuliers à l'égard de la Tradition vivante de l'Église et de son Magistère. Tout cela n'est pas étranger à la Parole, mais contribue à son interprétation correcte et en protège le sens authentique. 

C'est surtout dans la célébration des sacrements, ainsi que dans la célébration de la liturgie des heures, que le prêtre est appelé à vivre et à manifester l'unité profonde entre l'exercice de son ministère et sa vie spirituelle. Par le don de la grâce fait à l'Église, l'Eucharistie est principe de sainteté et appel à la sanctification. Pour le prêtre, elle occupe une place vraiment centrale, dans son ministère comme dans sa vie spirituelle. « Car la sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l'Église, c'est-à-dire le Christ lui-même, lui notre Pâque, lui le pain vivant, dont la chair vivifiée par l'Esprit Saint, et vivifiante, donne la vie aux hommes, les invitant et les conduisant à offrir en union avec lui, leur propre vie, leur travail, toute la création ». 

Des divers sacrements, et en particulier de la grâce spécifique et propre à chacun d'eux, la vie spirituelle du prêtre reçoit des connotations particulières : en effet, elle est structurée et modelée par les multiples caractéristiques et exigences des sacrements célébrés et vécus.

Je voudrais faire une mention spéciale du sacrement de la Pénitence dont les prêtres sont les ministres, mais dont ils doivent également être les bénéficiaires, devenant témoins de la compassion de Dieu pour les pécheurs. Je propose à nouveau ce que j'ai écrit dans l'exhortation Reconciliatio et pœnitentia : « La vie spirituelle et pastorale du prêtre, comme celle de ses frères laïcs et religieux, dépend, pour sa qualité et sa ferveur, de la pratique personnelle, assidue et consciencieuse, du sacrement de Pénitence. La célébration de l'Eucharistie et le ministère des autres sacrements, le zèle pastoral, les relations avec les fidèles, la communion avec ses frères prêtres, la collaboration avec l'évêque, la vie de prière, en un mot toute la vie du prêtre subit un déclin inévitable si lui-même, par négligence ou pour tout autre motif, ne recourt pas de façon régulière et avec une foi et une piété authentiques au sacrement de Pénitence. Chez un prêtre qui ne se confesserait plus ou se confesserait mal, son être sacerdotal et son action sacerdotale s'en ressentiraient vite, et la communauté elle-même dont il est pasteur ne manquerait pas de s'en rendre compte ». 

Enfin, les prêtres sont appelés à exercer l'autorité et le service de Jésus Christ Tête et Pasteur de l'Église en animant et en conduisant la communauté ecclésiale, c'est-à-dire en rassemblant « la famille de Dieu, fraternité qui n'a qu'une âme, et, par le Christ dans l'Esprit, ils la conduisent à Dieu le Père ». Ce « munus regendi » est une tâche très délicate et complexe qui inclut, outre l'attention à chacune des personnes et aux vocations diverses, la capacité de coordonner tous les dons et charismes que l'Esprit suscite dans la communauté, en les vérifiant et en les valorisant pour l'édification de l'Église, toujours en union avec les évêques. Il s'agit d'un ministère qui demande au prêtre d'avoir une vie spirituelle intense, riche des qualités et des vertus propres à la personne qui « préside » et qui « guide » une communauté, à l'« ancien », dans le sens le plus fort et le plus noble du terme, comme sont la fidélité, la cohérence, la sagesse, la faculté d'accueil de tous, l'affabilité, la fermeté sur les choses essentielles, le détachement des points de vue trop subjectifs, le désintéressement personnel, la patience, le goût de l'engagement quotidien, la confiance dans le travail caché de la grâce qui se manifeste chez les gens simples et chez les pauvres (cf. Tt 1, 7-8).

L'existence sacerdotale et le radicalisme évangélique

27. « L'Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4, 18). L'Esprit Saint donné par le sacrement de l'Ordre est source de sainteté et appel à la sanctification. Car, d'abord, il configure le prêtre au Christ Tête et Pasteur de l'Église, et il lui confie la mission prophétique, sacerdotale et royale à accomplir au nom et en la personne du Christ. Ensuite, il anime le prêtre et vivifie son existence quotidienne, l'enrichissant de dons et d'exigences, de vertus et d'élans, qui se concrétisent dans la charité pastorale. Cette charité est une synthèse des valeurs et des vertus évangéliques et elle est la force qui soutient leur développement jusqu'à la perfection chrétienne.

