THÉOLOGIE EUCHARISTIQUE
Fiche pédagogique
Problématique du cours :
L’Eucharistie n’est pas une invention humaine, elle vient de Jésus lui-même, qui, la veille de sa Passion, prit le pain, rendit grâce, le rompit et le donna à ses disciples, en disant : « Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous ». Puis, après le repas, prit la coupe ; de nouveau rendit grâce, et la donna à ses disciples, en disant : « Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi ». Depuis lors, l’Eucharistie ne cesse de rassembler des hommes et des femmes de toutes conditions humaines pour partager le même pain et boire à la même coupe. Dans ce sacrement, le Seigneur ne cesse de venir à la rencontre des hommes et des femmes pour leur parler et les nourrir. C’est un mystère d’amour puisque par elle, le Christ se rend présent et nous nous révèle la vérité de l’amour.
Le cours envisage une théologie de l’Eucharistie à partir de ce qu’elle est. Mystère de la foi, mystère de foi, on se recourra aux catégories de phénoménologie et d’herméneutique pour essayer de l’appréhender dans son axe fondamental, c’est-à-dire prendre comme point de départ ses célébrations telles qu’elles sont attestées dans les Évangiles, la littérature paulinienne et la littérature chrétienne à travers les âges afin de mieux saisir le sens de la foi eucharistique de l’Église.
Compétences à acquérir :
- Être capable de revisiter les différents champs épistémologiques (phénoménologie, littérature biblique et théologie systématique) au sujet de l’Eucharistie ;
- Redécouvrir l’évolution historique des pratiques relatives à l’Eucharistie en sa célébration avant les livres liturgiques ;
- Être capable de s’approprier et de définir des concepts théologiques (Mystère pascal, théologie sacramentaire générale, sacrifice, présence réelle, transsubstantiation, anamnèse, épiclèse, sacramentalité, Récit de l’institution de l’Eucharistie et Consécration ;
- Comprendre l’Eucharistie comme une réalité sponsale qui marque les débuts et le terme de l’existence chrétienne ;
- Formuler une thèse originale au moyen d’arguments et de références théologiques communes par le biais de la méthodologie de la dissertation dans le cadre de la conviction catholique de l’Eucharistie ;
- Savoir communiquer une réflexion par écrit et se situer dans un débat au sujet de la théologie de l’Eucharistie du point de vue catholique et œcuménique ;
- Être capable de vivre l’Eucharistie comme un mystère aux multiples facettes qui renvoie au don total du Christ sans chercher à en épuiser le sens ;
- Être capable d’entrer dans le mystère de l’Eucharistie en cherchant à mieux comprendre le sens et la valeur afin de le vivre avec plus de foi et d’amour pour une existence chrétienne inouïe.
Pédagogie et méthodologie :
Par des présentations magistrales, le cours offrira aux étudiants la possibilité de mieux comprendre l’Eucharistie et son déploiement dans la vie chrétienne, de mieux cerner la genèse, la structuration et l’évolution des pratiques eucharistiques, de les approfondir au moyen des données bibliques et doctrinales, des textes conciliaires, d’études systématiques, d’analyse de célébration eucharistique et, globalement, d’un travail d’interprétation théologique des données auquel participeront tous les étudiants.
Mode d’évaluation :
Une diversité de mode est proposée :
1°) Rédaction d’une fiche de lecture, d’un ouvrage ou d’un document sur le traité ou la théologie de l’Eucharistie (il faut présenter l’ouvrage et le plan au professeur avant de commencer à rédiger) : 5 pages maximum : interligne 1.5, police times new roman taille 12) ou travaux dirigés.
2°) Travail sur table à la fin du cours.
Participation au cours (Travaux personnels) : 40% ; Examen final : 60% (à la fin du cours).
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BIBLIOGRAPHIE
· Sources liturgiques
· Association épiscopale de liturgie pour les pays francophones, L’art de célébrer la Messe. Présentation générale du Missel romain, 3e édition typique 2002, Paris, Desclée-Mame, 2008.
· Hosanna, Nouveau Missel biblique, Paris, Tardy, Droguet-Ardant, C.M.R., 1986.
· Les Moines de Solesmes, Missel grégorien des dimanches noté en chant grégorien, Solesmes, 1985.
· Missel romain (Nouvelle traduction française).
· Service National de la Pastorale liturgique et sacramentelle / Conférence des évêques de France, Vivre la messe. La nouvelle traduction du Missel romain, Paris, Mame, 2021.
· Sources magistérielles
· Pape Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptor hominis, 4 mars 1979, https://www.vatican.va, consulté le 6.03.2023.
· Pape Jean-Paul II, Lettre Dominicae Cenae sur le mystère et le culte de la sainte Eucharistie, 24 février 1980, https://www.vatican.va, consulté le 6.03.2023.
· Pape Jean-Paul II, Exhortation apostolique Ecclesia in America sur la rencontre avec le Christ vivant, chemin de conversion, de communion et de solidarité en Amérique, 22 janvier 1999, https://www.vatican.va, consulté le 6.03.2023.
· Pape Jean-Paul II, Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia sur l’Eucharistie, 17 avril 2003, https://www.vatican.va, consulté le 6.03.2023.
· Pape Jean-Paul II, Lettre apostolique Mane nobiscum Domine pour l’année de l’Eucharistie, 7 octobre 2004, https://www.vatican.va, consulté le 6.03.2023.
· Pape Benoît XVI, Exhortation apostolique Sacramentum Caritatis sur l’Eucharistie, Présentation par Mgr Robert Le Gall, Paris, Bayard Éditions/Centurion, Fleurus-Mame et les Éditions du Cerf, 2007.
· Pape Benoît XVI, Exhortation apostolique Verbum Domini sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église, 30 septembre 2010, https://www.vatican.va, consulté le 6.03.2023.
3. Ouvrages et articles
· Bouyer Louis, Eucharistie, Belgique, Desclée, 1966.
· Chauvet Louis-Marie, Symbole et sacrement. Une relecture sacramentelle de l’existence chrétienne, Paris, Cerf, « Cogitatio » 144, 1987, 2011.
· Civelli Jean, Les pécheurs et l’Eucharistie, Paris, Éditions Saint-Augustin, 2016.
· Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, Édition française sous la responsabilité de Mgr Joseph Doré, Paris, Fleurus-Mame, 1999.
· Cothenet Édouard, L’Eucharistie au cœur des Écritures, Paris, Salvator, 2016.
· De Baciocchi Joseph (dir.), L’Eucharistie, Belgique, « Mystère chrétien » 3, 1964.
· Frankemölle Hubert, Hilberath Bernd J. et Schneider Theodor, « Eucharistie », Dictionnaire de théologie, Paris, Cerf, 1988, 208-218.
· Gy Pierre-Marie, « Eucharistie », Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, 1998, 429-435.
· Jungmann Joseph-André, La Messe, son sens ecclésial et communautaire, Paris, Desclée de Brouwer, 1958.
· Loret Pierre, La Messe, du Christ à Jean-Paul II, Ottawa, Novalis, Université Saint-Paul, 1982.
· Lustiger Jean-Marie, La Messe, Paris, Éditions Parole et Silence, 2015.
· Martimort Aimé-Georges, L’Église en prière II, L’Eucharistie par R. Cabié, Paris, Desclée, 1983.
· Martin Philippe, Histoire de la Messe, Paris, CNRS Éditions, « Biblis » 46, 2013.
· Mazza Enrico, L’Action eucharistique, Paris, Cerf, « Liturgie » 10, 1999.
· Nicolas Jean-Hervé, Synthèse dogmatique, Paris, Beauchesne, 1985, 20114.
· Rahner Karl, L’Eucharistie et les hommes d’aujourd’hui, Paris, Mame, 1966.
· Ratzinger Joseph, Liturgie et mission, Paris, Édition Artège, 2007.
· Ratzinger Joseph, L’Esprit de la liturgie, Ad Solem, 2001.
· Rouillé d’Orfeuil Matthieu, Lieu, présence, résurrection. Relectures de phénoménologie eucharistique, Paris, Cerf, « Cogitatio fidei » 300, 2016.
· Saint Thomas d’Aquin, « Les sacrements », Somme théologique, IIIa Qu 60-65.
· Salamolard Michel, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, Paris, Éditions Saint-Augustin, 2004.
· Visentin Pelagio, « Eucharistie », Dictionnaire encyclopédique de la liturgie, Vol. I, Brepols, 1992, 359-377.
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PLAN DU COURS
INTRODUCTION
· L’importance du sujet
· La notion
· Mysterium fidei
a) Le mystère même de la foi
b) Un mystère de foi
c) La foi de l’Église en ce qui concerne l’Eucharistie
1. Avant les controverses
2. Les controverses
3. Rebondissement des controverses aujourd’hui
· Théologie de l’Eucharistie ou théologie sur l’Eucharistie ?
CHAPITRE I
LES FIGURES DE L’EUCHARISTIE
DANS L’ANCIEN TESTAMENT[1]
1.1. Le sens des sacrifices dans l’ancien Israël
1.1.1. Quelques exemples
1.1.1.1.Le sacrifice d’Abel
1.1.1.2.Le sacrifice de Noé
1.1.1.3.Le cycle d’Abraham
1.1.1.4.La Pâque
1.1.1.5.Le sacrifice de l’Alliance (Ex 24, 1-11)
1.1.2. Les sacrifices dans l’ancien Israël
1.1.3. La codification des sacrifices selon le Lévitique
1.2. Vers la spiritualisation des sacrifices
1.2.1. La contestation par les prophètes
1.2.2. Le sacrifice du Serviteur souffrant (Is 52, 13-53, 12)
1.3. Les sacrifices dans la période du second Temple
1.3.1. La reconstruction du Temple
1.3.2. Le jour du Grand Pardon (Lv 16)
1.3.3. Une offrande pure parmi les nations
1.3.4. Les Psaumes et les écrits de Sagesse
1.3.4.1.Psaumes
1.3.4.2.Écrits de Sagesse
CHAPITRE II
L’ORIGINE DE L’EUCHARISTIE
DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
2.1. La question des repas : de Jésus au mémorial de la nouvelle Alliance
2.1.1. Les repas dans le monde ancien
2.1.2. La pratique de Jésus
2.1.3. La Cène
2.1.4. Le repas de la nouvelle Alliance
2.1.5. Les repas du Ressuscité
2.2. Le témoignage de saint Paul
2.2.1. « J’ai reçu du Seigneur »
2.2.2. « Faites ceci en mémoire de moi »
2.2.3. Mémorial
2.3. Le témoignage des Évangiles synoptiques
2.3.1. Version de Marc (14, 22-25) et de Matthieu (26, 26-29)
2.3.1.1. « Mon sang, sans de l’Alliance »
2.3.1.2. Sang versé pour la multitude
2.3.1.3. L’Alliance
2.3.1.4. « En rémission des péchés »
2.3.2. Version de Luc (22, 19-20)
2.3.2.1. Les paroles de l’institution
2.3.2.2. L’encadrement eschatologique
2.3.3. Le témoignage de Jean
CHAPITRE III
VALEUR ET IMPORTANCE DE L’EUCHARISTIE
3.1. Une œuvre d’amour, une invention divine
3.2. L’Eucharistie et l’œuvre du salut
3.2.1. Eucharistie et Incarnation
3.2.2. Eucharistie et sacrifice rédempteur
3.3. L’Eucharistie et la transformation de l’humanité
3.3.1. Eucharistie et don de la grâce
3.3.2. Eucharistie et l’Église
3.4. L’Eucharistie dans notre vie personnelle
3.4.1. Eucharistie et foi
3.4.2. Eucharistie et charité
3.4.3. Eucharistie et espérance
3.5. Action de grâces
CHAPITRE III
VALEUR ET IMPORTANCE DE L’EUCHARISTIE
3.1. Une œuvre d’amour, une invention divine
3.2. L’Eucharistie et l’œuvre du salut
3.2.1. Eucharistie et Incarnation
3.2.2. Eucharistie et sacrifice rédempteur
3.3. L’Eucharistie et la transformation de l’humanité
3.3.1. Eucharistie et don de la grâce
3.3.2. Eucharistie et Église
3.4. L’Eucharistie dans notre vie personnelle
3.4.1. Eucharistie et foi
3.4.2. Eucharistie et charité
3.4.3. Eucharistie et espérance
3.5. Action de grâces
CHAPITRE IV
L’EUCHARISTIE : NOM ET RÉALITÉ
4.1. Les divers noms de l’Eucharistie[1]
4.2. Présence réelle du Christ dans l’Eucharistie
4.2.1. Présence trinitaire et Eucharistie
4.2.1.1. Rôle et présence du Père
4.2.1.2. Rôle et présence de l’Esprit
4.2.1.3. Rôle et présence du Fils
4.2.2. Le Christ réellement présent selon la doctrine de l’Église
4.2.2.1. Le concile de Trente
a. Présence réelle
b. Présence du Christ intégral
4.2.2.2. La vérité définie
4.2.2.3. Le terme « transsubstantiation »
4.2.2.4. Fondement et développement
a. Dans l’Écriture
b. Dans la Tradition
CHAPITRE V
CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE :
CHOIX DES SIGNES DE LA NOURRITURE LA PLUS ORDINAIRE
5.1. La signification du pain et du vin
5.2. Le déroulement de la célébration eucharistique
5.2.1. Les rites initiaux
5.2.1.1. Le chant et la procession d’entrée
5.2.1.2. L’accueil du prêtre présidant
5.2.1.3. L’acte pénitentiel
5.2.1.4. Le Gloria
5.2.1.5. La prière d’ouverture
5.2.2. La liturgie de la Parole
5.2.2.1. Le déploiement de la sacramentalité
de la Parole dans son site liturgique
5.2.2.2. La Parole expliquée, confessée et priée
1. L’Homélie
2. Le Credo.
3. La prière universelle ou prière des fidèles.
5.2.3. La liturgie eucharistique
5.2.3.1. La préparation des dons
5.2.3.2. La Prière eucharistique ou Anaphore eucharistique
5.2.3.3. Les rites de communion
5.2.3.4. Les rites de la conclusion
5.2.3.5. Les apologies du prêtre et les silences pendant la messe
CONCLUSION
[1] Cf. Nous puisons cette partie quasi intégralement dans l’article de Mgr Dominique Le Tourneau, « Les autres noms de l’Eucharistie », http://www.dominique-le-tourneau.fr, consulté le 29/04/2023.
INTRODUCTION
La célébration de la messe, comme action du Christ et du peuple de Dieu organisé hiérarchiquement, est le centre de toute la vie chrétienne pour l´Église, aussi bien universelle que locale, et pour chacun des fidèles. C´est en elle en effet que se trouve le sommet de l´action par laquelle Dieu, dans le Christ, sanctifie le monde, et du culte que l’humanité offre au Père, en l´adorant dans l’Esprit Saint par le Christ Fils de Dieu. En outre, c´est dans cette célébration que les mystères de la Rédemption, au cours du cycle annuel, sont commémorés de telle sorte qu´ils sont rendus présents d´une certaine façon. Quant aux autres actions sacrées et à toutes les œuvres de la vie chrétienne, elles s´y relient, elles y trouvent leur source et leur fin (PGMR, n° 16).
Cet incipit de la PGMR, présente d’emblée l’importance du sujet que nous nous proposons d’étudier ici : l’Eucharistie.
1. L’importance du sujet
La célébration de l’Eucharistie « permet de saisir la présence dynamique et irradiante du mystère du Christ, au singulier en tant qu’acte de sa rédemption, au pluriel en tant que présence de ses mystères, c’est-à-dire des aspects ou moments de l’unique événement salvifique »[2]. Nous comprenons une telle importance puisque l’Eucharistie est l’achèvement et l’aboutissement du septénaire sacramentaire d’une part, et d’autre part, de toute la célébration liturgique au sens le plus large du terme. LG précise qu’elle est la source et le sommet de la vie chrétienne et ecclésiale (n° 11).
L’Eucharistie englobe toutes les approches biblique, théologique, spirituelle, pastorale, missionnaire et œcuménique sans oublier le vaste domaine des arts (musique, architecture, etc.) et les sciences humaines (lois de la communication, langage culturel). La Constitution conciliaire sur la liturgie, au n° 47, résume bien ce que nous venons de dire :
Notre Sauveur, à la dernière Cène, la nuit où il était livré, institua le sacrifice eucharistique de son Corps et de son Sang pour perpétuer le sacrifice de la croix au long des siècles, jusqu’à ce qu’il vienne, et pour confier ainsi à l’Église, son Épouse bien-aimée, le mémorial de sa mort et de sa résurrection : sacrement de l’amour, signe de l’unité, lien de la charité, banquet pascal dans lequel le Christ est mangé, l’âme est comblée de grâce, et le gage de la gloire future nous est donné.
Parler de l’importance de l’Eucharistie, c’est parler de la centralité du Mystère pascal du Christ. Car à chaque Eucharistie célébrée, la Pâque du Christ se trouve donc signifiée. Le Mystère pascal est pour le coup, l’accomplissement de la mission de Jésus, « vrai Dieu et vrai homme ». L’Eucharistie est pour ainsi dire, « un lieu habituel d’effusion de l’Esprit Saint »[3]. L’Eucharistie nous entraine dans un vaste mouvement épiclétique de la vie sacramentelle issue de la Pâque du Christ et continuée dans le ministère de l’Église.
« L’Eucharistie nous permet de ne pas nous désagréger, parce qu’elle est lien de communion, l’accomplissement de l’Alliance, le signe vivant de l’amour du Christ qui s’est humilié et anéanti pour que nous restions unis. En prenant part à l’Eucharistie et en nous nourrissant d’elle, nous sommes engagés sur un chemin qui n’admet pas les divisions ».
« Ainsi l’Eucharistie actualise l’Alliance qui nous sanctifie, nous purifie et nous unis en communion admirable avec Dieu. Ainsi nous verrons que l’eucharistie n’est pas une récompense pour les bons, mais est la force pour les faibles, pour les pécheurs, a-t-il tenu à préciser, sortant de son texte. C'est le pardon, c’est le viatique qui nous aide à avancer, à cheminer ».
Pape François, 2015.
2. La notion
Le mot « Eucharistie » signifie « rendre de grâce » en grec ancien. Saint Paul et Saint Luc l’emploient pour décrire l’ultime repas de Jésus avec ses apôtres : « La nuit même où il fut livré, le Seigneur Jésus ayant pris du pain, après avoir rendu grâce… ».
Le mot Eucharistia est attesté dès la fin du 2e siècle par la Didakè (9, 1.5), par les épitres d’Ignace d’Antioche (Sm. 7, 1 ; 8, 1 ; Eph. 13, 1 ; Philad. 4, 1) et par Justin aussi (1ère Apol., 65-66). Le mot désignait à la fois l’action eucharistique « consistant à rendre grâce sur le pain et le vin, et ce pain et ce vin une fois qu’ils ont été eucharistiés »[4].
3. Mysterium fidei
L’Eucharistie est au cœur même de la vie de l’Église. Elle n’est pas un sacrement parmi d’autres. Elle est le sacrement des sacrements, le « Saint Sacrement ». En elle résume tout le mystère chrétien, le mystère confessé, célébré, vécu par les croyants, par l’Église, le Corpus mysticum. Elle est mysterium fidei à un double titre : elle est le mystère même de la foi, mais aussi un mystère de foi[5].
a. Le mystère même de la foi
Jn 6, 52-59
Même si l’Eucharistie n’est pas un article du Credo, elle est de faite le mystère même de la foi. Elle est en elle-même, précise Jean-Hervé Nicolas, le symbole exprimé sacramentellement, professé, non par des formules disant la vérité mais par des gestes (accompagnés de formules, évidemment) qui la « font » (au sens où S. Jean parle de faire la vérité)[6]. En réalité, l’Eucharistie est le mystère même de la foi parce qu’elle est la célébration du Mystère pascal du Christ englobant toute sa Pâque : du dernier repas, en passant par la passion, la mort et la résurrection, jusqu’à la glorification.
· Un mystère de foi
L’Eucharistie est le sacrement de la tendresse de Dieu. Elle n’est pas de l’ordre de la magie. Elle nécessite la foi. C’est le Christ mort, ressuscité et glorifié qui est présent dans le pain et le vin eucharistiés tout en gardant les mêmes apparences. D’où l’importance de la foi qui permet aux croyants de reconnaître et d’acclamer ce grand mystère. Le chrétien, participant à l’Eucharistie, ne vient pas assister à scène théâtrale. Ce qui se passe à l’Eucharistie est un acte de foi. C’est le Mystère pascal du Christ qui est en train de s’actualiser dans l’action eucharistique et non autre chose. Quand le chrétien reçoit le Corps du Christ, il dit : « Amen ». Il croit que le pain et le vin eucharistiés lui sont offerts en nourriture pour qu’il ait la vie en Christ puisque ceux-ci (le pain et le vin eucharistiés) deviennent pour lui source de vie nouvelle.
En fait, disant cela, nous ne pouvons pas nier les controverses doctrinales qu’il y a eues dans l’histoire de l’Église autour de l’Eucharistie. Cela a amené le Magistère à fixer la « doctrine eucharistique », en laquelle elle exprime également sa foi eucharistique. C’est effectivement un mystère de foi.
· La foi de l’Église en ce qui concerne l’Eucharistie
1. Avant les controverses
Les premiers siècles de la foi de l’Église ne connaissent pas de controverses directes sur l’Eucharistie. Donc pas de déterminations doctrinales. On trouve chez les Pères des catéchèses qui font référence à la foi en l’Eucharistie à propos d’erreurs portant sur d’autres points[7]. Par exemple, Saint Ignace reproche aux docètes[8] de s’abstenir de l’Eucharistie, parce qu’ils ne croient pas en la réalité de la chair du Christ.
Il faut souligner que les Pères n’ont jamais séparé l’Incarnation de l’Eucharistie, l’Incarnation du Mystère pascal du Christ. Les premiers siècles de l’histoire de l’Église constituent de préférence l’époque phare des premières confessions de la présence réelle. Sans trop chercher à expliquer le mystère, le terme « convertir » (metaballein) est souvent employé avec l’idée de transformation physique du pain et du vin comparée au changement de l’eau en vin aux noces de Cana (l’idée surtout développée par Cyrille de Jérusalem, reprise par Grégoire de Nysse, les Pères alexandrins et antiochiens, excepté Théodoret). Ambroise de Milan a repris lui aussi le terme et l’idée et les a introduits dans la théologie latine.
2. Les controverses
Les controverses au sujet de l’Eucharistie, commencent au IXe siècle dans l’Église latine ou occidentale. Cela concerne d’abord la question de la « présence réelle ». Nous en parlerons largement dans les chapitres qui suivent.
Les controverses à ce sujet ont amené le Magistère de l’Église à définir sa foi eucharistique, à fixer la doctrine eucharistique. On pense d’abord aux rétractations et professions de foi imposées à Béranger de Tours aux XIe siècle (concile de Rome en 1079). Il y a par la suite, la condamnation de Wicleff au concile de Constance en 1415. Mais dans le cadre de ces controverses, il faut surtout prendre en compte les deux grands décrets du concile de Trente, contre les réformateurs, « sur la très sainte Eucharistie » (en 1551) et « sur le saint sacrifice de la messe » (en 1562).
3. Rebondissement des controverses aujourd’hui
Nous subissons encore aujourd’hui le poids de ces controverses qui ont marqué l’histoire de la théologie de l’Eucharistie. Nous ne pouvons pas nier aujourd’hui certains malentendus avec les protestants sur certaines interprétations théologiques et liturgiques sur l’Eucharistie, en particulier sur la question de la « présence réelle ». Nous ne pouvons pas nier également certaines déviations et certains abus qui émergent dans des milieux ecclésiaux autour de la pratique eucharistique.
Quelque soit l’époque où l’on est, la théologie de l’Eucharistie ne peut pas se passer de l’intellectus fidei, de la question légitime qu’elle suscite sans pour autant chercher à tout maîtriser, à tout expliquer : l’Eucharistie est avant tout un mystère.
· Théologie de l’Eucharistie ou théologie sur l’Eucharistie ?
« Source et sommet de la vie chrétienne » (LG, n° 11), l’Eucharistie est à approfondir à chaque fois, à chaque génération par un effort de la raison croyante sans l’opposer à l’action liturgique elle-même. C’est en ce sens qu’au long de ce parcours, nous préférerons parler de « théologie de l’Eucharistie » ou « théologie eucharistique » en prenant conscience bien sûr du mystère de la foi qui s’exprime dans la célébration de l’Eucharistie.
Il faut noter les grands efforts qui ont été faits pour enrichir la théologie eucharistique par des recherches bibliques, patristiques et liturgiques. Mais il faut continuer à mettre en lumière les riches « significations portées par l’Eucharistie proprement dite, depuis les gestes accomplis par son fondateur, lors de la Cène » ; depuis la « forme dogmatique » jusqu’à la « forme liturgique ». L’Eucharistie actualise le Mystère pascal du Christ mais toujours dans une tension eschatologique. Ainsi, approcher le mystère de la « présence réelle » du Christ dans l’Eucharistie nécessite des critères herméneutiques que voici : mémoire, présence, et fins dernières. À nouveaux frais, nous serons amenés à redécouvrir l’Eucharistie comme le cœur de l’existence chrétienne, le don de Dieu par excellence, mais aussi comme un mystère qui nous dépasse et que nous ne pouvons en aucun cas enfermer dans nos concepts et nos représentations mentales. Elle est le mystère de la foi.
Dans les chapitres qui suivent, nous ferons l’hypothèse que la théologie de l’Eucharistie n’est pas tout simplement une affaire d’élaborations théologiques savantes, mais un exercice de l’intelligence non éloigné des Saintes Écritures, de la foi et de la liturgie. Une telle théologie nous conduira à une compréhension renouvelée de l’Eucharistie pour mieux la vivre de manière consciente et active.
CHAPITRE I
LES FIGURES DE L’EUCHARISTIE
DANS L’ANCIEN TESTAMENT[9]
Dans ce chapitre, nous essayerons de parcourir l’Ancien Testament pour y détecter quelques allusions prophétiques à l’Eucharistie et les analyser. Ce sera quand bien même un travail périlleux car les références bibliques à l’Eucharistie ne manifestent pas une évidence. Il faut au moins recourir à la méthode typologique et la méthode historique pour en comprendre le sens ou les interpréter.
Nous reprenons ici, pour la clarté de ce que nous venons de dire, les définitions que donne Enrico Mazza aux deux méthodes[10]. La méthode typologique consiste à montrer « comment l’ancienne loi est une figure de la nouvelle, et, par conséquent, comment elle trouve on accomplissement dans les réalités néotestamentaires »[11]. En revanche, par la méthode historique, « on met en lumière les rapports entre la liturgie néotestamentaire et les rites vétérotestamentaires, en cherchant à montrer comment la liturgie chrétienne dérive de la liturgie juive, sous quelles formes et structures rituelles, par quels chemins et quelles transformations »[12].
1.1.Le sens des sacrifices dans l’ancien Israël
Les Pères de l’Église ont fait l’usage de la typologie des événements marquant l’histoire d’Israël pour parler de l’Eucharistie. Il est tout à fait légitime et utile de mettre en évidence quelques exemples car le Christ lui-même a affirmé l’accomplissement de la Loi et les Prophètes en sa personne. La liturgie eucharistique nous a montré dans le canon romain, la portée biblique et théologique d’un tel choix en évoquant la figure de certains personnages bibliques de l’Ancien Testament comme Abel, Abraham, Melchisédech en référence au Christ.
1.1.1. Quelques exemples
1.1.1.1. Le sacrifice d’Abel
Les deux frères, Caïn (l’agriculteur) et Abel (le berger) présentent des sacrifices à Dieu, mais il se trouve que Dieu n’agrée que celui d’Abel (cf. Gn 4, 1-5). Pourquoi un tel choix de Dieu ? La suite du texte s’explique : « Le Seigneur dit à Caïn : « Pourquoi es-tu irrité, pourquoi ce visage abattu ? Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas ton visage ? Mais si tu n’agis pas bien, le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer » (v. 6-7). Alors, on comprend tout de suite la nouvelle donne : ce qui a du prix aux yeux de Dieu, ce n’est pas l’offrande des biens terrestres, mais les dispositions du cœur[13]. La liturgie eucharistique chrétienne nous renvoie à cette réalité quand elle nous fait dire en réponse au fameux Sursum corda de l’introduction de la préface : « Habemus ad Dominum ».
Un tel choix suscite la jalousie de Caïn et il tue son frère. Cela entraine pour lui le tourment et l’éloignement de la face de Dieu. Le Nouveau Testament, en particulier la lettre aux Hébreux fait écho d’Abel : « Grâce à la foi, Abel offrit à Dieu un sacrifice plus grand que celui de Caïn ; à cause de sa foi, il fut déclaré juste : Dieu lui-même rendait témoignage à son offrande ; à cause de sa foi, bien qu’il soit mort, il parle encore » (He 11, 4). Mais il faut prendre en compte ce que dit l’auteur plus loin : « Vous êtes venus vers Jésus, le médiateur d’une alliance nouvelle, et vers le sang de l’aspersion, son sang qui parle plus fort que celui d’Abel » (He 12, 24). Abel est donc la figure du Christ qui versera sang pour nous et pour la multitude en rémission des péchés.
1.1.1.2. Le sacrifice de Noé
Gn 8, 20-21 nous intéresse particulièrement. Il s’agit d’un récit biblique qui se rattache bien évidemment à la légende mésopotamienne où il est dit : « Les dieux sentirent une odeur qui leur fut agréable. Ils se rassemblèrent comme des mouches tout autour de celui qui leur offrait le sacrifice » (Gilgamesh, 11e tablette)[14]. La traduction officielle liturgique de la Bible utilise cette expression : « Le Seigneur respira l’agréable odeur » suivie de la promesse divine : « Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l’homme : le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. Tant que la terre durera, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit jamais ne cesseront » (Gn 8, 21-22). Alors, quelles sont les conséquences ? 1. Dieu renouvelle la bénédiction initiale compromise par le péché et fixe les lois fondamentales pour la survie de l’humanité, à sa voir l’interdit du sang et le respect de l’homme créé à l’image de Dieu (Gn 9, 6) ; 2. Il établit son Alliance, par le signe de l’arc-en-ciel qui n’est plus l’arc de guerre, mais signe de l’Alliance, signe de paix (v. 9-16) ; 3. Une telle Alliance concerne inévitablement toute l’humanité, représentée dans ce récit par Noé et sa famille. Comme le souligne Édouard Cothenet, c’est dans le cadre de cette Alliance fondamentale que s’inscriront la bénédiction spéciale accordée à Abraham et l’élection d’Israël[15]. Le sacrifice de Noé est une figure de celui du Christ par lequel il réconcilie le monde avec Dieu. Noé, pour sa part, est la figure du Christ, en qui vient la nouvelle création.
1.1.1.3. Le cycle d’Abraham
Avec Abraham, il y a véritablement la question des lieux de sacrifice pour marquer la réalisation de la promesse divine qui lui a été faite par Dieu : « À ta descendance je donnerai ce pays » (Gn 12, 7). Abraham bâtit des autels pour rencontrer le Seigneur et l’invoquer (Gn 12, 7-9). On le voit bien, il y a une légitimation des hauts lieux fréquentés par les patriarches et leurs descendants[16]. L’histoire des patriarches et celle d’Abraham, en particulier, montre que l’érection des sanctuaires est toujours une réalité divine – impliquant une vision, un songe, une hiérophanie (manifestation du sacré, révélation d’une modalité du sacré).
On comprend ici combien « l’initiative vient d’un Dieu qui renouvelle sa promesse ». L’offrande des sacrifices sur les autels devient un lieu de rencontre entre Dieu et le sacrifiant pour lui donner sa bénédiction. C’est donc dans ce cadre, propre à la tradition biblique, qu’il faut chercher à interpréter les sacrifices[17].
1. Melchisédech, roi-prêtre de Salem. Le chapitre 14 de la Genèse met en exergue un certain Melchisédech, une figure mystérieuse de l’Ancien Testament, roi de Salem, c’est-à-dire roi de paix, prêtre de Dieu le Très-Haut. Il bénit Abraham en lui faisant apporter du pain et du vin. En cette scène, l’adoration du Dieu Très-Haut apparaît comme une source de paix pour tous. Mais on peut donner à cette scène une interprétation christologique. Melchisédech est la figure du Christ, le véritable Grand Prêtre. C’est en réalité une figure prophétique du mystère du sacrifice du Seigneur comme le souligne saint Cyprien. D’ailleurs, les Pères de l’Église voient dans le geste de Melchisédech, une annonce de l’Eucharistie.
2. Les victimes partagées en signe d’alliance (Gn 15, 7-21). Le chapitre 15 de la Genèse, note Édouard Cothenet, est par excellence le chapitre de la foi. Dieu promet une descendance à Abraham. Mais celui-ci s’interroge sur sa réalisation et Dieu à son tour le rassure : « Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste » (v. 6). Pour le coup, un rite s’accomplit pour manifester le bien fondé de la promesse que Dieu vient de faire à Abram. Dieu lui dit alors : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une colombe » (v. 9). Puis, Abram les partagea en deux. On reconnaît dans ce geste la conclusion alliance. Partager en deux les animaux, c’est « couper l’alliance (traduction mot à mot). D’où le sens du mot « symbole ». On est dans l’ordre du « serment ». Dieu garde pour toujours son alliance qui doit être reçue par la foi.
3. Le sacrifice d’Isaac (Gn 22). C’est un texte mystérieux qu’il faut prendre le temps d’interpréter pour trouver son vrai sens. Comment Dieu peut-il accepter le sacrifice humain ? Encore plus celui d’Isaac, l’enfant de la promesse ? C’était déjà une pratique païenne. On sacrifiait les humains pour les divinités. Le roi Achaz sacrifia son fils ainé pour détourner l’invasion ennemie (2 R 16, 3). Mais c’est une pratique démoniaque condamnée par Isaïe. Refusant les sacrifices humains, note Édouard Cothenet, Yahvé, le Dieu vivant, accepte les sacrifices d’animaux s’ils expriment la confiance de ceux qui les offrent[18]. Abraham est la figure du Père qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous (Rm 8, 32).
La tradition juive parle de préférence de la « ligature » d’Isaac. Car ce fils de la promesse est lié… et délié par la suite. Isaac est une figure du Christ (cf. He 11, 26). Lui, le fils unique du Père, « est lié… Mais sous la violence des hommes, il n’est pas remplacé par un agneau. Il est donné, sans retour. Cette vie, sa vie et aussi sa mort, changent le cours de la violence pour ceux qui placent leur regard… et peut-être aussi leur foi, en Lui »[19].Tertullien, par exemple, voit en Isaac portant le bois, une typologie du Christ portant la croix.
1.1.1.4. La Pâque
La sortie d’Égypte occupe une place centrale dans la religion juive. Le livre de l’Exode en témoigne longuement. C’est l’événement fondateur de la foi juive, de l’Alliance ; c’est la « matrice du langage de salut ». Édouard Cothenet nous présente avec finesse et de façon schématique, le contenu des chapitres 12 et 13 de l’Exode que nous reprenons ici :
· une instruction de Moïse pour une célébration en famille (12, 1-14) ;
· le rite des pains sans levain (12, 15-20) ;
· l’ordre d’exécution (12, 21-24) ;
· le rituel à observer en terre promise (12, 25-27) ;
· la nuit du passage du Seigneur et le départ (12, 28-42) ;
· les règles d’admission au repas pascal (12, 43-51) ;
· la consécration des premiers-nés en mémorial de la préservation des premiers-nés d’Israël (13, 1-16).
Cette façon de faire ou cette ritualité est mise en relation avec la sortie d’Égypte. D’où le sens du mot Pâque : « Passer par dessus, passage ». C’est d’abord le passage du Seigneur au milieu de son peuple, et c’est à partir de cela que la Pâque devient le « passage » des Hébreux à la Terre promise. Ex 12, 23-24 l’explique en ces termes : « Ainsi, lorsque le Seigneur traversera l’Égypte pour la frapper, et qu’il verra le sang sur le linteau et les deux montants, il passera cette maison sans permettre à l’Exterminateur d’y entrer pour la frapper. Vous observerez cette parole comme un décret perpétuel pour vous et vos fils ».
Le sens de la Pâque est donné ainsi : « C’est le sacrifice de la Pâque en l’honneur du Seigneur : il a passé les maisons des fils d’Israël en Égypte ; lorsqu’il a frappé l’Égypte, il a épargné nos maisons » (v. 27). Il y aura une amplification du rite avec question-réponse pour chacun des aliments du repas de la fête. C’est exactement l’arrière-plan des bénédictions sur le pain et le vin, à la Cène. La fête devient ainsi un mémorial, un « zikkarôn » (Ex 12, 14) de manière prégnante : « Ce-jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez ». Un mémorial qui cimente la communauté, un mémorial pour « aujourd’hui », c’est-à-dire un mémorial qui porte chacun à se considérer comme sorti d’Égypte.
1.1.1.5. Le sacrifice de l’Alliance (Ex 24, 1-11)
La célébration solennelle de l’Alliance ponctue le sommet de l’acte de la sortie d’Égypte opérée par Moïse sur l’ordre de Dieu lui-même, protagoniste et auteur du salut de son peuple. Ce texte donne déjà des éléments qui préfigurent l’Eucharistie.
À la Cène, souligne Édouard Cothenet, selon Matthieu et Marc, Jésus offre la coupe comme le « sang de l’Alliance pour vous », par préférence à l’Alliance du Sinaï. L’Épitre aux Hébreux présente le Christ, poursuit-il, comme médiateur de la nouvelle Alliance pour la multitude[20]. Alors, « dans le récit de l’Exode se reconnaît en germe la structure de toute célébration eucharistique. La lecture de la Parole de Dieu appelle à l’engagement de foi. L’offrande du pain et du vin sur l’autel prépare le renouvellement du geste de la Cène, où Jésus offrit son Corps et son Sang pour l’Alliance avec la multitude. Enfin, la communion rend les fidèles participants à la vie du Christ pour le rayonnement de l’Évangile dans le monde »[21].
