OECUMÉNISME

Grand Séminaire Notre-Dame

 

 

 


 

 

Oecuménisme  

 

 

NOTES DE COURS

 

 

2e, 3e et 4e année de théologie 

Père Diesel PHAT, professeur

Contact : dieselphaiti@yahoo.com/p.diesel.haiti@gmail.com

 

 

2019-2020

Fiche  pédagogique

 

Argumentaire :

À partir des documents du concile Vatican II, en particulier Dei VerbumLumen GentiumUnitatis RedintegratioOrientalium ecclesiarum, ainsi que des documents ultérieurs qui ont structuré l’engagement de l’Église catholique dans la recherche de l’unité des chrétiens, entre autres, les Codes de Droit Canonique, le Catéchisme de l’Église Catholique, la Lettre encyclique Ut Unum Sint et surtout le Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme, le cours s’évertuera à mettre en exergue les axes fondamentaux de l’unité des chrétiens et à dégager la richesse théologique, doctrinale et pastorale de l’œcuménisme. 

 

Compétences à acquérir :

·      Être capable de réfléchir à l’ensemble du parcours œcuménique, à la lumière de l’enseignement de l’Église et être en mesure de l’appréhender comme un lieu théologique.

·      Analyser et comprendre la progression du mouvement œcuménique comme un itinéraire spirituel dans les temps ou périodes qui le ponctuent.

·      Chercher à entrer dans l’intelligence et la compréhension théologique et pastorale de l’œcuménisme selon les orientations issues du concile Vatican II et des documents ultérieurs.

·      Exercer un discernement théologique et pastoral sur les pratiques des rencontres œcuméniques afin d’être en mesure de travailler mûrement à la promotion de l’unité des chrétiens.

 

Pédagogie et méthodologie :

Par des présentations magistrales, le cours offrira aux étudiants la possibilité de cerner la genèse, la structuration et l’évolution de l’œcuménisme, de les approfondir au moyen de textes bibliques et conciliaires, d’études de textes œcuméniques, d’analyse des approches des théologiens œcuméniques et, globalement, d’un travail d’interprétation théologique des données auquel participeront tous les étudiants.

 

Mode d’évaluation :

Une diversité de mode est proposée : 

1°) Travail I : rédaction d’une fiche de lecture, d’un ouvrage ou d’un document sur l’œcuménisme (il faut présenter l’ouvrage et le plan au professeur avant de commencer à rédiger) : 3 pages maximum : interligne1.5, police times new roman taille 12) ; analyse d’un thème choisi par l’étudiant (présentation du thème et du plan avant de rédiger) : 5 pages maximum : interligne1.5, police times new roman taille 12.

2°) Travail II : Traiter l’un des thèmes suivants :

- Les défis de l’œcuménisme en Haïti.

- Il n’y a pas de véritable œcuménisme sans conversion intérieure (UR 7).

- L’œcuménisme comme réponse de l’Esprit Saint aux « signes des temps ».

- L’œcuménisme comme enrichissement mutuel. 

Participation au cours (Travaux personnels) : 60% ; Examen final : 40% (à la fin du cours).

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Plan du cours

Introduction………………………………………………………………………………………………………………………7

Chapitre I : L’œcuménisme à travers l’histoire de l’Église : origine et signification………………………7

1.1  Controverses et cassures au cours de l’histoire du christianisme………………………………….7

1.2 Quelques jalons historiques du mouvement œcuménique………………………………..…………9

1.3 Vers une définition et une compréhension de l’œcuménisme……………………………………10

1.4 La conception magistérielle de l’Église catholique 

de l’œcuménisme jusqu’à Vatican II……………………………………………..…………………………………12

 

Chapitre II : L’entrée de l’Église catholique en œcuménisme avec le concile Vatican II………………..13

2.1 L’œcuménisme, une authentique tâche de l’Église avec Vatican II……………………………..13

2.2  L’entrée dans l’intelligence de certains textes magistériels sur l’œcuménisme………….14 

2.3 Les principes catholiques de l’œcuménisme ………………………………..……………………………21

 

Chapitre 3 : L’œcuménisme en/au travail……………………………………………………………………………….23

3.1 L’œcuménisme spirituel…………………………………………………………………………………………….24

3.2 L’œcuménisme caritatif……………………………………………………………………………………………..25

3.3 L’œcuménisme doctrinal……………………………………………………………………………………………25

 

Chapitre 4 : L’œcuménisme après Vatican II…………………………………………………………………………….26

4. 1 Des décisions concrètes…………………………………………………………………………………………….26

4.2 Les problèmes théologiques principaux……………………………………………………………………..26

4.3 Les nouveaux défis de l’œcuménisme………………………………………………………………………..29

4.4 L’accord théologique ne suffit pas à faire l’unité………………………………………………………..30

4.5 L’œcuménisme n’est pas une matière à option………………………………………………………….30

 

Chapitre 5. L’œcuménisme, une conséquence obligatoire d’une ecclésiologie de communion………………………………………………………………………………………………………….31

5.1 L’œcuménisme comme ecclésiologie de communion

 quoique de manière imparfaite………………………………………………………………………………………31

5.2 L’ecclésialité des Églises non catholiques……………………………………………..……………………32

5.3 La question de l’hospitalité eucharistique, un vrai problème ?....................................33

 

Conclusion…………………………………………………………………………………………………………..………….35

 

 

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Bibliographie 

01. Birmelé André, « Œcuménisme », Dictionnaire critique de théologie, Paris, Presses Universitaires de France, « Référence », 374, 1998, 821-823.