Pour tous les chrétiens sans exception, le radicalisme évangélique est une exigence fondamentale et irremplaçable, qui découle de l'appel du Christ à le suivre et à l'imiter, en vertu de l'étroite communion de vie avec lui, opérée par le Saint Esprit (cf. Mt 8, 18-20 ; 10, 37-39 ; Mc 8, 34-38 ; 10, 17-21 ; Lc 9, 57-62). Cette même exigence s'impose également aux prêtres, non seulement parce qu'ils sont « dans » l'Église, mais aussi parce qu'ils sont « devant » l'Église, en tant qu'ils sont configurés au Christ Tête et Pasteur, consacrés et engagés dans le ministère ordonné, animés par la charité pastorale. Or, dans le radicalisme évangélique et pour le manifester, il y a toute une floraison de nombreuses vertus et exigences morales qui sont décisives pour la vie pastorale et spirituelle du prêtre. Citons par exemple la foi, l'humilité en face du mystère de Dieu, la miséricorde, la prudence. Les différents « conseils évangéliques » que Jésus propose dans le Discours sur la Montagne sont l'expression privilégiée du radicalisme évangélique (cf. Mt 5-7). Parmi ces conseils, intimement coordonnés entre eux, se trouvent l'obéissance, la chasteté et la pauvreté. Le prêtre est appelé à les vivre selon les modalités et, plus encore, selon les finalités et le sens original qui découlent de l'identité du prêtre et l'expriment.

28. « Parmi les qualités les plus indispensables pour le ministère des prêtres, il faut mentionner la disponibilité intérieure qui leur fait rechercher non pas leur propre volonté, mais la volonté de celui qui les a envoyés (cf. Jn 4, 34 ; 5, 30 ; 6, 38) ». C'est l'obéissance qui, dans le cas de la vie spirituelle du prêtre, présente certaines caractéristiques particulières.

Celle-ci est avant tout une obéissance « apostolique », en ce sens qu'elle reconnaît, aime et sert l'Église dans sa structure hiérarchique. En effet, il n'y a pas de ministère sacerdotal en dehors de la communion avec le Souverain Pontife et le collège épiscopal, en particulier avec l'évêque du diocèse, à qui « le respect filial et l'obéissance » promis à l'ordination doivent être rendus. Cette « soumission » à ceux qui sont revêtus de l'autorité ecclésiale n'a rien d'humiliant, mais elle résulte de la liberté responsable du prêtre qui accueille les exigences de la vie ecclésiale structurée et organisée. Il accueille aussi la grâce du discernement et du sens de la responsabilité dans les décisions ecclésiales. Cette grâce, Jésus en a doté les Apôtres et leurs successeurs pour que le mystère de l'Église soit gardé fidèlement et pour que la cohésion de la communauté chrétienne soit maintenu sur le chemin unique qui la conduit au salut.

L'obéissance chrétienne authentique, correctement motivée et vécue sans servilité, aide le prêtre à exercer, avec une transparence évangélique, l'autorité qu'il a pour mission d'exercer auprès du peuple de Dieu : sans autoritarisme et sans procédés démagogiques. Seul celui qui sait obéir dans le Christ sait comment demander l'obéissance à autrui dans l'esprit de l'Évangile.

L'obéissance du prêtre présente en outre une exigence « communautaire » : ce n'est pas l'obéissance d'un individu isolé en rapport avec l'autorité, mais au contraire cette obéissance est profondément intégrée dans l'unité du presbyterium qui, comme tel, est appelé à vivre en collaboration cordiale avec l'évêque et, par lui, avec le successeur de Pierre.

Cet aspect de l'obéissance sacerdotale demande une ascèse considérable : d'une part, le prêtre s'habitue à ne pas trop s'attacher à ses propres préférences ou à ses propres points de vue ; d'autre part, il laisse aux confrères l'espace suffisant pour qu'ils mettent en valeur leurs talents et leurs capacités, à l'exclusion de toute jalousie, envie et rivalité. L'obéissance sacerdotale est une obéissance solidaire, qui repose sur l'appartenance du prêtre à l'unique presbyterium et qui, toujours à l'intérieur de celui-ci, et avec lui, exprime des orientations et des choix coresponsables.

Enfin, l'obéissance sacerdotale a un caractère particulier, le caractère « pastoral ». Cela veut dire que le prêtre vit dans un climat de constante disponibilité pour se laisser saisir, ou pour se laisser « manger » a-t-on pu dire, par les nécessités et les exigences du troupeau qui doivent être raisonnables ; elles devront parfois faire l'objet d'un discernement et être soumises à vérification, mais il est indéniable que la vie du prêtre est totalement remplie par la faim d'Évangile, de foi, d'espérance et d'amour de Dieu et de son mystère, laquelle, plus ou moins consciemment, est présente dans le peuple de Dieu qui lui est confié.

29. Parmi les conseils évangéliques - écrit le Concile -, « il y a en première place ce don précieux de grâce fait par le Père à certains (cf. Mt 19, 11 ; 1 Co 7, 7) de se consacrer plus facilement et avec un cœur sans partage à Dieu seul (cf. 1 Co 7, 32-34) dans la virginité ou le célibat. Cette continence parfaite à cause du Règne de Dieu a toujours été l'objet, de la part de l'Église, d'un honneur spécial, comme signe et stimulant de la charité, et comme une source particulière de fécondité spirituelle dans le monde ». Dans la virginité et le célibat, la chasteté maintient sa signification fondamentale, c'est-à-dire celle d'une sexualité humaine vécue comme authentique manifestation et précieux service de l'amour de communion et de donation interpersonnelle. Cette signification subsiste pleinement dans la virginité qui, même dans le renoncement au mariage, réalise la « signification sponsale » du corps, moyennant une communion et une donation personnelle à Jésus Christ et à son Église ; cette communion et cette donation préfigurent et anticipent la communion et la donation parfaites et définitives de l'au-delà : « Dans la virginité, l'homme est en attente, même dans son corps, des noces eschatologiques du Christ avec l'Église, et il se donne entièrement à l'Église dans l'espérance que le Christ se donnera à elle dans la pleine vérité de la vie éternelle ». 