On peut associer à cette étude, la manne comme figure du pain de vie venant du ciel que Jésus promet aux croyants en Jn 6 dans son discours sur le pain de vie.
1.1.2. Les sacrifices dans l’ancien Israël
La question des sacrifices est inhérente aux pratiques religieuses des peuples avoisinants du peuple d’Israël. Comme eux, les Israélites immolaient les animaux et offraient les aliments. Ce qu’il faut retenir de ces pratiques, c’est le sens que la mentalité biblique leur donne jouant un rôle important dans la vie sociale pour exprimer l’appel au secours dans les moments de grands périls (1 S 7, 7-10) ou pour signifier la reconnaissance en cas d’une victoire sur les ennemis ou encore pour marquer l’avènement d’un roi ou pour inaugurer un lieu de culte. Il est aussi coutume de se rassembler pour un sacrifice annuel qui scelle l’unité entre tous les membres d’un même clan (1 S 20, 6).
Retenons pour notre étude quelques cas significatifs. Le récit du pèlerinage annuel d’Elcana au sanctuaire de Silo, où était gardée l’arche d’alliance (1 S 3, 1). La part de YHWH a été prélevée sur la victime par le prêtre Éli, à savoir la graisse qui était brûlée en une odeur agréable et on fait la fête avec le reste, ce qu’on appelle le repas de communion. Voilà qu’Elcana garde la meilleure part pour Anne la femme la plus aimée malgré sa stérilité. La jalousie s’en mêle. Sa rivale l’insulte et elle confie sa cause au Seigneur et le Seigneur lui donne satisfaction, sa demande sera exaucée, elle mettra au monde le petit Samuel qu’elle consacrera au service du sanctuaire. Par la suite, la pratique des fils d’Éli sera dénoncée. Insatisfaits de leur part, ils envoient leur servant piquer les meilleurs morceaux dans la cuve, le pot, le chaudron ou la marmite. Et voilà : « Le péché des jeunes gens était très grand devant le Seigneur car ces hommes traitaient avec mépris l’offrande destinée au Seigneur » (1 S 2, 7). La suite se termine par le drame des fils d’Éli : ils meurent au combat quand l’arche est prise par les Philistins (1 S 4, 11).
Nous soulignons également la procession de joie et l’offrande d’holocaustes et de sacrifices de paix (2 S 6, 14) lors du transfert de l’arche de l’alliance et contrarié par la déviation du char vers la maison d’Obed-Édom, le Guittite (2 S 6, 1-10). À la fin, c’est David qui bénit le peuple et fait distribuer à chacun une galette de pain, un morceau de rôti et un gâteau de raisins pour que tous célèbrent la fête avec enthousiasme.
1.1.3. La codification des sacrifices selon le Lévitique
Dans le Lévitique, sacrifices et sacerdoce sont intimement liés. Pas de rencontre avec le Seigneur sans l’accomplissement d’actions sacrées par un personnel qui lui est consacré. L’un ne va pas sans l’autre. Pour cela, il y a ce qu’on appelle un code de rubriques qui réglemente les sacrifices. On y trouve deux groupes : les sacrifices « au parfum agréable » et les sacrifices d’absolution.
Dans le premier groupe, on trouve en tête de liste, les holocaustes, dans lequel la victime est entièrement consumée par le feu en signe d’adoration (Lv 1). Ex 29, 38-42 et Ex 30, 1-10 nous donnent des exemples d’holocaustes d’agneaux et d’encens… Puis, les offrandes végétales, formées de céréales, d’huile et de vin offerts à Dieu comme maître de la terre. Enfin, les sacrifices dits « de paix », ou de « communion ». Dans ces sacrifices, on brûle la graisse sur l’autel et on partage l’animal offert entre le prêtre et l’offrant. Le récit relatif au pèlerinage d’Elcana au sanctuaire de Silo est un bel exemple de ce que nous venons de dire. Le repas partagé sous le regard de la divinité était bien apprécié pour sa juste valeur. C’est bien cela que l’Apôtre Paul en témoigne quand il dit : « Voyez ce qui se passe chez les Israélites : ceux qui mangent les victimes offertes sur l’autel de Dieu, ne sont-ils pas en communion avec lui ? » (1 Co 10, 18).
Dans le deuxième groupe, on trouve les sacrifices d’absolution. Le Lévitique en distingue deux classes : sacrifices pour le péché (Lv 4, 1-5, 13) et sacrifices de réparation (Lv 5, 14-26). Le péché dont il est question ici, souligne Édouard Cothenet, ne consiste pas en une faute morale, mais en la transgression d’un interdit, commise accidentellement, par inadvertance ou inconsciemment. Le sacrifice de réparation (Lv 5, 14-26) est offert en cas d’appropriation de choses saintes (comme la dîme) ou de biens appartenant au prochain. Il doit être précédé d’une restitution et d’une compensation avant d’être accompli. Dans ces deux cas, ajoute Cothenet, la victime est en partie consumée par le feu, en partie mangée par le desservant. L’offrant ne reçoit aucune part[22].
Ce n’est pas banal, le but de tous ces sacrifices, c’est de rendre hommage à Dieu, qui habite au milieu de son peuple, et d’écarter ce qui s’y oppose. Cela suppose une bonne compréhension du geste de celui qui offre : il impose la main sur la victime pour montrer que la celle-ci subit la mort à la place du coupable (cf. Lv 16, 3 ; 16, 8.10.26). C’est un rite effectué pour l’élimination de l’impureté et d’un sacrifice[23]. Notons que l’abattage de la victime, dans le Lévitique, n’est qu’un rite préliminaire. D’ailleurs, il est accompli non par un prêtre, mais par un lévite, loin de l’autel. Ainsi, le rite essentiel est celui du sang versé sur l’autel[24]. Par ce rite, Dieu agrée le sacrifice puisque le sang est vie, il est l’antidote de la mort (cf. La lettre aux Hébreux).
1.2.Vers la spiritualisation des sacrifices
Les prophètes ont toujours contesté les abus au niveau des sacrifices à offrir et ont voulu un effort de spiritualisation. La tendance de les instrumentaliser était grande. « Ce jour-là, on mangeait de la viande et l’on buvait des boissons fortes. Les chants égayaient l’assistance et plus d’un allait fréquenter les prostituées, installées auprès du sanctuaire, pour ne pas dire dévouées au service de l’Ashéra du lieu, la déesse de l’amour »[25].
1.2.1. La contestation par les prophètes
Le premier des prophètes contestataires est Amos (Am 7, 10-17). Il fustige contre les abus et les inégalités sociales, s’en prend aux commerçants à cause de leur avidité au détriment des pauvres ; il se moque aussi des offrandes, conteste la tradition du culte et proclame la primauté de la justice sociale.
Après lui, on trouve le prophète Osée. Il reprend les mêmes critiques avec une note très personnelle, puisqu’il fait de ses mésaventures conjugales le symbole de la relation entre YHWH et son épouse infidèle[26]. Il critique ouvertement les prêtres qui n’instruisent pas le peuple de ses devoirs et condamne avec virulence « les veaux de Samarie » (Os 8, 6 ; 10, 5 ; 13, 2). Il compare le culte sacrilège à l’adultère. Il réclame lui aussi le respect de la justice. Il rétorque contre ceux du peuple qui pensent obtenir le pardon à bon compte en précisant : « Je veux la fidélité (la hésed), non le sacrifice, la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Os 6, 6). Les commandements divins se vivent dans l’amour du prochain. Osée prime la miséricorde sur toute autre chose.
Isaïe est une figure importante aussi dans la dynamique de la spiritualisation des sacrifices. Le récit de sa vocation est marqué par un détail très significatif : l’un des séraphins purifie les lèvres du prophète avec un charbon brûlant qu’il prend sur l’autel (Is 6, 6-7). Indirectement, ce geste fait allusion à la valeur des sacrifices pour le péché. Et ceci, dans les meilleures dispositions :
Que m’importe le nombre de vos sacrifices ? – dit le Seigneur. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’y prends pas plaisir. Quand vous venez vous présenter devant ma face, qui vous demande de fouler mes parvis ? Cessez d’apporter de vaines offrandes ; j’ai horreur de votre encens. Les nouvelles lunes, les sabbats, les assemblées, je n’en peux plus de ces crimes et de ces fêtes. Vos nouvelles lunes et vos solennités, moi, je les déteste : elles me sont un fardeau, je suis fatigué de le porter. Quand vous étendez les mains, je détourne les yeux. Vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal (Is 1, 11-16).
Il ne cesse de rappeler la droiture et la condition primordiale pour le salut qui n’est autre que la foi en la promesse de Dieu, promesse faite à David (1 R 7). Il s’en prend également aux prêtres et aux prophètes qui se soulent et leur fait ce rappel : « Dans la tranquillité, dans la confiance sera votre force » (Is 30, 15). Mais, il n’oublie pas d’annoncer les jours meilleurs où règnera justement la justice : « L’œuvre de la justice sera la paix, et la pratique de la justice, le calme et la sécurité pour toujours » (Is 32, 17). Le message d’Isaïe se construit autour des exigences fondamentales qu’il rappelle incessamment : foi et justice.
Le prêtre Ézéchiel est lui aussi une figure de prou dans la foulée des prophètes déjà mentionné. L’image du Temple futur qui ne connaîtra pas de souillure est très présente dans la prédication d’Ézéchiel. Sa vision du torrent du Temple est une image retentissante : Dieu entrera dans le sanctuaire pour y faire sa demeure et nourrir tous ceux qui viendront à lui.
1.2.2. Le sacrifice du Serviteur souffrant (Is 52, 13-53, 12)
Ces textes qui parlent d’un « serviteur de Dieu » ont toujours attiré l’attention. On les appelle les chants ou les prophéties du Serviteur de Dieu ou du Serviteur souffrant (Is 42, 1-9 ; 49, 1-6 ; 50, 4-11 ; 52, 13-53, 12). C’est donc le dernier, dit le quatrième qui nous intéresse ici. Sans nier les autres considérations symboliques, le Serviteur souffrant dont parle le texte est une préfiguration de Jésus Christ dans sa mort et sa résurrection. Les annonces répétées de la Passion par Jésus lui-même, la parole sur la coupe de l’Alliance s’y réfèrent expressément[27].
Le texte nous présente une figure énigmatique de salut, pas seulement pour Israël, mais pour la multitude selon la structure même du passage. Le mot « multitude » (rabbîm) en hébreux, se trouve au début (52, 14.15) et à la fin (53, 11.12s) du quatrième chant. La tradition chrétienne applique le texte à Jésus, l’agneau muet qui, dans sa Passion douloureuse, porte le péché du monde[28]. Ce texte offre une clef de lecture pour rendre compte de la figure de l’agneau pascal dans la conception du Nouveau Testament. Le Mystère pascal, pilier de l’Eucharistie, disons mieux, est au cœur des Écritures[29]. In fine, l’application du Serviteur souffrant au Christ, est largement attestée dans les milieux chrétiens, en particulier chez beaucoup de Pères de l’Église.
1.3.Les sacrifices dans la période du second Temple[30]
Quand nous parlons de « période du second Temple », nous faisons allusion à la période comprise entre la reconstruction du Temple au temps des prophètes Aggée et Zacharie (de 520 à 515) et sa destruction par les Romains en l’an 70 de notre ère. Pendant cette période, plusieurs courants s’affrontent dans le Judaïsme. Le courant sacerdotal est centré sur le Temple, sa liturgie, les lois de pureté dans la ligne d’Ézéchiel ; l’autre courant, dit courant prophétique met l’accent sur les valeurs spirituelles[31].
1.3.1. La reconstruction du Temple
Les tenants de la reconstruction du Temple sont les prophètes Aggée et Zacharie. Ils demandent incessamment au gouverneur Zorobabel et au grand prêtre Josué de reprendre les travaux de la reconstruction du Temple dédicacé en l’an 515. Cette dédicace est pour les juifs l’occasion d’une grande célébration (Esd 6, 13-18) et d’une pâque solennelle (Esd 6, 19-22). Le Temple reprend son ampleur de lieu théologique. Les peuples s’y rendent en pèlerinage et y apportent de riches offrandes. C’est dans cette ambiance religieuse qu’une voix s’élève : « Ainsi parle le Seigneur : Le ciel est mon trône, et la terre, l’escabeau de mes pieds. Où donc me bâtiriez-vous une maison ? Où serait le lieu de mon repos ? » (Is 66, 1s). Il y a une sorte de mise en garde ici. Le sacrifice que Dieu agrée, c’est celui du pauvre, c’est celui qui obéit à sa loi divine : « Celui que je regarde, c’est le pauvre, celui qui a l’esprit abattu et tremble à ma parole » (Is 66, 2). Il y a une spiritualisation du sacrifice qui récuse tout formalisme cultuel fait de gestes intérieurs (c’est le cas pour le jeûne décrié par Isaïe). Le culte véritable met en avant la scène, l’engagement social envers les plus pauvres : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? » (Is 58, 6). Le Temple a une dimension universelle, il est destiné à tous les peuples (Is 56, 7).
Il y a un changement opérationnel important dans le récit de la dédicace du Temple. On n’y trouve le modèle du culte futur dans les synagogues, centré non sur les sacrifices comme au Temple, mais sur la lecture de la Loi et son explication[32].
1.3.2. Le jour du Grand Pardon (Lv 16)
Le Seigneur parla à Moïse après la mort des deux fils d’Aaron, ceux qui moururent lorsqu’ils se présentèrent devant le Seigneur. Le Seigneur dit à Moïse : « Parle à ton frère Aaron : qu’il n’entre pas n’importe quand dans le sanctuaire, au-delà du rideau, devant le propitiatoire qui se trouve sur l’Arche. Ainsi il ne mourra pas quand j’apparais dans la nuée, au-dessus du propitiatoire. Voici comment Aaron entrera dans le sanctuaire : avec un taureau destiné au sacrifice pour la faute et un bélier pour l’holocauste. Il revêtira une tunique de lin consacrée, il portera à même le corps un caleçon de lin, il se ceindra d’une ceinture de lin et se coiffera d’un turban de lin. Ces vêtements sacrés, il les revêtira après avoir baigné son corps dans l’eau.
Il recevra, de la communauté des fils d’Israël, deux boucs destinés au sacrifice pour la faute et un bélier pour l’holocauste. Aaron présentera le taureau du sacrifice pour sa faute et accomplira le rite d’expiation pour lui et pour sa maison. Puis il prendra les deux boucs et les placera devant le Seigneur à l’entrée de la tente de la Rencontre. Aaron tirera les sorts pour les deux boucs : un sort “Pour le Seigneur” et un sort “Pour Azazel. ”Aaron présentera le bouc sur lequel est tombé le sort “Pour le Seigneur” et en fera un sacrifice pour la faute. Quant au bouc sur lequel est tombé le sort “Pour Azazel”, on le placera vivant devant le Seigneur afin d’accomplir sur lui le rite d’expiation, en l’envoyant vers Azazel, dans le désert.
Aaron présentera le taureau du sacrifice pour sa faute, puis il accomplira le rite d’expiation pour lui et pour sa maison, et il immolera ce taureau en sacrifice pour sa faute. Il prendra alors un brûle-parfum rempli de charbons ardents qui étaient sur l’autel, devant le Seigneur, puis il prendra deux pleines poignées de poudre d’encens aromatique et portera le tout au-delà du rideau. Il mettra l’encens sur le feu, devant le Seigneur : un nuage d’encens recouvrira le propitiatoire qui est sur le Témoignage. Ainsi Aaron ne mourra pas. Il prendra alors du sang du taureau et en aspergera avec le doigt le côté oriental du propitiatoire ; puis, devant le propitiatoire, il fera sept aspersions de ce sang avec le doigt. Il immolera alors le bouc destiné au sacrifice pour la faute du peuple, et il en portera le sang au-delà du rideau. Il fera avec ce sang comme il a fait avec celui du taureau : il en aspergera le dessus et le devant du propitiatoire. Il accomplira ainsi le rite d’expiation sur le sanctuaire pour les impuretés des fils d’Israël, leurs transgressions et toutes leurs fautes. Ainsi fera-t-il pour la tente de la Rencontre qui demeure avec eux au milieu de leurs impuretés (Lv 16, 1-16).
C’est d’une liturgie solennelle qu’il s’agit ici : la liturgie du Grand Pardon, le Yom Kippour, jour le plus important de l’année juive. Elle est célébrée une seule fois dans l’année par le grand prêtre. Ce rite est ponctué d’un jeûne rigoureux et de très belles prières pour implorer le pardon de YAHWEH et réparer les torts causés à autrui. Ce rituel ou cette liturgie a beaucoup à nous dire sur le sacrifice du Christ lui-même, l’unique Grand Prêtre de la nouvelle Alliance (cf. La lettre aux Hébreux comme transposition de ce rituel).
1.3.3. Une offrande pure parmi les nations
L’abus du culte est critiqué avec la plus grande rigueur par le prophète Malachie, le dernier plus petit des prophètes. Il s’en prend vigoureusement aux fidèles qui estiment la « table du Seigneur » sans importance, apportant des bêtes tarées en sacrifice (Ml 1, 6-14)[33]. Dieu n’accepte pas de telles offrandes car elles sont indignes de sa majesté (Ml 1, 9-10). Le prophète dénonce également la négligence des prêtres qui ne respectent pas l’Alliance accordée par Dieu à Lévi (Ml 2, 1-9). On attend d’eux qu’ils transmettent la connaissance de la loi de Dieu car ils sont les messagers du Seigneur de l’univers (Ml 2, 7). Contrairement à l’image du prêtre donné dans le Lévitique, il n’est pas seulement sacrificateur, mais d’abord chargé de veiller sur l’Alliance et d’enseigner la Torah (Dt 33, 10 ; Os 4, 6)[34]. D’autres dérives sont dénoncées. Il faut mentionner un point culminant dans tout cela : l’annonce de la venue de l’ange dans le Temple qui purifiera les fils de Lévi pour qu’ils puissent présenter l’offrande en toute justice (Ml 3, 1-4).
Dans l’ensemble du texte de Malachie, il y en a un qui doit capter notre attention :
Car du levant au couchant du soleil, mon nom est grand parmi les nations. En tout lieu, on brûle de l’encens pour mon nom et on présente une offrande pure, car mon nom est grand parmi les nations, – dit le Seigneur de l’univers (1, 11).
Il y a dans ce texte une ouverture surprenante : les nations peuvent, elles aussi, présenter leur offrande à Dieu. Il y a un regard positif sur le culte des nations. Les Pères sont les premiers à donner à ce texte une interprétation eucharistique. C’est déjà le caractère universel de la nouvelle Alliance qui semble être souligné dans ce texte. Isaïe l’a déjà montré dans le grand rassemblement final, Dieu prendra des prêtres et des lévites même parmi les nations venues en pèlerinage à Jérusalem (Is 66, 20).
1.3.4. Les Psaumes et les écrits de Sagesse
1.3.4.1.Les Psaumes
Le recueil des Psaumes ne donne que quelques indications sur la liturgie. On trouve dans les Psaumes d’entrée certaines indications sur les dispositions à prendre quand le fidèle doit se présenter devant le Seigneur : « Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? Qui habitera ta sainte montagne ? Celui qui se conduit parfaitement, qui agit avec justice et dit la vérité selon son cœur » (Ps 14, 1). On y trouve également des prières de reconnaissance (todah), pour accompagner l’accomplissement d’un vœu[35]. Par exemple : « Je viens dans ta maison avec des holocaustes, je tiendrai mes promesses envers toi » (Ps 65, 13). Le Psaume 99 est expressément « un psaume d’action de grâce ». Le fidèle juif rend grâce à Dieu pour sa fidélité. Ces actions de grâces s’accompagnent de libations (Ps 115, 17). Il y a aussi la fumée de l’encens qui doit exprimer la prière qui monte vers Dieu lors de l’offrande du soir : « Que ma prière devant toi s’élève comme un encens, et mes mains comme l’offrande du soir » (Ps 140, 2).
Les Psaumes 112-117 (les Ps du Hallel) et le Psaume 135 (le grand Hallel) avec son refrain « Éternel est son amour », étaient destinés aux fêtes de Pâques, de Pentecôte et des Tentes, nous rappelle Édouard Cothenet[36]. Nous ne pouvons pas oublier le Ps 22 considéré comme le psaume de l’initiation chrétienne par les Pères de l’Église, en particulier dans la quatrième catéchèse mystagogique de Cyrille de Jérusalem. D’autres Psaumes sont à prendre en compte : le Ps 39, pour son écho à la critique prophétique : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice » (v. 7). Ce que Dieu veut, c’est le sacrifice intérieur : « Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles » (v. 9). Ce passage sera repris par la lettre aux Hébreux avec une nuance tout à fait christologique (Hé 10, 5-10) ; le Ps 50, communément appelé le Psaume pénitentiel ; les psaumes de lamentations utilisés dans les récits évangéliques de la Passion : le Ps 68 et surtout le Ps 21 dont les premiers mots sont cités par Jésus lui-même lors de sa mort sur la croix ; le groupe des Psaumes du règne de Dieu (92 ; 95-99). Il ne faut pas oublier la place de la musique sacrée dans la liturgie du second Temple attestée par le Ps 150.
1.3.4.2.Les Écrits de Sagesse
Privilégions le livre des Proverbes. On y trouve dans sa première partie, une allégorie du banquet qu’il faut prendre en considération pour son universalisme : La Sagesse a bâti sa maison aux sept colonnes, tué ses bêtes, préparé son vin, dressé sa table… Il s’agit donc des préparatifs accomplis pour un festin du Temple. Elle a envoyé ses servantes, elle appelle sur les hauteurs de la cité : « Vous, étourdis, passez par ici ! » À qui manque de bon sens, elle dit : « Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé » (Pr 9, 1-5). Une invitation à goûter les nourritures exquises de la Sagesse. Ce texte trouve écho dans plusieurs passages du Nouveau Testament : la parabole des invités à la noce (Mt 22, 1-14 ; Lc 14, 15-24), les promesses de Jésus dans le discours eucharistique de Jn 6. Déjà ce texte préfigure le banquet eucharistique du Seigneur.
En bref, il faut passer des figures à la réalité[37]. L’ancien Testament nous donne une panoplie de figures ou de réalités symboliques qui ont quelque chose à nous dire sur l’Eucharistie. Prenons tout simplement la manne et les cailles de l’Exode, tout comme l’eau jaillie du rocher d’Horeb (Ps 78, 20-29) préfigurant le don véritable qui sort de la bouche de Dieu (Dt 8, 3 ; Mt 4, 4), la Parole, vrai pain descendu du ciel (Ex 16, 4)[38].
CHAPITRE II
L’ORIGINE DE L’EUCHARISTIE
DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
2.1. La question des repas : de Jésus au mémorial de la nouvelle Alliance
Les études classiques sur l’Eucharistie, précise Édouard Cothenet, se concentrent sur l’interprétation de la Cène, en raison des paroles de Jésus instituant ce sacrement. Sans aucun doute, poursuit-il, elles constituent le socle sur lequel reposent les études sur la pratique liturgique et la réflexion théologique, mais elles ne peuvent prendre toute leur portée que si l’on tient compte d’une manière générale de la valeur sociale et religieuse des repas et, tout spécialement de la richesse de la célébration de la Pâque au temps de Jésus[39].
Il faut rappeler la portée sociale des repas. L’homme a besoin de se nourrir, mais se nourrir en communauté est d’un ordre supérieur. Cela engage non seulement le repas, mais aussi l’échange de la parole. Ce repas est donc ritualisé. Il crée des liens. Ceux qui y participent deviennent donc compagnons, c’est-à-dire, ils partagent non seulement le pain, mais aussi les joies et les peines de l’existence humaine. Ce que le fast-food n’est pas capable de faire car il affaiblit la convivialité.
2.1.1. Les repas dans le monde ancien
Dans le monde grec, les repas pris entre amis se prolongeaient par ce qu’on appelait le symposion (en grecσυμπόσιον, boire ensemble ou banquet), où l’on buvait beaucoup en faisant des discussions philosophiques ou politiques. Cela se passait le plus souvent dans un temple pour y consommer les viandes sacrifiées aux dieux. Paul y fera allusion pour interdire formellement aux fidèles de participer à ces genres de repas dans les temples païens (1 Co 10, 18-22). D’autres occasions permettaient de telles pratiques comme par exemple, le jour anniversaire d’un défunt etc. Le symposion était surtout pratiqué par les aristoi, la classe la plus élevée de la société grecque. On en profitait pour faire bombance entre amis.
Dans le monde juif, il revenait au chef de la famille de prononcer la prière d’ouverture, avant de rompre le pain : « Béni es-Tu, Seigneur, notre Dieu, Roi du monde, qui fais sortir le pain de la terre ». Et sur le vin : « Béni es-Tu, Seigneur, Roi du monde, qui crée le fruit de la vigne ». Ces bénédictions sont importantes pour comprendre la genèse des anaphores eucharistiques. Le repas du sabbat a une grande importance et se termine par un office de louanges. On peut penser également au repas pris par les pharisiens, réunis en petits groupes au cours duquel ils discutaient sur l’application de la Torah dans la vie pratique en respectant aussi les lois de pureté comme le lavage des mains et des plats etc. Dans le traité Pirkè Avot, on lit ceci : « Si trois hommes mangeant à la même table ne parlent pas de paroles de la Torah, c’est comme s’ils mangeaient d’un sacrifice offert aux idoles, ainsi qu’il est dit : Toutes leurs tables sont remplies de mets immondes, car Dieu en est absent. Mais si trois hommes, mangeant à la même table, s’entretiennent de la Torah, c’est comme s’ils mangeaient à la table du Lieu [Temple], dont il est écrit : C’est ici la table qui est devant le Seigneur » (Ez 41, 22)[40].
Dans la règle de la communauté de Qoumrân sur les repas, on dit : « Ensemble ils mangeront et ensemble ils béniront et ensemble ils délibéreront. En tout lieu où il y aura dix hommes du Conseil de la Communauté, que ne manque pas parmi eux un prêtre et chacun, selon son rang, devant lui. Et ainsi leur sera demandé leur avis en toute affaire. Et quand ils prépareront la table pour manger ou le vin doux pour boire, le prêtre étendra la main en premier pour bénir au commencement le pain et le vin doux ». Toutefois, il ne faut jamais oublier que le repas était toujours réservé aux membres de la communauté. Tout autre sera la pratique de Jésus, nous rappelle Édouard Cothenet.
2.1.2. La pratique de Jésus
« Le Fils de l’homme est venu ; il mange et il boit, et l’on dit : “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs.” Mais la sagesse de Dieu a été reconnue juste à travers ce qu’elle fait » (Mt 11, 19).
Les Évangiles ne font pas de réserve là-dessus. Les actions de Jésus ont souvent pour cadre un repas, à tel point ses adversaires le traitent de « glouton et d’ivrogne ». Il a pris de nombreux repas avec ses disciples au cours de sa vie publique. Le premier signe de Jésus raconté par Jean est le signe du vin aux noces de Cana, où l’eau est changée en vin, le vin meilleur de la nouvelle Alliance.
La table de Jésus est ouverte aux pécheurs. Dans la pratique de Jésus, cette parole du prophète Osée trouve écho : « C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice » et Jésus de conclure : « Je suis venu appeler non les justes, mais les pécheurs » (Mt 9, 9-13). C’est tout le contraire de la pratique des pharisiens avec leur attachement aux puretés rituelles. Jésus se laisse toucher par les personnes marginalisées à cause de leur soi-disant « impureté » (Lc 7, 39). Il accueille les pécheurs et mange avec eux. Les repas de Jésus soulignent toujours la joie céleste, la joie du Royaume : « En entendant parler Jésus, un des convives lui dit : « Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu ! » (Lc 14, 15).
De tous les miracles évangéliques, celui du pain partagé bénéficie de la plus forte attestation : deux fois dans Matthieu et dans Marc, une fois en Luc et une en Jean qui en fait le point de départ d’une catéchèse eucharistique[41]. On ne manquera pas de souligner que le miracle du pain partagé renvoie à l’Eucharistie.
En conclusion, le sens donné aux repas par Jésus dans son enseignement prépare à comprendre la portée spécifique de ce dernier repas où Jésus annonce en acte la portée de sa mort imminente et la joie de la nouvelle Alliance[42].
2.1.3. La Cène
Les repas eucharistiques de l’Église font mémoire du « dernier souper », lequel récapitule de nombreux repas pris, au cours de sa vie publique, par Jésus et ses disciples. Ils reposent aussi sur des repas d’après Pâques (voir Lc 24, 30 ; Jn 21, 13 ; Ac 10, 41)[43]. La dernière Cène est transmise par tous les Évangiles synoptiques. On y trouve ce qu’on appelle le « récit de l’institution eucharistique » (Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 15-20).
Le quatrième Évangile, en revanche, possède à cette même place un équivalent : Jésus lave les pieds de ses disciples (Jn 13, 1-20 ; bien avant, il avait offert un long discours sur le pain de vie, voir Jn 6, 22-59)[44]. Dans la même veine, nous ne pouvons pas ne pas souligner 1 Co 11, 23-26 qui nous livre la tradition paulinienne de l’Eucharistie.
La Cène ou le dernier Repas que Jésus a pris avec ses disciples, à la veille de sa passion, a quelque chose de spécial. Le geste qu’il a accompli en cette nuit où il fut livré, était également sans précédent. À la Cène, au cours de la prière de louange et d’action de grâce, en faisant le geste de distribuer le pain et le vin, et en accompagnant ce geste de paroles indiquant le sens qu’il voulait y donner, Jésus a anticipé le don de lui-même qu’il allait faire dans sa mort offerte « pour la multitude », et il y a fait participer ses disciples[45].
La dernière Cène de Jésus est bien le fondement du contenu dogmatique de l’Eucharistie chrétienne, mais non celui de la forme liturgique[46]. C’est au cours de ce repas pris avec ses disciples qu’il a institué l’Eucharistie. La Cène du Seigneur se déroule dans le cadre d’un repas pascal. Les paroles de Jésus sur le pain et le vin s’insèrent dans une prière de louange et de « bénédiction » adressée à Dieu on Père[47]. Le repas pascal pris avec ses disciples est le cadre dans lequel Jésus donne au pain et au vin un sens nouveau en les transformant sans donner d’explication : « Ceci est mon Corps », c’est-à-dire le sera désormais ; « Ceci est mon Sang », c’est-à-dire il donnera toute sa vie. En le faisant, de sa souveraine autorité, il ne cherche pas à faire comprendre une réalité abstraite par une parabole ou des objets concrets ; il préside un repas où les bénédictions rituelles confèrent aux aliments une valeur d’un autre ordre. Cette valeur est d’une ampleur et d’un réalisme inouïs qui lui viennent de la réalité engagée : une mort rédemptrice débouchant par une résurrection sur la vie eschatologique[48].
En bénissant le pain et la coupe et en les partageant, Jésus scelle la nouvelle Alliance dans son Corps et dans son Sang. C’est donc le repas de la nouvelle Alliance : « Prenez, et mangez-en tous, ceci est mon Corps livré pour vous », « Prenez, et buvez-en tous, ceci est mon Sang versé pour vous ». Ce dernier repas de Jésus est à l’origine de la célébration de l’Eucharistie.
2.2. Le témoignage de saint Paul
L’importance de l’Eucharistie est attestée de manière prégnante dans 1 Co 11, 17-34. Saint Paul évoque avec autorité la tradition la plus antique qui lui a légué cette vérité. L’Eucharistie est une merveille qui pourrait paraître incroyable si elle n’était garantie par la transmission fidèle d’un souvenir incontestablement à l’origine[49].
Le témoignage de Paul sur l’origine de l’Eucharistie est à prendre en compte pour deux raisons fondamentales :
1°. La première lettre aux Corinthiens est le texte le plus ancien. La lettre a été rédigée vers l’an 56 ou 57 après de notre ère. Son attestation est antérieure à celle des Évangiles.
2°. Outre cette ancienneté de la lettre rapportant le témoignage, il faut souligner que Paul indique le Christ lui-même comme origine de la tradition qu’il reproduit, pour mettre en vive lumière l’authenticité indubitable de la vérité transmise[50] : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : "Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi". Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : "Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi" » (1 Co 11, 23-25).
La conclusion que Paul tire concernant le sens essentiel du repas eucharistique, venant de la tradition qu’il a reçue mérite notre attention : « Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (v. 26). Les circonstances de ce repas qui eut lieu la nuit où le Christ fut livré et le sens des paroles rapportées concernant le corps donné pour les disciples et le sang versé dans la nouvelle alliance éclairent la portée d’un repas destiné à annoncer la mort du Christ, en vue de sa venue glorieuse[51].
2.2.1. « J’ai reçu du Seigneur »
En disant « J’ai reçu du Seigneur », Paul ne veut pas faire croire qu’il a bénéficié d’une révélation particulière ni que le Christ lui aurait dicté quelque chose personnellement. Il n’a pas reçu une parole particulière ou secrète sur l’Eucharistie. Ce qu’il a reçu, c’est une tradition qui avait son origine dans les gestes et les paroles de Jésus[52]. Il s’agit d’une catéchèse eucharistique qu’il a donnée aux Corinthiens en « ayant conscience que la valeur d’une telle tradition est garantie non pas seulement par des souvenirs mais par l’autorité suprême du Christ qui a institué l’Eucharistie »[53].
La catéchèse eucharistique de Paul ne provient pas d’une simple opinion ni d’une interprétation personnelle, mais de la doctrine qui se transmet dans l’Église. Il remonte au Christ lui-même comme source de l’Eucharistie en recueillant la vérité qui a été attestée par des témoins du dernier Repas (la Cène) et gardée fidèlement par ceux qui ont recueilli leur souvenir[54]. L’Eucharistie est garantie par une tradition authentique, sur les constatations des premiers témoins. L’Eucharistie et la Résurrection du Christ sont les plus attestées dans cette même lettre de Paul aux Corinthiens. Il y a un recours solennel à la tradition pour ces deux mystères. Pour les deux, Paul insiste sur la transmission qui garantit l’authenticité de la foi. Nous pouvons dire que pour Paul, l’Eucharistie est une vérité essentielle, de la plus haute importance, liée à l’accomplissement de l’œuvre du salut[55].
La tradition que Paul met en évidence dans sa catéchèse eucharistique lorsqu’il dit : « J’ai reçu du Seigneur » est reçue directement du Seigneur, car ce sont les paroles et l’action du Christ qui ont constitué l’Eucharistie lors de la Cène, avec l’invitation formelle à reproduire le mystère célébré pour la première fois la veille du drame rédempteur : « Faites ceci en mémoire de moi »[56].
La tradition reçue du Seigneur est à la fois une transmission de souvenirs garantie par les témoins et une transmission de volonté du Christ qui continue à conduire l’Église en l’associant à son Mystère pascal dans le mystère eucharistique. Une telle tradition assure la présence active du Christ en chaque célébration eucharistique. L’Eucharistie est avant tout une action du Christ dans l’intégralité de son pouvoir sauveur.
2.2.2. « Faites ceci en mémoire de moi »
L’Eucharistie n’est pas une invention humaine. Elle vient de cet ordre du Christ lui-même qui a dit, après la consécration du pain et du vin lors de la Cène : « Faites ceci en mémoire de moi ». L’Église, dans la tradition qu’elle a reçue, ne fait qu’obéir au Christ lui-même quand elle célèbre l’Eucharistie. L’Eucharistie est réitérable selon le pouvoir sauveur du Christ.
La liturgie chrétienne retient, et avec raison, les gestes consécratoires de Jésus et sur le pain et sur la coupe avant de dire les paroles : « Faites ceci en mémoire de moi » pour actualiser la mémoire du Christ selon son désir. L’Église ne reproduit pas le repas de l’agneau, mais retient la double consécration du pain et du vin. En disant « Faites ceci en mémoire de moi », Jésus ordonne de réitérer son geste dans son ensemble : manger et boire, reprendre les gestes et les paroles sur le pain et sur la coupe. Mais avec une nouveauté : la personnalisation : « en mémoire de moi ». L’Eucharistie est en rapport direct avec la personne de Jésus dans son acte libérateur pour le salut de l’humanité.
2.2.3. Mémorial[57]
En disant : « Faites ceci en mémoire de moi », Jésus ne désirait pas seulement qu’on se souvienne de lui. Il voulait faire de l’Eucharistie un mémorial. Ce qui fait le mémorial, c’est sa qualité objective. Il ne consiste pas simplement dans une mémoire subjective, dans un souvenir qui n’a de réalité que dans la pensée. Il est de la manifestation extérieure, institutionnelle, de la mémoire ; il est souvenir qui s’inscrit définitivement dans l’histoire, pour donner un caractère perpétuel à l’événement qui doit être commémoré.
Le repas pascal était un mémorial, une institution qui, chaque année, rappelait la libération accordée par Dieu à son peuple. Ce mémorial comportait la garantie que l’exode, événement du passé, reviendrait à la mémoire des juifs et renforcerait son attachement au Dieu libérateur.
Par l’Eucharistie, Jésus a voulu un nouveau mémorial. En transformant le repas pascal en repas eucharistique, il a institué un mémorial qui perpétuellement reproduirait ce qui a eu lieu lors de la dernière Cène[58]. Le mémorial eucharistique renvoie au Christ qui agit, s’offre et se donne. Le mémorial eucharistique ravive en fait le souvenir de la dernière Cène, et porte à l’admiration de l’invention divine qui s’y est manifestée pour faire entrer profondément l’humanité dans le mystère de l’incarnation rédemptrice. Il suscite un attachement plus puissant à la personne du Christ[59].