02. Boeglin Jean-Georges, Pierre dans la communion des Églises, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei » 242, 2004.

03. Catéchisme de l’Église Catholique, Paris, Bayard/Cerf/Mame/Librairie Éditrice Vaticane, 1998.

04. Ve Conférence générale de l’Épiscopat Latino-Américain et des Caraïbes, Disciples et Missionnaires de Jésus-Christ pour que les peuples aient la vie en Lui. Aparecida, Paris, Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, 2008.

05. Conseil pontifical pour l’unité des chrétiensDirectoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme, Rome, 1993.

06. Conseil pontifical pour l’unité des chrétiensLa dimension œcuménique dans la formation de ceux qui travail dans le ministère pastoral, Rome, 1997.

07. Dupuis Jacques, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, Cerf, 1997.

08. Faynel Paul, « Œcuménisme », Dictionnaire de théologie chrétienne, Paris, Desclée, 1979, 301-307. 

09. Fouilloux Étienne, Les catholiques et l’unité chrétienne du XIXe au XXe siècle. Itinéraires européens d’expression française, Paris, Centurion, 1982.

10. Girault René, Construire l’Église une, Paris, Desclée de Brouwer, 1990. 

Groupe des DombesMarie dans le dessein de Dieu et la communion des saints, Paris, Bayard, 1999. 

11. Jaeger Lorenz, Le décret de Vatican II sur l’œcuménisme. Son origine, son contenu et sa signification, Tournai, Casterman, 1965.

12. Jean-Paul II, Lettre encyclique Ut unum sint, Rome, 1995.

13. Kasper Walter, Manuel d’œcuménisme spirituel, Bruyère-le-Chatel, Nouvelle Cité, 2007.

14. Kasper Walter, « L’Engagement œcuménique de l’Église catholique », Routhier Gilles et Villemin Laurent (dir.), Nouveaux apprentissages pour l’Église. Mélanges en l’honneur de Hervé Legrand, o.p.,  Paris, Cerf, 2006. 

15. La Documentation catholique, n° 2526, 2e trimestre, avril 2017, 5-52. 

16. Moulinet Daniel, Vatican II raconté à ceux qui ne l’ont pas vécu, Paris, Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2012.

17. Neuner Peter, Théologie œcuménique. La quête de l’unité des Églises chrétiennes, Paris, Cerf, 2005.

18. Rigal Jean, Découvrir les ministères, Paris, Desclée de Brouwer, 2001.

19. Sesboüé Bernard, Pour une théologie œcuménique. Église et sacrements, Eucharistie et ministères, la Vierge Marie, Paris, Cerf, 1990.

20. Spinsanti Sandro, « Œcuménisme spirituel », Dictionnaire de la vie spirituelle, Paris, Cerf, 1983, 767-778.

21. Vatican II, Décret conciliaire Unitatis Redintegratio, sur l’œcuménisme, 1964.

22. Vatican II, Décret conciliaire Orientalium ecclesiarum, sur les Églises catholiques orientales, 1964. 

23. Vezin Jean-Marie et Villemin Laurent, Les sept défis de Vatican II, Paris, Desclée de Brouwer, 2012.

24. Zundel Maurice, Ton visage, ma lumière. 90 sermons inédits, Paris, Mame, 2011.

 

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Abréviations 

CEC Catéchisme de l’Église catholique.

CIC Code de Droit Canonique, 1983.

DV Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation Dei Verbum, 1965.

LG Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, 1964. 

OE Vatican II, Décret sur les Églises orientales catholiques, Orientalium Ecclesiarum, 1964.

UR Vatican II, Décret sur l’œcuménisme Unitatis Redintegratio, 1964.

UUS Jean-Paul II, Lettre encyclique Ut Unum Sint, 1995.

Histoire de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens[1]

L'Octave de prière de Paul Wattson

La prière pour l’unité chrétienne n’est bien sûr pas une initiative du 20ème siècle : les chrétiens n’ont jamais cessé de prier, de multiples manières, pour leur réconciliation. Mais c’est en 1908, aux États-Unis que cette prière a pris la forme particulière que nous lui connaissons aujourd’hui, celle d’une « octave » entre le 18 janvier (qui était la fête de la Chaire de Pierre à Rome) et le 25 janvier (fête de la conversion de saint Paul). Son « inventeur » est Paul Wattson, un prêtre épiscopalien qui venait de créer une communauté religieuse franciscaine au sein de l’Église anglicane américaine.