À cette lumière, on peut facilement comprendre et apprécier les motifs du choix pluriséculaire que l'Église d'Occident a fait et qu'elle a maintenu, malgré toutes les difficultés et les objections soulevées au long des siècles, de ne conférer l'ordination presbytérale qu'à des hommes qui attestent être appelés par Dieu au don de la chasteté dans le célibat absolu et perpétuel.

Les Pères synodaux ont exprimé avec clarté et avec force leur pensée dans une importante proposition qui mérite d'être rapportée intégralement et littéralement : « Restant sauve la discipline des Églises orientales, le Synode, convaincu que la chasteté parfaite dans le célibat sacerdotal est un charisme, rappelle aux prêtres qu'elle constitue un don inestimable de Dieu à l'Église et représente une valeur prophétique pour le monde actuel. Ce Synode affirme, de nouveau et avec force, ce que l'Église latine et certains rites orientaux demandent, à savoir que le sacerdoce soit conféré seulement aux hommes qui ont reçu de Dieu le don de la vocation à la chasteté dans le célibat (sans préjudice pour la tradition de certaines Églises orientales et de cas particuliers de clercs mariés provenant de conversions au catholicisme, pour lesquels il est fait exception dans l'encyclique de Paul VI sur le célibat sacerdotal) [n. 42]. Le Synode ne veut laisser aucun doute dans l'esprit de tous sur la ferme volonté de l'Église de maintenir la loi qui exige le célibat librement choisi et perpétuel pour les candidats à l'ordination sacerdotale, dans le rite latin. Le Synode demande que le célibat soit présenté et expliqué dans toute sa richesse biblique, théologique et spirituelle comme don précieux fait par Dieu à son Église et comme signe du Royaume qui n'est pas de ce monde, signe aussi de l'amour de Dieu envers ce monde, ainsi que de l'amour sans partage du prêtre envers Dieu et le peuple de Dieu, de sorte que le célibat soit regardé comme un enrichissement positif du sacerdoce ». 

Il est particulièrement important que le prêtre comprenne la motivation théologique de la loi ecclésiastique sur le célibat. En tant que loi, elle exprime la volonté de l'Église, même avant que le sujet exprime sa volonté d'y être disponible. Mais la volonté de l'Église trouve sa dernière motivation dans le lien du célibat avec l'Ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus Christ Tête et Époux de l'Église. L'Église, comme Épouse de Jésus Christ veut être aimée par le prêtre de la manière totale et exclusive avec laquelle Jésus Christ Tête et Époux l'a aimée. Le célibat sacerdotal alors, est don de soi dans et avec le Christ à son Église, et il exprime le service rendu par le prêtre à l'Église dans et avec le Seigneur.

Pour une vie spirituelle authentique, le prêtre doit considérer et vivre le célibat non comme un élément isolé ou purement négatif, mais comme un des aspects d'une orientation positive, spécifique et caractéristique de sa personne. Laissant son père et sa mère, il suit Jésus le Bon Pasteur dans une communion apostolique, au service du peuple de Dieu. Le célibat doit donc être accueilli dans une décision libre et pleine d'amour, à renouveler continuellement, comme un don inestimable de Dieu, comme un « stimulant de la charité pastorale », comme une participation particulière à la paternité de Dieu et à la fécondité de l'Église, comme un témoignage du Royaume eschatologique donné au monde. Pour vivre toutes les exigences morales, pastorales et spirituelles du célibat sacerdotal, la prière humble et confiante est absolument nécessaire, comme nous en prévient le Concile : « Certes, il y a, dans le monde actuel, bien des hommes qui déclarent impossible la continence parfaite : c'est une raison de plus pour que les prêtres demandent avec humilité et persévérance, en union avec l'Église, la grâce de la fidélité, qui n'est jamais refusée à ceux qui la demandent. Qu'ils emploient aussi les moyens naturels et surnaturels qui sont à la disposition de tous ». Ce sera encore la prière unie aux sacrements de l'Église et à l'effort ascétique qui donnera l'espérance dans les difficultés, le pardon dans les fautes, la confiance et le courage dans la reprise de la marche en avant.

30. De la pauvreté évangélique, les Pères synodaux ont donné une description plus concise et plus profonde que jamais, la présentant comme « soumission de tous les biens au Bien suprême de Dieu et de son Royaume ». En réalité, seul celui qui contemple et vit le mystère de Dieu comme Bien unique et suprême, comme vraie et définitive richesse, peut comprendre et réaliser la pauvreté. Elle n'est certainement pas mépris et refus des biens matériels, mais elle est usage libre de ces biens, et en même temps joyeux renoncement à ceux-ci dans une grande disponibilité intérieure, pour Dieu et pour ses desseins.