2.3. Le témoignage des Évangiles synoptiques
Paul n’est pas le seul à témoigner de l’institution de l’Eucharistie. Les évangiles synoptiques rapportent que lors de la dernière Cène, le Christ a institué l’Eucharistie. Ces quatre récits de l’institution de l’Eucharistie ne présentent que de légères différences dans leur manière de raconter l’événement et de rapporter les paroles de Jésus.
Il y a donc lieu de parler de coïncidence. « Cette coïncidence ne provient pas de l’influence de Paul, car même si celui-ci est chronologiquement plus ancien dans sa rédaction et sa diffusion, les récits de Marc et de Matthieu ont une forme sémitique qui apparaît comme plus primitive »[60]. Nous pouvons admettre qu’il y a deux formes du récit de l’institution qui se sont constituées indépendamment l’une de l’autre : d’une part la forme relatée par Marc et suivie par Matthieu ; d’autre part la forme recueillie par Paul qui a influencé le récit de Luc[61]. La version de Marc et de Matthieu semble plus proche de l’original, plus littéralement fidèle aux paroles prononcées par Jésus lors de la dernière Cène à cause de son aspect sémitique[62]. Celle de Paul est le résultat d’une sorte d’adaptation au langage ou à la culture du milieu grec. Elle comporte notamment un ordre de réitération, qui n’a pu être mentionné que parce qu’il provenait de Jésus lui-même. Cet ordre n’a pas été repris dans Marc et Matthieu, probablement parce que dans cette tradition on considérait que cet ordre allait de soi : on ne pouvait célébrer l’Eucharistie qu’en refaisant ce qu’avait fait le Christ lors de la dernière Cène. Il reste que sur ce point la tradition relatée par Paul est plus complète, plus intégralement fidèle à l’événement et aux paroles prononcées par Jésus.
Ce qu’il faut retenir, ce n’est pas la justification de telle ou telle version, telle ou telle forme, mais comment les quatre récits nous livrent une clef pou retrouver l’origine authentique de l’Eucharistie. Chacun des récits a sa valeur propre. Ils montrent réellement que l’Eucharistie trouve son originalité dans la dernière Cène du Seigneur.
2.3.1. Version de Marc (14, 22-25) et de Matthieu (26, 26-29)[63]
En Marc et en Matthieu, les récits de l’institution de l’Eucharistie sont fort semblables. Chez Matthieu, on observe quelques légères amplifications par rapport à Marc, mais l’essentiel du récit est le même.
2.3.1.1. « Mon sang, sans de l’Alliance »
Dans la version de Marc et de Matthieu, on trouve un invitation à manger : « Prenez » (Mc), « Prenez, mangez » (Mt). Cette invitation n’est pas présente dans les récits de Paul et de Luc, mais elle correspond certainement à l’intention de Jésus, car lorsqu’il a pris le pain en disant : « Ceci est ma chair », il voulait donner son propre corps en nourriture. Même au cas où cette parole d’invitation n’aurait pas été prononcée telle qu’elle nous est rapportée, elle est néanmoins impliquée dans les mots et le geste de la consécration, qui visaient à livrer la chair du Christ en authentique repas spirituel.
Dans le récit de Marc, l’invitation n’est pas répétée pour la coupe, mais le récit de Matthieu comporte les mots : « Buvez-en tous ». L’accent est mis sur la participation universelle. Dans le contexte de la dernière Cène, l’invitation est adressée à tous les disciples, et dans le contexte subséquent des célébrations eucharistiques, elle est adressée à tous les croyants, à tous les fidèles présents. Ce caractère universel de l’invitation s’accorde avec cette parole de Jésus : « le sang de l’Alliance, versé pour la multitude », c’est-à-dire pour tous les hommes. Cela nous porte à comprendre que tous les hommes sont invités à prendre part au repas eucharistique où son sang est donné en breuvage. Participer au repas eucharistique est l’initiative même du Christ. L’invite est du côté de Celui qui organise le banquet eucharistique et qui, en même temps, engage tous les hommes à en bénéficier : « Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi. Beati qui ad cenam Agni vocati sunt » proclame la liturgie.
2.3.1.2. Sang versé pour la multitude
Dans la version de Paul, nous avons une affirmation de sang, tandis que dans celle de Marc et de Matthieu, il s’agit de l’offrande du sang en sacrifice avec précision.
Le sang du Christ est versé « pour beaucoup », « pour la multitude », c’est-à-dire pour l’humanité entière. L’alliance s’opère par le sacrifice : le mystère de l’Incarnation, en lui-même, n’aurait pas suffi. L’alliance, en raison des péchés de l’humanité, prend un caractère de réconciliation, avec un aspect essentiel d’expiation, dont le sang versé constitue l’image suggestive. Le sang du Fils obtient, par son effusion, et plus spécifiquement par la gratuité de l’amour qui inspire l’offrande, le salut de la « multitude », de toute l’humanité. Outre l’efficacité du sacrifice pour tous les hommes, il y a donc une efficacité du repas pour ceux et celles qui prennent part à l’Eucharistie. Boire le sang du Christ, c’est entrer dans le mystère du sacrifice rédempteur par une union plus intime avec le Sauveur.
2.3.1.3. L’Alliance
Dans la formule de consécration du vin, Jésus a-t-il parlé d’alliance ou de nouvelle alliance ? Dans la version de Marc et de Matthieu, Jésus appelle son sang, le sang de l’alliance, tandis que dans celle de Paul et de Luc, il déclare que la coupe est la nouvelle alliance en son sang. La différence peut paraître peu importante ou peu significative. Néanmoins, elle nous aide à mieux saisir quelle a été la pensée du Christ au moment de l’institution de l’Eucharistie.
La simplicité, une des propriétés les plus caractéristiques du langage de Jésus, nous porte à considérer le terme « alliance ». Il semblerait que l’expression « la nouvelle alliance » est un ajout des premiers chrétiens pour marquer la distance entre l’alliance juive et l’alliance chrétienne. Nous pouvons nous fier davantage à la version de Marc et de Matthieu mentionnant simplement « l’alliance » à cause de son origine plus archaïque.
En se servant de ce mot sans lui donner aucune qualification, Jésus voulait signifier que lui-même était l’alliance la plus authentique[64]. La seule alliance réelle est Jésus lui-même. Les alliances rapportées dans l’Ancien Testament ne sont que des figures de l’alliance unique et définitive que Dieu voulait sceller entre lui et l’humanité.
Comme le précisent certains théologiens, « ce qui ont attribué à Jésus l’identification avec la nouvelle alliance ont pu exprimer par là ce qui était impliqué dans la succession chronologique, en opposant l’alliance nouvelle à l’ancienne. Ou encore, ils ont pu appliquer à Jésus l’instauration d’une "nouvelle Alliance" » selon la prophétie de Jérémie (cf. 31, 31)[65]. L’expression « la nouvelle alliance » possède un sens légitime, car de toute manière, même en se contentant de parler de l’alliance, Jésus attendait une alliance nouvelle, qui apportait un nouveau régime de grâce à l’humanité, déduisent ces mêmes théologiens. Néanmoins, l’expression « alliance » paraissait la plus adéquate, et la plus riche de sens pour Jésus. Car il ne mettait pas en évidence, dans le don de sa vie, non pas l’écoulement de l’histoire ou de périodes qui se succèdent, mais sur la totalité de la vie de l’humanité.
Les alliances de toutes les époques se résument en une seule : Jésus lui-même, car lui seul unit l’humanité au Père et fait profiter de la bonté miséricordieuse du Père à tous ceux qui ont besoin de son pardon. En réalité, c’est comme alliance perpétuelle que son sang est donné dans toutes les eucharisties célébrées à travers le monde.
La liturgie, en utilisant l’expression « Alliance nouvelle et éternelle » met en lumière ce que Jésus a voulu dire par le seul mot « alliance ». La nouveauté de cette alliance se trouve en Jésus lui-même puisqu’elle s’identifie à Lui. Cela dit, elle est nettement distincte de celle instaurée dans la religion juive qui n’avait qu’une valeur de préparation et de préfiguration. Elle est nouvelle de par l’Incarnation rédemptrice dans laquelle la nouveauté même de Dieu s’est révélée.
L’alliance est éternelle, parce qu’elle est non seulement destinée à demeurer sans fin et à régir tout l’avenir de l’humanité, mais parce qu’elle rejaillit aussi sur tout le passé en vertu même de l’éternité divine ; elle est le point alpha et le point oméga de l’histoire humaine. Le Christ rédempteur fait entrer tous les hommes dans l’éternité céleste, qui débordera sans limites la fin du monde. Par la communion au sang du Christ, l’Eucharistie fait pénétrer dans la vie humaine l’alliance nouvelle et éternelle. C’est l’unique alliance qui fixe définitivement le sort de la destinée humaine à son niveau le plus élevé[66].
2.3.1.4. « En rémission des péchés »
« En rémission des péchés » (26-28). C’est une expression propre à Matthieu qu’on trouve dans la formule de la consécration du vin. Elle indique plus clairement le but de ces mots de Jésus : « Car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude ». Il s’agit d’un sacrifice expiatoire, c’est-à-dire d’un sacrifice offert pour obtenir le pardon des péchés. À la différence des sacrifices expiatoires de l’Ancien Testament, celui de Jésus est unique, il n’est point question du sang des animaux, il verse son propre sang. Jésus fait ce qu’il dit : effectivement, il donne sa vie, il s’offre véritablement par amour pour expier le péché de l’humanité. Son sang versé par amour devient source de vie et de pardon. Le sang de Jésus sauve le monde et le réconcilie avec Dieu.
Le sacrifice expiatoire de Jésus revêt donc d’une grandeur surprenante, et il fait notamment comprendre la gravité du péché dans l’humanité. C’est en effet ce péché qui, par la libre décision de la souveraineté divine, a entrainé l’offrande du sacrifice[67]. Une question surgit alors : Jésus a-t-il vraiment prononcé ces mots ? Si oui, ne laisserait-il pas libre coup de penser que le seul but de son sacrifice est la rémission des péchés, alors que le but était plus large ? Car par le don de sa vie, librement, il voulait obtenir pour les hommes le don de la vie divine. Il l’a dit lui-même : « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance » (Jn 10, 10).
Ce qui est certain, néanmoins, c’est que le sacrifice du calvaire était destiné à communiquer cette vie plus abondante en procurant la rémission des péchés[68]. L’expression matthéenne exprime une vérité essentielle, la victoire remportée par le Christ sur les puissances du Mal : « Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat » chantons-nous dans la liturgie pascale. Elle rappelle que le monde est un monde pécheur, mais qu’il a été sauvé. La croix devient la Cène en acte. Son sacrifice expiatoire montre qu’il est réellement médiateur en sa personne offerte. Chaque eucharistie célébrée et vécue fait rentrer de plus forte dans cette compréhension de la victoire Christ sur le Mal et sur le péché.
2.3.2. Version de Luc (22, 19-20)
2.3.2.1. Les paroles de l’institution
Malgré l’originalité de Luc, sa version de l’institution de l’Eucharistie est beaucoup plus près de celle de Paul. Les deux ont en commun l’ordre de réitération. Mais la version de Luc souligne davantage l’intention du sacrifice. Dans la consécration du pain, la brève formule de Paul : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » est remplacée par : « Ceci est mon corps, donné pour vous ». On ne peut en aucun cas nier que Jésus se soit exprimé comme le rapporte Paul, en se bornant à dire « pour vous » ou encore en parallèle avec la formule employée pour le vin, en disant « pour beaucoup ». L’expression « pour vous » semble en effet une application particulière, à l’intention de la communauté présente, de la formule plus générale : « pour beaucoup ». Luc insiste sur la reconnaissance de la générosité du don dans le sacrifice offert pour la multitude. Le corps est « donné », non pas d’abord donné en nourriture, mais donné en offrande au bénéfice de tous[69].
Dans la consécration de la coupe aussi, alors que Paul se contente de la qualifier comme « nouvelle Alliance en mon sang », Luc ajoute « versé pour vous ». Il complète en ce sens la formule trop brève de Paul. Cependant, nous devons tenir l’ajout paulinien et la nuance lucanienne ensemble. Les deux nous permettent de conclure que Jésus évoquerait le don de sa vie jusqu’à la mort, en sacrifice personnel tel qu’il l’a exprimé à maintes reprises : « Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). Donner « son corps » dans le langage biblique, c’est se donner tout entier, pas seulement physique comme dans les langues modernes. Mais aussi donner « son corps », c’est accepter de mourir. Ainsi, la version de Luc nous converge sur le don radical que Jésus fait de sa personne pour la vie de la multitude[70].
2.3.2.2. L’encadrement eschatologique
Il n’est pas facile d’interpréter le texte de Luc à cause des deux autres déclarations concernant la Cène pascale qui y sont rapportées avant les paroles de l’institution de l’Eucharistie. « Quand l’heure fut venue, Jésus prit place à table, et les Apôtres avec lui. Il leur dit : "J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu" » (Lc 22, 14-16).
« Alors, ayant reçu une coupe et rendu grâce, il dit : "Prenez ceci et partagez entre vous. Car je vous le déclare : désormais, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu" » (Lc 22, 17-18).
Comment comprendre les deux déclarations, et comment préciser leur lien avec l’institution de l’Eucharistie ? On peut admettre qu’elles forment l’encadrement eschatologique du repas pascal[71]. La première déclaration a été prononcée au début du repas, et la seconde en conclusion semble-t-il. Selon la version lucanienne, les deux déclarations se situent avant le récit de l’institution, car elles sont en étroite connexion l’une avec l’autre, bien que l’une précède l’institution et que l’autre la suive[72].
Ainsi, « Lc 22, 14-18 est placé doublement sous le signe de la mort et Jésus en donne deux fois la raison : la Pâque prochaine, il la prendra au banquet eschatologique, dans le royaume de Dieu où ce qu’elle signifie – la libération – sera accompli. Et de même pour le vin. Il va dans le même mouvement triompher de la mort puisqu’il s’inclut parmi les convives du banquet eschatologique »[73].
Tirons quelques conclusions. Dans l’entre-deux (entre la Cène et la parousie), l’Eucharistie représente une réalité consistante. Elle est le corps donné pour nous, un don reçu et tenu entre les mains. Il s’agit de prendre ce qui est tout autre chose qu’une nourriture symbolique. Il se donne lui-même. Il y a un désir personnel de Jésus d’instaurer l’Eucharistie. « L’expression sémitique : "J’ai désiré d’un grand désir" (Lc 22, 15) signifie un désir profond, qui engage toute la personne. Ce sont les êtres humains qui ont besoin du repas eucharistique, mais c’est le Christ qui, plus encore qu’eux, en éprouve le désir. L’énoncé de ce désir est destiné à éveiller notre propre désir. Il y a là, implicitement, une interrogation adressée à tous les chrétiens sur le désir de participer à l’eucharistie, et sur le désir de communier »[74]. Luc insiste sur la réalité présente du don reçu qu’on peut précisément recevoir de nouveau, chaque fois que l’on refait le geste, tant que le Seigneur n’est pas venu. Nous sommes désormais dans une économie nouvelle, un régime nouveau. Ici l’Eucharistie a pris sa consistance permanente. Il y a une communauté qui vit en permanence de ce repas. Contrairement à Marc, Luc met l’emphase sur le temps et y donne consistance qui va de Jésus à la Parousie. C’est le temps de l’Église, le temps de la présence du Seigneur au monde, le temps de l’Esprit Saint. Le lien de l’Eucharistie avec la venue du Royaume est bien mis en évidence par la version de Luc. Comme a dit Alfred Loisy, « Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue »[75]. Le développement de l’Église est porte d’accès au Royaume céleste. Dans cette dynamique, « l’Église s’inscrit à la suite de Jésus non pour s’identifier au Royaume, mais afin d’en poursuivre l’annonce »[76]. C’est bien dans cette ligne aussi qu’on peut dire que « l’Eucharistie fait l’Église et l’Église fait l’Eucharistie » selon la belle formule de De Lubac.
1.1.1. Le témoignage de Jean
L’Évangile de Jean ne rapporte pas le récit de l’institution de l’Eucharistie. Pourquoi ce silence, alors que les autres évangélistes et même Paul en parlent ? Pour trouver la raison de ce silence, il faut peut-être chercher à comprendre l’intention de l’évangéliste. Il semble que Jean voulait compléter les informations données par les autres évangiles sur le récit de l’institution eucharistique. Par ce silence également, Jean atteste ce que racontent les autres à ce sujet. Le rite eucharistique tel que raconté par les autres évangélistes est connu et pratiqué dans la communauté johannique.
L’Évangile de Jean fournit deux additions essentielles aux renseignements des autres évangiles sur le récit de l’institution de l’Eucharistie. Premièrement, il relate la première annonce de l’Eucharistie, faite dans la synagogue de Capharnaüm à la suite du miracle de la multiplication des pains[77]. Relevons quelques harmoniques dans sa façon de décrire le miracle en mentionnant : (1) « Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce » (Jn 6, 11). Cela faisait entrevoir la prière qui allait donner son nom à l’Eucharistie ; (2) « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et sin vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (53-54). Dans les versets 26-58, il tient à révéler le sens du miracle et montre que Jésus manifeste son intention de donner sa chair en nourriture et son sang en boisson pour que ceux qui en prennent, aient la vie éternelle. Ce repas est donc nécessaire pour avoir la vie éternelle ; (3) « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel… » (6, 51). Le rapport entre l’Incarnation et l’Eucharistie est vivement souligné ; (4) Le sacrifice est impliqué dans ce repas par les mots : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde » (6, 51). « Il y a là une déclaration fort proche de la formule de consécration du pain, car « c’est ma chair, donnée pour la vie du monde » est plus ou moins l’équivalent de « ceci est mon corps livré pour vous »[78].
Selon l’idée johannique, la promesse de l’Eucharistie contenait donc déjà tout ce qui allait se réaliser dans l’institution : on comprend mieux par là que Jean n’ait pas jugé nécessaire de reproduire le récit de l’institution, récit que les chrétiens ne cessaient d’entendre dans la liturgie[79].
Il faut souligner également le geste du lavement des pieds relaté par Jean et les paroles que Jésus a prononcées en commentaire du repas eucharistique. La doctrine eucharistique de Jean se base sur l’amour, le repas pris par Jésus se place sous le signe de l’agapè. La prière qui termine cet enseignement illumine l’élan d’offrande et d’action de grâces qui caractérise l’Eucharistie (Jn 17, 1-26)[80]. En tout cas, Jean est l’évangéliste qui a merveilleusement mis en lumière l’Eucharistie comme mystère de l’éternité divine qui pénètre dans le milieu humain. L’Eucharistie nous métamorphose. En ce sens, Emmanuel a raison de dire : « L’incorporation trinitaire de l’homme en Dieu, produite par sa transformation dans le Verbe métamorphosé, rejoint ainsi un autre mystère du corps à corps dont le chrétien reçoit ici-bas le viatique : l’eucharistie »[81].
CHAPITRE III
VALEUR ET IMPORTANCE DE L’EUCHARISTIE
Valeur du pain rompu
C’est toi, Maître tout-puissant qui a créé l’univers à la louange de ton nom. Tu as donné aux hommes la nourriture et le breuvage en jouissance, afin qu’ils te rendent grâce. Mais, nous, tu nous as gratifiés d’une nourriture et d’un breuvage spirituels et de la vie éternelle par ton Serviteur Jésus.
Comme ce pain rompu, autrefois disséminé sur les montagnes, a été recueilli pour n’en faire plus qu’un, rassemble ainsi ton Église des extrémités de la terre dans ton Royaume… Souviens-toi de la délivrer de tout mal et de la parfaire dans ton amour. À toi est la puissance et la gloire dans les siècles !
La Didachè.
Ou « Doctrine des Douze Apôtres ».
Livre pour la formation des fidèles,
très connu dans les premiers siècles. IIe s.
3.1. Une œuvre d’amour, une invention divine
L’Eucharistie est la plus surprenante invention divine. Elle manifeste la génialité d’une sagesse qui est en même temps folie d’amour[1]. Centre de toute la vie chrétienne, elle « constitue un sommet de mystère où, de la manière la plus simple, l’accomplissement du dessein divin a surpassé de loin tout ce que l’on attendait »[2]. Assurément, elle est un don en notre faveur, et même en faveur de toute l’humanité (cf. Mt 26, 28 etc.), mais c’est avant tout un don au Père[3].
L’Eucharistie « procure à l’humanité, dans le régime de la foi, en un don définitif qui marquera le cheminement de l’Église jusqu’à la fin du monde, ce qui fut acquis une fois pour toutes par l’œuvre rédemptrice »[4]. Comme l’a précisé le Pape Jean-Paul II, elle « apparaît comme le sommet de tous les sacrements, car elle porte à sa perfection la communion avec le Père, grâce à l’identification au Fils unique par l’action du Saint-Esprit »[5]. On peut comprendre sa valeur et son importance dans la vie de l’Église. Elle n’est pas un sacrement simplement parmi les autres. Elle fait partie du septénaire et appartient certes à l’économie sacramentelle, mais ne peut reléguer dans l’ombre la valeur du baptême, de la confirmation, du pardon sacramentel[6]. Toutefois, elle possède une excellence unique, car non seulement elle est le sacrement qui donne la grâce, mais aussi elle est l’auteur de la grâce. Par elle, la personne du Christ se révèle de la façon la plus proche et actuelle[7]. L’Amour est don tout entier ; il est présence et nourriture : tout cela est dans l’Eucharistie comme la plus surprenante invention divine. Seul Dieu est capable de montrer son amour d’une telle manière. L’Eucharistie est donc un signe privilégié voulu par le Jésus lui-même pour perpétuer son amour et son acte salvifique dans son Église pour le salut de toute l’humanité.
3.2. L’Eucharistie et l’œuvre du salut
3.2.1. Eucharistie et Incarnation
On ne peut jamais séparer l’Eucharistie de l’Incarnation. En elle, nous saisissons plus concrètement la signification et la valeur de l’Incarnation. Elle donne une nouvelle actualité à l’Incarnation[8]. L’Eucharistie nous replace dans la réalité même de l’Incarnation, réalité assumée par le Fils de Dieu comme sa propre réalité. Le geste par lequel Celui qui était Dieu est descendu du ciel pour devenir homme et mener une vie humaine semblable à la nôtre se reproduit dans l’Eucharistie[9].
Le Verbe fait chair est Celui qui se donne en nourriture après avoir traversé ce qui traverse l’homme dans son être. Il est le Verbe fait chair (cf. Jn 1, 14) qui par la suite, selon les mots de l’évangéliste Jean, dans le discours sur le pain de vie annonçant l’Eucharistie, dit : « Le pain que je vous donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6, 51). C’est le même mot qui est utilisé pour désigner l’Incarnation et l’Eucharistie. Le mot « chair » est originairement sémitique. Donc il est probable qu’il ait été prononcé par Jésus lors de la dernière Cène, ensuite traduit en grec par le mot « corps ». Ainsi, la « chair » est à l’origine du mot « Incarnation » et suggère en même temps un lien étroit entre le mystère de la venue du Fils de Dieu sur la terre et le mystère de l’Eucharistie[10].
Nous admettons véritablement que « l’eucharistie confère à l’incarnation une ampleur que ne pouvait posséder le simple fait de la venue du Christ dans le cadre de son existence terrestre. Elle permet à chair du Fils de Dieu d’exercer un rayonnement sur tous ceux qui dans leur chair humaine sont appelés à partager la filiation divine et à vivre en enfants du Père. Elle élargit au maximum la capacité transformatrice de la chair du Christ telle qu’elle droit s’exercer dans le développement universel de la grâce en chaque existence humaine »[11].
3.2.2. Eucharistie et sacrifice rédempteur
Par leur participation à la croix du Seigneur, les fidèles sont constamment appelés à se renouveler. Cela ne veut pas dire que le sacrifice est renouvelé. Comme l’a souligné Bernard Sesboüé, « il faut dire re-présenter au sens fort de rendre présent, ou actualiser, toujours au sens où l’unique sacrifice nous rejoint dans notre actualité. Il doit être bien entendu que cette re-présentation ou actualisation est de forme sacramentelle, c’est-à-dire qu’elle se fait à travers des signes. Un de ces signes est la séparation des oblats, pain rompu et vin versé, qui deviennent corps livré et sang répandu. Ce sont des symboles vrais : il ne faut pas chercher à y voir une immolation réelle. La re-présentation est le terme employé par le concile de Trente :
Lui, notre Dieu et Seigneur allait s’offrir lui-même une fois pour toutes à Dieu le Père sur l’autel de la croix par sa mort, afin de réaliser pour eux une rédemption éternelle. Cependant, […] lors de la dernière Cène, la nuit où il fut livré, il voulut laisser à l’Église, son épouse bien aimée, un sacrifice qui soit visible [ ]. Par là serait représenté le sacrifice sanglant qui devait s’accomplir une fois pour toutes sur la croix. [...] Il offrit à Dieu le Père son corps et son sang sous les espèces du pain et du vin ; sous le Symbole (symbolis) de celles-ci, il les donna aux apôtres [ ] pour qu’ils les prennent ; et à ceux-ci ainsi qu'à leurs successeurs dans le sacerdoce, il ordonna de les offrir en prononçant ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc 22,190 ; 1 Corinthiens 11,24) (Concile de Trente, 22e session, ch. 1)[12].
En même temps que l’Incarnation, l’Eucharistie reproduit sacramentellement l’offrande rédemptrice[13]. Dans le texte johannique (cf. Jn 6, 51), la chair du Christ est « donnée pour la vie du monde ». Elle est offerte en sacrifice pour que le monde obtienne cette vie nouvelle. L’Eucharistie doit être comprise dans cet engagement. C’est par son incarnation et le don de sa vie que le Christ sauve le monde. L’Eucharistie est un sacrifice au sens propre et singulier parce qu’elle re-présente (au sens de « rendre présent »), dans l’aujourd'hui de la célébration liturgique de l’Église, l’unique sacrifice de notre rédemption. Elle en est le mémorial dont elle applique les fruits. Centrée sur l’amour, l’Eucharistie est un « pro nobis » et un « pro multis ». Le sacrifice du Christ est offert pour toute l’humanité. Le Christ a voulu, par son sacrifice, procurer à toute l’humanité la vie nouvelle qui émane de lui-même. Ainsi, « lors de la dernière Cène, le but de Jésus ne consistait pas seulement à donner aux disciples sa chair à manger et son sang à boire, mais à les leur donner comme fruit du sacrifice dont le bénéfice devait s’étendre à tous les hommes »[14]. Alors, « dans chaque célébration eucharistique se renouvelle sacramentellement ce sacrifice. Les paroles de la consécration font ressurgir mystiquement l’offrande pour qu’elle puisse bénéficier plus amplement à l’humanité. Sans doute cette offrande n’est-elle plus accomplie comme autrefois dans le versement du sang du Christ ; elle ne s’opère que par un rite sacramentel. Cependant, elle est intégrale dans sa générosité spirituelle. Toute l’offrande personnelle du Sauveur, avec la totalité de son sacrifice, s’exprime dans l’offrande eucharistique »[15].
Le sacrifice du Christ et le sacrifice de l’Eucharistie, précise le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) sont un unique sacrifice : « C’est une seule et même victime, c’est le même qui offre maintenant par le ministère des prêtres, qui s’est offert Lui-même alors sur la Croix. Seule la manière d’offrir » (n° 1367).
3.3. L’Eucharistie et la transformation de l’humanité
L’Eucharistie, disons-le, est un don si grand. Par elle, se manifeste la visée fondamentale du mystère de la grâce[16]. Nous entendons ici par « grâce » « le don divin, don qui se distingue par sa gratuité »[17]. Ainsi pouvons-nous comprendre que l’Eucharistie est le don de Dieu pour la vie du monde. Elle est « le don de que Jésus Christ fait de lui-même, nous révélant l’amour infini de Dieu pour l’homme »[18]. Par elle, nous trouvons grâce et nous rendons grâce. C’est plus précisément dans la célébration de l’Eucharistie que nous pouvons découvrir et vivre le primat de la grâce divine.
Le mystère eucharistique montre avec plus d’évidence que toute la nouvelle vie accordée aux hommes provient du Christ, étant la vie même du Fils de Dieu qui se communique à tous[19]. En ce sens, « le don que fait le Christ de son amour et de son obéissance jusqu’au terme de sa vie (cf. Jn 10, 17-18) est en premier lieu un don à son Père. C’est assurément un don en notre faveur, et même en faveur de toute l’humanité (cf. Mt 26, 28, ect.), mais c’est avant tout un don au Père »[20]. Le Christ est la seule source par laquelle la vie divine parvient à l’humanité. Et l’Eucharistie est la voie par excellence de la diffusion de la grâce et elle est la condition du développement de la vie chrétienne. Puisqu’elle est « le sacrement où se donne non seulement la grâce mais l’auteur de la grâce ; elle a un lien exceptionnel avec toute la vie de grâce »[21]. Elle est de fait, « source de la grâce pour les autres sacrements »[22]. Car tous les autres sacrements sont liés et ordonnés à elle[23]. Comme le précise le Pape Benoît XVI en reprenant Presbyterorum ordinisn° 5, « la très sainte Eucharistie contient en effet l’ensemble des biens spirituels de l’Église, à savoir le Christ lui-même, notre Pâque, le pain vivant, qui par sa Chair, vivifiée et vivifiante par l’Esprit Saint, procure la vie aux hommes, et les invite et les conduit à s’offrir eux-mêmes, à offrir leurs travaux et toutes les choses créées, en union avec lui »[24]. L’Eucharistie est la source et le sommet de toute l’action de grâce de l’Église. Elle est le lieu privilégié dans lequel nous retrouvons la grâce divine, le lieu privilégié où nous rendons grâce à Dieu.
Cependant, il faut reconnaître que seul le Christ est source, et il ne l’est pas uniquement par l’Eucharistie[25]. L’Eucharistie n’est pas l’unique canal où coulent tous les flots de la grâce. Mais elle donne la présence du Christ, qui, lui, est maître souverain de l’effusion de la grâce[26]. Le Christ a choisi l’Eucharistie comme moyen privilégié pour pénétrer dans toute la profondeur de la vie humaine et transformer cette vie humaine en vie divine[27]. Puisqu’elle est le gage de la résurrection finale, l’Eucharistie transforme et fait devenir le chrétien ce corps qui n’est pas lui : Le Corps du Christ – Amen. Cela demande un certain lâcher prise de sa part. Le chrétien, en recevant la communion, ne fait pas venir le Christ en lui, mais le Christ le fait venir à lui pour le métamorphoser avec lui dans le mystère de l’Eucharistie. C’est la garantie de la résurrection. Saint Ambroise (IVe s.), a raison de dire : « Ce n’est pas sans raison que tu dis Amen, reconnaissant dans ton esprit que tu reçois le Corps du Christ. Quand tu te présentes, le prêtre te dit : Corpus Christi, et toi tu dis : Amen – C’est vrai ! Ce que confesse la langue, que la conviction le garde ». Le chrétien croit que c’est le Christ qui vient à lui pour lui donner la vie, le ressusciter. Du coup, il comprend que « la résurrection n’est pas rétrécissement de notre corporéité, mais élargissement et transformation de nos limites par l’extension de notre corps aux dimensions de la corporéité divine. Là où nous voulions le moins – la présence de Dieu en nous –, le Fils ressuscité nous donne donc le plus : la transformation de nous en Dieu » : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père ».
3.3.2. Eucharistie et Église
Il n’y a pas d’Église sans Eucharistie. Elles sont toutes les deux (Eucharistie et Église), mystère d’Alliance. Par le mot « Alliance », on veut mettre en exergue la dimension ecclésiale et nuptiale du don de l’Eucharistie, don par lequel le Seigneur veut atteindre tous les hommes. L’Eucharistie est le pain vivant donné pour la vie du monde et aussi le sang de l’Alliance versé pour le pardon des péchés de tous les hommes. L’Eucharistie fait grandir l’Église comme rassemblement que le Christ opère par son Esprit en rassemblant une communauté qui vit de sa vie divine. « L’Eucharistie, disait Jean-Paul II, construit l’Église et elle la construit comme une communauté authentique du peuple de Dieu, comme assemblée des fidèles, marquée par ce caractère d’unité auquel participèrent les Apôtres et les premiers disciples du Seigneur. L’Eucharistie construit toujours de nouveau cette communauté et cette unité ; elle la construit et la régénère toujours à partir du sacrifice du Christ, parce qu’elle commémore sa mort sur la croix, qui a été le prix dont il nous a rachetés » (Redemptor hominis, n° 20). L’Eucharistie et l’Église sont un même mystère car elles procèdent d’un même désir, d’une même volonté du Fils : se donner à voir et à entendre aujourd’hui dans le monde[28].
L’Eucharistie de l’Église nous fait découvrir et vivre l’amour du Christ pour nous, cet amour qui nous nourrit. Le Christ est notre Pélican[29]. L’Eucharistie est constitutive et l’être et de l’agir de l’Église (Sacramentum Caritatis, n° 15). Elle est par excellence le sacrement de l’unité de l’Église : « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au Corps et au Sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps » (PE II) ou « …Quand nous serons nourris de son Corps et de son Sang, et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ » (PE III)[30].
Ainsi, « l’Église a reçu l’Eucharistie du Christ son Seigneur non comme un don, pour précieux qu’il soit parmi bien d’autres, mais comme le don par excellence, car il est don de lui-même, de sa personne dans sa sainte humanité, et de son œuvre de salut » (EE, n° 11). L’Eucharistie est aussi la plus grande manifestation de l’Église. C’est à travers elle qu’on découvre et vit le mieux le mystère et la communion de l’Église. 1. De la communion hiérarchique d’abord, fondée sur la reconnaissance des différents rôles et ministères : « Souviens-toi, Seigneur, de ton Église répandue à travers le monde : fais-la grandir dans ta charité, en union avec notre pape N., notre évêque N., et tous les évêques, les prêtres et les diacres »[31]. 2. De la communion fraternelle ensuite impliquant « une spiritualité de communion » qui nous pousse à une vie chrétienne authentique (dimension éthique de notre participation à l’Eucharistie. Cela nous amène « à des sentiments d’ouverture réciproque, d’affection, de compréhension et de pardon » (Mane nobiscum Domine, n° 21).
L’Eucharistie est le Christ qui se donne à nous, en nous édifiant continuellement comme son corps Par conséquent, dans la relation circulaire suggestive entre l'Eucharistie qui édifie l'Église et l'Église elle-même qui fait l'Eucharistie, (33) la causalité première est celle qui est exprimée dans la première formule: l'Église peut célébrer et adorer le mystère du Christ présent dans l'Eucharistie justement parce que le Christ lui-même s'est donné en premier à elle dans le Sacrifice de la croix. La possibilité, pour l'Église, de « faire » l'Eucharistie est complètement enracinée dans l'offrande que le Christ lui a faite de lui-même. Nous découvrons ici aussi un aspect convaincant de la formule de saint Jean: « Il nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). Ainsi, dans chaque célébration, nous confessons nous aussi le primat du don du Christ. L'influence causale de l'Eucharistie à l'origine de l'Église révèle en définitive l'antériorité non seulement chronologique mais également ontologique du fait qu'il nous a aimés « le premier ». Il est pour l'éternité celui qui nous aime le premier (Sacrementum Caritatis, n° 14).
Nous affirmons une causalité réciproque en disant que l’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église. Cependant, de part et d’autre, c’est toujours l’action du Christ qui est primordiale, lui qui a fait surgir l’Église et qui inventé et institué l’Eucharistie[32].
Le bestiaire de la Bible : le pélican, symbole de l’amour du Christ
S’il est un oiseau à la fois symbolique et réel, c’est bien le pélican. La légende lui prête de nourrir ses petits de son sang et de sa chair, il n’en fallait pas plus pour qu’il devienne l’image métaphorique par excellence du Christ et de l’Eucharistie, ce qui explique sa présence dans un grand nombre de représentations et de parures liturgiques. De saint Augustin qui fut le premier à le rapprocher du Christ à Benoît XVI qui offrit un anneau d’or représentant l’oiseau symbolique aux évêques assistant au synode sur l’Eucharistie, cet animal bénéficie d’une image forte dans le christianisme.
L’histoire biblique du pélican débute avec les Psaumes et plus précisément le Psaume 101 qui de nos jours évoque certes le corbeau du désert, mais qui naguère associait, par une traduction erronée de l’hébreu, l’oiseau au pélican. Dans ces anciens temps, il apparaissait encore comme un oiseau impur et de mauvais augure qui hantait les ruines et Eusèbe de Césarée le comparera même aux ermites quittant les foules pour la solitude des déserts.
Mais la véritable et belle renommée du pélican naîtra d’une légende insérée dans le Physiologus, le premier des bestiaires chrétiens. Cette source rapporte, en effet, que les petits du pélican réclamant trop violemment leur nourriture à leurs parents se virent tuer d’un violent coup de bec. Trois jours après, pris de remords, ces parents indignes se déchirèrent alors la poitrine pour en arroser de leur sang les petits corps inertes et ces derniers retrouvèrent alors la vie… On dit que ce symbole tirerait son origine d’une pratique bien réellement constatée et qui fait de l’immense jabot de l’oiseau l’endroit même où la nourriture est régurgitée pour nourrir ses petits.
Une longue destinée
C’est cette légende étonnante qui allait avoir cette riche destinée qu’on lui connaît, avec notamment saint Augustin qui sera parmi les premiers à oser le rapprochement entre le Christ et l’oiseau. L’Eucharistie par laquelle Jésus nourrit les hommes de son corps et de son sang est au cœur du Nouveau Testament. Nul étonnement alors à ce que le grand saint théologien ait vu dans le majestueux oiseau nourrissant de son jabot ses petits, une image propice à la comparaison et métaphore. À l’image du pélican qui redonne vie à ses petits par son propre sang, le Christ donne sa vie et son sang pour la multitude. Ce parallèle explique la riche iconographie consacrée à cet oiseau qui se développera dans les Bestiaires, bois gravé, sculptures… Le pélican devient un symbole eucharistique puissant, et il orne encore de nos jours, souvent même représenté avec ses petits, de nombreux tabernacles et autres parures liturgiques.
Si notre époque moderne a certes, malheureusement, quelque peu oublié la signification et la place de ce puissant animal pourtant présent dans le bestiaire biblique, il n’en a pas toujours été ainsi. Ainsi, le pélican a-t-il été largement célébré, et ce dès le Moyen Âge, par les auteurs, poètes et artistes de chaque époque qui loueront son image. Aussi ne peut-on que rappeler à la mémoire ce bel hymne « Adoro » qui lui fut jadis dédié composé par saint Thomas d’Aquin pour l’Office du Saint-Sacrement :
« Pélican plein de bonté, ô Seigneur Jésus Lavez dans votre sang nos souillures, Une goutte suffit pour effacer Toutes les scélératesses de ce monde ».
Aujourd’hui encore, dans certains lieux de culte, est-il fréquent d’observer le pélican et sa nichée au-dessus de la croix notamment dans les œuvres d’art du Moyen Âge. Le grand poète italien Dante lui a même réservé quelques vers dans Le Paradis de La divine Comédie lorsqu’il évoque saint Jean : « Voilà celui qui reposa sur le sein de notre Pélican ; ce fut lui que, du haut de la croix, Jésus élut pour le grand devoir ». Un autre poète, plus proche de nous, verra également sa poésie inspirée par ce bel héritage, Alfred de Musset décrit en effet de manière poignante dans La nuit de mai, cet oiseau rentrant bredouille de sa pêche et nourrissant ses petits de son sang jusqu’à sa mort tragique…
Fort de ces Hymnes et autres poèmes, pourquoi dès lors ne pas partir à la recherche de ce beau symbole, le pélican, injustement oublié de nos jours, et pourtant encore si présent dans nos églises ?
Sources : Philippe-Emmanuel Krautter, « Le bestiaire de la Bible : le pélican, symbole de l’amour du Christ »,https://fr.aleteia.org, consulté le 29/04/2023.
3.4. L’Eucharistie dans notre vie personnelle
3.4.1. Eucharistie et foi
« Mysterium fidei ». Dans la célébration eucharistique, il s’agit réellement d’un appel à la foi et une merveille de la foi. Par le don de l’Eucharistie, nous recevons tout du Christ, nous n’avons plus rien par nous-mêmes, mais nous espérons tout de lui qui nous fait entrer dans un nouvel univers. L’Eucharistie n’est pas seulement un sacrement à célébrer, elle doit être quelque chose qui polarise toute notre vie et qui la restructure de l’intérieur. « En effet, de ce sacrement de l’amour, nous dit le Pape François, naît tout authentique chemin de foi, de communion et de témoignage »[33].
La foi chrétienne se trouve donc engagée dans un mystère qui la réjouit et la dépasse. Seule la foi peut faire pénétrer vraiment le chrétien dans la compréhension de l’Eucharistie, ce grand mystère. « Cela ne veut pas dire qu’il faille se contenter d’une crédulité naïve, où la raison ne devrait que se taire ». La foi eucharistique de l’Église n’est pas une foi naïve et mièvre. Dans l’action eucharistique, l’Église prie comme elle croit – lex orandi, lex credendi. Le chrétien, participant activement à l’Eucharistie, ne peut pas s’enfermer dans une perception étriquée de ce qui s’y passe et s’y vit. Sa foi eucharistique doit mobiliser son intelligence pour mieux la comprendre et la vivre. Toutefois, le chrétien doit franchir la distance entre ce qu’il saisit par ses sens et ce que la vérité de l’Eucharistie comme mystère lui impose de croire. L’Eucharistie comme « mysterium fidei » peut heurter l’intelligence humaine : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » (Jn 6, 52) – « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » (Jn 6, 60). Mais aussi quand sa compréhension, son vécu, découle de la rencontre heureuse de la foi et de la raison, le chrétien, comme l’Apôtre Pierre peut dire : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quand à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 69). Ceci dit, sans minimiser l’apport de notre intelligence qui a toute sa valeur, l’Eucharistie, « mysterium fidei » est le mystère qui la dépasse. Le chrétien ne peut que l’accueillir dans la foi. C’est un mystère de foi devant lequel nous ne pouvons que nous mettre à genoux en adoration, en silence, en admiration, disait Jean-Paul II (Homélie à Castel Gandolfo, 19 août 1979, n° 1).
« Mysterium fidei ». Car « le Christ s’est véritablement partagé et donné dans le pain rompu afin que sa vie soit la nôtre : voilà l’événement inouï qui advient toujours de nouveau. C’est là que réside la grandeur de l’Eucharistie et c’est pour cela qu’elle n’est pas un jeu mais une réalité »[34].
L'Eucharistie est en effet « le mystère de la foi » par excellence: « Elle est le résumé et la somme de notre foi ». La foi de l'Église est essentiellement une foi eucharistique et elle se nourrit de manière particulière à la table de l'Eucharistie. La foi et les sacrements sont deux aspects complémentaires de la vie ecclésiale. Suscitée par l'annonce de la Parole de Dieu, la foi est nourrie et elle grandit par la rencontre de grâce avec le Seigneur ressuscité qui se réalise dans les sacrements: « La foi s'exprime dans le rite et le rite renforce et fortifie la foi ». C'est pourquoi le Sacrement de l'autel est toujours au centre de la vie ecclésiale: « Grâce à l'Eucharistie, l'Église renaît sans cesse de nouveau! ». Plus vive est la foi eucharistique dans le peuple de Dieu, plus profonde est sa participation à la vie ecclésiale par l'adhésion convaincue à la mission que le Christ a confiée à ses disciples. L'histoire de l'Église elle-même en est témoin. Toute grande réforme est liée, d'une certaine manière, à la redécouverte de la foi en la présence eucharistique du Seigneur au milieu de son peuple (Sacramentum Caritatis, n° 6).
3.4.2. Eucharistie et charité
Le dynamisme fondamental de la vie chrétienne consiste dans la pratique des vertus théologales (la foi, l’espérance, la charité). Si l’Eucharistie est donc la source et le sommet de la vie de l’Église, elle est le lieu de l’enracinement de la vie théologale. Elle exprime et nourrit les trois « vertus théologales ». Sacrement de la charité par excellence (car tous les sacrements comportent une dimension éthique, réclament une existence sacramentelle et chrétienne dans le monde), l’Eucharistie est – l’expression et l’aliment de l’amour de Dieu et du prochain. Elle est le mystère de la charité aussi. D’ailleurs la foi est animée par l’amour. Celui qui reçoit le Christ eucharistique est appelé à demeurer dans l’amour. Quand le chrétien dit Amen en recevant la communion, il exprime par là qu’il la reçoit avec amour. « L’Eucharistie est l’expression la plus haute de la charité divine, de l’amour de Dieu pour sa créature. Par elle, Dieu manifeste à quel point il désire être avec nous pour toujours, à quel point il désire nous communiquer sa propre vie, demeurer avec nous et en nous ». Dans l’Eucharistie, Jésus se donne en personne, dans la plénitude de sa présence. C’est par l’Eucharistie que nous pouvons dire que rien ne peut nous séparer de l’amitié que Dieu nous porte. Dans l’Eucharistie, le Christ donne tout ce qu’il est, tout ce qu’il vit. Plus que l’intervention par une parole ou par une action, c’est Jésus lui-même qui vient en tant que sujet et se livre entre nos mains.
C’est de cette manière qu’elle nous porte à nous engager dans le combat de l’amour dans le monde. Car « ceux qui se nourrissent du corps du Christ ne peuvent le considérer uniquement comme un aliment : ils sont invités à l’adorer et à l’aimer de tout leur cœur, de toute leur âme, de toute leur force. À l’amour qui inspire la venue du Christ doit répondre l’amour de celui qui l’accueille »[35]. C’est dans le dernier Repas pris avec ses disciples que Jésus nous montre et nous fait comprendre toute l’ampleur de l’amour qu’il est venu instaurer sur la terre. En instituant l’Eucharistie, il livre le commandement nouveau : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34 ; 15, 12). Il s’agit de l’agapè puisque l’Eucharistie conduit à l’amour de Dieu et du prochain. Le lavement des pieds que nous rapporte le récit de saint Jean nous le montre véritablement. Jésus s’est montré le serviteur de tous en se mettant à laver les pieds de ses disciples. L’Eucharistie est source de la diaconie, du service du frère dans la communauté chrétienne. Jésus nous entraine dans son offrande, dans son acte d’amour. Ainsi, l’Eucharistie est-elle la source de la vraie charité puisque Jésus nous attire à lui. « Dans l’Eucharistie, disait Benoit XVI, Jésus fait de nous des témoins de la compassion de Dieu pour chacun de nos frères et sœurs. Autour du mystère eucharistique naît ainsi le service de la charité vis-à-vis du prochain, qui « consiste précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas » (Sacramentum Caritatis, n° 88).
Tout chrétien sait, s’il se veut être authentique, que le moteur de l’amour du prochain est dans l’Eucharistie. « L’Eucharistie, signe d’unité, est fondement et nourriture de la communauté ecclésiale. Par conséquent, la charité qui a sa source dans l’Eucharistie, doit avoir une dimension ecclésiale, communautaire ; de cette manière, elle ne restera pas un exercice particulier, mais une collaboration de chacun à l’œuvre de l’Église, que ce soit par le biais de la paroisse ou d’une autre communauté chrétienne. L’esprit de charité nourri dans l’Eucharistie nous permet de nous soucier des autres "celui qui a besoin de moi et que je peux aider", le regardant avec les yeux du Christ. Alors nous pouvons découvrir ses véritables besoins et lui offrir bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires. Nous pourrons lui offrir le regard d’amour dont il a besoin, le regard d’amour de Jésus-Christ. "En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait" »[36].
Pour Joseph Ratzinger, l’Eucharistie est donc le véritable moteur de toute transformation sociale du monde[37]. Ainsi poursuit-il, l’Eucharistie, la porte ouverte vers Dieu et la porte ouverte de Dieu vers nous, ne peut se réduire à une petite demi-heure le matin. Elle doit résonner pour pouvoir vivre. Elle doit illuminer toute la journée. Il ne faudrait pas un agencement de rendez-vous si opaque et une précipitation si insurmontable qu’il n’y ait plus le temps d’y intégrer toujours des moments où l’on reprend souffle dans la prière – ce qui sert à la santé du corps et de l’âme et ainsi à la transformation juste de ce monde[38].
Notre réponse à son amour doit alors être concrète. Elle doit s’exprimer par une authentique conversion à l’amour, dans le pardon, dans l’accueil réciproque et l’attention aux besoins de tous. Elles sont nombreuses et multiples les formes du service que nous pouvons, avec un peu d’attention, rendre à notre prochain dans la vie de tous les jours. L’Eucharistie devient ainsi la source de l’énergie spirituelle qui renouvelle notre vie chaque jour et qui renouvelle ainsi le monde dans l’amour du Christ[39].
Ainsi,
l’Eucharistie constitue le sommet de l’action de salut de Dieu : le Seigneur Jésus, se faisant pain rompu pour nous, déverse en effet sur nous toute sa miséricorde et son amour, de manière à renouveler notre cœur, notre existence et notre façon de nous mettre en relation avec Lui et avec nos frères. C’est pourquoi communément, quand on s’approche de ce sacrement, on dit « recevoir la communion », « faire la communion » : cela signifie que dans la puissance du Saint-Esprit, la participation à la table eucharistique nous configure de manière unique et profonde au Christ, en nous faisant goûter dès à présent la pleine communion avec le Père qui caractérisera le banquet céleste, où avec tous les saints nous aurons la joie de contempler Dieu face à face[40].
3.4.3. Eucharistie et espérance
« L’espérance, nous dit le Père Jacques Philippe, est l’attente confiante de la réalisation des promesses de Dieu. Elle nous tourne joyeusement vers le monde à venir, la gloire dont nous sommes héritiers dans le Christ, gloire sans commune mesure avec les souffrances du temps présent. L’espérance est aussi cette vertu qui nous amène à nous accepter pauvre, à ne jamais nous inquiéter ni nous décourager de nos faiblesses, mais à tout attendre de la miséricorde et de l’amour de Dieu »[41]. L’Eucharistie nous situe véritablement dans une attitude d’espérance. Elle nous tend vers l’avenir. L’embolisme (du grec em-ballein, qui veut dire « mettre dans » ou « placer entre ») qui est la prière intercalée entre le Notre Père et celle adressée au Christ pour le don de la paix exprime cette relation entre l’Eucharistie et l’espérance : « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps : soutenus par ta miséricorde, nous serons libérés de tout péché, à l’abri de toute épreuve ; nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur ».
C’est l’acclamation de l’assemblée après la consécration quand le prêtre dit « Mysterium fidei » qui met cette relation entre l’Eucharistie et espérance merveilleusement en lumière : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta Résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ». L’Église, obéissant au commandement du Seigneur à la Cène, en « mémoire » de lui, célèbre sa Pâque – le Mystère de la foi – et proclame le « mémorial de ses merveilles » dans l’espérance de hâter son retour. Ainsi, « l’eucharistie possède une valeur eschatologique essentielle. Elle annonce ce qui caractérise les derniers temps et contribue à assurer leur accomplissement. Elle porte les chrétiens à l’espérance et elle donne à cette espérance la force de se réaliser »[42].
« Tandis qu’elle rend présent le passé, l’Eucharistie nous tourne vers l’avenir de l’ultime retour du Christ, à la fin des temps. Cet aspect ‘eschatologique’ donne au Sacrement eucharistique une dynamique qui met en marche et qui donne au cheminement chrétien le souffle de l’espérance » (Mane nobiscum Domine, n° 15). Ainsi, poursuit Jean-Paul II,
[…]. Recevoir l'Eucharistie, c'est entrer en communion profonde avec Jésus. «Demeurez en moi, comme moi en vous» (Jn 15,4). Cette relation d'union intime et mutuelle nous permet d'anticiper, en quelque manière, le ciel sur la terre. N'est-ce pas là le plus grand désir de l'homme? N'est-ce pas cela que Dieu s'est proposé en réalisant dans l'histoire son dessein de salut? Il a mis dans le cœur de l'homme la «faim» de sa Parole (cf. Am8,11), une faim qui sera assouvie uniquement dans l'union totale avec Lui. La communion eucharistique nous est donnée pour «nous rassasier» de Dieu sur cette terre, dans l'attente que cette faim soit totalement comblée au ciel (Mane nobiscum Domine, n° 19).
3.5. Action de grâces
Efcharistô veut dire merci en grec, note Pierre Jounel[43]. En choisissant ce mot pour désigner le repas du Seigneur, les premiers chrétiens nous ont transmis un peu de la joie avec laquelle ils faisaient la synaxe (σύναξις)eucharistique (Ac 2, 42ss)[44].
L’Eucharistie est l’action de grâce pour les « mirabilia Dei » envers son peuple. Elle est la grande action de grâce au Père pour l’œuvre du salut accompli en son Fils, Jésus, le Christ. Elle est la bénédiction (berakah) par laquelle l’Église exprime sa reconnaissance envers Dieu pour tous ses bienfaits. « Rendons grâce au Seigneur – Cela est juste et bon ». L’incipit des préfaces l’exprime de cette manière : « Vraiment, il est juste et bon, pour ta gloire et notre salut, de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, Seigneur, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant, par le Christ, notre Seigneur » (3e préface des dimanches du temps ordinaire).
Dans le Christ, l’eucharistie était animée par l’action de grâces adressée au Père. Elle nous fait entrer dans cette disposition foncière d’action de grâces en nous faisant apprécier les dons divins : en eux se manifestent la sagesse supérieure de tout le dessein de salut et la bonté qui répand les bienfaits de la présence sacramentelle du Christ, de son sacrifice et de son repas, pour le développement de l’Église et de chaque vie chrétienne. L’eucharistie développe la foi, l’amour, l’espérance et confère par là à l’action de grâces sa plénitude ; elle porte au maximum l’élan de gratitude qui monte vers le Père pour l’infini de son amour[45].
Les prières eucharistiques peuvent être considérées comme une sorte de condensé de cette bénédiction de l’Église à Dieu pour l’œuvre d’amour qu’il a accomplie en son Fils Jésus : « En faisant ainsi mémoire de ton Fils, de sa Passion qui nous sauve, de sa glorieuse Résurrection et de son Ascension dans le ciel, alors que nous attendons son dernier avènement, nous t’offrons, Seigneur, en action de grâce, ce sacrifice vivant et saint » (PE III).
CHAPITRE IV
L’EUCHARISTIE : NOM ET RÉALITÉ
4.1. Les divers noms de l’Eucharistie[1]
Nous suivons ici le Catéchisme de l’Église catholique dans sa brève énumération des différents noms que prend l’Eucharistie ou messe, en plus de mémorial de la Passion et de la Résurrection du Seigneur (cf. n. 1328-1332). Chacun de ces noms évoquent l’un ou l’autre aspect de « la richesse inépuisable de ce sacrement ». On parle d’abord d’Eucharistie, qui veut dire « action de grâces », et dont les équivalents eucharistein (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24) et eulogein (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22) « rappellent les bénédictions juives qui proclament – surtout pendant le repas – les œuvres de Dieu ; la création, la rédemption et la sanctification ». Le nom Eucharistie est le terme le plus tardif qui s’est imposé par référence à la prière d’action de grâces prononcée par Jésus pour la consécration du pain et du vin[2].
Le repas du Seigneur (1 Co 11, 20) rappelle qu’il s’agit de la Cène prise par le Seigneur et ses apôtres la veille de sa Passion, qui anticipait le repas des noces de l’Agneau qui aura lieu dans la Jérusalem céleste (cf. Ap 19, 9).
La fraction du pain est le terme employé dans les premières communautés chrétiennes, ce rite, propre au repas juif, ayant été utilisé par Jésus quand il bénissait et distribuait habituellement le pain à table pendant les repas, et surtout lors de la dernière Cène (cf. Mt 26, 26 ; 1 Co 11, 24). C’est à la fraction du pain que, par exemple, les disciples d’Emmaüs le reconnaissent le soir du dimanche de sa Résurrection (cf. Lc 24, 13-35). Il est également question d’assemblée eucharistique ou synaxis, en grec (traduit par synaxe), parce que « l’Eucharistie est célébrée en l’assemblée des fidèles, expression visible de l’Église ».
Un nom traditionnel est celui de saint Sacrifice, « parce qu’il actualise l’unique Sacrifice du Christ Sauveur et qu’il inclut l’offrande de l’Église ». On dit encore saint sacrifice de la messe, sacrifice de louange (Hé 13, 15), sacrifice spirituel (cf. 1 P 2, 5), sacrifice pur (cf. Ml 1, 11) et saint, « puisqu’il achève et dépasse tous les sacrifices de l’Ancienne Alliance ».
C’est également la sainte et divine liturgie, expression qui a davantage la faveur de nos frères orientaux, « parce que toute la liturgie trouve son centre et son expression la plus dense dans la célébration de ce sacrement ». Dans le même sens, il est question de saints mystères. Jean Chrysostome, de son côté, explique la raison pour laquelle « nous appelons eucharistie [action de grâces] » les saints mystères : « C’est le rappel de tous les bienfaits de Dieu, la manifestation capitale du plan divin du salut, nous disposant à toujours rendre grâce… C’est pour cela que le Prêtre, lorsqu’il offre le sacrifice divin, nous invite à rendre grâce pour le monde entier, pour ceux qui nous ont précédés, pour ceux qui vivent encore, pour les générations passées et pour les générations futures »[3].
C’est le Très Saint Sacrement, car il est « le sacrement des sacrements ». C’est le nom des « espèces eucharistiques » (le pain devenu le vrai Corps du Christ à la messe) conservées dans le tabernacle.
Communion, du latin cum et munio, « fortifier », car « c’est par ce sacrement que nous nous unissons au Christ qui nous rend participants de son Corps et de son Sang pour former un seul corps avec lui » (cf. 1 Co 10, 16-17). Ce sont les choses saintes à ne donner qu’aux saints.
Le langage courant a retenu plus fréquemment le terme de messe ou de sainte messe, du fait que la liturgie eucharistique s’achève par l’envoi en mission des fidèles, ce que le texte latin exprime bien : Ite missa est, les fidèles étant ainsi invités à accomplir la volonté de Dieu dans leur vie de chaque jour. « Chez les chrétiens, le mot paix […] est devenu un nom pour désigner l’Eucharistie. En elle, la paix du Christ est présente. Grâce à tous les lieux où se célèbre l’Eucharistie, un réseau de paix s’étend sur le monde entier. Les communautés rassemblées autour de l’Eucharistie constituent un règne de paix, vaste comme le monde. Quand nous célébrons l’Eucharistie, nous nous trouvons à Bethléem, dans la "maison du pain". Le Christ se donne à nous et nous donne avec cela sa paix. Il nous la donne pour que nous portions la lumière de la paix au plus profond de nous-mêmes et que nous la communiquions aux autres ; pour que nous devenions des artisans de paix et que nous contribuions ainsi à la paix dans le monde »[4].
4.2. Présence réelle du Christ dans l’Eucharistie
Ce qui distingue de l’Eucharistie des autres sacrements, c’est que le Christ lui-même y est présent par son Corps et par son Sang[5]. Les paroles de la consécration communiquent non seulement la grâce, mais elles rendent présent Celui d’où jaillit toute grâce. C’est bien l’acte de l’Esprit Saint. La présence du Christ s’exprime de bien des manières, mais la plus importante est la présence eucharistique : non pas un simple souvenir, mais un « mémorial » qui actualise ; non pas un rappel symbolique, mais la présence vivante du Seigneur au milieu des siens (cf. Jean-Paul II, Lettre pour le Jeudi Saint 2000, n° 12). Par l’Eucharistie, le Christ se rend présent à son Église[6]. Cette présence est celle du Ressuscité qui dynamise la communauté ecclésiale : le Christ ressuscité « nous entraine en son passage vers le Père et vers l’accomplissement de son Royaume »[7].
Même si la présence du Christ n’est pas uniquement confinée dans les seuls sacrements de l’Église, l’Eucharistie est le lieu par excellence de son expression sacramentelle : « Le Christ est toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques. Il est là présent dans le sacrifice de la messe, […] et, au plus haut degré, sous les espèces eucharistiques » (SC, n° 7) et à plus forte raison, « notre Sauveur, à la dernière Cène, la nuit où il était livré, institua le sacrifice eucharistique de son Corps et de son Sang pour perpétuer le sacrifice de la croix au long des siècles, jusqu’à ce qu’il vienne, et pour confier ainsi à l’Église, son Épouse bien-aimée, le mémorial de sa mort et de sa résurrection : sacrement de l’amour, signe de l’unité, lien de la charité, banquet pascal dans lequel le Christ est mangé, l’âme est comblée de grâce, et le gage de la gloire future nous est donné » (SC, n° 47).
« Au Père revient l’initiative du don de l’eucharistie. Il est vrai que toute l’initiative de l’œuvre du salut lui appartient : c’est lui qui est à l’origine de toute l’incarnation rédemptrice et de ses prolongements dans le développement de l’Église. Cependant, l’initiative dans l’institution du repas eucharistique doit lui être attribuée à un titre plus spécial, parce qu’en qualité de Père il a comme charge de nourrir ses enfants »[8].
4.2.1. Présence trinitaire et Eucharistie
L’Eucharistie est foncièrement trinitaire. Par elle, la Sainte Trinité s’ouvre aux hommes. La célébration eucharistique commence toujours par le signe de la croix : « Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ». La bénédiction au cours du renvoi de l’assemblée est elle aussi trinitaire sans oublier la grande doxologie trinitaire : « Par Lui, avec Lui et en Lui… », par laquelle termine l’Anaphore eucharistique.
Dans la logique même de la dimension trinitaire de l’Eucharistie, Jean-Paul II, affirmait :
Dans ce sacrement, en effet, le mystère du Christ s'offrant lui-même en sacrifice au Père sur l'autel de la croix se renouvelle continuellement de par sa volonté: sacrifice que le Père a accepté, échangeant le don total de son Fils, qui s'est fait « obéissant jusqu'à la mort », avec son propre don paternel, c'est-à-dire avec le don de la vie nouvelle et immortelle dans la résurrection, car le Père est la source première de la vie et celui qui la donne depuis le commencement. Cette vie nouvelle, qui implique la glorification corporelle du Christ crucifié, est devenue signe efficace du don nouveau fait à l'humanité: ce don est l'Esprit Saint grâce auquel la vie divine que le Père a en lui et qu'il donne à son Fils se trouve communiquée à tous les hommes qui sont unis au Christ (Redemptor hominis, n° 20).
4.2.1.1. Rôle et présence du Père
L’Eucharistie est toute dédiée au Père de qui vient toute grâce et tout bien. Toutes les prières qui ponctuent la célébration de l’Eucharistie s’adressent à Lui. C’est Lui qui a la déité source et c’est sa présence donatrice et attirante que nous célébrons dans l’Eucharistie. L’Eucharistie nous fait pénétrer la profondeur de l’amour du Père qui nourrit ses enfants.
En fait, « le Fils est présent dans l’eucharistie parce que le Père l’a envoyé. Le Père est celui qui donne la nourriture à l’humanité en donnant son propre Fils. Lui seul pouvait donner son Fils, et en faisant ce don, il a donné la nourriture la plus haute qui puisse répondre aux besoins spirituels de la vie humaine. En mettant sa chair à la disposition de tous dans le repas eucharistique, Jésus ne perdait pas de vue l’action généreuse du Père »[9]. En fait, « le Père agit dans le sacrement, mais pas au même titre, puisqu’il n’a pas assumé la chair humaine. Son action doit être soulignée, comme Jésus lui-même le fait en déclarant que c’est le Père qui "donne le pain du ciel, le vrai" (Jn 6, 32). Cependant, cette action n’entraine pas pour le Père une présence pareille à celle du Fils »[10].
4.2.1.2. Rôle et présence de l’Esprit
Évidemment, « ce qui est dit de l’action de la Trinité dans le mystère eucharistique aide à comprendre le rôle qui appartient au Saint-Esprit »[11]. C’est par la puissance de l’Esprit Saint que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Seigneur, jusqu’à la fin du monde. L’Eucharistie est célébrée sous la conduite de l’Esprit Saint. À ce propos, comme nous le rappelle Benoit XVI, il est nécessaire de réveiller en nous la conscience du rôle de l’Esprit Saint dans le développement de la forme liturgique et dans l’approfondissement des mystères divins (Sacramentum caritatis, n° 12). Ceci dit, « la capacité vivifiante de l’eucharistie est due à l’Esprit Saint »[12]. Ce que Jésus « donne dans le repas eucharistique, c’est sa chair parvenue à l’état glorieux, où elle est remplie de l’Esprit. Sans cet apport de l’Esprit, la chair n’aurait aucune puissance de communiquer la vie spirituelle, la vie éternelle : à elle seule, "la chair ne sert de rien" »[13]. Le rôle central de l’Esprit Saint dans l’action eucharistique est très clair dès les premiers temps de l’Église. Ainsi, Les Constitutions Apostoliques[14], dont la dernière rédaction remonte probablement à la fin du IVe siècle met en relief la relation entre l’Eucharistie et l’Esprit Saint : « Envoie sur ce sacrifice », lit-on dans l’épiclèse, « ton Esprit Saint, témoin des souffrances du Seigneur Jésus, afin qu’il consacre ce pain au corps de ton Christ, et ce calice au sang de ton Christ. Fais que ceux qui y prennent part soient affermis en piété, trouvent la rémission de leurs péchés, soient libérés du démon et de son égarement, soient remplis de l’Esprit Saint, deviennent dignes de ton Christ, obtiennent la vie éternelle avec ta réconciliation, ô Maître tout-puissant »[15].
La présence transformante de l’Esprit Saint imprègne toute la célébration. L’Eucharistie est foncièrement pneumatologique ou épiclétique. La première épiclèse sur le pain et le vin et la deuxième sur l’assemblée nous le montrent véritablement. Tout comme il fait du pain et du vin le Corps et le Sang du Christ, l’Esprit Saint fait des fidèles le Corps du Christ. « L’Esprit Saint est l’amour commun du Père et du Fils, leur "nous". Il nous transforme et nous fait entrer plus intimement dans le "nous" trinitaire, dont le "nous" ecclésial est le reflet, le sacrement »[16]. Benoît XVI a mis cela plus merveilleusement en lumière en disant :
Sur cet arrière-fond, on comprend le rôle décisif de l'Esprit Saint dans la célébration eucharistique et en particulier en référence à la transsubstantiation. Les Pères de l'Église en ont une très forte conscience. Dans ses Catéchèses, saint Cyrille de Jérusalem rappelle que nous « invoquons Dieu miséricordieux pour qu'il envoie son Esprit Saint sur les oblats qui sont exposés, afin qu'Il transforme le pain en corps du Christ et le vin en sang du Christ. Ce que l'Esprit Saint touche est sanctifié et transformé totalement ». Saint Jean Chrysostome souligne aussi que le prêtre invoque l'Esprit Saint quand il célèbre le Sacrifice: comme Élie, le ministre – dit-il – attire l'Esprit Saint afin que, « la grâce descendant sur la victime, les âmes de tous s'enflamment par elle ». Une conscience plus claire de la richesse de l'anaphore est d'autant plus nécessaire pour la vie spirituelle des fidèles: avec les paroles prononcées par le Christ lors de la dernière Cène, elle contient l'épiclèse, en tant qu'invocation au Père pour qu'il fasse descendre le don de l'Esprit afin que le pain et le vin deviennent le corps et le sang de Jésus Christ et que « la communauté tout entière devienne toujours davantage Corps du Christ ». L'Esprit, invoqué par le célébrant sur les offrandes du pain et du vin posés sur l'autel, est le même qui réunit les fidèles « en un seul corps », faisant d'eux une offrande spirituelle agréable au Père (Sacramentum caritatis, n° 13).
Alors, peut-on parler de deux présences dans l’Eucharistie ? Comment les associer ? Ne peut-on pas considérer l’Eucharistie comme sacrement de la présence de l’Esprit plus que comme sacrement de la personne du Christ Sauveur ? En réalité, la présence proprement eucharistique reste fondamentalement présence du Christ, plus précisément du Fils dans sa chair humaine[17]. C’est le Fils qui est incarné et non l’Esprit même si c’est lui qui a agi dans l’Incarnation du Verbe. Évidemment, il n’y a pas de concurrence entre les deux présences. Il faut souligner tout simplement que « la présence eucharistique est celle du Christ, ayant comme propriété distinctive d’être la présence du Fils incarné. Elle garde toujours son caractère unique. Mais elle s’enrichit de la présence du Saint-Esprit, nécessaire pour donner à la chair une pleine efficacité spirituelle »[18]
4.2.1.3. Rôle et présence du Fils
L’Eucharistie est la célébration et l’actualisation de la Pâque du Christ. Elle est la célébration de sa présence vivifiante. L’Eucharistie « rend manifeste la signification salvifique de sa mort et de sa résurrection, mystère qui devient ainsi une réalité qui renouvelle l'histoire et le cosmos tout entier » (cf. Sacramentum caritatis, n° 10). Elle « montre en effet que cette mort, en soi violente et absurde, est devenue en Jésus un acte suprême d'amour et pour l'humanité une libération définitive du mal » (id.).
La Constitution sur la liturgie présente les différentes formes de présence du Christ dans l’Eucharistie : il est présent dans sa Parole, dans la personne du ministre, dans l’assemblée et, au plus haut degré, sous les espèces eucharistiques (cf. SC, n° 7). C’est dans l’Eucharistie que se trouve le sommet de l’action par laquelle Dieu, dans le Christ, sanctifie le monde, et du culte que l’humanité offre au Père, en l’adorant dans l’Esprit Saint par le Christ Fils de Dieu (PGMR, n° 16). Ceci dit, il faut préciser que « la présence personnelle qui s’exprime dans l’eucharistie est une présence particulière à la personne du Fils. Lorsque Jésus dit : "Ceci (est) ma chair", il s’affirme comme personnellement présent dans le corps donné en nourriture. C’est son "Je suis" à lui, personne divine, qui fonde cette présence de chair. Les mots "ma chair", ne se rapportent pas à la personne du Père, car le Père ne s’est pas incarné et ne possède pas un être charnel »[19]. C’est donc la présence du Verbe incarné qui est communiquée personnellement dans le repas eucharistique.
Toutefois, même si la présence eucharistique est uniquement la propriété du Fils, la « Trinité ne perd rien de son unité »[20]. L’Eucharistie est sacramentellement trinitaire. Elle est le sacrement de l’amour du Père et du Fils. « La Trinité est à l’œuvre dans tous les aspects du mystère, mais de manière à mettre en valeur la présence de la personne du Christ en sa chair, présence qui a son caractère spécifique »[21]. Et, « l’Eucharistie apparaît comme le sommet de tous les sacrements, car elle porte à sa perfection la communion avec Dieu le Père, grâce à l’identification du Fils unique par l’action du Saint-Esprit » (EE, n° 34).
4.2.2. Le Christ réellement présent selon la doctrine de l’Église
Les témoignages des Évangiles et de Paul énoncent clairement la présence réelle du Corps et du Sang du Christ dans l’Eucharistie. Et, cela a été favorablement accueilli comme une vérité de foi dans la tradition de l’Église. Cela fait partie du témoignage d’une foi inchangée : « Notre Sauveur, à la dernière Cène, la nuit où il était livré, institua le sacrifice eucharistique de son Corps et de son Sang pour perpétuer le sacrifice de la croix au long des siècles, jusqu’à ce qu’il vienne, et pour confier ainsi à l’Église, son Épouse bien-aimée, le mémorial de sa mort et de sa résurrection : sacrement de l’amour, signe de l’unité, lien de la charité, banquet pascal dans lequel le Christ est mangé, l’âme est comblée de grâce, et le gage de la gloire future nous est donné » (SC, n° 47).
Dès premiers temps de l’Église jusqu’après l’époque patristique, la présence réelle du Corps et du Sang du Christ dans l’Eucharistie a été largement commentée et enseignée par les Pères. Les controverses doctrinales sont arrivées après. Controverses auxquelles le concile de Trente a donné une réponse définitive. L’Eucharistie ne peut pas être effective sans la présence de Celui-là même qui a donné sa propre chair en nourriture.
Dès le IXe siècle commence les controverses doctrinales (même s’il faut déjà remonter au Ve siècle). Par exemple, Florus de Lyon reprocha à Amalaire de réduire la présence du Christ à un pur symbolisme, mais d’étendre à la réalité signifiée la division rituelle de l’hostie en divisant le Christ total. Nous avons déjà, dès le début parlé de la dérive doctrinale de Béranger de Tours (XIe siècle). Il niait la présence réelle du Christ dans le sacrement de l’Eucharistie. Pour lui, il s’agit d’une présence purement spirituelle ou symbolique. Il ne croyait pas au changement du pain et du vin au cours de la consécration.
Certains réformateurs eurent des postions diverses sur la question de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Par exemple, « Luther tenait quant à lui la présence réelle ; Zwingli voyait dans le pain et le vin de simples signes ; Calvin considérait que le fidèle recevait spirituellement la présence du Christ »[22].
4.2.2.1. Le concile de Trente
a. Présence réelle
Le concile de Trente définit comme vérité de foi la « présence réelle » du Christ dans l’Eucharistie, niée par les novateurs, surtout Zwingli et Calvin. Le concile déclare :
Dans le vénérable sacrement de la sainte Eucharistie, après la consécration du pain et du vin, notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est présent vraiment, réellement et substantiellement sous l’apparence de ces réalités sensibles. Il n’y a en effet aucune contradiction à ce que notre Sauveur siège lui-même toujours à la droite du Père dans les cieux, selon un mode d’existence qui est naturel, et à ce que néanmoins il nous soit, en d’autres lieux, sacramentellement présent en sa substance, dans un mode d’existence que nos mots peuvent sans doute à peine exprimer, mais que notre intelligence, éclairée par la foi, peut cependant reconnaître et que nous devons croire fermement comme une chose possible à Dieu[23].
Le concile met en lumière quelque chose qui relève du mystère : dans la célébration de l’Eucharistie se rend présente la Personne du Christ – le Verbe incarné, crucifié, mort et ressuscité pour le salut du monde –, selon une modalité de présence qui est un mystère surnaturel, unique. C’est une réalité qui dépasse notre raison sans toutefois la contredire. C’est un mode d’existence que nos mots peuvent à peine exprimer mais que notre intelligence, éclairée par la foi, peut connaître[24].
b. Présence du Christ intégral
C’est toute la personne du Christ, intégralement, qu’on reçoit dans l’Eucharistie. Le concile l’exprime à travers ces mots : « Notre Seigneur, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est présent dans la sainte Eucharistie, après la consécration du pain et du vin ». L’Église croit et enseigne qu’« aussitôt après la consécration le véritable corps du Seigneur et son véritable sang existent, conjointement avec son âme et sa divinité. L’âme et la divinité sont donc présentes, ne pouvant être séparées du corps et du sang »[25].
Le concile fait une nette distinction en ce qui a trait au motif de la présence : « Le corps est sous l’espèce du pain et le sang sous l’espèce du vin en vertu des paroles, mais le corps est sous l’espèce du vin et le sang sous l’espèce du pain et l’âme sous les deux espèces en vertu de cette connexion naturelle et de cette concomitance qui unissent toutes les parties du Seigneur Jésus-Christ "déjà ressuscité des morts et qui ne mourra plus" (Rm 6, 9). La divinité l’est, à cause de son admirable union hypostatique avec son corps et son âme »[26].