La pauvreté du prêtre, en raison de sa configuration sacramentelle au Christ Tête et Pasteur, revêt des connotations pastorales précises. C'est à elles que les Pères synodaux se sont arrêtés, reprenant et développant l'enseignement conciliaire. Ils écrivent entre autres : « Les prêtres, à l'exemple du Christ, qui, de riche qu'il était, s'est fait pauvre par amour pour nous (cf. 2 Co 8, 9), doivent considérer les pauvres et les plus faibles comme leur étant confiés d'une manière spéciale, et doivent être capables de donner un témoignage de pauvreté par une vie simple et austère, étant déjà habitués à renoncer généreusement aux choses superflues (Optatam totius, n. 9 ; C.I.C., can. 282) ». 

Il est vrai que « l'ouvrier mérite son salaire » (Lc 10, 7), et que « le Seigneur a prescrit à ceux qui annoncent l'Évangile de vivre de l'Évangile » (1 Co 9, 14) ; mais il est vrai aussi que ce droit de l'apôtre ne peut être confondu avec une quelconque pré tention de subordonner le service de l'Évangile et de l'Église aux avantages et aux intérêts qui peuvent en dériver. Seule la pauvreté assure au prêtre la disponibilité nécessaire pour être envoyé là où son action est plus utile et urgente, même au prix d'un sacrifice personnel. C'est la condition préalable de la docilité de l'apôtre à l'Esprit, qui le rend prêt à « aller » sans bagage et sans lien, suivant seulement la volonté du Maître (cf. Lc 9, 57-62 ; Mc 10, 17-22).

Personnellement intégré dans la vie de la communauté dont il est responsable, le prêtre doit présenter le témoignage d'une totale « transparence » dans l'administration des biens de la communauté. Il ne les traitera jamais comme s'ils étaient un patrimoine personnel, mais comme ce dont il doit rendre compte à Dieu et à ses frères, surtout aux pauvres. Et la conscience d'appartenir à un presbyterium unique engagera le prêtre à favoriser soit une plus équitable répartition des biens entre confrères, soit un certain usage commun de ces biens (cf. Ac 2, 42-45).

La liberté intérieure, nourrie et conservée grâce à la pauvreté évangélique, rend le prêtre capable de se tenir du côté des plus faibles, de se faire solidaire de leurs efforts pour l'instauration d'une société plus juste, d'être plus sensible et plus capable de compréhension et de discernement des phénomènes touchant l'aspect économique et social de la vie, ainsi que de promouvoir le choix préférentiel des pauvres. Sans exclure personne de l'annonce et du don du salut, le prêtre sait être attentif aux petits, aux pécheurs, à tous les marginaux, selon le modèle donné par Jésus dans le déroulement de son ministère prophétique et sacerdotal (cf. Lc 4, 18).

On n'oubliera pas la signification prophétique de la pauvreté sacerdotale, spécialement urgente dans les sociétés d'opulence et de consommation : « Le prêtre vraiment pauvre est certainement un signe concret de la séparation, du renoncement et non de la soumission à la tyrannie du monde contemporain qui met toute sa confiance dans l'argent et dans la sécurité matérielle ». 

Sur la Croix, Jésus Christ porte à sa perfection sa charité pastorale, dans un dépouillement extrême, extérieur et intérieur ; il est le modèle et la source des vertus d'obéissance, de chasteté et de pauvreté que le prêtre est appelé à vivre comme expression de son amour pastoral pour ses frères. Selon ce que Paul écrit aux chrétiens de Philippes, le prêtre doit avoir les « mêmes sentiments » que Jésus, se dépouillant de son propre « moi » pour trouver dans la charité obéissante, chaste et pauvre, la voie royale de l'union avec Dieu et de l'unité avec ses frères (cf. Ph 2, 5).

L'appartenance et le dévouement à l'Église particulière

31. Comme toute vie spirituelle authentiquement chrétienne, celle du prêtre possède aussi une dimension ecclésiale essentielle et irremplaçable : elle est participation à la sainteté de l'Église elle-même, Église dont nous professons dans le Credo qu'elle est « Communion des Saints ». La sainteté du chrétien découle de celle de l'Église, l'exprime et en même temps l'enrichit. Cette dimension ecclésiale revêt des modalités, des finalités et des significations particulières dans la vie spirituelle du prêtre, à cause du rapport spécifique de celui-ci avec l'Église, toujours à partir de sa configuration au Christ Tête et Pasteur, de son ministère ordonné et de sa charité pastorale.

Dans cette perspective, il faut considérer comme valeur spirituelle du prêtre, son appartenance et son dévouement à l'Église particulière. Ces réalités ne sont pas seulement motivées par des raisons d'organisation et de discipline. Au contraire le rapport avec l'évêque dans l'unité du presbyterium, le partage de sa sollicitude pour l'Église, le dévouement pastoral au service du peuple de Dieu dans les conditions historiques et sociales concrètes de l'Église particulière sont des éléments qu'on ne peut pas négliger quand on veut tracer le portrait du prêtre et de sa vie spirituelle. En ce sens, « l'incardination » ne se réduit pas à un lien juridique, mais elle suppose aussi une série d'attitudes et de choix spirituels pastoraux contribuant à donner sa physionomie propre à la vocation du prêtre.

Il est nécessaire que le prêtre ait conscience que le fait d'être dans une Église particulière constitue, de soi, un élément déterminant pour vivre une spiritualité chrétienne. En ce sens, le prêtre trouve précisément dans son appartenance et dans son dévouement à l'Église particulière une source de sens, de critères de discernement et d'action, qui modèlent sa mission pastorale et sa vie spirituelle.

À la marche vers la perfection peuvent aider aussi des inspirations ou des références à d'autres traditions de vie spirituelle, capables d'enrichir la vie sacerdotale des personnes et d'animer le presbyterium par de précieux dons spirituels. C'est le cas de beaucoup d'associations ecclésiales anciennes et nouvelles qui accueillent aussi des prêtres dans leurs rangs, depuis les sociétés de vie apostolique jusqu'aux instituts séculiers de prêtres, depuis les formes variées de communion et de partage spirituel jusqu'aux mouvements ecclésiaux. Les prêtres appartenant aux ordres religieux et aux congrégations religieuses sont une richesse spirituelle pour tout le presbyterium diocésain auquel ils apportent la contribution de leurs charismes spécifiques et de leurs ministères qualifiés ; par leur présence, ils stimulent l'Église particulière à vivre plus intensément son ouverture universelle.

L'appartenance du prêtre à l'Église particulière et son dévouement à celle-ci jusqu'au don de sa vie, pour l'édification de l'Église « en la personne » du Christ Tête et Pasteur, au service de toute la communauté chrétienne, en cordiale et filiale référence à l'évêque, doivent être renforcés par tout charisme qui inspire directement ou indirectement la vie d'un prêtre. 

Pour que les dons abondants de l'Esprit soient accueillis dans la joie et qu'on les fasse fructifier pour la gloire de Dieu et pour le bien de toute l'Église, il faut d'abord que tous connaissent et discernent leurs charismes personnels et ceux d'autrui. Ensuite, l'exercice de ces charismes doit toujours être accompagné d'humilité chrétienne, du courage de l'autocritique, de l'intention, prévalant sur toute autre préoccupation, d'aider à l'édification de toute la communauté, au service de laquelle est placé tout charisme particulier. En outre, à tous est demandé un effort sincère d'estime réciproque, de respect mutuel et de valorisation coordonnée de toutes les diversités positives et légitimes, présentes dans le presbyterium. Tout cela aussi fait partie de la vie spirituelle et de l'ascèse continue du prêtre.

32. L'appartenance et le dévouement à l'Église particulière ne limitent pas à cette dernière toute l'activité et la vie du prêtre. Elles ne peuvent pas y être réduites en raison de la nature même de l'Église particulière et de celle du ministère sacerdotal. Le Concile écrit à ce sujet : « Le don spirituel que les prêtres ont reçu à l'ordination les prépare, non pas à une mission limitée et restreinte, mais à une mission de salut d'ampleur universelle, "jusqu'aux extrémités de la terre" (Ac 1, 8) ; n'importe quel ministère sacerdotal participe, en effet, aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux Apôtres ».

Il en résulte que la vie spirituelle des prêtres doit être profondément marquée par l'élan et le dynamisme missionnaires. Il leur revient, dans l'exercice de leur ministère et dans le témoignage de leur vie, de faire de la communauté qui leur est confiée une communauté authentiquement missionnaire. Comme je l'ai écrit dans l'encyclique Redemptoris missio, « tous les prêtres doivent avoir un cœur et une mentalité missionnaires, être ouverts aux besoins de l'Église et du monde, attentifs aux plus éloignés, et surtout aux groupes non chrétiens de leur milieu. Dans la prière et en particulier dans le sacrifice eucharistique, ils porteront la sollicitude de toute l'Église pour l'ensemble de l'humanité ». 

Si cet esprit missionnaire anime généreusement la vie des prêtres, il sera plus facile de répondre à une situation toujours plus grave aujourd'hui dans l'Église, celle qui provient de l'inégale distribution du clergé. Sur ce point, le Concile a été on ne peut plus clair et fort : « Les prêtres se souviendront donc qu'ils doivent avoir au cœur le souci de toutes les Églises. Ainsi les prêtres des diocèses plus riches en vocation se tiendront prêts à partir volontiers, avec la permission de leur Ordinaire ou à son appel, pour exercer leur ministère dans des pays, des missions ou des activités qui souffrent du manque de prêtres ». 

« Renouvelle en eux l'effusion de ton Esprit de sainteté »

33. « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres » (Lc 4, 18). Jésus fait retentir encore aujourd'hui dans notre cœur de prêtres les paroles qu'il a prononcées dans la synagogue de Nazareth. Notre foi, en effet, nous révèle la présence active de l'Esprit du Christ dans notre être, notre agir et notre vie, de la même façon que le sacrement de l'Ordre les a formés, habilités et modelés.