La présence totale du Christ sous l’une ou l’autre espèce est très explicite : « C’est pourquoi il est tout à fait vrai que l’une ou l’autre espèce contient autant que les deux espèces ensembles. Le Christ est, en effet, tout entier sous l’espèce du pain et sous la moindre parcelle de cette espèce, tout entier sous l’espèce du vin et sous toutes ses parties »[27]. On retrouve cette même affirmation dans le canon 3 : « Dans le vénérable sacrement de l’Eucharistie, le Christ tout entier est contenu sous chaque espèce, et sous chaque partie de chaque espèce, après leur séparation »[28].
Quelques précisions :
1. « L’unité indivisible du Christ signifie que là où se trouve le corps du Christ son sang s’y trouve également ainsi que son âme et sa divinité. Mais une distinction doit être faite entre la présence qui résulte des paroles de la consécration et celle qui est due à l’unité impliquée dans la personne du Christ. Le corps et le sang sont rendus présents, en vertu des paroles prononcées sur le pain et sur le vin. Cependant, il importe de noter que le corps est présent sous l’espèce du vin en raison de la connexion qui existe entre corps et sang et non proprement en raison des paroles de la consécration considérée en elles-mêmes ; il en est ainsi également du sang qui est présent sous l’espèce du pain en vertu du lien permanent qui demeure entre le sang et le corps »[29].
2. « Plus importante encore est la présence de l’âme du Christ, en vertu de son union indissoluble avec le corps, définitivement acquise à partir de la résurrection ; il y avait eu séparation au moment de la mort de Jésus, mais on peut rappeler que le corps livré en aliment eucharistique est le corps parvenu à son état glorieux, état qui a réuni corps et âme au moment de la résurrection et qui rend impossible à l’avenir toute séparation »[30]. D’où le sens de la commixtion du pain et du vin dans le calice pour symboliser que la chair et le sang, le corps et l’âme, séparés par la mort, sont réunis dans le Christ ressuscité.
3. « Enfin, il y a par-dessus tout la présence de la divinité. Corps et âme, dans le Christ, appartiennent à la personne divine du Fils. Leur présence n’a de sens que comme présence propre à la personne du Christ. La divinité désigne la nature divine, en tant que par l’union hypostatique nature divine et nature humaine sont unies dans l’hypostase ou personne du Christ »[31].
4.2.2.2. La vérité définie
Le concile de Trente aborde la question de la transsustantiation « comme vérité indissolublement unie à celle de la présence réelle »[32]. C’est une profession de foi toujours professée dans l’Église que le concile enseigne et non une philosophie quand il parle de la transsubstantiation : la conversion de toute la substance du pain et du vin en corps et sang du Christ après la consécration. Précisons donc la vérité définie par le concile ; il s’agit d’une conversion, d’une substance en une autre, avec persistance des « espèces » du pain et du vin[33]. C’est la conversion eucharistique.
1. Le terme « conversion » employé par le concile signifie simplement changement. Selon le concile, la spécificité de cette conversion est d’être une transsubstantiation. Elle l’est proprement et de manière convenante. Cela porte sur toute la substance du pain et toute la substance du vin.
2. Le changement est d’une substance en une autre. Dans la conversion eucharistique, c’est la substance elle-même qui est changée, et non la forme du pain qui devient forme du corps : c’est une substance remplacée par une autre substance. La réalité du pain fait place à la réalité du corps du Christ[34].
3. Le changement laisse subsister les « espèces » du pain et du vin, mais uniquement les espèces : rien ne subsiste de la substance du pain et du vin, car, en vertu des paroles de la consécration, seule la substance du corps et du sang du Christ est présente[35].
À remarquer que le concile n’emploie pas le terme « accident » mais celui d’« espèce » pour éviter toute confusion. Parce que le terme « accident », du point de vue philosophique, aurait pu désigner ce qui reste du pain et du vin après la consécration[36]. Le terme « espèce », loin d’être enfermé dans un système philosophique, paraît plus apte à désigner la réalité des apparences, capables de toucher les sens.
Cela nous permet de comprendre que la conversion eucharistique est donc le passage de toute la substance du pain et du vin en toute la substance du corps et du sang du Christ. Cet acte nécessite la foi. Car on a l’impression que la consécration n’avait rien changé. Ceci dit, le Christ est présent dans l’Eucharistie par sa substance contenue dans les espèces consacrées. Si tel est le cas, ces espèces n’ont plus la substance qu’elles avaient avant la conversion. Ce n’est plus du pain, ce n’est plus du vin. Le concile de Trente précise que c’est toute la substance du pain et du vin qui est convertie. Ce qui reste, ce sont les species, c’est-à-dire ce qui touche nos sens : les espèces sacramentelles.
4.2.2.3. Le terme « transsubstantiation »
Le terme « transsubstantiation » employé pour parler de la conversion eucharistique garde encore sa valeur théologique propre. Il reste le terme approprié par lequel l’Église exprime avec exactitude le changement. Il n’est pas considéré comme un concept appartenant à un système philosophique : le terme « substance » qu’il comporte ne signifie pas de lien particulier avec une théorie particulière[37].
Ainsi souligne Benoît XVI :
La conversion substantielle du pain et du vin en son corps et son sang met dans la création le principe d’un changement radical, comme une sorte de « fission nucléaire », pour utiliser une image qui nous est bien connue, portée au plus intime de l’être, un changement destiné à susciter un processus de transformation de la réalité, dont le temps ultime sera la transfiguration du monde entier, jusqu’au moment où Dieu sera tout en tous (Sacramentum caritatis, n° 11).
Le mot « substance » est une notion philosophique qui désigne l’être, l’essence d’une chose ou d’une personne. À la messe, au moment de la consécration, quand le prêtre demande au Père d’envoyer son Esprit sur les offrandes et quand, comme Jésus a demandé de le faire, il prononce les paroles : « Ceci est mon corps […] Ceci est mon sang », il se produit un changement mystérieux. Le pain et le vin gardent les apparences du pain et de vin faits de blé et de raisin, mais ils deviennent réellement le corps et le sang du Christ. Par la communion à ce pain et à ce vin, nous devenons Corps du Christ[38].
Sans nier ce terme et son histoire, on parle beaucoup plus de la « présence réelle ou sacramentelle » du Christ dans l’Eucharistie. Mais il semble que « le néologisme "christification" du pain et du vin serait juste théologiquement, tout en étant assez facile à comprendre, et en pouvant s’appliquer aussi à notre propre configuration au Christ ressuscité »[39].
4.2.2.4. Fondement et développement
a. Dans l’Écriture
La présence véritable, réelle et substantielle du Christ dans l’Eucharistie suppose une conversion extraordinaire, surnaturelle, unique. Une telle conversion a son fondement dans les paroles mêmes du Seigneur : « Prenez et mangez, ceci est mon Corps... buvez-en tous, car ceci est mon Sang, (le sang) de la nouvelle alliance... » (Mt 26, 26-28). En effet ces paroles deviennent réalité seulement si le pain et le vin cessent d’être du pain et du vin et se convertissent au Corps et au Sang du Christ, parce qu’il est impossible qu’une même chose puisse être simultanément deux êtres distincts : du pain et le Corps du Christ ; du vin et le Sang du Christ.
Ce qu’il faut préciser, c’est que : « Jésus ne dit pas : "Ceci est ma chair", ni "Ce vin est mon sang". En disant "ceci", il ne donne aucune détermination préalable à ce qu’il tient dans ses mains. Et ses paroles assignent comme seule détermination le corps et le sang »[40]. Il est donc souhaitable de relier le terme « transsubstantiation » à la résurrection. Car la transsubstantiation « est l’effet d’une énergie qui vient de la résurrection du Christ plutôt que d’un miracle attribué seulement à la puissance absolue de Dieu. Placée résolument dans la mouvance de la résurrection, non seulement la transsubstantiation n’est pas sous-estimée, mais se trouve au contraire mise en valeur et mieux enracinée dans le mystère chrétien plutôt que dans une théorie philosophique »[41].
b. Dans la Tradition
L’Église, dès l’origine, a toujours cru au réalisme de la conversion eucharistique qui s’effectue sur l’autel au moment de la consécration. Les Pères de l’Église l’ont affirmée. Théodore de Mopsueste, dans sa 5e catéchèse mystagogique, écrit : « Le Seigneur n’a pas dit : "Ceci est le symbole de mon corps, ceci est le symbole de mon sang", mais "ceci est mon corps, ceci est mon sang", parce qu’il voulait que nous n’envisagions pas ces éléments, après qu’ils ont reçu la bénédiction et l’invocation de l’Esprit Saint, d’après ce que l’on en voit, mais que nous les recevions vraiment comme son corps et son sang »[42]. Cyrille de Jérusalem, de son côté, affirme : « Ce qui semble du pain, n’est pas du pain, bien qu’il soit sensible au goût, mais le corps du Christ, et ce qui semble du vin n’est pas du vin, bien qu’il en ait le goût, mais le sang du Christ »[43]. Ambroise de Milan, lui aussi témoigne : « Avant les paroles sacramentelles ce pain est pain ; lorsqu’est venue la consécration, le pain devient chair du Christ »[44].
Tout cela nous conduit à cette conclusion :
La présence réelle et objective du Christ, offerte dans l’eucharistie, n’est pas un pur en-soi, mais essentiellement aussi un «pour nous et pour notre salut». Remise dans ce contexte, la transsubstantiation, loin de supposer une sorte de rupture symbolique, voire ontologique entre les espèces et le Corps du Christ, est apte au contraire à exprimer quelque chose du lien profond et absolument nouveau qui les unit après le récit de l’institution et l’invocation de l’Esprit saint[45].
Au cours de l’histoire de la théologie eucharistique, il y a eu d’autres essais de formulation satisfaisante pour parler de ce changement par exemple[46] :
· on parle de la conversion du pain et du vin au Corps et au Sang du Christ. Le problème de cette ancienne formulation c’est qu’elle laisse entendre qu’il peut exister des conversions partielles ou superficielles.
· il y a ce qu’on appelle l’impanation : le Christ se rend présent dans (in) le pain, qui ne change pas vraiment de nature. Cela peut conduire à une compréhension d’une présence accidentelle du Christ dans le pain et le vin eucharistiés.
· une autre formulation est la companation pour expliquer que la présence du Christ coexiste avec la permanence du pain. Le problème de cette formulation est qu’il n’y a pas véritablement de changement complet. Dans ces deux dernières formulations, la radicalité du verbe être dans « ceci est mon Corps » n’est pas respectée.
· enfin, nous avons la « transfinalisation » : le pain a pour but de nourrir l’homme. L’Eucharistie vise (trans) un but supérieur : lui donner le pain de vie. C’est une belle idée, mais elle réduit le contenu théologique de l’Eucharistie dans son ensemble.
Pour approfondir…
Qu’est-ce que la « présence réelle » dans l'eucharistie ?
L'expression "présence réelle" est employée à propos de l'eucharistie… Comment l'entendre ? D'un côté, il ne faut pas imaginer une présence "locale" du Christ dans l'hostie consacrée ; mais d'un autre côté, ce serait atténuer la force de l'expression que de présenter le pain eucharistique comme un simple "signe" de cette présence. On entend dire, parfois : les catholiques croient à la présence réelle, les protestants n'y croient pas… En fait, les catholiques eux-mêmes ne sont pas toujours au clair sur le sens de la "présence réelle", et les positions protestantes sont, de leur côté, plus diverses qu'on ne pense.
L'éclairage de Thomas d'Aquin
L'histoire contribue à éclairer le problème. On discutait beaucoup au Moyen Âge, au sujet du corps eucharistique. Certains auteurs comprenaient ce corps de manière très réaliste, et même "physiciste" (ainsi Paschase Radbert au IXe siècle : pour lui, le corps eucharistique n'était autre que le corps né de Marie, et la chair du Christ y était simplement voilée). Par réaction, Bérenger de Tours affirma au XIe siècle que le pain eucharistique était seulement un "signe". Il dut certes se rétracter, et professa finalement que le pain et le vin consacrés étaient devenus le "vrai corps" et le "vrai sang" du Christ. Mais le problème demeurait alors : comment comprendre une telle transformation, alors même que les "espèces" (le pain et le vin) restaient inchangées ?
On vit apparaître dans ce contexte, au XIIe siècle, le mot technique de "transsubstantiation", et c'est avec saint Thomas d'Aquin, au siècle suivant, que ce mot devait recevoir son véritable sens. Pour le comprendre, il faut d'abord rappeler que la "substance" désigne, non pas une chose visible, mais la réalité intelligible d'un être. Dès lors, parler de "transsubstantiation" (ou de "conversion substantielle", comme Thomas préfère le dire dans sa dernière œuvre), c'est tenir qu'il y a bien changement de la substance du pain en substance du corps du Christ, mais c'est reconnaître en même temps que "le corps du Christ, selon le mode d'être qu'il a en ce sacrement, n'est perceptible ni pour le sens, ni pour l'imagination". Le paradoxe est que, plus tard, le mot "transsubstantiation" serait parfois détourné de son sens pour transmettre l'idée d'une présence "locale" du Christ dans l'hostie ! Or saint Thomas, prenant le mot "substance" dans son sens métaphysique, précisait que le corps du Christ est présent dans le sacrement "selon le mode de la substance" et que "la substance, en tant que telle, n'est pas visible pour l'œil corporel" ; ce qui est visible, par contre, ce sont les espèces du pain et du vin.
Tous les protestants n'ont pas la même doctrine
Les Réformateurs, au XVIe siècle, réagirent vivement contre certaines dérives de la pratique sacramentelle. Mais tous n'eurent pas la même doctrine à propos de l'eucharistie : Luther tenait quant à lui la présence réelle ; Zwingli voyait dans le pain et le vin de simples signes ; Calvin considérait que le fidèle recevait spirituellement la présence du Christ. En réponse au protestantisme, le concile de Trente déclara que, "après la consécration du pain et du vin, notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, est vraiment, réellement et substantiellement contenu sous l'apparence de ces réalités sensibles".
Même si le mot "contenu" risque d'entretenir l'idée d'une présence spatiale, le Concile reprend pour l'essentiel l'enseignement de saint Thomas : le Christ est tout entier présent sous les espèces du pain et du vin - il l'est "substantiellement", au sens qui a été précisé plus haut. Le Concile a en même temps soin de rappeler le sens fondamental de l'eucharistie (dont la doctrine de la présence réelle ne doit pas être séparée) : le Christ, par amour, a laissé un mémorial de ses merveilles, il nous a donné de célébrer sa mémoire et d'annoncer sa mort jusqu'à ce qu'il vienne ; il a voulu le sacrement comme "aliment spirituel des âmes qui nourrit et fortifie ceux qui "vivent de sa vie " ; il a voulu que ce soit "un symbole de cet unique corps dont il est lui-même la tête".
Le Christ s'offre lui-même aux croyants
L'histoire aide ainsi à comprendre la double exigence qui nous incombe : d'une part, nous ne pouvons pas entendre la présence réelle dans un sens "local" et "physiciste" ; d'autre part, et à l'inverse, nous ne pouvons pas voir dans le pain et le vin consacrés de simples "signes". C'est bien le Christ qui se donne "réellement" dans l'eucharistie.
Cette dernière affirmation se fonde sur le témoignage de l'Écriture. Lors du dernier repas, Jésus donne à ses disciples le pain et la coupe en leur disant : "Ceci est mon corps… ceci est mon sang…" (Matthieu 26, 26-28). Dans l'évangile de Jean, il prononce ces paroles : "Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie… Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas en vous la vie" (Jean 6, 51 et 53). Et Paul écrit aux chrétiens de Corinthe : "La coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n'est-il pas une communion au corps du Christ ?" (1 Corinthiens 10, 16).
Il y a donc bien "présence réelle" du Christ dans l'eucharistie. Pour comprendre le sens de cette présence, et pour la distinguer notamment de ce qui serait une présence "locale", le P. Yves de Montcheuil a développé jadis une profonde réflexion sur la "présence spirituelle" : "La présence véritable ne se trouve que là où se trouve un esprit. Toute présence est spirituelle… Si donc la présence eucharistique du Christ devait être comprise comme une relation directe ou indirecte avec un lieu, elle serait inférieure à la présence du Christ dans l'âme qui pense à lui et l'aime". De plus, la présence réelle ne doit pas être considérée isolément : si l'hostie est consacrée, c'est parce que le Christ s'est livré pour sa vie. Dans l'eucharistie, précisément, il se donne à nous comme nourriture.
On a fait appel à diverses images pour expliquer la "conversion substantielle" dont parlait saint Thomas. Ainsi, le pain est d'abord fait de blé ou de seigle ; mais une fois que le blé ou le seigle est devenu du pain, la vraie substance du pain est d'être une nourriture pour l'homme. Pourtant, de telles images sont nécessairement déficientes par rapport au mystère eucharistique. Il s'agit en effet d'une réalité unique entre toutes, à savoir que le Christ s'offre lui-même aux croyants qui communient à son corps et à son sang ; ce n'est pas là simple prolongation de ce que fut autrefois sa présence aux disciples, c'est plutôt la forme nouvelle que prend cette présence depuis que le Ressuscité, par-delà sa mort sur la Croix, se donne à nous dans le sacrement de l'Eucharistie.
Enjeux œcuméniques
Une juste compréhension de la "présence réelle" n'est pas seulement importante pour les catholiques ; il faut aussi souligner ses enjeux dans le cadre du dialogue œcuménique contemporain. Du point de vue doctrinal, il n'y a pas sur ce point de divergence avec l'orthodoxie ; n'est-ce pas là un fait qui, justement, devrait contribuer au rapprochement entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe ? Des divergences demeurent par contre entre catholiques et protestants. Toutefois, la théologie catholique contemporaine ne peut plus refuser à la Cène protestante une "consistance eucharistique" ; certes, elle n'y reconnaît pas "la substance propre et intégrale du mystère", mais cela ne veut pas dire qu'il n'y ait aucune présence du Christ dans la célébration.
Bien plus, les protestants et les catholiques du Groupe des Dombes ont pu aller jusqu'à écrire à propos de l'eucharistie : "Nous confessons unanimement la présence réelle, vivante et agissante du Christ dans ce sacrement. Le discernement du corps et du sang du Christ requiert la foi. Cependant, la présence du Christ à son Église dans l'eucharistie ne dépend pas de la foi de chacun, car c'est le Christ qui se lie lui-même, par ses paroles et dans l'Esprit, à l'événement sacramentel, signe de sa présence donnée". Il faut souhaiter qu'une telle conviction soit partagée par le plus grand nombre de chrétiens, et que les communautés encore séparées puissent être un jour unies dans le partage de la même eucharistie.
Cf. P. Michel Fedou, voir la note 148.
CHAPITRE V
CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE :
CHOIX DES SIGNES DE LA NOURRITURE LA PLUS ORDINAIRE
5.1. La signification du pain et du vin
Au commencement de la liturgie eucharistique, nous dit la PGMR, on apporte à l’autel les dons qui deviendront le Corps et le Sang du Christ (n° 73) : le pain et le vin. Pourquoi ? Le pain est le symbole de la nourriture en général. C’est la nourriture vitale, essentielle de l’homme. Il faut du pain pour vivre, dit-on… ou, il faut gagner son pain quotidien. Il symbolise la présence (qui s’exprime par le corps) et la relation (qui s’exprime par la parole)[1]. Le pain est le « symbole de la nourriture, des aliments qui entretiennent la vie, qui servent à la subsistance » (Dict. Larousse). De manière générale, il évoque la vie, la fraternité, la paix et la spiritualité. Il évoque aussi la dignité : Il véhicule des valeurs simples mais fondamentales. Il est fait pour être donné et partagé avant d’être consommé. Il a une dimension communautaire, humaine et sociale. Comme le grain de blé, il est lié à la mort et à la résurrection : pain de vie… sa dimension spirituelle. « Le pain est le symbole de la vie : il est le combustible qui chauffe le corps ; il est notre corps lui-même puisque nous sommes ce que nous mangeons »[2] et, comme « nourriture terrestre, le pain est aussi nourriture spirituelle, puisque son caractère essentiel nous relie à la Nature et au cosmos »[3].
Il est à noter que « la fabrication du pain combine les 4 éléments alchimiques : la terre (les grains et la farine), l’eau,l’air (l’action du levain qui aère le pain), le feu (l’énergie de la cuisson). Ces 4 éléments se retrouvent aussi dans le cycle de croissance du blé en terre. On retrouve donc dans le pain l’expression de toutes les forces de la Nature, qui se combinent au service de la vie »[4]. Notons également que « le pain est intimement lié à la symbolique du partage. En ce sens, le pain est semblable à la terre, avec ou sans majuscule : la terre que nous partageons tous, la planète que nous habitons tous. De la même manière que l’on n’habite pas la Terre seul, on ne mange pas le pain seul »[5]. Et ceci, « le pain se partage, nous rappelant que nous partageons tous la même condition et le même avenir. La conscience de la communauté humaine est précisément ce qui donne sa saveur au pain »[6].
Dans l’Eucharistie, souligne Michel Salamolard, présence et pain se rencontrent et ne font plus qu’un[7]. Alors, poursuit-il, « la présence du Christ peut devenir réellement pain, parce que son Corps ressuscité n’est pas soumis aux limites de nos terrestres, lesquels manifestent autant la présence que la séparation. Dans nos repas comme dans l’Eucharistie, le pain, la présence, le corps et la parole sont étroitement liés »[8].
Dans la Bible, le pain, (lechem en hébreu), occupe une place de choix jusqu’à être désigné comme « pain de vie », « chair donnée pour la vie du monde » par Jésus. Le pain est don de Dieu[9]. Dans la réalité cultuelle du peuple juif, l’offrande du pain est un signe de reconnaissance envers Dieu pour ses multiples bienfaits. Il y a l’usage du pain azyme/ la matzah (sans levain) lié à la fête de la Pâque juive, commémoration de l’Exode[10]. « Un rapprochement s’opère donc entre le pain et l’agneau immolé, qui trouvera son point culminant dans l’Eucharistie, célébration de la Pâque chrétienne et du nouvel Exode »[11].
Associé au sang, « le vin possède un symbolisme riche et ambigu, qui touche à des thèmes aussi divers que la fête, la convivialité, la fraternité, l’ivresse, la colère, la vérité, le sacrifice, le mystère de la vie, les rites de passage ou encore l’accès à la connaissance supérieure »[12]. Il symbolise « l’eau de la vie » ou « le vin, c’est le sang de la vigne ». Un élément vital y apparaît symboliquement. Dans la mentalité biblique, le sang est le symbole de la vie. Sa composition « peut être mise en rapport avec les 5 éléments alchimiques : la terre, le substrat de la vigne, l’eau, l’énergie vitale et la nourriture de la plante, le feu, le soleil qui lui permet de s’élever, l’air (symbole de la conscience), le savoir-faire du vigneron, et l’éther, le cinquième élément, qui englobe les quatre premiers. Il peut être associé à l’alcool du vin. C’est la quintessence, l’extraction du sens, la révélation des secrets de l’existence. On notera un parallèle évident entre le vin et le sang : relié au cœur (centre cosmique), le sang représente le véhicule de la vie et l’accès à un niveau de conscience supérieur »[13]. « Plus simplement, on peut voir le vin comme l’alliance du feu et de l’eau, à savoir les deux énergies cosmiques essentielles associées au soleil et à la lune »[14]. Le vin « représente le miracle de la vie, il est une transformation de l’énergie vitale terrestre en une énergie spirituelle qui a vocation à rencontrer Dieu »[15]. Dans la Bible, lié à la symbolique de la vigne, il évoque la relation entre Dieu et son peuple.
Le vin symbolise aussi la joie, le bonheur : il « réjouit le cœur de l’homme » chante le psalmiste (Ps 104/105, 15). Il est apte, comme le précise Michel Salamolard, à évoquer aussi la vie donnée par amour, sacrifiée, la souffrance : les grappes sont écrasées au pressoir pour en extraire le jus[16]. Retenons que le pain et le vin nous viennent après un processus de transformation. Cette transformation « est à la fois un processus naturel (levain dans pâte, cuisson par le feu, fermentation du moût) et le résultat d’une activité humaine. Comme nous le disons à la messe, pain et vin sont "fruits de la terre et du travail des hommes" : dons reçus de Dieu, ils sont fruits de la terre, et offerts à Dieu, "enrichis" de ce que nous y avons mis de nous-mêmes, ils sont le produit du travail des hommes »[17].
Il y a là, pour le coup, une signification christique du pain et du vin qui pointe. « Comme eux, Jésus est à la fois don reçu de Dieu, vrai Dieu uni à l’homme, et don offert à Dieu, vrai homme uni à Dieu »[18].
Pour approfondir…
Le pain et le vin dans la Bible
Le pain et le vin, « fruits de la terre, de la vigne et du travail des hommes », constituent la nourriture de base de la vie quotidienne et des fêtes juives. Avec le christianisme, ils prennent un sens nouveau.
Quelle est la place du pain et du vin dans la vie quotidienne ?
Le pain est le principal moyen de subsistance de l’homme. Il est mentionné dès le début de la Genèse : « C’est à la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain » (Gn 3, 19). Il est avant tout destiné à être partagé avec les autres, notamment avec les affamés. Sa présence ou son absence sont un signe de bénédiction divine ou, au contraire, de châtiment du péché. L’homme juste est appelé à demander à Dieu son « pain quotidien » (Mt 6, 11), et à l’attendre dans la confiance, à l’image de la manne, venue du ciel, qui nourrissait chaque jour le peuple au désert (Ex 16). « Celui qui a de quoi manger aujourd’hui et qui se demande ce qu’il va manger demain est un homme de peu de foi », dit le Talmud. C’est lors de la multiplication des pains, opérée par le prophète Élisée puis par Jésus, que Dieu rassasie son peuple et témoigne de son amour surabondant.
On doit à Noé l’invention de la viticulture (Gn 9, 20). Il découvre les effets réjouissants du vin mais aussi son aspect dangereux : l’ivresse. Dès lors, la Bible va marteler le message : à consommer avec modération. Saint Paul mettra en garde les Éphésiens (5, 19) contre l’« inconduite » qui s’empare de ceux qui s’enivrent.
« Le vin, à l’époque de Jésus, était réservé aux jours de fête. Il se conservait mal et tournait vinaigre, c’est pourquoi on le coupait avec de l’eau. Le pain ressemblait à l’actuelle pita libanaise. On consommait, en guise de petit déjeuner, de l’eau, du pain et des olives. Il n’y avait qu’un seul repas par jour, pris vers 17 heures, avant que le soleil se couche. Il était en général composé de pain, de poisson et de légumes », explique le père Éric Morin, directeur des Cahiers Évangile, une revue de formation biblique.
Quel rôle le pain et le vin jouent-ils dans le culte ?
Dans le sanctuaire du temple de Jérusalem, les prêtres disposaient des pains sur une table en or en signe de « l’alliance éternelle » entre Dieu et son peuple. Le vin était répandu sur l’autel (libation). Les prêtres offraient aussi les prémices des récoltes de blé, d’orge et de raisin, manifestant ainsi la reconnaissance que ces dons venaient de Dieu.
Les rituels des fêtes juives et du shabbat débutent toujours par une bénédiction du pain et du vin. Lors du Séder, le repas rituel de la Pâque, partagé à la maison, quatre coupes de vin sont bénies, en lien avec les quatre phrases du Livre de l’Exode (6, 6-7) : « Je vous ferai sortir loin des corvées qui vous accablent en Égypte. Je vous délivrerai de la servitude. Je vous rachèterai d’un bras vigoureux et par de grands châtiments. Je vous prendrai pour peuple, et moi, je serai votre Dieu. » « Une cinquième coupe est appelée “la coupe de la délivrance”, mais elle n’est pas bue, explique le rabbin Philippe Haddad (lire ci-contre). C’est la coupe de l’espérance des temps messianiques où l’humanité sera enfin pacifiée et reconnaîtra la royauté de Dieu. »
Le pain du repas de la Pâque est différent : il n’y a pas de levain, rappelant l’empressement avec lequel le peuple hébreu avait fui l’esclavage en Égypte sous la conduite de Moïse.
Lors de son dernier repas de la Pâque avec les Douze, Jésus bénit le pain et le vin mais donne à ces gestes une réalité et un sens totalement nouveaux : ils deviennent son corps et son sang offerts pour le salut de l’humanité. Le Christ demande aux Douze d’accomplir ces mêmes gestes en mémoire de lui : ainsi, sa Parole est vivante, elle est un pain rassasiant.
Qu’est-ce que ces usages du pain et du vin nous enseignent ?
« En hébreu, le mot pain (lehem) a la même racine que le mot combat (laham), explique Christophe Pichon, bibliste au Centre Sèvres – Facultés jésuites (1). Le pain est l’occasion de mettre à l’épreuve, à travers des combats et des apprentissages, les relations que nous entretenons avec nous-mêmes, avec les autres, avec la terre et avec Dieu. Le manque de pain questionne notre confiance en Dieu. Le don du pain soulève la question du juste partage avec le plus pauvre ; et celle de notre lien avec le Donateur : exprimons-nous de la reconnaissance pour ce qui vient du ciel et de la terre ? Enfin, le pain interroge ce qui, dans notre vie, nous rassasie vraiment. » On retrouve cette même ambivalence dans le vin. Il symbolise la joie mais aussi l’enivrement, avec tous ses excès.
Dans le Livre du Lévitique (7, 27), il est interdit d’absorber le sang d’un être vivant car le sang, c’est la vie et elle appartient à Dieu. Jésus contrevient-il à cette loi en parlant du vin comme de son sang ? « Non, répond Philippe Haddad, car Moïse parle déjà du vin comme du “sang de la vigne” (Dt 32, 14). Le sang symbolise la vie, l’enseignement, la mission de Jésus. »
Dans le chapitre 15 de l’Évangile selon saint Jean, la parabole de la vigne et des sarments dévoile ce que Dieu attend de nous : « Que nous nous greffions sur lui de façon que sa sève circule en nous et porte du fruit, explique le dominicain Philippe Lefebvre, bibliste, enseignant à la faculté de théologie de Fribourg en Suisse (2). Ce fruit dans la Bible résulte toujours de la communion entre l’homme et Dieu. Boire le vin, sang de Jésus, c’est participer à cette fructification du monde que Dieu désire depuis la création du monde. »
« Jésus devait avoir une manière bien à lui de bénir le pain et la coupe, dit le père Éric Morin. La preuve, c’est que les disciples d’Emmaüs, qui ne font pas partie des Apôtres et n’ont pas partagé la Pâque avec lui, reconnaissent immédiatement Jésus à la fraction du pain. Cela veut dire qu’ils l’avaient souvent vu accomplir ces gestes… »
Le mémorial, qui est célébré à chaque Eucharistie, parle aussi de notre avenir. « Jésus ne nous accueillera pas sur son trône en nous regardant de haut, poursuit-il, mais il s’abaissera pour nous laver les pieds et recevoir le pain de nos vies et le vin de nos joies et il les offrira au Père en disant : ceci est mon corps, ceci est mon sang. »
Le vin du secret
En hébreu, chaque lettre de l’alphabet a une valeur numérique. En additionnant les lettres d’un mot, on obtient un total. On peut ainsi faire résonner deux mots qui ont une même valeur numérique. On appelle cette méthode la gamatria. Par exemple, le mot « vin » (yayin) a une valeur numérique de 70, la même que le mot « secret » (sod). Appliquer la gamatria à certains mots de l’Évangile (même s’ils ont été rédigés en grec) peut en renouveler le sens. Le miracle de la transformation de l’eau en vin, lors des noces de Cana, est interprété dans la tradition chrétienne comme l’union de Dieu avec son peuple et de Jésus avec l’humanité. « En buvant, pourrait-on dire, le vin entre et le secret sort. Autrement dit, Jésus, par ce vin nouveau, révèle le secret des choses », explique Philippe Haddad, rabbin libéral de l’association Judaïsme en mouvement, acteur du dialogue judéo-chrétien et lecteur du Nouveau Testament.
(1) Auteur de Ce que dit la Bible sur… Le pain, Nouvelle cité, 128 p.
(2) auteur de Ce que dit la Bible sur… Le vin, Nouvelle cité, 126 p.
Provenance du texte : Gilles Donada, « Le pain et le vin dans la Bible », https://www.la-croix.com, consulté le 11/06/2023.
5.2. Le déroulement de la célébration eucharistique
La messe comporte, en effet, différentes parties : les rites initiaux, la liturgie de la Parole, la liturgie de l’eucharistie, les rites de communion et les rites de conclusion. Mais les deux grandes parties principales sont la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique.
5.2.1. Les rites initiaux
Les rites qui précèdent la liturgie de la Parole, c´est-à-dire le chant d´entrée (introït), la salutation, l’acte pénitentiel, le Kyrie, le Gloria et la prière d´ouverture (collecte), ont le caractère d´une ouverture, d´une introduction et d´une préparation. Leur but est que les fidèles qui se réunissent réalisent une communion et se disposent à bien entendre la parole de Dieu et à célébrer dignement l´Eucharistie. Dans certaines célébrations qui sont jointes à la messe, selon la norme des livres liturgiques, on omet les rites d’ouverture ou on les accomplit d’une manière particulière »[19].
Nous arrivons à l’église et nous apprêtons à célébrer le plus grand mystère de notre foi. Durant ces rites initiaux, les fidèles se tiendront debout.
5.2.1.1. Le chant et la procession d’entrée
Le chant d’entrée a été introduit dans la liturgie romaine au Ve siècle. La procession symbolise le chemin que parcourt l’Église pèlerine jusqu’à la Jérusalem céleste. Lorsque le prêtre arrive à l’autel, il le vénère. Ce geste de vénération, parfois accompagné d’encensement, signifie que tout est référé au Christ, lui l’autel, le prêtre et la victime. Par ce baiser, le prêtre exprime son adhésion au mystère de Dieu. Le fait que le prêtre, et non le diacre, mette habituellement les mains sur l’autel en l’embrassant manifeste son pouvoir d’agir sacramentellement sur lui par son sacerdoce, dans l’offrande du sacrifice.
Lorsque le peuple est rassemblé, tandis que le prêtre entre avec le diacre et les ministres, on commence le chant d´entrée (introït). Le but de ce chant est d´ouvrir la célébration, de favoriser l´union des fidèles rassemblés, d´introduire leur esprit dans le mystère du temps liturgique ou de la fête, et d´accompagner la procession du prêtre et des ministres. Il est exécuté alternativement par la chorale et le peuple ou, de la même manière, par le chantre et le peuple, ou bien entièrement par le peuple ou par la chorale seule. On peut utiliser ou bien l´antienne avec son psaume qui se trouvent soit dans le Graduale romanum soit dans le Graduale simplex; ou bien un autre chant accordé à l´action sacrée, au caractère du jour ou du temps, et dont le texte soit approuvé par la Conférence des évêques.
S’il n’y a pas de chant pour l´entrée, on fait réciter l´antienne que propose le Missel, soit par les fidèles, soit par certains d´entre eux, soit par un lecteur ou, autrement, par le prêtre lui-même, qui peut aussi l’adapter sous forme de monition d’ouverture[20].
5.2.1.2. L’accueil du prêtre présidant
Le prêtre prend la parole et salue l’assemblée : « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Le signe de croix, pratique chrétienne primitive, exprime notre première profession de foi dans le mystère de Dieu : la souffrance et la mort, mais en les transfigurant par le mystère pascal.
L’assemblée adhère en répondant « Amen », puis le prêtre l’accueille en lui souhaitant la présence du Ressuscité. : « Le Seigneur soit avec vous ». La nouvelle traduction souligne cela en utilisant le mot « Christ » : « La grâce de Jésus, le Christ, notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père, et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous ».
C’est la bénédiction par excellence, l’expression « condensée » de l’Alliance de Dieu avec son peuple. Pensons à la Parole de l’ange à Marie : « Le Seigneur est avec toi ». C’est aussi la promesse du Christ à ses apôtres : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ». À ce moment-là, le prêtre parle au nom du Christ, il ne dit pas : « avec nous », mais « avec vous ». Les premières phrases prononcées par le prêtre situent la messe à son vrai niveau : elle est le rendez-vous de Dieu. Le peuple de Dieu est là au nom des trois personnes de la Trinité. L’Église est « le peuple qui tire son unité de l’unité du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (saint Cyprien de Carthage).
L’assemblée répond : « Et avec votre esprit ». C’est la manière ordinaire, dans la Bible, de répondre à une salutation. Dans la liturgie chrétienne, elle prend un sens nouveau, s’adressant à celui qui préside l’assemblée en vertu de l’Esprit qu’il a reçu par l’imposition des mains, lors de l’ordination.
Lorsqu´ils sont arrivés au « sanctuaire », le prêtre, le diacre et les ministres saluent l´autel par une inclination profonde. Pour exprimer leur vénération, le prêtre et le diacre baisent ensuite l’autel; et le prêtre, si cela est opportun, encense la croix et l’autel. .Lorsque le chant d´entrée est fini, le prêtre, debout à son siège, fait le signe de la croix avec toute l´assemblée. Ensuite, en saluant la communauté rassemblée, il lui signifie la présence du Seigneur. Cette salutation et la réponse du peuple manifestent le mystère de l´Église rassemblée. Après la salutation au peuple, le prêtre, ou le diacre, ou un ministre laïc, peut, par quelques mots très brefs, introduire les fidèles à la messe du jour[21].
5.2.1.3. L’acte pénitentiel
Ensuite, le prêtre invite à l’acte pénitentiel qui, après un bref instant de silence, est réalisé par toute la communauté en utilisant une formule de confession générale ; le prêtre la conclut par une absolution, qui n’a pas toutefois l’efficacité du sacrement de pénitence.