Oui, l'Esprit du Seigneur est le grand protagoniste de notre vie spirituelle. Il crée le « cœur nouveau », l'anime, le guide avec la « loi nouvelle » de la charité, de la charité pastorale. La conscience que la grâce de l'Esprit Saint ne manque jamais au prêtre comme don totalement gratuit et comme engagement à la responsabilité, est décisive pour le développement de sa vie spirituelle. La conscience de ce don pénètre et soutient l'inébranlable confiance du prêtre au milieu des difficultés, des tentations, des faiblesses qui jalonnent l'itinéraire spirituel.

Je propose de nouveau à tous les prêtres ce que j'ai dit à beaucoup d'entre eux en une autre occasion : « La vocation sacerdotale est essentiellement un appel à la sainteté dans la forme qui découle du sacrement de l'Ordre. La sainteté est intimité avec Dieu, elle est imitation du Christ pauvre, chaste et humble ; elle est amour sans réserve envers les âmes, et don de soi-même pour leur véritable bien ; elle est amour pour l'Église qui est sainte et nous veut saints, car telle est la mission que le Christ lui a confiée. Chacun de vous doit aussi être saint afin d'aider ses frères à réaliser leur vocation à la sainteté.

« Comment ne pas réfléchir [...] sur le rôle essentiel que l'Esprit Saint joue dans l'appel spécifique à la sainteté propre au ministère sacerdotal ? Rappelons les paroles du rite de l'Ordination sacerdotale, que l'on estime centrales dans la formule sacramentelle : "Nous t'en prions, Père tout-puissant, donne à tes serviteurs que voici d'entrer dans l'ordre des prêtres. Répands une nouvelle fois au plus profond d'eux-mêmes l'Esprit de sainteté. Qu'ils reçoivent de toi, Seigneur, la charge de seconder l'ordre épiscopal. Qu'ils incitent à la pureté des mœurs par l'exemple de leur conduite".

« Par l'Ordination, chers amis, vous avez reçu l'Esprit même du Christ, qui vous rend semblables à lui afin que vous puissiez agir en son nom et vivre en vous-mêmes ses propres sentiments. Tandis que cette intime communion avec l'Esprit du Christ assure l'efficacité de l'action sacramentelle que vous accomplissez in persona Christi, elle requiert également de s'exprimer dans la ferveur de la prière, dans la cohérence de la vie, dans la charité pastorale d'un ministère inlassablement orienté vers le salut des frères. En un mot elle requiert votre sanctification personnelle ». 

 

 

 

CONCLUSION

 

L’exercice de la triple fonction sacerdotale exige et en même temps favorise la sainteté

 

PO au numéro 13 nous fournit un bel résumé pour conclure notre démarche. Ce numéro est tellement riche nous le citons dans son intégralité : 

 

C’est l’exercice loyal, inlassable, de leurs fonctions dans l’Esprit du Christ qui est, pour les prêtres, le moyen authentique d’arriver à la sainteté. Ministres de la Parole de Dieu, ils la lisent et l’écoutent tous les jours pour l’enseigner aux autres ; s’ils ont en même temps le souci de l’accueillir en eux-mêmes, ils deviendront des disciples du Seigneur de plus en plus parfaits, selon la parole de l’apôtre Paul à Timothée : « Applique-toi, donne-toi tout entier, pour que tous puissent voir tes progrès. Veille sur toi-même et sur ton enseignement, que ta persévérance s’y révèle ; car c’est en agissant ainsi que tu te sauveras toi-même avec ceux qui t’écoutent » (1 Tm 4, 15-16). En cherchant le meilleur moyen de transmettre aux autres ce qu’ils ont contemplé, ils goûteront plus profondément « l’incomparable richesse du Christ » (Ep 3, 8) et la sagesse de Dieu en sa riche diversité. Convaincus que c’est le Seigneur qui ouvre les cœurs et que leur pouvoir extraordinaire vient de la puissance de Dieu et non pas d’eux-mêmes, ils arriveront dans l’acte même de transmettre la Parole à s’unir plus intimement avec le Christ Docteur et à se laisser conduire par son Esprit. Communiant ainsi au Christ, ils participent à la charité de Dieu, dont le Mystère, caché depuis les siècles, a été révélé dans le Christ.

Ministres de la liturgie, surtout dans le sacrifice de la messe, les prêtres agissent de manière spéciale à la place du Christ, qui s’est offert comme victime pour sanctifier les hommes ; ils sont dès lors invités à imiter ce qu’ils accomplissent : célébrant le mystère de la mort du Seigneur, ils doivent prendre soin de mortifier leurs membres, se gardant des vices et de tout mauvais penchant. Dans le mystère du sacrifice eucharistique, où les prêtres exercent leur fonction principale, c’est l’œuvre de notre Rédemption qui s’accomplit sans cesse. C’est pourquoi il leur est vivement recommandé de célébrer la messe tous les jours ; même si les fidèles ne peuvent y être présents, c’est un acte du Christ et de l’Église. En s’unissant à l’acte du Christ Prêtre, chaque jour, les prêtres s’offrent à Dieu tout entiers ; en se nourrissant du Corps du Christ, ils participent du fond d’eux-mêmes à la charité de celui qui se donne aux fidèles en nourriture. De même, dans l’administration des sacrements, les prêtres s’unissent à l’intention et à la charité du Christ. Ils le font tout spécialement en se montrant toujours disponibles pour administrer le sacrement de pénitence chaque fois que les fidèles le demandent de manière raisonnable. Par l’office divin, ils prêtent leurs voix à l’Église qui, sans interruption, prie au nom de toute l’humanité, en union avec le Christ « toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7, 25).

Guides et pasteurs du Peuple de Dieu, ils sont poussés par la charité du Bon Pasteur à donner leur vie pour leurs brebis, prêts à aller jusqu’au sacrifice suprême à l’exemple des prêtres qui, même de notre temps, n’ont pas hésité à donner leur vie. Éducateurs des chrétiens dans la foi, ayant eux-mêmes « l’assurance voulue pour l’accès au sanctuaire par le sang du Christ » (He 10, 19), ils s’approchent de Dieu « avec un cœur sincère dans la plénitude de la foi » (He 10, 22) ; ils ont une ferme espérance à l’égard de leurs fidèles, afin que, réconfortés par Dieu, ils puissent eux-mêmes réconforter ceux qui subissent toutes sortes d’épreuves. Responsables de la communauté, ils pratiquent l’ascèse propre au pasteur d’âmes : renoncer à leur intérêt personnel, ne pas chercher leur propre avantage, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés, progresser sans cesse dans un accomplissement plus parfait de la tâche pastorale, être prêts, s’il le faut, à s’engager dans des voies pastorales nouvelles sous la conduite de l’Esprit d’amour qui souffle où il veut.

 



[1] Rituel de l'Ordination de l'évêque, des prêtres, des diacres, Paris, Desclée-Mame, 1996, nos 7-10. 

[2] Cf. Jean RigalDécouvrir les ministères, p. 161. 

[3] Pour cette partie nous utilisons la contribution de Magali Michel. Voir son article : « Le sacrement de l’ordination », https://www.lejourduseigneur.com, consulté le 14/06/2023. Nous utilisons aussi le Catéchisme de l’Église de l’Église. Voir les numéros ci-dessus. 

[4] Cf. CEC, n° 1585-1588 pour l’ensemble de cette partie. 

[5] Cf. J.-H. NicolasSynthèse dogmatique, p. 1128. 

[6]Cf. id

[7] Cf. id

[8] Cf. Jean RigalDécouvrir les ministères, p. 164. 

[9] Jean-Hervé NicolasSynthèse dogmatique, p. 1129. 

[10] Cf. ibid., p. 1130.

[11] Cf. Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis sur la formation des prêtres dans les circonstances actuelles, Rome, 25 mars 1992, n° 19-33. 


[1] R. Parent & S. DufourLes ministères, Paris, Éditions du Centurion, 1993, p. 63. 

[2] Cf. ibid., p. 63-64. 

[3] Ibid., p. 64. 

[4] Cf. ibid., p. 64. 

[5] Les propos qui suivent sont de l’auteur déjà cité. 

[6] Cf. ibid., p. 65. 

[7] Cf. id

[8] Cf. id

[9] Cf. ibid., p. 66. 

[10] Pour cette compréhension, je vous renvoie à l’ouvrage de Jean Rigal déjà cité, p. 24-28. En réalité, c’est l’ensemble de l’ouvrage qu’il faut considérer. Je vous recommande sa lecture complète pour l’ensemble du cours. 

 

[11] Jean RigalDécouvrir les ministères, Paris, Desclée de Brouwer, 200, p. 28.

[12] ID., L’Église en chantier, Paris, Cerf, 1994, p. 188. 

[13] Pour l’intégralité de cette partie, voir Pierre JounelLa célébration des sacrements, Paris, Éditions Desclée-Mame 2006 https://eglise.catholique.fr, consulté le 27/03/2023 ; Jean RigalDécouvrir les ministères, Paris, Desclée de Brouwer, 2001 ; Théodule Rey-MermetCroire. Vivre la foi dans les sacrements, Limoges, Droguet & Ardant, 1977 ; le CEC, n° 1536-1538.

[14] Cf. ibid., p. 156. 

[15] Théodule Rey-MermetCroire. Vivre la foi dans les sacrements, p. 276.

[16] Cf. Jean-Hervé NicolasSynthèse dogmatique, Paris, Beauchesne, 1985, (4e édition/réimpression/2011), p. 1075.

[17] Cf. id

[18] Cf. ibid., p. 1076. 

[19]Cf. Étienne Vetö, « Sacerdoce de l’Ancienne Alliance et sacerdoce de la Nouvelle Alliance », Communio 2020/1 (N° 267), p. 21. 

[20] Pontifical romain, L’ordination de l’évêque, des prêtres, des diacres, Paris, AELF, 1977, 1996, n° 47, p. 39. 

[21] Ibid., n° 131, p. 96. 

[22] Ibid., n° 207, p. 151. 