Le dimanche, au Temps pascal surtout, en lieu et place de l’acte pénitentiel, on peut faire la bénédiction de l’eau et l’aspersion en mémoire du baptême[22].
Les fidèles se reconnaissent devant Dieu pécheurs et faibles. Il s’agit d’un acte d’humilité. Et ils lui demandent pardon pour toutes leurs fautes – il ne remplace pas la confession en cas de péché mortel.
Cet acte comporte quatre parties :
1. Invitation aux fidèles à faire un bref examen de conscience et à se reconnaître pécheurs dans un moment de silence. Cet instant de silence est important et constitue la partie essentielle de cet acte.
2. Demande de pardon, qui s’exprime avec la prière du « Je confesse à Dieu », et avec le geste de se frapper la poitrine en disant : « Oui, j’ai vraiment péché ». Dans le rite ancien, on se frappait trois fois la poitrine, maintenant, une fois suffit.
3. Absolution, qui n’a toutefois pas l’efficacité d’un sacrement, mais exprime un désir du pardon de Dieu. Le prêtre implore : « Que Dieu tout-puissant nous fasse miséricorde, qu’Il nous pardonne tous nous péchés et nous conduise à la vie éternelle ». L’assemblée répond : « Amen ».
4. Chant du Kyrie. Suit une prière de supplication : le Kyrie. Petite litanie entre le célébrant et l’assemblée, conservée depuis les premiers temps de l’Église, le Kyrie nous rappelle que notre liturgie est le fruit de toute une tradition transmise de siècle en siècle. Le terme grec, « Kyrie », est le témoin privilégié de la langue dans laquelle a été rédigé le Nouveau Testament, et prouve la continuité et la catholicité de l’Église à travers les générations.
Le Kyrie est avant tout une acclamation au Christ Seigneur, dont la divinité est glorifiée dès le début de la messe. Le Moyen-Âge y a vu une acclamation en l’honneur des trois Personnes divines.
Après l’acte pénitentiel, on commence toujours le Kyrie eleison, à moins que cette invocation n´ait déjà trouvé place dans l’acte pénitentiel lui-même. Puisque c´est un chant par lequel les fidèles acclament le Seigneur et implorent sa miséricorde, il est habituellement exécuté par tous, le peuple, la chorale ou un chantre y tenant leur partie. Chaque acclamation est ordinairement dite deux fois, mais cela n´exclut pas, en raison du génie des différentes langues, des exigences de l´art musical, ou en raison des circonstances, qu´on puisse la répéter davantage. Quand le Kyrie est chanté comme faisant partie de l’acte pénitentiel, on fait précéder d’un « trope » chaque acclamation[23].
Le rite pénitentiel démarre désormais avec la mention « Frères et sœurs », le langage inclusif. Une mention que l’on retrouvait déjà dans le missel latin. « Nous avons péché » remplace « nous sommes pécheurs », l’accent est donc mis sur l’acte plus que sur la personne. Dieu déteste le péché, mais pas l’homme. On ne peut enfermer le pécheur dans son état. Par le baptême, les fidèles du Christ sont avant tout des pécheurs pardonnés. La Vierge Marie gagne le vocable de bienheureuse.
Nous retrouvons ce langage inclusif « frères et sœurs » aussi à la première invitation à la prière sur les offrandes ainsi qu’au mémento des défunts des prières eucharistiques II et III. Le canon romain fait de même aux mémentos des vivants et des défunts (bien avant la nouvelle traduction) : « Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes » (en latin famulorum famularumque) : « Frères et sœurs, préparons-nous à célébrer le mystère de l’Eucharistie, en reconnaissant que nous avons péché ».
La deuxième modification significative apparaît dans l’application de la catégorie théologique de « mystère/musterion » à l’Eucharistie. En liturgie, un mystère est une réalité surnaturelle dans laquelle on entre de manière mystique. C’est le clair-obscur de la foi. C’est aussi le clair-obscur du dessein de salut de Dieu : le mystère du salut. Dans la nouvelle traduction, le mot latin mystrium a été également traduit par « mystère », parfois par « sacrement ». Le recours à la catégorie de mystère permet d’inscrire l’événement liturgique dans la tradition et de relier la communauté rassemblée aujourd’hui aux premières communautés chrétiennes qui célébraient les sacra mysteria, les « mystères sacrés » ou les « saints mystères », aujourd’hui dénommés « mystère de l’Eucharistie ».
Je confesse à Dieu tout-puissant, Je reconnais devant vous, frères et sœurs, que j’ai péché en pensée, en parole, par action et par omission. Oui, j’ai vraiment péché. C’est pourquoi je supplie la bienheureuse Vierge Marie, les anges et tous les saints, et vous aussi, frères et sœurs, de prier pour moi le Seigneur notre Dieu.
Toutefois, le dimanche, et surtout au Temps pascal, au lieu de l’acte pénitentiel habituel, on peut faire l’aspersion d’eau bénite en mémoire du baptême.
5.2.1.4. Le Gloria
Chanté debout, Le Gloria est une hymne très ancienne et vénérable, par laquelle l’Église, rassemblée dans l’Esprit Saint, glorifie Dieu le Père ainsi que l’Agneau qu’elle supplie. On ne peut jamais remplacer le texte de cette hymne par un autre. Nous louons Dieu et reconnaissons combien nous avons besoin de Lui. L’hymne du Gloria reprend le chant des anges dans la nuit de Bethléem, est une prière antique des Églises orientales, passée au Moyen-Âge dans la liturgie romaine. Elle est chantée dans la liturgie romaine à partir du VIe siècle d’abord en la nuit de Noël, puis les dimanches et aux fêtes des martyrs.
Le Gloria est une hymne très ancienne et vénérable par laquelle l´Église, rassemblée dans l´Esprit Saint, glorifie Dieu le Père ainsi que l´Agneau qu’elle supplie. On ne peut jamais remplacer le texte de cette hymne par un autre. Le Gloria est entonné par le prêtre ou, si cela est opportun, par un chantre ou par la chorale ; il est chanté soit par tous ensemble, soit par le peuple alternant avec la chorale, soit par la chorale elle-même. Si on ne le chante pas, il doit être récité par tous, ensemble ou par deux chœurs qui alternent. On chante ou on dit le Gloria le dimanche en dehors de l´Avent et du Carême, aux solennités et aux fêtes, ou encore dans des célébrations particulières plus solennelles[24].
5.2.1.5. La prière d’ouverture
Également appelée « collecte », elle est prononcée exclusivement par le prêtre. C’est une prière qui exprime le caractère de la célébration. C’est la prière que le prêtre, au nom de tous, adresse à Dieu le Père. Cette prière regroupe ou recueille les intentions de toute l’assemblée. Tous prient en silence quelques instants, en même temps que le prêtre. Puis, le prêtre, les mains étendues, dit la prière d’ouverture ou collecte. Habituellement, celle-ci se termine ainsi :
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur,
qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
Si la prière s’adresse au Père, mais avec mention du Fils à la fin, on dit :
Lui qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
Si elle s’adresse au Fils :
Toi qui vis et règnes avec le Père dans l’unité du Saint-Esprit,
Dieu, pour les siècles des siècles.
L’assemblée répond : Amen. La longue formule de doxologie, par quoi elle se termine, est une confession de la divinité du Christ et de son intercession sacerdotale auprès du Père, dans l’Esprit.
5.2.2. La liturgie de la Parole
La partie principale de la liturgie de la Parole est constituée par les lectures tirées de la sainte Écriture, avec les chants qui s´y intercalent. En outre, l´homélie, la profession de foi et la prière universelle la développent et la concluent. Car dans les lectures, que l´homélie explique, Dieu adresse la parole à son peuple, il découvre le mystère de la rédemption et du salut et il offre une nourriture spirituelle; et le Christ lui-même est là, présent par sa parole, au milieu des fidèles. Cette parole divine, le peuple la fait sienne par le silence et les chants, et il y adhère par la profession de foi; nourri par elle, il supplie avec la prière universelle pour les besoins de toute l´Église et pour le salut du monde entier[25].
Au cours de la messe, après le temps du rassemblement et de l’accueil, c’est le temps de la Parole. Au travers de la lecture de textes de la Bible, Dieu nous « parle » et nous lui répondons (j’entends la voix d’un lecteur, mais j’écoute Dieu présent qui me parle). On dit souvent à la messe que nous sommes invités au « repas du Seigneur ». Mais que serait un repas s’il n’y avait le plaisir de se parler, de s’écouter, de se connaître ? Jésus a dit : « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais de toute parole qui vient de la bouche de Dieu » (cf. Mt 4, 4 ; Lc 4, 4).
Dans les lectures, tirées de la Sainte Écriture – qui constituent aussi une nourriture spirituelle – Dieu parle à son peuple, lui révèle le mystère de la Rédemption et du Salut. Les lectures de la messe varient tout au long de l’année en fonction des temps liturgiques (Avent, Noël, Carême, Pâques, temps ordinaire) et se divisent en trois cycles, un par an : A, B, C ; aussi, tout fidèle qui va à la messe quotidiennement, au bout de trois ans aura écouté la Bible presque complète. En cet instant, Dieu nous parle et veut que ce message quotidien, nous le conservions dans notre cœur, le méditions et le mettions en pratique pendant la journée.
Comment se lisent les lectures ? Le lecteur va à l’ambon tandis que les fidèles s’assoient. On ne dit pas « Première lecture » ou « Deuxième lecture », mais on les lit directement. Elles s’achèvent avec la phrase : « Parole du Seigneur ». On ne dit pas : « C’est parole de Dieu », car cette expression n’est pas une précision, mais une confession de foi. Nous recevons la Parole de Dieu dans l’Écriture, Ancien et Nouveau Testament. Le Nouveau éclaire l’Ancien ; l’Ancien donne des racines au Nouveau. Les Juifs aussi, au temps de Jésus, se réunissaient à la synagogue le jour du Shabbat, pour méditer la Parole de Dieu (cf Lc 4, 16), une Parole « vivante, efficace et plus acérée qu’aucun glaive à deux tranchants » (He 4, 12).
La liturgie de la Parole doit se célébrer de manière à favoriser la méditation, c’est-à-dire en évitant toute forme de précipitation qui empêche le recueillement. Il est même bon qu’elle comprenne quelques brefs moments de silence, adaptés à l’assemblée réunie : par ce moyen, avec l’aide de l’Esprit Saint, la parole de Dieu est accueillie dans le cœur et la réponse de chacun se prépare dans la prière. Ces moments de silence peuvent être observés opportunément, par exemple avant de commencer la liturgie de la Parole, après la première et la seconde lecture, et enfin après l’homélie[26].
La liturgie devient véritablement lieu de la Parole. Elle met en évidence la caractère performatif de cette Parole dans l’action sacramentelle par excellence, l’Eucharistie, dans un réel approfondissement de leur relation. Il y a lieu ici de parler de la sacramentalité de la Parole qui « se comprend alors par analogie à la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin consacrés. En nous approchant de l’autel et en prenant part au banquet eucharistique, nous communions réellement au Corps et au Sang du Christ. La proclamation de la Parole de Dieu dans la célébration implique la reconnaissance que le Christ lui-même est présent et s’adresse à nous pour être écouté. […]. Le Christ, réellement présent dans les espèces du pain et du vin, est présent analogiquement dans la Parole proclamée dans la liturgie »[27].
5.2.2.1. Le déploiement de la sacramentalité
de la Parole dans son site liturgique
1. La première lecture. Elle est toujours tirée de l’Ancien Testament (sauf au temps de Pâques où nous lisons les Actes des Apôtres). Dans l’Ancien Testament, Dieu nous parle à travers l’histoire du peuple d’Israël et de ses prophètes.
Dans les lectures, la table de la parole de Dieu est dressée pour les fidèles, et les trésors bibliques leur sont ouverts. Il importe par conséquent d’observer l’ordonnance des lectures bibliques, qui montre bien l’unité de l’un et l’autre Testament et de l’histoire du salut, et il n’est jamais permis de remplacer les lectures et le psaume responsorial, qui contiennent la parole de Dieu, par d’autres textes non bibliques[28].
2. Le psaume responsorial. C’est un texte biblique par lequel Dieu parle à son peuple. Les psaumes font partie des livres de la Sagesse, dits sapientiaux. Le psaume est choisi en fonction de la première lecture.
La première lecture est suivie du psaume responsorial qui fait partie intégrante de la liturgie de la Parole et a une grande importance liturgique et pastorale, car il favorise la méditation de la parole de Dieu. Le psaume responsorial correspond à chaque lecture et se prend d’ordinaire dans le lectionnaire. Il importe que le psaume responsorial soit chanté, au moins pour ce qui est de la réponse du peuple. Le psalmiste, ou chantre du psaume, exécute les versets du psaume à l´ambon ou à un autre endroit approprié, tandis que toute l´assemblée est assise et écoute; habituellement celle-ci participe par un refrain, à moins que le psaume ne soit dit de manière suivie, c´est-à-dire sans reprise d’un refrain. Cependant, pour que le peuple puisse plus facilement donner une réponse en forme de psalmodie, on a choisi quelques textes de refrains et de psaumes pour les différents temps de l´année ou pour les différentes catégories de saints, que l´on peut employer, au lieu du texte correspondant à la lecture, chaque fois que le psaume est chanté. Si le psaume ne peut pas être chanté, on le récitera de la manière la plus apte à favoriser la méditation de la parole de Dieu. A la place du psaume marqué dans le lectionnaire, on peut chanter aussi le répons graduel du Graduale romanum, ou le psaume responsorial ou alléluiatique du Graduale simplex, tels qu´ils se trouvent dans ces différents livres[29].
3. La deuxième lecture. Elle est toujours tirée du Nouveau Testament, des lettres des apôtres Pierre, Jacques, Jude et surtout de Paul, ainsi que de l’Apocalypse.
4. L’Alléluia. Les fidèles se lèvent. L’Alléluia est chanté en tout temps en dehors du Carême, où il est remplacé par une acclamation ou un verset qui se trouve dans le Lectionnaire, ou un autre chant approprié[30].
5. La proclamation de l’Évangile. La « Bonne Nouvelle » et Parole de Jésus-Christ occupent la première place. On peut dans certaines circonstances encenser l’évangéliaire. C’est au ministre ordonné (évêque, prêtre, diacre) que revient la proclamation de l’Évangile. Configuré au Christ-Tête par le sacrement de l’ordre, il atteste devant l’assemblée que cette Parole n’est pas ordinaire, mais que, par sa voix, le Christ vivant parle à son Église.
D’où les signes de vénération adressés à l’évangéliaire :
· l’encensement,
· le baiser,
· les deux acclamations qui, dans un raccourci saisissant, accompagnent la présentation de l’Évangile : « Gloire à toi, Seigneur » et la reconnaissance finale : « Louange à toi, Seigneur Jésus ».
Et nous traçons trois croix sur nous : sur notre front pour que la Parole vienne nourrir notre intelligence, sur notre bouche pour que nous apportions la Parole aux autres et sur notre cœur afin que nous laissions la Parole l’envahir.
5.2.2.2. La Parole expliquée, confessée et priée
1. L’Homélie
fait partie de la liturgie et elle est fortement recommandée car elle est nécessaire pour nourrir la vie chrétienne. Elle doit expliquer un aspect des lectures scripturaires, ou bien d´un autre texte de l´ordinaire ou du propre de la messe du jour, en tenant compte soit du mystère que l´on célèbre, soit des besoins particuliers des auditeurs. L’homélie doit être faite habituellement par le prêtre célébrant lui-même ou par un prêtre concélébrant à qui il l’aura demandé, ou parfois aussi, si cela est opportun, par un diacre, mais jamais par un laïc. Dans des cas particuliers et pour une juste cause, l’homélie peut être faite aussi par l’évêque ou un prêtre qui participe à la célébration et qui ne peut pas concélébrer. Les dimanches et fêtes de précepte, il faut faire l´homélie à toutes les messes célébrées en présence du peuple, et on ne pourra l’omettre que pour une cause grave; les autres jours, elle est aussi recommandée, surtout aux féries de l´Avent, du Carême et du Temps pascal, ainsi qu´aux autres fêtes et aux occasions où le peuple se rend à l’église en plus grand nombre. Après l’homélie, il sera utile d’observer un bref moment de silence[31].
Les fidèles s’assoient. Les dimanches et fêtes d’obligation, il faut faire l’homélie à toutes les messes célébrées en présence du peuple, et on ne pourra l’omettre que pour une cause grave ; les autres jours, elle est aussi recommandée. À ce moment de la Messe, le prêtre ou le diacre explique un aspect des trois lectures et son application dans nos vies.
EVANGELII GAUDIUM
L’HOMÉLIE
135. Considérons maintenant la prédication dans la liturgie, qui demande une sérieuse évaluation de la part des pasteurs. Je m’attarderai en particulier, et avec un certain soin, à l’homélie et à sa préparation, car les réclamations à l’égard de ce grand ministère sont nombreuses, et nous ne pouvons pas faire la sourde oreille. L’homélie est la pierre de touche pour évaluer la proximité et la capacité de rencontre d’un pasteur avec son peuple. De fait, nous savons que les fidèles lui donnent beaucoup d’importance ; et ceux-ci, comme les ministres ordonnés eux-mêmes, souffrent souvent, les uns d’écouter, les autres de prêcher. Il est triste qu’il en soit ainsi. L’homélie peut être vraiment une intense et heureuse expérience de l’Esprit, une rencontre réconfortante avec la Parole, une source constante de renouveau et de croissance.
136. Renouvelons notre confiance dans la prédication, qui se fonde sur la conviction que c’est Dieu qui veut rejoindre les autres à travers le prédicateur, et qu’il déploie sa puissance à travers la parole humaine. Saint Paul parle avec force de la nécessité de prêcher, parce que le Seigneur a aussi voulu rejoindre les autres par notre parole (cf. Rm 10, 14-17). Par la parole, notre Seigneur s’est conquis le cœur des gens. Ils venaient l’écouter de partout (cf. Mc 1, 45). Ils restaient émerveillés, “buvant” ses enseignements (cf. Mc 6, 2). Ils sentaient qu’il leur parlait comme quelqu’un qui a autorité (cf. Mc 1, 27). Avec la parole, les Apôtres, qu’il a institués « pour être ses compagnons et les envoyer prêcher » (Mc 3, 14), attiraient tous les peuples dans le sein de l’Église (cf. Mc 16, 15.20).
137. Il faut se rappeler maintenant que « la proclamation liturgique de la Parole de Dieu, surtout dans le cadre de l’assemblée eucharistique, est moins un moment de méditation et de catéchèse que le dialogue de Dieu avec son peuple, dialogue où sont proclamées les merveilles du salut et continuellement proposées les exigences de l’Alliance ».[112] L’homélie a une valeur spéciale qui provient de son contexte eucharistique, qui dépasse toutes les catéchèses parce qu’elle est le moment le plus élevé du dialogue entre Dieu et son peuple, avant la communion sacramentelle. L’homélie reprend ce dialogue qui est déjà engagé entre le Seigneur et son peuple. Celui qui prêche doit discerner le cœur de sa communauté pour chercher où est vivant et ardent le désir de Dieu, et aussi où ce dialogue, qui était amoureux, a été étouffé ou n’a pas pu donner de fruit.
138. L’homélie ne peut pas être un spectacle de divertissement, elle ne répond pas à la logique des moyens médiatiques, mais elle doit donner ferveur et sens à la célébration. C’est un genre particulier, puisqu’il s’agit d’une prédication dans le cadre d’une célébration liturgique ; par conséquent elle doit être brève et éviter de ressembler à une conférence ou à un cours. Le prédicateur peut être capable de maintenir l’intérêt des gens durant une heure, mais alors sa parole devient plus importante que la célébration de la foi. Si l’homélie se prolonge trop, elle nuit à deux caractéristiques de la célébration liturgique : l’harmonie entre ses parties et son rythme. Quand la prédication se réalise dans le contexte liturgique, elle s’intègre comme une partie de l’offrande qui est remise au Père et comme médiation de la grâce que le Christ répand dans la célébration. Ce contexte même exige que la prédication oriente l’assemblée, et aussi le prédicateur, vers une communion avec le Christ dans l’Eucharistie qui transforme la vie. Ceci demande que la parole du prédicateur ne prenne pas une place excessive, de manière à ce que le Seigneur brille davantage que le ministre.
139. Nous avons dit que le Peuple de Dieu, par l’action constante de l’Esprit en lui, s’évangélise continuellement lui-même. Qu’implique cette conviction pour le prédicateur ? Elle nous rappelle que l’Église est mère et qu’elle prêche au peuple comme une mère parle à son enfant, sachant que l’enfant a confiance que tout ce qu’elle lui enseigne sera pour son bien parce qu’il se sait aimé. De plus, la mère sait reconnaître tout ce que Dieu a semé chez son enfant, elle écoute ses préoccupations et apprend de lui. L’esprit d’amour qui règne dans une famille guide autant la mère que l’enfant dans leur dialogue, où l’on enseigne et apprend, où l’on se corrige et apprécie les bonnes choses. Il en est ainsi également dans l’homélie. L’Esprit, qui a inspiré les Évangiles et qui agit dans le peuple de Dieu, inspire aussi comment on doit écouter la foi du peuple, et comment on doit prêcher à chaque Eucharistie. La prédication chrétienne, par conséquent, trouve au cœur de la culture du peuple une source d’eau vive, tant pour savoir ce qu’elle doit dire que pour trouver la manière appropriée de le dire. De même qu’on aime que l’on nous parle dans notre langue maternelle, de même aussi, dans la foi, nous aimons que l’on nous parle avec les termes de la “culture maternelle”, avec les termes du dialecte maternel (cf. 2M, 21.27), et le cœur se dispose à mieux écouter. Cette langue est un ton qui transmet courage, souffle, force et impulsion.
140. On doit favoriser et cultiver ce milieu maternel et ecclésial dans lequel se développe le dialogue du Seigneur avec son peuple, moyennant la proximité de cœur du prédicateur, la chaleur de son ton de voix, la douceur du style de ses phrases, la joie de ses gestes. Même dans les cas où l’homélie est un peu ennuyeuse, si cet esprit maternel et ecclésial est perceptible, elle sera toujours féconde, comme les conseils ennuyeux d’une mère donnent du fruit avec le temps dans le cœur de ses enfants.
141. On reste admiratif des moyens qu’emploie le Seigneur pour dialoguer avec son peuple, pour révéler son mystère à tous, pour captiver les gens simples avec des enseignements si élevés et si exigeants. Je crois que le secret se cache dans ce regard de Jésus vers le peuple, au-delà de ses faiblesses et de ses chutes : « Sois sans crainte petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume » (Lc 12, 32) ; Jésus prêche dans cet esprit. Plein de joie dans l’Esprit, il bénit le Père qui attire les petits : « Je te bénis Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Lc 10, 21). Le Seigneur se complaît vraiment à dialoguer avec son peuple, et le prédicateur doit faire sentir aux gens ce plaisir du Seigneur.
Des paroles qui font brûler les cœurs
142. Un dialogue est beaucoup plus que la communication d’une vérité. Il se réalise par le goût de parler et par le bien concret qui se communique entre ceux qui s’aiment au moyen des paroles. C’est un bien qui ne consiste pas en des choses, mais dans les personnes elles-mêmes qui se donnent mutuellement dans le dialogue. La prédication purement moraliste ou endoctrinante, comme aussi celle qui se transforme en un cours d’exégèse, réduit cette communication entre les cœurs qui se fait dans l’homélie et qui doit avoir un caractère quasi sacramentel : « La foi naît de ce qu’on entend dire et ce qu’on entend dire vient de la parole du Christ » (Rm 10, 17). Dans l’homélie, la vérité accompagne la beauté et le bien. Pour que la beauté des images que le Seigneur utilise pour stimuler à la pratique du bien se communique, il ne doit pas s’agir de vérités abstraites ou de froids syllogismes. La mémoire du peuple fidèle, comme celle de Marie, doit rester débordante des merveilles de Dieu. Son cœur, ouvert à l’espérance d’une pratique joyeuse et possible de l’amour qui lui a été annoncé, sent que chaque parole de l’Écriture est avant tout un don, avant d’être une exigence.
143. Le défi d’une prédication inculturée consiste à transmettre la synthèse du message évangélique, et non des idées ou des valeurs décousues. Là où se trouve ta synthèse, là se trouve ton cœur. La différence entre faire la lumière sur la synthèse et faire la lumière sur des idées décousues entre elles est la même qu’il y a entre l’ennui et l’ardeur du cœur. Le prédicateur a la très belle et difficile mission d’unir les cœurs qui s’aiment : celui du Seigneur et ceux de son peuple. Le dialogue entre Dieu et son peuple renforce encore plus l’Alliance qu’il y a entre eux et resserre le lien de la charité. Durant le temps de l’homélie, les cœurs des croyants font silence et Le laissent leur parler. Le Seigneur et son peuple se parlent de mille manières directement, sans intermédiaires. Cependant, dans l’homélie ils veulent que quelqu’un serve d’instrument et exprime leurs sentiments, de manière à ce qu’ensuite, chacun puisse choisir comment continuer sa conversation. La parole est essentiellement médiatrice et demande non seulement les deux qui dialoguent, mais aussi un prédicateur qui la repropose comme telle, convaincu que « ce n’est pas nous que nous proclamons, mais le Christ Jésus, Seigneur ; nous ne sommes, nous, que vos serviteurs, à cause de Jésus » (2 Co4, 5).
144. Parler avec le cœur implique de le tenir, non seulement ardent, mais aussi éclairé par l’intégrité de la Révélation et par le chemin que cette Parole a parcouru dans le cœur de l’Église et de notre peuple fidèle au cours de l’histoire. L’identité chrétienne, qui est l’étreinte baptismale que nous a donnée le Père quand nous étions petits, nous fait aspirer ardemment, comme des enfants prodigues – et préférés en Marie – à l’autre étreinte, celle du Père miséricordieux qui nous attend dans la gloire. Faire en sorte que notre peuple se sente comme entre ces deux étreintes est la tâche difficile mais belle de celui qui prêche l’Évangile.
2. Le Credo. Les fidèles se mettent debout. Le Credo doit être dit ou chanté les dimanches et dans certaines fêtes – d’obligation ou pas – et solennités. Le Credo ou Symbole des apôtres ou Profession de foi, vise à ce que tout le peuple rassemblé réponde à la Parole de Dieu annoncée et doit être proclamé comme règle de foi. Le Credo est une profession de foi trinitaire, dont la partie centrale, plus développée, exprime le mystère du Christ, vrai Dieu et vrai Homme, confessé par l’Église. Jusqu’au Ve siècle, il ne figurait pas à la messe. Il a été inséré pour la première fois dans la liturgie antiochienne, puis dans celle de Constantinople vers l’an 510. Le Pape Benoît VIII l’adopta, en 1014, à la demande de l’empereur Henri II dans la liturgie romaine.
3. La prière universelle ou prière des fidèles. Les intentions seront habituellement au nombre de quatre : pour les besoins de l’Église ; pour les dirigeants des affaires publiques et le salut du monde entier ; pour ceux qui sont accablés par toutes sortes de difficultés ; et pour la communauté locale. Toutefois, dans une célébration particulière, comme une confirmation, un mariage ou des obsèques, l’ordre des intentions pourra s’appliquer plus exactement à cette occasion particulière[32].
5.2.3. La liturgie eucharistique
C’est la deuxième partie de la messe. Nous entrons dans la liturgie eucharistique par la préparation et la présentation des dons. Table de la Parole, Table de l’Eucharistie. Parole écoutée, Pain partagé : c’est le Christ ressuscité qui se donne en nourriture.
5.2.3.1. La préparation des dons
La préparation des dons nous dispose à avoir une attitude eucharistique : reconnaître que nous ne pouvons rendre à Dieu que ce qu’il nous a toujours déjà donné. Dès lors, nous pourrons faire de toute notre vie une louange offerte au Seigneur.
1. Chant ou musique pour accompagner la procession qui apporte les dons.
2. La procession des offrandes qui symbolise « l’entrée » du Christ qui vient donner sa vie. Ce chant rappelle également les acclamations de la foule quand Jésus est entré à Jérusalem en vue d’y subir la passion[33]
3. La présentation du pain, du vin et de l’eau et de l’offrande : l’aumône des fidèles.
Dans cette partie de la messe, on apporte à l’autel les offrandes, le pain et le vin. Le prêtre les présente à Dieu en les offrant afin qu’ils deviennent le Corps et le Sang du Christ. Nous, les fidèles, devons profiter de ce moment pour offrir à Dieu notre vie, nos projets et nos intentions, notre amour, nos qualités, afin qu’Il les sanctifie et qu’ils servent pour le bien de l’Église. C’est le moment de Lui offrir intérieurement un nouvel effort pour atteindre ce que je me suis proposé spirituellement et humainement.
Il convient de suspendre provisoirement le moment de collecter les offrandes des fidèles, si ce moment s’entrecroise avec la consécration. Le prêtre prend la patène avec l’hostie et la tient des deux mains et, l’élevant un peu, il récite une prière de bénédiction. Il fait de même avec le calice. Avant de présenter le vin, le prêtre verse dans le calice quelques gouttes d’eau. Que symbolise ce mélange d’eau et de vin ? Il peut avoir trois significations : l’union des fidèles (l’eau) avec le Christ (le vin) ; l’union de la nature humaine avec la nature divine du Christ ; et, surtout, il symbolise l’eau et le sang qui ont jailli du côté de Jésus, transpercé par la lance[34]. Le cas échéant, on encense l’autel, le prêtre et l’assemblée.
4. Le lavement des mains. Le prêtre se lave les mains sur un côté de l’autel, rite par lequel s’exprime le désir de purification intérieure. Les fidèles se mettent debout.
5. L’invitation à prier : « Lorsqu’on a déposé les offrandes et terminé les rites d’accompagnement, on conclut la préparation des dons et on se prépare à la Prière eucharistique par l’invitation à prier avec le prêtre et par la prière sur les offrandes »[35]. C’est la conclusion du rite de la préparation et de la présentation des dons : « Priez, frères et sœurs : que mon sacrifice, et le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant » ou « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église ». L’Eucharistie n’engage pas seulement le prêtre, mais bien toute l’assemblée qui s’unit à lui, l’Église et l’humanité tout entière : « Un seul préside, tous célèbrent ».
6. La prière sur les dons : « A la messe, on dit une seule prière sur les offrandes, qui se termine par la conclusion brève: « Per Christum Dominum nostrum » - (Par le Christ, notre Seigneur) ; si cependant elle fait mention du Fils à la fin, ce sera : « Qui vivit et regnat in saecula saeculorum » - (Lui qui vit et règne pour les siècles des siècles). Le peuple s’unit à la prière et la fait sienne par l’acclamation « Amen »[36].
Bref, plus que le discours du prêtre s’adressant à Dieu de manière solitaire, la prière eucharistique est la prière de tout un peuple. Orate frates ! « Prions frères et sœurs, ensemble, afin que le Père reconnaisse dans nos mots et nos gestes, les paroles mêmes de son Fils » (Saint Cyprien, commentaire du Notre Père). Dans d’autres traditions liturgiques, la préparation et la présentation des dons s’achèvent par le baiser de paix. La liturgie romaine les conclut par une brève oraison qui récapitule l’acte d’offrande de l’Église. La paix est donnée avant la communion, comme premier fruit du sacrifice de la croix.
5.2.3.2. La Prière eucharistique ou Anaphore eucharistique
C’est maintenant que commence ce qui est le centre et le sommet de toute la célébration: la Prière eucharistique, prière d´action de grâce et de sanctification. Le prêtre invite le peuple à élever les cœurs vers le Seigneur dans la prière et l´action de grâce, et il se l´associe dans la prière qu´il adresse à Dieu le Père par Jésus Christ dans l’Esprit Saint, au nom de toute la communauté. Le sens de cette prière est que toute l´assemblée des fidèles s´unisse au Christ dans la confession des hauts faits de Dieu et dans l´offrande du sacrifice. La Prière eucharistique exige que tous l’écoutent avec respect et en silence[37].
La Prière eucharistique est l’action de grâce solennelle au cours de laquelle l’Église, par la vertu de l’Esprit Saint et le ministère du prêtre, consacre le pain et le vin, les changent en le Corps et le Sang du Christ. Il y a lieu de faire un choix de Prières eucharistiques. La réforme liturgique de Vatican II en dispose une dizaine dans le Missel romain. On peut les varier selon les circonstances[38]. La première Prière eucharistique, appelée Canon romain, était la seule dont disposait la liturgie romaine depuis le IVe et le VIIe siècle. Du coup, avec le Concile Vatican II, on a vu la nécessité de créer de nouvelles prières eucharistiques en s’inspirant des anaphores de la longue tradition liturgique de l’Église ancienne.
Déjà, on avait commencé à promouvoir une libre création d’anaphores de manière improvisée mais pas de très bonne qualité[39]. Ainsi, le Pape Paul VI, dans le souci de pourvoir à ce besoin de l’Église et de veiller à l’authenticité des anaphores eucharistiques, demanda au Consilium ad exequendam constitutionem de sacra liturgia de préparer de nouvelles prières eucharistiques[40]. Cela montre aussi une grande souplesse et un immense désir de retour aux sources patristiques et bibliques des prières eucharistiques, un grand intérêt aussi à enrichir la liturgie de nouvelles prières mais qui font rayonner l’esprit de la liturgie romaine. Sur cette question, le pape Paul VI précise : « On laissera l’anaphore actuelle inchangée ; on composera ou on cherchera deux ou trois prières eucharistiques pour être utilisées à des moyens particuliers et déterminés »[41]. Dans cette dynamique, on a envisagé de nouvelles prières eucharistiques qui montreraient « des caractéristiques spirituelles, pastorales et stylistiques propres, à la fois entre elles et par rapport au canon romain »[42]. Elle est une prière présidentielle formulée en « nous » et non pas en « je ». C’est toute l’assemblée qui est invitée à rendre grâce même si c’est le prêtre qui dit la prière au nom de tous.
1. Les origines de la Prière eucharistique :
Sans ambages, on peut admettre que la liturgie de la Parole (dans notre célébration eucharistique) vient de la liturgie synagogale. Mais la liturgie eucharistique trouve son origine dans les textes eucharistiques du Nouveau Testament liés à l’événement fondateur de l’Eucharistie : la dernière Cène d’où comprend sa « forme » et non sa structure. En revanche, la Cène ne se comprend que dans le contexte des repas religieux juifs[43]. Avant d’aller plus loin, il faut préciser que les écrits du Nouveau Testament ne fournissent pas des textes de Prières eucharistiques proprement dits, mais plutôt des repères, surtout dans la matrice même de la Cène. Donc, dans ces lignes qui suivent, nous essayerons de déceler ce qui se cache sous ces mots « bénédiction » et « action de grâce)[44].
a. La bénédiction juive. Dans la mentalité biblique, la bénédiction est vue comme un don, une création, un bienfait, exprimé par une parole[45]. D’où l’importance du mot berakhah dérivant de barak, qui signifie « bénir ». Ce même mot sert également à désigner les organes génitaux, et indique, comme le fait remarquer Paul De Clerck dans son texte déjà cité, la force créatrice et vitale. Ainsi, bénir et créer sont intimement liés. La bénédiction engendre la fécondité : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 27-28). Bénédiction – création, bénédiction – fécondité. Le sujet premier de barak est d’abord Dieu : il crée… bénit… et donne la fécondité… Du côté de l’homme, le mot barak renvoie plutôt à une reconnaissance, une réciprocité. Il bénit Dieu pour ses bienfaits, pour ses actions en sa faveur. Dieu reçoit en retour ce qu’il a donné. Il est en effet, l’auteur de la berakhah prononcée par l’homme croyant. Bénir, c’est dire du bien de… donc, l’homme croyant dit du bien de Dieu pour sa bonté. Le Bien en fait, c’est Dieu lui-même. La prière juive est pétrie de berakhot (plur. de berakhah) : « Béni soit le Seigneur » ou « Béni sois-tu, Seigneur ». La berakhah que prononce Melkisédek en faveur d’Abraham, en Gn 14, 19-20 synthétise parfaitement ce que nous venons de dire : « Il le bénit en disant : "Béni soit Abraham par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains" ». La source de la bénédiction est l’émerveillement et l’admiration pour l’œuvre accomplie par quelqu’un. L’homme croyant sait pourquoi il bénit Dieu. Alors, dans la Bible, bénir, peut avoir deux sens : il peut être une prière dans laquelle on bénit Dieu à propos de quelque chose (c’est le cas du pain et de la coupe) ou une prière dans laquelle on demande à Dieu de combler quelqu’un de sa grâce (c’est le cas des disciples, dans la finale de Luc par exemple). Les berakhot qu’a prononcées Jésus au soir de la dernière Cène trouvent leur arrière-fond dans de cette pratique juive.
b. La Didakè et ses prières pour l’Eucharistie. La Didakè, mot grec qui signifie « enseignement », est considérée comme la doctrine des Apôtres. Elle date du Ier siècle et est attribuée aux Pères apostoliques. Elle comporte seize chapitres. L’Eucharistie est traitée aux chapitres 9 et 10 dans les rubriques : Prescriptions rituelles et liturgiques. La Didakè forme un court traité de vie chrétienne qui fait autorité à cause de sa dimension historique exégétique et doctrinale. À noter que nous ne pouvons pas donner ici au mot « eucharistie » le sens que nous lui donnons techniquement aujourd’hui. Elle est très utile pour notre recherche parce qu’elle nous fournit des prières pour l’Eucharistie, même si nous devons nous demander si ce sont déjà des prières eucharistiques au sens actuel du terme[46]. Nous mettons ici en parallèle, le texte des deux chapitres (9 et 10) avec des prières juives (qiddush et birkat ha-mzon : deux termes qui nous déjà sont familiers)[47].
Didakè 9 | Qiddush |
1Pour ce qui est de l’Eucharistie, rendez grâces ainsi : 2d’abord sur le calice : nous te rendons grâce notre Père, pour la sainte vigne de David ton serviteur, que tu nous as fait connaître par Jésus ton Serviteur. — À toi la gloire pour les siècles. 3Puis, sur le pain rompu : Nous te rendons grâce, notre Père pour la vie et la connaissance que tu nous as fait connaître par Jésus ton Serviteur. — À toi la gloire pour les siècles. 4Comme ce pain rompu, d’abord dispersé sur les montagnes, a été recueilli pour devenir un. Qu’ainsi ton Église soit rassemblé des extrémités de la terre dans ton Royaume, car à toi appartiennent la gloire et la puissance « par Jésus Christ » pour les siècles. 5Que personne ne mange ni ne boive de votre Eucharistie, si ce n’est les baptisés au nom du Seigneur ; car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens » (Mt 7, 6).
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1. Bénédiction de la coupe lecture de Gn 1, 31b – 2, 1-3 par le père de famille, qui poursuit : « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers, qui crée le fruit de la vigne.
2. Bénédiction du pain : « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers, qui fait sortir le pain de la terre ». Fraction du pain, et distribution.
3. repas, suivi de chants et d’hymnes.
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Didakè 10 | Birkat ha-mazon |
1Après vous être rassasiés, rendez grâce ainsi :
2Nous te rendons grâces, Père saint, pour ton saint Nom que tu as fait habiter dans nos cœurs et pour la connaissance, la loi et l’immortalité que tu nous as fait connaître par Jésus ton Serviteur. — À toi la gloire pour les siècles.
3C’est toi, Maître Tout-Puissant, « qui as créé l’univers » (Sg. 1, 14 ; Si. 18, 1) pour la gloire de ton Nom et qui as été donné aux hommes la nourriture et le breuvage en jouissance, pour qu’ils te rendent grâces ; mais nous, tu nous as gratifiés d’une nourriture et breuvage spirituels et de la vie éternelle, par Jésus ton Serviteur. Par-dessus tout, nous te rendons grâces, car tu es Puissant. — À toi la gloire pour les siècles.
5Souviens-toi, Seigneur, de ton Église, pour la préserver de tout mal et la rendre parfaite dans ton amour. Et « rassemble-là des quatre vents », cette Église que tu as sanctifiée, dans ton Royaume que tu lui as préparé, car à Toi appartiennent la puissance et la gloire pour les siècle. |
1. « Birkat ha-Zan » (bénédiction de celui qui nourrit) Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers, toi qui nourris le monde entier avec bonté, grâce et miséricorde. Béni sois-tu, Seigneur, toi qui donnes la nourriture à tous.
2. « Birkat ha-Aretz » (bénédiction de la terre) Nous te rendons grâce, Seigneur notre Dieu car tu nous as donné en héritage une terre bonne et agréable, l’alliance, la loi, la vie et la nourriture. Pour toutes ces choses, nous te rendons grâces, et nous louons ton nom à jamais. Béni sois-tu, Seigneur, pour la terre et la nourriture.
3. « Birkat Ierusalayim (bénédiction de Jérusalem) Prends pitié, Seigneur notre Dieu, d’Israël ton peuple, de Jérusalem ta ville, de ton Temple et du lieu où tu habites, de Sion le lieu de ton repos, du Sanctuaire grand et saint sur lequel ton nom est invoqué, et daigne en notre temps restaurer en son lieu le royaume de la dynastie de David, et rebâtir bientôt Jérusalem.
Béni sois-tu, Seigneur, qui bâtis Jérusalem. |
Ces prières donnent à penser l’Eucharistie au Ier siècle dans la logique de leur comparaison aux prières juives. Le texte du neuvième chapitre de la Didakè semble être une christianisation du Qiddush. Celui du chapitre 10 qui suit le repas semble être une adaptation de la Birkat ha-Mazon ou bénédiction juive après le repas[48]. Il semble qu’on peut considérer les Prières eucharistiques ultérieures comme une christianisation de la bénédiction juive après le repas, en particulier la Birkat ha-Mazon. Certaines prières ultérieures ont la même structure que celle de la Birkat ha-Mazon : bénédiction, action de grâce et intercession. En bref, nous pouvons admettre que la Prière eucharistique a quand même une origine juive ; la terminologie eucharistique choisie volontairement par les premiers chrétiens les différenciait non seulement des Juifs, mais mettait en relief leur spécificité : ils rendent grâce à Dieu pour la grâce par excellence qu’Il leur a donnée en Jésus[49].
2. Les prières eucharistiques anciennes en Orient et en Occident :
a. Dans les familles liturgiques orientales, les prières eucharistiques sont très diversifiées. On les nomme de préférence « anaphores » qui signifient « offrandes. La famille syrienne orientale conserve les formulaires les plus anciens, tels : l’anaphore d’Addaï et Mari, très christocentrique ; sans oublier l’anaphore de Pierre, dite Sharar de la tradition maronite. Les manuscrits dans lesquels provient le texte ne contiennent pas le récit d’institution. D’autres anaphores sont à considérer : celles de Marc, en Égypte ; de Jacques, à Jérusalem ; de Basile et de Jean Chrysostome, dans la liturgie byzantine.
b. Dans les familles liturgiques occidentales, il faut d’abord prendre en compte, la Tradition apostolique qui a connu plusieurs anaphores ou prières eucharistiques. Mais la romanisation de la liturgie en Occident, à partir du VIIIesiècle, n’a favorisé que l’utilisation du Canon romain. Les autres ont disparu. La seule que nous connaissons aujourd’hui, c’est celle de la Tradition apostolique, attribuée à Hippolyte de Rome, vers 215, qui est l’ancêtre de la Prière eucharistique II du Missel de Paul VI grâce aux efforts de la réforme conciliaire pour un retour aux sources de la liturgie.
Il faut noter d’emblée que l’anaphore eucharistique dite d’Hippolyte, est christologique. Le Sanctus n’y apparaît qu’au IVe siècle ; on n’y trouve pas non plus d’intercessions[50]. Formant une unité, elle est une action de grâce à Dieu « pour l’œuvre de Jésus qui culmine dans le geste eucharistique dont on fait mémoire »[51]. Par cette action de grâce également, on demande à Dieu « d’envoyer l’Esprit Saint sur les dons et sur les participants »[52].
La partie centrale du Canon romain a été conservée, à la fin du IVe siècle, dans le « Traité des sacrements » définitivement aujourd’hui attribué à saint Ambroise de Milan[53]. Le texte du Canon romain est quasi définitivement fixé avec saint Grégoire. Jusqu’en 1968, il a été la seule et l’unique prière eucharistique en Occident. Depuis lors, il est notre Prière eucharistique I dans le Missel de Paul VI.
3. La structure de la Prière eucharistique et sa dynamique :
Elle comprend (sauf le Canon romain qui est bâti différemment : par exemple, les intercessions précèdent et suivent le récit fondateur):
a. La préface qui veut dire « proclamation », « dire devant » et non « prélude). L’action de grâce dans laquelle le prêtre, au nom de tout le peuple saint, glorifie Dieu le Père et lui rend grâce pour toute l’œuvre de salut. Elle sert de préambule à la Prière eucharistique et fait référence au mystère célébré dans la liturgie du jour, et s’achève par le chant séraphique du Sanctus.
La préface inaugure la prière eucharistique en orientant notre prière vers le Père. Plus encore, elle lui donne sa substance en reconnaissant, dans le Christ, le mystère de l’œuvre du Salut de Dieu. En lui rendant grâce, nous manifestons qu’il est toujours à l’œuvre dans notre monde. Sa dynamique est de nous faire devenir, au cœur du mystère eucharistique, un peuple de louange et d’adoration. L’Église de la terre et L’Église du ciel s’unissent dans un même chant d’action de grâce. Elle joue un rôle capital dans l’Anaphore eucharistique. Son importance provient même du commandement de Jésus lors de la dernière Cène : « Faites cela en mémoire de moi ». La Préface nous situe dans un mémorial, un « rendre grâce » toujours actuel. C’est pourquoi elle est inséparable du déploiement de l’Anaphore eucharistique dans laquelle elle trouve son sens. L’introduction de la préface eucharistique indique déjà que l’acte qui va s’accomplir est un acte collectif, ecclésial : « Élevons notre cœur – nous le tournons vers le Seigneur ». Ainsi, peut-on le remarquer, « le mouvement interne de la préface part de l’exposé du motif de l’action de grâce, qui est une anamnèse des bienfaits de Dieu, et sous-entend ou expose l’actualisation de ces bienfaits dans la communauté qui célèbre »[54].
b. L’acclamation céraphique est introduite dans la liturgie romaine vers la première moitié du Ve siècle. Toute l’assemblée, s’unissant aux chœurs célestes, chante le Sanctus en l’honneur du Dieu trois fois saint, dans la vison que le prophète Isaïe a de la gloire de Dieu (cf. Is 6, 3). Aussi, par un double « hosanna », le Sanctus acclame-t-il le Messie qui va venir. L’expression, qui signifie, en hébreu, « Sauve, de grâce ! », est tirée du Psaume 117, chanté lors des grands pèlerinages des Juifs à Jérusalem. Cette acclamation est proclamée par tout le peuple avec le prêtre.
c. L’épiclèse[55]. Il s’agit d’une invocation à l’Esprit Saint pour la consécration des espèces eucharistiques et la réalisation de l’unité du genre humain dans le Christ, dont l’Église est comme le sacrement (l’unité du corps ecclésial). Elle détermine l’aspect christologique et pneumatologique de la liturgie eucharistique ou de l’Eucharistie tout court. Comme le fait remarquer Enrico Mazza, et avec raison, « dans l’épiclèse, le Père est supplié d’envoyer l’Esprit Saint, et qu’ainsi l’eucharistie soit fructueuse pour tous ceux qui y participent, autrement dit pour l’assemblée qui mange "le pain de la vie" et boit la "coupe du salut". Dans les intercessions, au contraire, on prie pour que toute l’Église porte le fruit de la célébration eucharistique, mais celle-ci ne possèdent aucune invocation pour l’envoi de l’Esprit Saint »[56].
d. Le récit de l’Institution et la consécration est le « lieu théologique » de la liturgie eucharistique. Par les paroles (le récit) et les actions (la consécration) du Christ s’accomplit le sacrifice qu’il a lui-même institué à la dernière Cène lorsqu’il offrit son Corps et son Sang sous les espèces du pain et du vin, les donna à manger et à boire aux Apôtres et leur laissa l’ordre de perpétuer ce mystère[57]. Les fidèles qui le veulent s’agenouilleront. Ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas s’agenouiller feront une inclination profonde pendant que le prêtre fait la génuflexion après la consécration. Le cas échéant on encense le Corps et le Sang du Christ en les élevant.
e. L’anamnèse, en grec ana « vers le haut » et mnésis « souvenir », signifie « faire mémoire » au sens biblique, c’est-à-dire célébrer un événement passé qui nous concerne véritablement aujourd’hui (cf. Ex 12, 14) : donc mémoire et offrande. Ce terme à lui seul résume l’ensemble de la Prière eucharistique et renvoie à la dynamique de la vie chrétienne[58]. Par l’anamnèse, en accomplissant l’ordre reçu du Christ Seigneur par l’intermédiaire des Apôtres, l’Église fait mémoire du Christ Lui-même, célébrant principalement le mémorial de sa Passion bienheureuse, de sa glorieuse Résurrection, et de son Ascension dans le Ciel. Le prêtre dit : « Voilà pourquoi nous, tes serviteurs, et ton peuple saint avec nous, faisant mémoire de la Passion bienheureuse de ton Fils, Jésus, le Christ, notre Seigneur, de sa Résurrection du séjour des morts et de sa glorieuse Ascension dans le ciel… » (PE I), « En faisant ainsi mémoire de la mort et de la résurrection de ton Fils… » (PE II), « En faisant mémoire de ton Fils, de sa Passion qui nous sauve, de sa glorieuse Résurrection.. » (PE III), « Voilà pourquoi, Seigneur, nous célébrons aujourd’hui le mémorial de notre rédemption : en rappelant la mort du Christ et sa descente au séjour des morts, en proclamant sa Résurrection et son Ascension à ta droite… » (PE IV). On est vraiment au cœur de l’Eucharistie : « mémorial et offrande », « action de grâce et sacrifice ». L’acclamation du peuple a une valeur christologique et eschatologique forte en louant le Mystère pascal du Christ : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ». Cependant, il ne faut jamais oublier ce : « Il est grand, le mystère de la foi » qui sous-tend l’anamnèse de l’assemblée. L’Eucharistie est le mystère de la foi. Car l’Eucharistie implique la foi en la présence du Christ Seigneur « Ecclesiae suae semper adest, praesertim in actionis liturgicis […] in Missae Sacrificio, tum maxime sub speciebus eucharisticis »[59]. Très paradoxal. Ce que fait et vit l’Église dans la célébration eucharistique, elle le fait et le vit dans l’attente de son Seigneur dans la gloire. L’Eucharistie se situe dans un « entre deux », un « déjà là » et un « pas encore ». La mémoire du mystère pascal se raconte « en son déploiement passé, présent et avenir avec l’action de grâce »[60] L’Eucharistie est anamnétiquement eschatologique : « Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26). L’anamnèse eucharistique est performative : le Christ est réellement présent dans sa Parole et à un plus haut niveau dans le pain et le vin eucharistiés qui sont le sacrement de cette présence. Mais, cette présence (la présence eucharistique du Christ) « doit être pensée de manière analogique car le Ressuscité ne saurait être enfermé dans les limites de l’espace et du temps. Cette présence sacramentelle est, dans et par l’Église, grâce à la résurrection du Christ et dans la puissance de l’Esprit, force de vie éternelle, actualité de son œuvre de salut accomplie une fois pour toutes dans l’histoire, "jusqu’à ce qu’il vienne" »[61].
Ainsi, l’anamnèse eucharistique est vraiment un acte de foi de l’Église, car l’Esprit Saint lui donne de faire mémoire et c’est par ce même ce même Esprit Saint que cette mémoire devient puissance de salut et non simple souvenir[62]. C’est pourquoi elle doit être chantée ou dite par l’assemblée et non par un petit groupe ; elle doit contenir les trois dimensions du « faire mémoire », c’est-à-dire : se fonder sur un événement du salut, historique et passé « Gloire à toi qui étais mort » ; pour annoncer l’actuelle réalisation, surtout à l’Eucharistie : « Gloire à toi qui es vivant » ; et en appeler la réalisation en plénitude : « Viens, Seigneur Jésus ! »[63]. L’anamnèse se fait en présence du Seigneur et c’est pourquoi, symboliquement, l’assemblée se tourne vers l’autel pendant qu’on la chante, tandis que le prêtre s’y associe par son regard tourné vers les espèces eucharistiées, dans une attitude orante avant de s’adresser de nouveau au Père[64]. Les fidèles font l’acte de « mémoire » (zikkaron) : mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur. La vie ecclésiale est une vie de « mémoire », toujours pascale qui engage un passé, un présent et un avenir. Le zikkaron liturgique ou eucharistique est un lieu où se vit le sensus fidei du peuple de Dieu. Il est un lieu où la foi de la communauté se vit et s’édifie : « Il est grand le mystère de la foi ! ». C’est le lieu de la mémoire du mystère pascal du Christ, rendu présent dans l’Eucharistie célébrée.
f. L’oblation est l’offrande du pain de Vie et du calice du Salut. Par elle, l’Église offre au Père, dans le Saint-Esprit, la victime sans tache qu’elle reçoit des mains du Dieu de l’Alliance nouvelle. Elle offre à Dieu ce qu’elle a reçu de Lui, le sacrifice qu’il agrée véritablement. C’est pourquoi le prêtre prononce cette prière avec la dignité et le calme qui conviennent[65] et les fidèles de leur part, y prêtent une attention soutenue. D’où l’importance de la deuxième épiclèse : « L’Esprit a pénétré l’humanité de Jésus pour qu’il fasse de sa vie une offrande. L’Église a prié pour que, grâce à l’Esprit, le pain et le vin deviennent le Christ offert. Par la voix du prêtre, l’Église prie pour que ce même Esprit donne aux fidèles de vivre en parfaite unité afin d’être eux-mêmes une offrande à Dieu »[66]. C’est l’Eucharistie qui fait le Corps du Christ : « …qu’en ayant part au Corps et au Sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps » (PE II) ou « Quand nous serons nourris de son Corps et de son Sang, et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ » (PE III). Le culte agréable, c’est le don de la vie du Christ : « En faisant ainsi mémoire de ton Fils, (…), nous t’offrons, Seigneur, en action de grâce, ce sacrifice vivant et saint » (PE III). Mais en même temps, cette offrande est le service véritable qui nous met en présence de Dieu : « … et nous te rendons grâce, car tu nous as estimés dignes de nous tenir devant toi pour te servir » (PE II). Offrande et action de grâce sont constitutives à l’action eucharistique. Saint Augustin disait : « Si tu veux savoir ce que nous croyons, viens voir ce que nous chantons ». Par rapport à l’Eucharistie, nous pourrions paraphraser ces mots d’Augustin pour dire : « Si tu veux savoir ce que nous croyons, viens voir ce que nous offrons ».
Si la l’Eucharistie, comme dit le concile, est l’exercice de la fonction sacerdotale du Christ, cela signifie, au regard de ces passages, que l’action de grâces à la messe n’est pas un simple merci affectueux. Nous devons à Dieu autre chose qu’un simple merci affectueux. L’action de grâces à la messe n’est pas seulement un chant, ni seulement une prière mais elle est un don substantiel fait à Dieu en retour de sa bonté, c’est le don d’un amour et d’une victime infinis, en Jésus le Christ. Cf. Père Charles Peters BARTHÉLUS, La messe ne nous laisse pas tranquilles, 10 raisons fondamentales pour y participer, Archevêché de Port-au-Prince, Haïti, 2020, p. 124. Ouvrage recommandé à tous les étudiants.
g. Les prières d’intercession par lesquelles « on exprime que l’Eucharistie est célébrée en union avec toute l’Église, celle du Ciel comme celle de la terre, et que l’offrande est faite pour elle et pour tous ses membres vivants et morts, qui ont été appelés à participer à la rédemption et au salut obtenus par le Corps et le Sang du Christ »[67]. Ainsi, manifestent-elles dans leur structure et déploiement, que « la communion des saints est un mystère de solidarité spirituelle sans limites. Cette solidarité se réalise sur terre entre les membres de l’Église, mais elle dépasse les frontières de l’Église pour s’étendre à toute l’humanité »[68].
On peut tout de suite rapprocher les intercessions de la prière d’épiclèse. Elles la prolongent. L’Église vient de faire mémoire, de se souvenir. Elle demande à Dieu de se souvenir à tous, dans son Alliance, de l’Église en marche sur la terre, en nommant le Pape, l’évêque du diocèse et tous les évêques, les prêtres, les diacres ou en bref, tous ceux qui veillent fidèlement sur la foi catholique reçue des Apôtres… des défunts… de toute la communauté qui célèbre le Mystère pascal de son Seigneur et le vit en espérance. La participation des fidèles à l’Eucharistie renvoie à une liturgie perpétuelle à laquelle aspirent tous les baptisés et où les saints les ont précédés : « … permet qu’avec la Vierge Marie, la bienheureuse Mère de Dieu, avec saint Joseph, son époux, les Apôtres et tous les saints qui ont fait ta joie au long des âges, nous ayons part à la vie éternelle et que nous chantions ta louange et ta gloire, par ton Fils Jésus, le Christ » (PE II). La liturgie terrestre est soutenue par la liturgie céleste. La prière de la communauté célébrante sur terre est portée par celle des saints pour qu’il y ait une seule et éternelle louange. La Prière eucharistique III apporte une touche universelle qu’il faut toujours considérer : « Et maintenant nous te supplions, Seigneur : par le sacrifice qui nous réconcilie avec toi, étends au monde entier le salut et la paix. Affermis ton Église, en pèlerinage sur la terre, dans la foi et la charité, en union avec ton serviteur notre pape N., et notre évêque N., l’ensemble des évêques, les prêtres, les diacres, et tout le peuple que tu as racheté. Écoute, en ta bonté, les prières de ta famille, que tu as voulu rassembler devant toi. Dans ta miséricorde, ramène à toi, Père très aimant, tous tes enfants dispersés ». Cette intercession exprime la fonction ministérielle de l’Église en tant que communauté de baptisés. Elle exerce sa fonction sacerdotale que la liturgie déploie dans son axe fondamental qu’est le mystère pascal du Christ dans sa dimension anamnétique la plus totale. Ainsi,
dans la célébration de la messe, les fidèles constituent le peuple saint, le peuple acquis par Dieu et le sacerdoce royal, pour rendre grâce à Dieu et pour offrir la victime sans tache : l’offrir non seulement par les mains du prêtre, mais l’offrir avec lui et apprendre à s’offrir eux-mêmes. Ils s’efforceront donc de le manifester par un profond sens religieux et par leur charité envers les frères qui participent à la même célébration. Ils éviteront donc toute espèce de particularisme ou de division ; ils se rappelleront toujours qu’ils ont un unique Père dans le ciel et que, pour cette raison, ils sont tous frères et sœurs les uns des autres[69].
Les intercessions eucharistiques ne constituent pas une seconde Prière universelle telle que déployée ou développée dans la liturgie de la Parole. Elles forment une prière épiclétique continuelle de l’Anaphore eucharistique. Elles adoptent une forme litanique qui nécessite une énonciation calme et claire. C’est pourquoi dans la messe concélébrée, les intercessions ou les demandes doivent être réparties entre les concélébrants. La PGMR donne des indications claires pour la messe concélébrée. Il est recommandé de les suivre pour ce qui a trait à la manière de dire la Prière eucharistique[70].
h. La doxologie finale (du grec doxa : gloire et logos : parole / étymologiquement elle signifie « parole de gloire ». Elle est la conclusion de l’Anaphore eucharistique sous forme d’inclusion. Elle est l’exclamation propre au prêtre. Le prêtre dit : « Par Lui (le Christ), avec Lui et en Lui, à Toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles ». Elle est une formule de glorification trinitaire. Il faut noter que toute Eucharistie est par nature doxologique : elle rend gloire à Dieu de qui vient tout don, par Jésus, avec lui et en lui, dans l’unité du Saint-Esprit : « Il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et vers qui nous allons ; et un seul Seigneur, Jésus Christ » (1 Co 8, 6). La doxologie chante solennellement la médiation du Christ : c’est par lui que nous a été donné, et c’est avec lui que tout se fait, et c’est en lui que tout revient vers le Père[71] : « C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » (cf. Jn 1, 3)[72].
C’est le mouvement même de toute prière authentiquement chrétienne : glorifier le Père par le Fils dans la communion de L’Esprit Saint. En disant la prière doxologique, le prêtre élève la patène et le calice. Cette élévation se situe dans la dynamique même de la Prière eucharistique et « renvoie directement à la Croix où le Christ a été élevé de terre pour sauver le monde, à sa résurrection d’entre les morts et à son ascension au Ciel à la droite du Père »[73]. La doxologie finale est ratifiée et conclue par l’amen du peuple considéré « comme le sceau de la célébration eucharistique qui, par définition, est le sacrement de l’unité de l’Église »[74]. L’amen des participants met en évidence dans l’actio eucharistica, une totale identification entre l’assemblée et le prêtre avec une nette conclusion : le prêtre est vraiment la voix de l’Église[75]. La prière doxologique fait partie de la prière présidentielle, c’est pourquoi elle est proclamée par le Président de l’assemblée (le prêtre).
5.2.3.3. Les rites de communion
Dans la liturgie romaine, la Pater noster, précède la fraction du pain et le baiser de paix. Le Corps et le Sang du Christ sont ensuite administrés aux fidèles, qui communient ainsi au Sacrifice rédempteur. Les rites de communion comprennent :
a. La Prière du Seigneur (le Notre Père ou l’oraison dominicale), inspirée du Qaddish de la liturgie juive[76],est introduite dans la liturgie eucharistique latine au moins depuis saint Grégoire. En raison de sa dignité, elle sert de pont entre la Prière eucharistique et les rites de la communion. Elle est dite par les fidèles avec le prêtre. Comme le précise la PGMR : « Dans l’oraison dominicale : on demande le pain quotidien qui, pour les chrétiens évoque surtout le pain eucharistique, et on y implore la purification des péchés, pour que les choses saintes soient vraiment données aux saints. Le prêtre prononce l’invitation à la prière, tous les fidèles disent celle-ci avec le prêtre, et le prêtre seul ajoute l’embolisme que le peuple conclut par la doxologie »[77].
L’oraison dominicale, dit Tertullien, est vraiment l’abrégé de tout l’Évangile[78]. Par cette prière, « nous demandons à vivre sans cesse dans le Christ, à nous identifier avec son corps »[79]. Elle est, selon les mots de Cyprien, « la prière qui implore Dieu avec ses propres paroles, qui monte à lui avec la formule même du Christ, lui est douce et lumière »[80]. Avant même de communier sacramentellement au Corps et au Sang du Christ, la communauté eucharistique, l’ecclesia eucharistica, se reconnaît s’être enracinée dans l’amour filial du Christ. Origène n’hésite pas à affirmer que « celui qui reçoit le pain supersubstantiel affermit son cœur et devient le fils de Dieu »[81]. Saint Jean Chrysostome, pour sa part, nous oriente vers une prière qui construit la communauté dans l’amour : bref, de valoriser la dimension communautaire de l’Eucharistie, comme communauté d’amour : « Le Seigneur ne nous a pas recommandé de dire, mon Père qui es aux cieux, mais bien notre Père qui es aux cieux, afin que, sachant, que nous avons un Père commun, nous éprouvions les uns pour les autres un amour fraternel »[82]. Il s’agit de vivre sous le regard de Dieu, source de notre vie. La prière dominicale, le Pater noster, résume tout le sens de l’Eucharistie et en particulier la solennelle Prière eucharistique qui vient d’être déployée. Elle est un acte de communion avec le Christ pascal puisque la communauté prie « selon son commandement » et prend une posture filiale devant le Père. Rien n’empêche que toute l’assemblée adopte l’attitude gestuelle du prêtre : les mains levées, paumes ouvertes, vers Dieu. Le prêtre peut même dire, surtout dans le second invitatoire : « … dire avec confiance et en levant les mains, la prière que… »[83].
En bref, c’est le « le premier fruit de l’action de grâce du Christ à son Père et le premier bienfait que nous vaut le sacrifice de la nouvelle Alliance accompli par le Fils et présent parmi nous sous la forme du pain et du vin consacrés en corps et en son sang »[84]. Prière de toute la communauté célébrante, les deux mots « notre » et « père », doivent être prononcés par tous les participants et non par le prêtre seul. C’est pourquoi après la monition, le prêtre donne la possibilité à l’assemblée de commencer la prière avec lui. La fin de la monition nécessite une pause pour faciliter cette participation commune.
b. L’embolisme. Du grec em-ballein, qui veut dire « mettre à l’intérieur », « insérer, intercaler » ou « placer entre » , l’embolisme désigne la prière intercalée entre le Notre Père et celle adressée au Christ pour le don de la paix : « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps : soutenus par ta miséricorde, nous serons libérés de tout péché, à l’abri de toute épreuve, nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur ». Le peuple conclut par la doxologie : « Car c’est à Toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles ». Celle-ci ne fait pas partie des textes évangéliques, mais on la retrouve bien sûr dans la Didakè.
Cette prière, introduite dans la liturgie romaine entre le Ve et le VIe siècle « s’oriente vers la communion sacramentelle, dont l’union avec Dieu manifeste la source et le sommet dans le don de la paix »[85]. Elle « révèle que la prière du Sauveur n’est pas une demande purement personnelle, mais s’élargit vers ceux qui ne connaissent pas encore le Père des miséricordes »[86].
c. Le rite de la paix. « Vient ensuite le rite de la paix : l’Église implore la paix et l’unité pour elle-même et toute la famille humaine, et les fidèles expriment leur communion dans l’Église ainsi que leur amour mutuel avant de communier au sacrement. En ce qui concerne le rite de la paix à transmettre, la façon de faire sera décidé par les Conférences des évêques, selon la mentalité et les us et coutumes de chaque peuple »[87]. Ce « geste de paix », tel que nous le connaissons aujourd’hui, fut introduit dans le Missel romain de 1970, dans le cadre de la réforme de l’ordo de la messe.
Le mot shalom en hébreux signifie « ce qui est rempli », « ce qui est comblé ». Le véritable bien que l’Église demande, c’est cette paix que seul le Christ peut donner : « Pacem relinquo vobis, pacem meam do vobis ». Les textes liturgiques des premiers siècles montrent que dans toutes les familles liturgiques, le baiser de paix se situe avant la Prière eucharistique, en conformité avec la recommandation de Jésus en Mt 5, 23-24 ; il est placé là comme une exigence de réconciliation fraternelle, condition de participation authentique à l’Eucharistie. Cependant, la liturgie romaine l’a déplacé, pour le situer après la Prière eucharistique, comme un premier fruit de cette dernière (cf. Paul De Clerck). Le rite de la paix préparent les fidèles à recevoir le Christ « faisant la paix par le sang de sa Croix » (cf. Col 1, 20).
Dans nos célébrations eucharistiques, en particulier dans celles des fêtes patronales, le baiser de paix est un moment de fréquents abus et souvent un motif de désordre. Il convient de maintenir un climat de recueillement et de silence, et que chacun serre la main uniquement de ceux qui l’entourent. Au moment du signe de la paix, il faut éviter certains abus comme :
· L’introduction d’un « chant pour la paix », qui n’est pas prévu dans le Missel Romain.
· Pour les fidèles, les déplacements pour échanger entre eux le signe de la paix.
· Pour le prêtre, le fait de quitter l’autel pour donner la paix à quelques fidèles.
· Le fait que, dans certaines circonstances, le rite de la paix soit l’occasion de féliciter ou d’exprimer des condoléances aux personnes présentes[88].
Si on a besoin de se réconcilier avec quelqu’un (même absent), il faut le faire avant la messe, conformément à ce que dit le Seigneur : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton offrande » (Mt 5, 23-24). Par conséquent, le rite de la paix n’est pas un moment d’étirements surhumains du bras, de saluts à distance ou de déplacements. Par ce geste, le chrétien honore les deux commandements du Christ : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. L’Eucharistie est le sacrement de l’amour, le sacrement du don de la paix, fruit du mystère pascal du Christ. En accomplissant ce geste aussi, l’Église se reconnaît servante de la paix.
Les origines évangéliques du « rite de la paix »
Il nous faut donc remonter aux premiers temps de l’Église pour retrouver toute la saveur chaleureuse et revigorer la richesse évangélique de ce rite du “don mutuel de la paix” au cours de l’Eucharistie. Par mode de transition, je cite Enrico Mazza : « À la fin du Notre Père avec son développement “Délivre-nous…”, a été ajoutée la doxologie de la Didachè :“car c’est à toi qu’appartiennent (…)”. Enfin, précédée de la prière qui demande au Seigneur le don de la paix, il y a l’invitation aux fidèles d’échanger le geste de la paix. On fait remonter l’usage liturgique du baiser de paix à Paul qui, dans ses lettres, dit aux fidèles de se saluer par un saint baiser (cf. Rm 1616 ; 1 Th 5.26-28). Comme les lettres étaient lues publiquement aux fidèles dans l’assemblée liturgique, il est permis de supposer qu’à la fin de la lettre, quand apparaissait l’exhortation au salut par un saint baiser, les fidèles répondaient à l’invite de Paul. C’est ainsi que le baiser de paix devint le rite conclusif de la liturgie de la parole. » (op. p.284) Cette dernière remarque nous invite également à nous pencher sur la “place” attribuée à ce rite au cours de l’Eucharistie. Mais pour le moment, remontons franchement à la source. Et puisqu’il vient d’être question de St Paul, écoutons-le : Rm. 16.16 -18 : « Saluez-vous les uns les autres d’un saint baiser. » Pour bien comprendre la portée de ce baiser, il faut lire aussi le contexte. Au verset suivant (17), il met en garde contre “ceux qui provoquent des divisions et des achoppements, en s’écartant de l’enseignement que vous avez reçu. Éloignez-vous d’eux. Oui, de tels hommes ne servent pas notre seigneur le Christ, mais leur ventre. Par des flatteries et de belles paroles, ils dupent les cœurs simples.” Bien entendu, à ceux-là on ne donne pas le baiser de paix : ce geste de communion y perdrait son sens ! 2 Co 13.12-13 : « Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser. Tous les consacrés vous saluent. Que le chérissement du Seigneur Jésus, le Christ, l’amour de Dieu et la participation du Saint-Esprit soient avec vous tous. » Ici, la bénédiction de Paul à la fois se fait garante de cette paix, et en donne le critère “sélectif”. Penchons-nous un instant sur le contenu des termes employés : comment étaient-ils reçus par les destinataires, du temps de Paul (ou de Pierre : cf. 1 Pt 5.14). Même s’ils étaient d’usage courant, les termes employés sont chargés d’un contenu très fort. Ce que nous traduisons par « salutation » implique un geste de respect (Mt 23.7 : ceux qui aiment les salutations sur les places publiques et être appelés “Rabbi”) ; et même d’un chaleureux et bienveillant respect (Lc 1.29 : “Marie se demandait ce que pouvait signifier cette salutation”) . Respect chargé d’affection, d’amitié : Lc. 1.40.42.44 : Marie salue Elizabeth et, à cette salutation, l’Esprit révèle à Élisabeth la maternité divine de Marie ! Lorsque Paul emploie ce terme « saluez-vous », c’est toute cette “charge affective” que révèle ce terme. D’ailleurs en grec, le terme est privatif d’un mot qui signifie « être coincé, bloqué » : le substantif correspondant se traduit par « convulsion, agitation violente, épilepsie ». La salutation dont il est fait usage dans nos contextes est donc au contraire un geste tout ce qu’il a de plus ouvert, décontracté, chaleureux, affectueux, “à cœur grand ouvert”. Cette salutation contient (le mot l’indique en français) un souhait de bonne santé, de bien-être (ave, salve, salut) qui est contenu également, même si la formule est usée dans notre “bon jour”, “bonne nuit”. […].Tout cela pour bien définir le contenu du mot « paix ». C’est tout l’opposé de la lutte, de la guerre, du choc -des caractères comme des idées, des cultures, des mentalités, etc…-. Nous sommes très loin d’une fade entente sans caractère. C’est plus qu’une absence de division ; autant il y a d’agressivité, d’opposition, de refus dans cette “lutte acharnée”, ce “choc”, cette “guerre”, autant sinon plus doit-il y avoir de dynamisme, de ferveur, d’engagement personnel dans la construction d’une communion, d’une communauté d’idéal. N’est-ce pas, en un mot, ne faire plus qu’un, grâce et dans l’Évangile. Et cela donne bien toute sa valeur solide aux termes « amitié, affection, amour », pour citer les termes employés par Paul dans ses lettres.
Jean Chrysostome, commentant l’Épître aux Philippiens, souligne : « “Faites ce que vous avez entendu de moi, ou ce que vous avez vu” (Ph 9). C’est comme s’il (l’Apôtre) disait : Suivez mes exemples et mes paroles ; faites-le ; ne vous contentez pas de paroles, il faut des actes. “Et le Dieu de la paix sera avec vous. ” Si vous observez tous les préceptes, si vous êtes en paix avec tout le monde, vous serez tranquilles et en sûreté, n’ayant rien à craindre de fâcheux car lorsque nous avons la paix avec Dieu, et nous l’avons par la vertu, il est encore plus en paix avec nous » (Hom. XIV,2 s/ l’Ep. Aux Ph.). « Je ne vous demande qu’une seule chose, de chercher dans toutes vos actions la concorde et la paix (…). (…)Jeûner en ce temps-ci ou en celui-là, n’est pas assurément un crime ; mais déchirer l’Église, y entretenir la dispute, y semer la mauvaise intelligence, s’abstenir continuellement de l’assemblée sainte, voilà un crime indigne de pardon, et qui vous expose à un châtiment redoutable » (Cont. Jud. III,6).
On comprend dès lors que la lecture des lettres de St. Paul, en préparation de l’Eucharistie, aboutisse au baiser de paix qui réalise concrètement et solidement le commandement du Seigneur (Mt 5.23-24) : « Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande ». Il nous faudrait relire ici en détail la Didachè, qui nous est un témoin de l’élaboration des rites de la célébration eucharistique. Ce rite est avant tout un sacrifice (Did. XIV,1.2.3). Et la mise en pratique du verset de Mt. cité plus haut, rend indispensable, pour offrir ce sacrifice, que l’assemblée soit pure, par respect de la grandeur, de la sainteté de Dieu. Avant la fraction, les chrétiens étaient tenus de confesser leurs péchés (Did. XIV,1), notamment contre l’unité. En effet, pour que le sacrifice offert à Dieu soit pur, il faut qu’il soit offert par des cœurs unis dans la charité, et où chacun remet aux autres les offenses. À l’image du Christ qui, offrant son Sacrifice, pardonna à ses bourreaux, et au bon larron. C’est à cette condition que le Sacrifice offert en Eucharistie peut remettre tous les péchés et restaurer notre communion avec le Père. La Tradition ne fera en somme qu’expliciter et normaliser ce rituel. Citons encore Jean Chrysostome : « C’est pourquoi pendant les mystères nous nous embrassons mutuellement, pour que nombreux nous soyons faits un, et pour que nous fassions couler nos prières communes pour les infirmes, pour les fruits de la terre, pour la terre et pour la mer ». (Hom. 78 s/ St. Jn). Et suit immédiatement le dialogue de la Préface !