[23] Cf. Étienne Vetö, « Sacerdoce de l’Ancienne Alliance et sacerdoce de la Nouvelle Alliance », p. 25. 

[24] Cf. id

[25] Id

[26] Id.

[27] Id

[28] Étienne Vetö, « Sacerdoce de l’Ancienne Alliance et sacerdoce de la Nouvelle Alliance », p. 26. 

[29] Ibid., p. 27. 

[30] Cf. id

[31] Cette partie est quasi intégralement prise dans le CEC, n° 1546-1547. 

[32] Cf. Jean RigalL’Église en chantier, p. 188. 

[33] Cf. ibid., p. 189.

[34] Cf. id

[35] Cf. id

[36] Cf. id

[37] Voir pour cette partie, CEC, nos 1548-1551. 

[38] Née dans le cadre de la théologie scolastique, au Moyen Âge, pour essayer de dire ce qui se passe dans les sacrements, l’expression « in persona Christi », « en la personne du Christ», a fait son entrée dans le magistère de l’Église avec Vatican II, qui l’a modifiée et lui a ajouté le mot « capitis ». Elle est apparue à la même époque que le terme de transsubstantiation, qui cherche à rendre compte de ce qu’est la conversion eucharistique. « In persona Christi capitis » veut dire « en la personne du Christ tête ». Le « Christ tête », c’est le Christ pasteur. Cette expression tente d’expliciter la manière dont le prêtre agit quand il célèbre les sacrements de l’eucharistie et, dans certains cas, de la réconciliation (décret de Vatican II Presbyterorum ordinis). Cette modification a été faite pour éviter que l’on assimile le prêtre au Christ. D’abord parce que le prêtre n’agit pas toujours « in persona Christi». Quand il le fait, c’est en tant que pasteur, quand il célèbre un sacrement. Il n’y joue pas le rôle du Christ, mais il signifie la présence du Christ tête. Cf. Propos recueillis par Sophie de Villeneuve dans l’émission « Mille questions à la foi » sur Radio Notre-Dame, le 01/12/2021 à 08:48Modifié le 10/12/2021 à 09:05, https://www.la-croix.com, consulté le 8 mai 2023. 

 

 

[39] Voir Jean RigalL’Église en chantier, p. 189. C’est de là que vient notre inspiration pour les propos évoqués. 

[40] Cf. Hervé Legrand, « La réalisation de l’Église en un lieu », Initiation à la pratique de la théologie, Bernard Lauret et François Refoulé(dir.), Paris, Cerf, 1983, p. 201. 

[41] Jean RigalL’Église en chantier, p. 192.

[42] Id.

[43] Partie puisée intégralement dans le CEC, n° 1552-1553. 

[44] Pour une grande partie de ces notes de cours, voir CEC, nos 1554-1561. 

[45] Cf. Jean RigalDécouvrir les ministères, p. 113-114. 

[46] Cf. ibid., p. 109. 

[47] Cf. ibid., p. 114. 

[48] Cf. id

[49] Cf. id

[50] Cf. id

[51] On trouvera cette affirmation dans les écrits postérieurs comme le note Jean Rigal. Voir son ouvrage cité ci-dessus à la page 115 et la note 5. 

[52] Voir Jean RigalDécouvrir les ministères, p. 115. 

[53] Cf. Roland VarinLa sacramentalité de l’épiscopat et ses conséquences ecclésiologiques, présentée par David Roure, https://livre-religion.blogs.la-croix.com, consulté le 13 mai 2023. 

 

[54] Cf. Grégory Woimbée, « La collégialité épiscopale », Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, 2013, p. 255-257. hal-02504825, https://hal.science/hal-02504825/document, consulté le 13 mai 2023.

[55] Id

[56] Id

[57] Id

[58] Pierre Eyt, « La collégialité » In: Le deuxième Concile du Vatican (1959-1965). Actes du colloque organisé par l'École française de Rome en collaboration avec l'Université de Lille III, l'Istituto per le scienze religiose de Bologne et le Dipartimento di studi storici del Medioevo e dell'età contemporanea de l'Università di Roma-La Sapienza (Rome 28-30 mai 1986) Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 539-548. (Publications de l'École française de Rome, 113); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_act_113_1_3390, consulté le 13 mai 2023.

[59] Cf. id

[60] Cf. Jean RigalDécouvrir les ministères, p. 119-120. 

[61] Cf. ibid., p. 120.

[62] Cf. id

[63] La mission d’annoncer l’Évangile est en réalité, la première mission des évêques (LG, n° 25 ; CD, n° 12). L’attribuer aux prêtres est bel et bien légitime puisqu’ils prennent part au sacerdoce et à la mission de l’évêque et forment avec lui un seul presbyterium (cf. LG, n° 28). 

[64] Cf. Jean RigalDécouvrir les ministères, p. 120. 

[65] Cf. id

[66] Cf. ibid.. p. 121. 

[67]Cf.  https://www.vatican.va, consulté le 2 juin 2023. 

Commentaires

  1. yvenspierre14@gmail.com6 juillet 2023 à 02:15

    Mille mercis mon Père. Je vais profiter de lire les notes de cours et les approfondir.

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