Provenance du texte : Frère Arsène, « Le baiser de paix », https://www.latrappe.fr, consulté le 28 octobre 2022.
d. L’Agnus Dei et la fraction du pain. Le prêtre rompt le pain consacré et met dans le calice une parcelle de l’hostie (conmixtion ou inmixtion), en disant une prière à voix basse, pour signifier l’unité du Corps et du Sang du Seigneur dans l’œuvre du Salut, c’est-à-dire le Corps du Christ Jésus, vivant et glorieux dans l’œuvre de la Rédemption. La PGMR précise en ce sens : « Le geste de la fraction, accompli par le Christ à la dernière Cène, et qui a donné son nom à toute l’action eucharistique à l’âge apostolique, signifie que les multiples fidèles, dans la communion à l’unique pain de vie, qui est le Christ mort et ressuscité pour le salut du monde, deviennent un seul Corps (1 Corinthiens 10, 17) »[89]. Et, « la vérité du signe demande que la matière de la célébration eucharistique apparaisse vraiment comme une nourriture. Il convient donc que le pain eucharistique, tout en étant azyme et confectionné selon la forme traditionnelle, soit tel que le prêtre, à la messe célébrée avec peuple, puisse vraiment rompre l’hostie en plusieurs morceaux, et distribuer au moins à quelques fidèles. Cependant, on n’exclut aucunement les petites hosties quand le nombre de communiants et d’autres motifs pastoraux en exigent leur emploi. Mais le geste de la fraction du pain, qui désignait à lui seul l’eucharistie à l’âge apostolique, manifestera plus clairement la valeur et l’importance du signe de l’unité de tous en un seul pain, et du signe de la charité, du fait qu’un seul pain est partagé entre frères »[90].
Le geste doit être préservé de toute manière. Pour cela, il ne convient pas de rompre l’hostie au moment où l’on dit : « il rompit » dans le récit de l’institution, pas plus qu’on ne donne la communion lorsqu’on dit : « il le donna »[91]. La messe n’est pas un mime, mais un mémorial actuel de l’offrande sacrificielle que le Christ ne cesse de faire de sa vie à son Père[92]. Dès qu’il y a un nombre de fidèles suffisant à participer à l’Eucharistie, il est vivement recommandé d’utiliser une « grande hostie de concélébration » qu’on pourra rompre en plusieurs morceaux pour mieux manifester qu’il y a réellement « un seul pain », une « seule Eucharistie », une « seule Église ». Aussi, il n’est pas nécessaire de rompre le pain eucharistié de manière spectaculaire afin qu’on puisse bien le voir. « Le geste doit être simple et respectueux, beau et ordinaire à la fois. C’est en voyant un morceau rompu présenté par le prêtre, lors de l’invitation : "Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau !", que l’assemblée saisira la réalité de la fraction du pain. C’est pourquoi il ne convient pas de reconstituer la grande hostie, en rassemblant les morceaux pour cette invitation : l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, c’est le pain rompu et partagé pour le salut du monde »[93].
À remarquer, en rompant l’hostie, le prêtre en plonge un fragment dans le calice en disant à voix basse : « Que le Corps et le Sang de notre Seigneur Jésus Christ, réunis dans cette coupe, nourrissent en nous la vie éternelle ». Cela s’appelle « Commixtion » ou « Immixtion » de immiscere, qui signifie « mêler à » ou « mélanger ». Ce geste symbolise que la chair et le sang, le corps et l’âme, séparés par la mort, sont réunis dans le Christ ressuscité. Le chant qui accompagne le geste de la fraction du pain est le chant de l’Agnus Dei, introduit dans la messe romaine à la fin du VIIe siècle par le Pape Serge Ier[94]. Il « annonce que le Christ le véritable agneau pascal, sacrifié puis partagé. Il situe la fraction dans le prolongement du sacrifice de communion pratiqué par le peuple juif (notamment pour la Pâque), et surtout dans l’actualité du sacrifice de communion du Christ donnant sa vie en partage pour la multitude »[95]. On ne peut pas remplacer l’Agnus Dei par un autre chant. Il doit être chanté tel quel.
e. Le rite de la procession de communion et le chant de communion. Le chant de communion, auquel tous doivent s’unir – debout – qu’ils communient ou pas, se prolonge tant que la communion des fidèles n’est pas achevée. Il est souhaitable que les fidèles reçoivent le Corps du Seigneur avec des hosties consacrées au cours de cette même célébration et, dans les cas prévus, qu’ils participent au calice. Pleins de joie, les communiants s’approchent pour recevoir Jésus, pain de vie.
Le chant de communion commence pendant que le prêtre consomme le sacrement, pour exprimer par l’unité des voix l’union spirituelle entre les communiants ; montrer la joie du cœur et mettre davantage en lumière le caractère « communautaire de la procession qui conduit à la réception de l’Eucharistie. Le chant se prolonge pendant que les fidèles communient. Mais il s’arrêtera au moment opportun s’il y a une hymne après la communion[96].
Avant de communier, les fidèles font un acte d’humilité et de foi. Le prêtre fait une génuflexion, prend le pain consacré et le tenant au-dessus de la patène ou du calice, le montre aux fidèles en disant : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! ». Les fidèles répondent : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri », utilisant les paroles du centurion de Capharnaüm quand il se reconnaissait indigne de recevoir Jésus dans sa maison. Jésus est appelé l’Agneau à l’image des agneaux que l’on sacrifiait dans le temple, mais à une grande différence près : les agneaux du temple n’enlevaient pas les péchés du monde, en revanche l’« Agneau de Dieu », Lui, enlève les péchés du monde.
La communion est un don du Seigneur aux fidèles, qui est donné aux fidèles par l’intermédiaire du ministre qui a été délégué pour cela. On imite le geste du Seigneur : « Il le donna, en disant, prenez… ». Pour cette raison l’Église n’autorise pas les fidèles à prendre eux-mêmes la Sainte Hostie ou le Saint Calice, encore moins à se les transmettre de main en main. Comme le prévoit la PGMR, « il est très souhaitable que les fidèles, comme le prêtre est tenu de le faire lui-même, reçoivent le corps du Christ avec des hosties consacrées au cours de cette même célébration et, dans les cas prévus, qu’ils participent au calice, afin que par ces signes mêmes, la communion apparaisse mieux comme la participation au sacrifice actuellement célébré »[97].
La Communion sous les deux espèces peut être envisagée et même souhaitable pour tous les communiants surtout pendant la messe de la Cène du Seigneur et les fêtes pascales etc. Ainsi, outre le président de l’assemblée qui boit au calice, tous ceux qui l’entourent peuvent faire de même : concélébrants, diacres, autres ministres dont les ministres extraordinaires de la Communion… animateurs, lecteurs etc. Cela correspond mieux au commandement du Seigneur qui a dit : « Prenez, et buvez-en tous ». Si cela ne peut pas se faire pour des raisons pastorales ou de commodité, on donnera la Communion par intinction : on trempe l’hostie dans le vin du calice. Pour cela, il faut se référer à ce que dit la PGMR aux numéros 284-287. De toute façon, il est toujours bon, en peu de mots, de préciser le mode de communion.
1. Un certain temps de silence. Lorsque le dernier fidèle a communié et que le prêtre a porté la réserve dans le tabernacle, les fidèles s’assoient ou s’agenouillent et suit un temps de prière personnelle. La PGMR recommande ce temps de silence : « Lorsque la distribution de la Communion est achevée, le prêtre et les fidèles, (…), prient en silence pendant un certain temps »[98].
2. La prière après la Communion. Tous les fidèles se mettent debout. Le prêtre implore les fruits du mystère célébré. Prenons par exemple la prière après la communion du Ier dimanche de l’Avent : « Nous t’en prions, Seigneur, fais fructifier en nous les mystères que nous avons célébrés : tandis que nous marchons dans ce monde qui passe, tu nous enseignes par eux à aimer dès maintenant les biens du ciel, et à nous attacher à ceux qui demeurent ».
La prière après la Communion achève la prière du peuple de Dieu et conclut tout le rite de communion. Le prêtre dit : « Prions le Seigneur » ; tous les fidèles prient en silence avec le prêtre pendant quelque temps, à moins qu’on ait gardé le silence précédemment. Puis le prêtre, les mains étendues, dit la prière après la communion. Dans l’antiquité, elle achevait la célébration de la messe, avant que les fidèles ne se séparent. La réforme conciliaire a conservé cet usage dans la liturgie du Vendredi saint. Habituellement, elle se termine ainsi :
Par le Christ, notre Seigneur. Les fidèles répondent : Amen.
Si elle s’adresse au Père, avec mention du Fils à la fin :
Lui qui vit et règne pour les siècles et des siècles. Amen.
Si elle s’adresse au Fils :
Toi qui vis et règne pour les siècles et des siècles. Amen.
5.2.3.4. Les rites de la conclusion
La célébration eucharistique a ouvert un avenir nouveau en faisant mémoire de l’itinéraire pascal au Christ, inauguré par le don de sa vie pour le salut de tous. Voici arrivé le moment pour les membres de l’assemblée de faire de même. L’Eucharistie qu’ils viennent de vivre leur a rendus capables de participer au Mystère pascal du Christ et l’envoi liturgique vient qualifier la mission qui se dessine devant eux.
La célébration eucharistique n’a qu’un seul rite de conclusion composé de plusieurs éléments, et non une conclusion composée de plusieurs rites[99]. La PGMR indique le contenu du rite de conclusion : « a. La salutation et la bénédiction du prêtre qui, certains jours et à certaines occasions, est enrichie et développée par la prière sur l’assemblée ou une autre formule solennelle. b. L’envoi du peuple par le diacre ou le prêtre afin que chacun retourne à ses bonnes œuvres en louant et bénissant le Seigneur. c. Le baiser de l’autel par le prêtre et le diacre, suivi de l’inclination profonde vers l’autel par le prêtre, le diacre et les autres ministres »[100]. La même PGMR, détaillant ce rite, précise : « Une fois terminée la prière après la Communion, on fera, si c’est utile, de brèves annonces au peuple »[101]. Cela dit, les annonces ne sont donc pas systématiques, mais elles sont dans l’esprit du rite d’envoi[102]. Si on doit les faire, surtout à la messe dominicale, on notera d’abord qu’elles sont faites depuis le siège du président ou devant le pupitre et non de l’ambon ni de l’autel. Ensuite, il n’est pas tout à fait réservé au président de les faire, dépendamment des besoins et des situations. Elles peuvent être faites par quelqu’un d’autre. On se rappellera qu’une annonce n’est pas un discours.
Le rite de la conclusion de la messe, précisons-le toute de suite, n’est pas une fin. On ne dit pas « à la fin de messe ». En termes propres, il s’agit d’un envoi. Le terme latin le détermine : « Ite, missa est » qui signifie « le renvoi des fidèles ». La nouvelle traduction en langue française l’enrichit davantage : « Allez porter l’Évangile du Seigneur » ; « Allez en paix, glorifiez le Seigneur par votre vie » ou encore « Allez en paix ». Tout ceci, pour montrer la dimension missionnaire de la célébration eucharistique. Outre cet aspect missionnaire, le peuple est exhorté à demeurer dans la paix du Christ ressuscité. On tiendra compte de :
1. La bénédiction. Le peuple reçoit la bénédiction du prêtre en se signant en silence. Le peuple sacerdotal ou liturgique a béni Dieu. À son tour, il reçoit la bénédiction de Dieu au moment où il est envoyé dans le monde en son nom. Le prêtre implore la protection du Père et du Fils et du Saint-Esprit sur les fidèles pour qu’ils deviennent vraiment ce qu’« ils continuent à vivre de l’esprit de l’Eucharistie qu’ils viennent de célébrer »[103].
2. Le chant final. Après le chant, les fidèles peuvent sortir de l’église. Le moment de la sortie prolonge le moment sacré de la Messe. Certaines personnes resteront à prier encore, souhaitant passer un instant personnel d’intimité avec Dieu ; on doit être sensible à leurs besoins particuliers et à leurs dévotions en collaborant avec son silence.
5.2.3.5. Les apologies du prêtre et les silences pendant la messe
1. Les prières privées du prêtre appelées « apologies », se font en silence à différents moments de la messe. Au moment de l’acte pénitentiel, avant de proclamer l’Évangile, après l’Évangile, au moment de se laver les mains, de l’immixtion, après l’Agnus Dei, au moment de la communion, etc. La PGMR au numéro 33, souligne leur raison d’être en ces termes : « Le prêtre prie comme président, au nom de l’Église et de la communauté rassemblée ; il prie aussi parfois en son nom propre pour accomplir son ministère avec plus d’attention et de piété ». Elles « invitent le prêtre à personnaliser son devoir, à se remettre au Seigneur à titre personnel. Elles sont aussi un excellent moyen de se mettre en chemin – comme les autres fidèles – pour aller à la rencontre du Seigneur de manière totalement personnelle, et pas seulement communautaire »[104].
2. Les silences pendant la messe. Le silence doit être observé en son temps. Sa nature dépend du moment où il trouve place dans chaque célébration. Par exemple, pendant l’acte pénitentiel et après l’invitation à prier, chacun se recueille ; après une lecture ou l’homélie, on médite brièvement ce qu’on a entendu ; et après la communion, on loue Dieu dans son cœur et on prie. La prière liturgique, « comme toute forme de prière, est fondamentalement attention ». Or « le silence, note Laurence Freeman, est un travail, le travail de l’attention aimante et son fruit est un cœur pénétré d’action de grâce »[105]. « Toutes formes prières, disait Jean-Paul II, s’élèvent sur le socle du silence ». Ainsi donc, l’Eucharistie qui est le culmen et fons de l’Église ne peut pas se déroger à cette règle fondamentale. Elle est la prière par excellence de l’Église. « Le silence durant l’Eucharistie, souligne Laurence Freeman, ne fait pas de la liturgie une cérémonie privée, comme certains pourraient le craindre, et comme cela se produisait souvent avec le rite tridentin. Les fidèles sentaient que quelque chose de sacré et de très mystérieux se déroulait, sans qu’ils se sentent personnellement impliqués. Alors ils récitaient leurs prières pendant que le prêtre poursuivait son office de son coté. Le silence en tant qu’expérience liturgique, au contraire, rapproche les membres de la communauté et unifie leur attention de sorte que, unis de cœur et d’esprit, ils peuvent entendre la Parole et prendre part au Mystère »[106].
Le silence liturgique n’est pas un silence artificiel et autonome. Comme le soulignait Jean-Paul II, « nous devons passer de l’expérience liturgique du silence à la spiritualité du silence, à la dimension contemplative ». Dès le commencement de la célébration eucharistique, le prêtre nous invite au recueillement par cette invitatoire : « Prions le Seigneur ». L’assemblée se recueille pour la « collecte », « impliquant l’idée de rassemblement : rassemblement des prières certes, mais également "rassemblement du cœur" » (Ps 85, 11)[107]. Dans l’actio liturgicae, il faut passer du silence extérieur au silence intérieur, de l’extériorité à l’intériorité. Comme le note Xavier Accart, « Saint Benoît, qui désigne l’absence de bruit per le terme quies, réserve celui de silentium pour qualifier une disposition intime de tranquillité et d’attention aimante. Elle est indispensable pour entrer dans la réalité profonde de la messe : le mystère eucharistique »[108]. Le mystère (mysterium) réclame toujours le silence (silentium).
CONCLUSION
Ce cours, loin d’être une simple érudition théologique sur l’Eucharistie, nous a permis de faire une véritable redécouverte de celle-ci à travers la pratique de sa célébration elle-même. Nous y avons trouvé des clés herméneutiques et phénoménologiques pour une intelligence renouvelée de l’Eucharistie. Car « l’Église vit de l’Eucharistie ». Le Christ nous l’a donnée pour construire l’Église, pour en faire une communauté d’amour qui sert dans l’amour. Elle nous est donnée pour le renforcement de notre incorporation au Christ. Comme le précisait Jean-Paul II :
L'incorporation au Christ, réalisée par le Baptême, se renouvelle et se renforce continuellement par la participation au Sacrifice eucharistique, surtout par la pleine participation que l'on y a dans la communion sacramentelle. […]. Par la communion au corps du Christ, l'Église réalise toujours plus profondément son identité: elle « est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire le signe et l'instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain (Ecclesia de Eucharistia, n° 22 et 24).
« Sacrement des sacrements » ou le « Saint-Sacrement », l’Eucharistie rend « réellement présent l’auteur même de la grâce dans le don qu’il fait de sa propre vie sur la croix. C’est pourquoi tous les autres sacrements sont ordonnés à ce sacrement comme à leur fin »[109]. Elle est au cœur de la foi de l’Église et par conséquent, la toucher, « c’est toucher au Christ et toucher à l’unité de cette Église »[110]. L’Eucharistie est
le centre de toute la vie chrétienne tant pour l’Église universelle que pour les communautés locales. […]. Elle « contient tous le trésors spirituel de l’Église, c’est-à-dire le Christ lui-même, lui notre Pâques, lui le pain vivant, lui dont la chair, vivifiée par l’Esprit Saint et vivifiante, donne la vie aux hommes, les invitant et les conduisant à offrir, en union avec lui, leur propre vie, leur travail, toute la création[111].
[1] Michel Salamolard, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, p. 23.
[2] Cf. Le symbolisme du pain, https://www.jepense.org, consulté le 12/06/2023.
[3] Cf. id.
[4] Cf. id.
[5] Cf. id.
[6] Cf. id.
[7] Michel Salamolard, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, p. 24.
[8] Id.
[9] Pour approfondir cela, voir le Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1970, article Pain, p. 875-878 et article Repas, p. 1086-1090.
[10] ID., voir article Pâque, p. 885-891.
[11] Michel Salamolard, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, p. 24-25.
[12] Pour approfondir cela, voir le Vocabulaire de théologie biblique, article Vin, p. 1357-1360.
[13] Cf. Le symbolisme du vin, https://www.jepense.org, consulté le 12/06/2023.
[14] Cf. id.
[15] Cf. id.
[16] Michel Salamolard, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, p. 25.
[17] Michel Salamolard, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, p. 26.
[18] Id.
[19] PGMR, n° 46.
[20] PGMR, n° 47-48.
[21] PGMR, n° 49-50.
[22] PGMR n° 51.
[23] PGMR n° 52.
[24] PGMR, n° 53.
[25] PGMR, n° 55.
[26] PGMR, n° 56.
[27] VD, 56.
[28] PGMR n° 57.
[29] PGMR n° 61.
[30] Cf. PGMR 62.
[31] PGM n° 65-66.
[32] Cf. PGMR, nos 69-71.
[33] Cf. Pacal Desthieux, La messe… enfin je comprends tout !, Éditions Saint-Augustin, 2005, p. 203.
[34] Cf. Diesel Phat, « Les richesses théologiques et doctrinales de la prière "per huius aquae" et de l’adjonction d’eau au vin dans le calice », diehaititheoliturgiesacrements.blogspot.com, consulté le 15/03/2020.
[35] PGMR, n° 77.
[36] PGMR, n° 77.
[37] PGMR, n° 78.
[38] Outre les quatre Prières eucharistiques dites principales, s’ajoutent deux Prières eucharistiques pour la Réconciliation, trois pour les Assemblées d’enfants, et quatre pour les circonstances particulières.
[39] Voir Enrico Mazza, L’Action eucharistique, Paris, Cerf, 2005, p. 287.
[40] Id.
[41] Annibale Bugnini, La réforme liturgique, Paris, Desclée de Brouwer, 2015, p. 482. Cité aussi par Enrico Mazza, L’Action eucharistique, op. cit., p. 287.
[42] Annibale Bugnini, La réforme liturgique, p. 484.
[43] Cf. Paul De Clerck, « La Prière eucharistique », Dans vos assemblées, Joseph Gélineau (dir.), Vol. II, Paris, Desclée, 1989, p. 472.
[44] Cf. id.
[45] Cf. id.
[46] Cf. ibid.., p. 374.
[47] Le texte de la Didakè est pris au Père Dominique Bertrand, Les Pères Apostoliques. Texte intégral, Paris, Cerf, « Sagesses chrétiennes », 2001, 54-57. Les textes juifs sont pris à Paul De Clerck, « La Prière eucharistique », Dans vos assemblées, Joseph Gélineau (dir.), Vol. II, p. 474-475.
[48] Cf. Paul De Clerck, « La Prière eucharistique », Dans vos assemblées, Joseph Gélineau (dir.), Vol. II, 475-476.
[49] Cf. ibid.., p. 477.
[50] Cf. ibid.., 478.
[51] Cf. id.
[52] Cf. id.
[53] Cf. Saint Ambroise, Des Sacrements, IV, 5, 21-27.
[54] Hélène Bricout, « La traduction, un acte de la transmission vivante de la prière ecclésiale », Service National de la Pastorale liturgique et sacramentelle / Conférence des évêques de France, Vivre la messe. La nouvelle traduction du Missel romain, Paris, Mame, 2021, p. 50.
[55] De έπι (epi) καλέω (kaléô), « appeler sur ».
[56] E. Mazza, L’Action eucharistique, p. 312.
[57] Cf. PGMR, n° 79.
[58] Cf. Bénédicte-Marie de la Croix Mariolle, psdp, « Il est grand le mystère de la foi », Vivre la messe. La nouvelle traduction du Missel romain, p. 132.
[59] SC, n° 7.
[60] [60] Hélène Bricout, « La traduction, un acte de la transmission vivante de la prière ecclésiale », Vivre la messe. La nouvelle traduction du Missel romain, p. 51.
[61] Cf. Bénédicte-Marie de la Croix Mariolle, psdp, « Il est grand le mystère de la foi », Vivre la messe. La nouvelle traduction du Missel romain, p. 135.
[62] Cf. id.
[63] Cf. Centre national de pastorale liturgique, L’art de célébrer, t. 2, Paris, Cerf, « Guides Célébrer » 10, 2003, p. 60.
[64] Cf. id.
[65] Cf. ibid.., p. 61.
[66] Cf. id.
[67] PGMR, n° 79.
[68] Cf. Achiel Peelman, La communion des saints, approche chrétienne et amérindienne, Canada, Médiaspaul, 2016, p. 6.
[69] PGMR, n° 95.
[70] Cf. PGMR, n° 2016-236.
[71] Cf. Pascal Desthieux, La messe… enfin je comprends tout !, p. 249.
[72] Cf. Col 1, 16.
[73] Cf. Pascal Desthieux, La messe… enfin je comprends tout !, p. 250.
[74] Cf. E. Mazza, L’action eucharistique, p. 314.
[75] Cf. Ces propos s’inspirent largement de E. Mazza déjà cité ci-dessus.
[76] Cf. Centre National de Pastorale Liturgique, Du bon usage de la liturgie, Paris, Cerf, « Guides Célébrer » 4, 1999, p. 61.
[77] PGMR n° 81.
[78] Cf. Adalbert Hamman, Le Pater expliqué par les Pères, Paris, Éditions franciscaines, 1962, Nouvelle édition considérablement augmentée, p. 21.
[79] Cf. ibid.., p. 24.
[80] Cf. ibid.., p. 29.
[81] Cf. ibid., p. 61.
[82] Cf. ibid., p. 102.
[83] Du bon usage de la liturgie, p. 62.
[84] Ibid., p. 61.
[85] Cf. Olivier Praud, « De la "lex orandi" à la "lex credendi" », Vivre la messe. La nouvelle traduction du Missel romain, p. 34.
[86] Ibid., p. 36.
[87] PGMR n° 82.
[88] Cf. Lettre circulaire de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements sur le rite de la paix, nº 6, https://www.vatican.va, (8 juin 2014), consulté le 28 octobre 2022.
[89] PGMR, n° 83.
[90] Ibid., n° 321.
[91] L’art de célébrer, t. 2, p. 76.
[92] Cf. Du bon usage de la liturgie, p. 64.
[93] L’art de célébrer, t. 2, p. 76.
[94] Cf. Pascal Desthieux, La messe… enfin je comprends tout !, p. 286
[95] L’art de célébrer, t. 2, p. 76.
[96] Cf. PGMR, n° 86.
[97] PGMR, n° 85.
[98] PGMR, n° 88.
[99] L’art de célébrer, t. 2, p. 85.
[100] PGMR, n° 89.
[101] PGMR, n° 166.
[102] Cf. L’art de célébrer, t. 2, p. 85.
[103] Cf. Pascal Desthieux, La messe… enfin je comprends tout !, p. 305.
[104] Cf. Office des célébrations liturgiques du Souverain Pontife, Les prières « apologétiques » durant la célébration de la messe, https://www.vatican.va, consulté le 29 octobre 2022.
[105] Cf. Laurence Freeman, OSB, « L’Eucharistie et silence », Conférence donnée à l’École de Prière de l’archidiocèse de Melbourne, 20 avril 2005, http://www.wccm.fr, consulté le 29 octobre 2022.
[106] Cf. id.
[107] Cf. Xavier Accart, Comprendre et vivre la liturgie, signes et symboles expliqués à tous, Paris, Presses de la Renaissance, 2009, p. 201.
[108] Cf. ibid., p. 202.
[109] Les évêques de France, Catéchisme pour adultes, Paris, Centurion et al., 1991, p. 249.
[110] Cf. id.
[111] Cf. Conférence des évêques du Canada, Culte eucharistique en dehors de la messe, n° 1.
[1] Cf. Nous puisons cette partie quasi intégralement dans l’article de Mgr Dominique Le Tourneau, « Les autres noms de l’Eucharistie », http://www.dominique-le-tourneau.fr, consulté le 29/04/2023.
[2] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 48.
[3] Cf. Homélie sur l’Évangile de Matthieu, 25, 3, PG 57, col. 331, cité dans Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 47.
[4] Benoît XVI, Homélie, 24 décembre 2005.
[5] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 59.
[6] Michel Salamolard, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, Paris, Éditions Saint-Augustin, 2004, p. 83.
[7] Id.
[8] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 65.
[9] Id.
[10] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 66.
[11] Cf. ibid., p. 67.
[12] Cf. id.
[13] Id.
[14] Cet ouvrage est la compilation canonique et liturgique la plus importante des premiers siècles. Il est composé de huit livres, en Syrie ou à Constantinople, vers 380. L’auteur a donc puisé dans la « Didascalie », la « Tradition Apostolique » et la « Dadakè ».
[15] Adalbert Hamann o.f.m, Prières des premiers chrétiens, Nouvelle édition, France, Arthème Fayard, 1952, p. 182.
[16] Michel Salamolard, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, p. 86.
[17] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 77.
[18] Ibid., p. 68.
[19] Ibid., p. 66.
[20] Cf. id.
[21] Id.
[22] Cf. P. Michel Fedou, « Qu’est-ce que la « présence réelle » dans l'eucharistie ? », https://www.la-croix.com, consulté le 10/06/2023.
[23] Gervais Dumeige, La foi catholique, Paris, Éditions de l’Orante, p. 409.
[24] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 71.
[25] Gervais Dumeige, La foi catholique, p. 410.
[26] Ibid., p. 410-411.
[27] Ibid., p. 411.
[28] Ibid., p. 414.
[29] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 72.
[30] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 72.
[31] Id.
[32] Ibid., p. 73.
[33] Cf. id.
[34] Cf. id.
[35] Cf. ibid., p. 74.
[36] Cf. id.
[37] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 74.
[38] Cf. Jacques Gauthier, Qu’est-ce que la transsubstantiation ?, https://fr.aleteia.org, consulté le 11/06/2023.
[39] Michel Salamolard, La présence et le pain. Redécouvrir l’Eucharistie, Paris, Éditions Saint-Augustin, 2004, p. 121.
[40] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 75.
[41] Michel Salamolard, « Eucharistie et transsubstantiation : du bon usage d’un concept », Nouvelle revue théologique, 2007/3 (Tome 129), p. 388 à 401, Éditions Association Nouvelle revue théologique. Cet article est disponible sur : https://www.cairn.info, consulté le 11/06/2023.
[42] Texte cité par Abbé Pierre Descouvemont dans son ouvrage Guide des difficultés de la foi catholique, Paris, Cerf, 2000, p. 451.
[43] Cyrille de Jérusalem, Cat. 4, 9 ; PG 33, 1104.
[44] Ambroise de Milan, PL 16, 439-440.
[45] Michel Salamolard, « Eucharistie et transsubstantiation : du bon usage d’un concept », Nouvelle revue théologique, p. 393.
[46] Cf. Michel Dubost (Mgr) et Stanislas Lalanne (Mgr), Le nouveau théo, l’Encyclopédie catholique pour tous, Paris, Mame, 2009, p. 1026-1027.
[1] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 10.
[2] Id.
[3] Pape Jean-Paul II, Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia sur l’Eucharistie, 17 avril 2003, n° 13, https://www.vatican.va, consulté le 6.03.2023. Dans les prochaines citations, ce document sera dénommé EE.
[4] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 10.
[5] EE, n° 34.
[6] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 10.
[7] Id.
[8] Cf. ibid., p. 13.
[9] Cf. id.
[10] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 13.
[11] Cf. id.
[12] Bernard Sesboüé, Eucharistie et sacrifice de la croix, https://www.la-croix.com, consulté le 31 mars 2023.
[13] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 15.
[14] Id.
[15] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 15.
[16]Cf. ibid., p. 16.
[17] Cf. id.
[18]Pape Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, Exhortation apostolique sur l’Eucharistie, n° 1.
[19] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 18.
[20] Pape Jean-Paul II, Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia sur l’Eucharistie, 17 avril 2003, n° 13, https://www.vatican.va, consulté le 6.03.2023.
[21] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 18.
[22] Cf. id.
[23] Voir Presbyterorum ordinis, désormais PO, n° 5.
[24] Pape Benoit XVI, Sacramentum Caritatis, Exhortation apostolique sur l’Eucharistie, n° 16.
[25] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 18.
[26] Id.
[27] Id.
[28] Cf. Laurent De Villeroché, « L’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église », Service National de la Pastorale liturgique et sacramentelle / Conférence des évêques de France, Vivre la messe. La nouvelle traduction du Missel romain, Paris, Mame, 2021, p. 115.
[29] A partir de la Bible, la symbolique du pélican est présente dans tous les âges. On apprend que le mot pélican se trouve dans ABRAHAM qui, en hébreu, signifie Ab (Père) et Rarham (pélican). Dans la symbolique hébraïque, Abraham est le Père Pélican ou le Père miséricordieux. Les premiers chrétiens ont représenté Jésus ainsi en pensant à son sacrifice sur la Croix où il a versé son sang par amour pour tous les hommes, afin que tous aient la vie. Le pélican représente le sacrement de l’eucharistie : saint Augustin sera parmi les premiers à oser le rapprochement entre le Christ et l’oiseau. A l’image du pélican qui nourrit ses petits par son propre sang, le Christ donne sa vie pour la multitude. Cf. https://presse.saint-augustin.ch/blog/le-pelican-symbole-de-lamour-du-christ/, consulté le 29/04/2023.
[30] Toutes les prières eucharistiques expriment ce lien intrinsèque entre l’Eucharistie et l’Église.
[31] Les mentions du pape et de l’évêque diocésain traduisent cette communion hiérarchique qu’il ne faut jamais minimiser dans la célébration eucharistique.
[32] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 20.
[33] Audience générale, Place Saint-Pierre, Mercredi 5 février 2014, https://www.vatican.va, consulté le 29/04/2023.
[34] Joseph Ratzinger, Dieu nous est proche, l’Eucharistie au cœur de l’Église, Paris, Éditions Parole et Silence, 2003, p. 138.
[35] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 23.
[36] Message de la Conférence épiscopale d’Espagne pour la fête du Corps et du Sang du Christ, L’esprit de la charité se nourrit de l’Eucharistie, La Croix le 27/06/2013 à 15:18, Modifié le 27/06/2013 à 15:36, https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Archives/Documentation-catholique-n-2512-B/L-esprit-de-la-charite-se-nourrit-de-l-Eucharistie-2013-06-27-979302, consulté le 29/04/2023.
[37] Joseph Ratzinger, Dieu nous est proche, l’Eucharistie au cœur de l’Église, p. 138.
[38] Ibid., p. 139.
[39] Benoît XVI, Eucharistie et charité, Discours prononcé à l’occasion de la prière de l’Angélus, dimanche 25 septembre 2005 à Castel Gandolfo, https://www.vatican.va, consulté le 29/04/2023.
[40] Audience générale, Place Saint-Pierre, Mercredi 5 février 2014, https://www.vatican.va, consulté le 29/04/2023.
[41] J. Philippe, « Eucharistie et espérance », https://perejacquesphilippe.fr, consulté le 29/04/2023.
[42] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 27.
[43] P. Jounel, La messe hier et aujourd’hui, Paris, O.E.I.L., 1986, p. 110.
[44] Cf. id.
[45] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 27.
[1] Nous devons cette partie à Édouard Cothenet, voir son ouvrage L’Eucharistie au cœur des Écritures, Paris, Salvator, 2016, p. 33-96.
[2] Pelagio Visentin, « Eucharistie », Dictionnaire encyclopédique de la liturgie, Vol. I, Brepols, 1992, 359.
[3] Jean-Luc Moens a pris le temps d’expliquer cela lors de son intervention au Congrès eucharistique mondial qui s’est déroulé du 5 au 12 septembre 2021 à Budapest.
[4] Pierre-Marie Gy, « Eucharistie », Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, 1998, p. 430.
[5] Cf. Jean-Hervé Nicolas, Synthèse dogmatique, Paris, Beauchesne, 1985, 20114,, p. 873.
[6] Cf. Id.
[7] Ibid., p. 874.
[8] Du grec dokein : apparaître, le docétisme est une hérésie selon laquelle le Verbe de Dieu a pris une apparence humaine et n’est pas véritablement homme.
[9] Nous devons cette partie à Édouard Cothenet, voir son ouvrage L’Eucharistie au cœur des Écritures, Paris, Salvator, 2016, p. 33-96.
[10] Cf. E. Mazza, L’Action eucharistique, Paris, Cerf, « Liturgie » 10, 1999, p. 21.
[11] Cf. id.
[12] Cf. id.
[13] Voir 1 S 15, 22 ; Am 5, 21-24 ; Os 6, 6.
[14] Ce texte est cité par Édouard Cothenet dans son ouvrage L’Eucharistie au cœur des Écritures, Op. cit., p. 37.
[15] E. Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 37.
[16] Cf. ibid., p. 38.
[17] Cf. ibid., p. 39.
[18] E. Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 42.
[19] Cf. P. Jacques Nieuviarts, « Comment comprendre le sacrifice d’Isaac ? », https://www.la-croix.com, consulté le 16 décembre 2022.
[20] É. Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 54.
[21] Ibid., p. 54-55.
[22] É. Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 60-63.
[23] Cf. Ibid., p. 63.
[24] Id.
[25] Ibid., p. 65.
[26] Ibid., p. 66.
[27] Édouard Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 72.
[28] Ibid., p. 77.
[29] Cf. ibid., p. 79. Nous nous sommes inspirés de l’auteur dans ses propos.
[30] Nous puisons cette partie dans l’ouvrage d’Édouard Cothenet déjà cité.
[31] Cf. Édouard Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 83.
[32] Cf. ibid., p. 85.
[33] Édouard Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 88.
[34] Cf. id.
[35] Ibid., p. 91.
[36] Cf. id.
[37] Cf. Pierre Benoît, « Eucharistie », Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1970, p. 407.
[38] Cf. id.
[39] Édouard Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 103.
[40] Cf. Supplément Cahiers Évangile (CE), Les récits fondateurs de l’Eucharistie, n° 140, juin 2007, texte n° 7, p. 15.
[41] Édouard Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 109.
[42] Ibid., p. 111.
[43] Supplément CE, n° 140, p. 21.
[44] Id.
[45] Cf. Conférence épiscopale allemande, La foi de l’Église, (Catéchisme pour adultes), Traduction française, Brepols – Cerf – Le Centurion, 1987, p. 334.
[46] Joseph Ratzinger, La liturgie est-elle modifiable ou immuable ? p. 47.
[47] Philippe Rouillard, « Eucharistie », Dictionnaire de théologie chrétienne, Paris, Desclée, 1979, p. 135-136.
[48] Pierre Benoît, « Eucharistie », Vocabulaire de théologie biblique, p. 408.
[49] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, Édition française sous la responsabilité de Mgr Joseph Doré, Paris, Fleurus-Mame, 1999, p. 29.
[50] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 29.
[51] Cf. ibid., p. 29-30.
[52] Ibid., p. 30.
[53] Id.
[54] Cf. id.
[55] Cf. id.
[56] Cf. ibid.. p. 31.
[57] Cf. ibid., p. 33-34.
[58] Cf. ibid., p. 33.
[59] Cf. ibid., p. 34.
[60] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 35.
[61] Cf. id.
[62] Cf. id.
[63] Pour la quasi intégralité de cette partie, voir Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 35-40.
[64] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 38.
[65] Cf. ibid., p. 39.
[66] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 39-40.
[67] Cf. ibid., p. 40.
[68] Cf. id.
[69] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 41.
[70] Cf. Édouard Cothenet, L’Eucharistie au cœur des Écritures, p. 122.
[71] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 42.
[72] Cf. id.
[73] Supplément CE, n° 140, p. 31.
[74] Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 42.
[75] A. Loisy, L’Évangile et l’Église, Paris, Picard, 1902, p. 111.
[76] Nathalie Siffer, « La Proclamation du royaume de dieu comme marqueur de continuité entre Jésus et l’Église dans l’œuvre de Luc », Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2011-3-page-349.htm, Consulté le 4/02/2023.
[77] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 43.
[78] Cf. id.
[79] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle, p. 43.
[80] Cf. ibid., p. 43-44.
[81] E. Falque, Triduum philosophique. Le Passeur de Gethsémani, Métamorphose de la finitude. Les Noces de l’Agneau, Paris, Cerf, 2015, p. 282.
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