L’unité des chrétiens, telle que Paul Wattson l’envisageait, signifiait en fait l’unité autour du Siège romain. Au milieu des années 1930, alors que la prière pour l’unité entre le 18 et le 25 janvier commençait à se répandre dans l’Église catholique et dans les communautés anglicanes favorables à une union avec Rome, c’est l’abbé Paul Couturier qui, à Lyon, lui a donné un nouvel élan : tout en gardant les mêmes dates, le prêtre lyonnais fait le choix de parler de Semaine de prière (une semaine de huit jours !), un vocabulaire perçu comme moins catholicisant ; et surtout, il lui assigne un nouvel objectif : prier pour l’unité « telle que le Christ la veut, par les moyens qu'Il voudra ».

 

 

 

 

 

Introduction

Le fondement de l’œcuménisme : la suprême prière de Jésus

 

La recherche de l’unité des chrétiens trouve son fondement dans la suprême prière de Jésus juste avant de s’offrir pour le salut de toute l’humanité : 

Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN : moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé (Jn 17, 21-23).

 

Ce texte montre que la recherche de l’unité est d’ordre spirituel. Jésus situe son désir de l’unité dans son intimité avec son Père, dans la prière. L’unité, rappelle Walter Kasper, est un don d’en haut, qui nous vient de la communion d’amour du Père, du Fils et de l’Esprit Saint et qui grandit en elle[2]. Jésus veut que ceux qui croient en Lui s’unissent dans une seule foi et dans un seul baptême. C’est pourquoi tous les chrétiens doivent prendre « à cœur la cause de l’unité des chrétiens »[3]. Autant dire que l’œcuménisme est perçu comme un signe des temps accueilli et discerné par le concile Vatican II. C’est ce que nous nous proposons d’approfondir dans les chapitres qui suivent. 

 

Chapitre I : L’œcuménisme à travers l’histoire de l’Église : origine et signification

 

1.1  Controverses et cassures au cours de l’histoire du christianisme

1.1.1 Une cassure précoce (IVet Vsiècles) 

Avec la paix constantinienne dans l’Empire romain, vers l’an 313, le christianisme acquiert une place officielle. Mais peu de temps après, des différends doctrinaux surgissent. Les évêques de tout bord se sont vite réunis en concile à Nicée, puis à Constantinople, Chalcédoine et Éphèse, pour préciser la foi de l’Église sur les points contestés. Mêlées de politique, ces réunions ont des conséquences négatives sur l’avenir du christianisme. Certaines Églises (L’Église copte d’Égypte, l’Église arménienne et d’autres encore), ne s’approprient pas l’ensemble des définitions issues de ces conciles dits « œcuméniques ». Cela est donc cause d’une cassure au sein des Églises chrétiennes et aussi une prise de distance politique vis-à-vis du pouvoir impérial de Constantinople. 

 

- Le 1er concile de Nicée (325)

Le 1er concile de Nicée condamne l’arianisme selon lequel le Christ n’est pas Dieu mais la première créature du Père et proclame dans le symbole de Nicée que le Père et le Fils sont consubstantiels.

 

- 1er concile de Constantinople (381)

En 381, le premier concile de Constantinople affirme la divinité du Saint-Esprit et fixe le symbole de Nicée-Constantinople. 

 

- Concile d’Éphèse (431)

Celui d’Éphèse condamne le nestorianisme qui sépare les natures humaine et divine du Christ et affirme l’unité de la personne du Christ. 

 

Concile de Chalcédoine (451)

Il condamne le monophysisme selon lequel la nature humaine de Jésus aurait été absorbée par sa nature divine et affirme que ces deux natures sont unies mais pas confondues en l’unique personne de Jésus Christ. 

 

1.1.2 Rupture entre Orient et Occident (XI- XIIIsiècle) 

À partir du VIIet jusqu’au XIsiècle, des tensions politiques et religieuses éclatent entre Rome et Constantinople. En 1054, une nouvelle crise aboutit à des excommunications mutuelles et les deux Églises se séparent. En 1204, les croisés latins envahissent et pillent Constantinople. Cela envenime la situation et scelle la rupture. 

 

1.1.3 Les déchirements de la chrétienté occidentale au XVIsiècle

Le XVIsiècle est marqué par les grandes questions du renouvellement de la foi. Il s’agit d’une tentative de rétablissement de la pureté du christianisme primitif dans un esprit de cohérence avec l’Écriture. D’où l’émergence de la Réforme et son grand combat. Plusieurs figures incarnent ce combat non sans conséquences négatives sur l’histoire de l’Église. Martin Luther, moine augustinien (1483-1546), a marqué un tournant décisif dans l’histoire de l’Église. La Réforme est essentiellement son œuvre. C’est lui qui a ouvert la porte même si le Moyen Âge tardif avait déjà préparé les causes. Par son travail sur les épîtres de Paul, il a acquis la conviction que Dieu seul sauve et que l’homme ne peut mériter le Salut par ses actions. En 1517, il conteste la pratique des indulgences. En 1520, dans trois manifestes, il affirme des positions théologiques rejetées par le pape. En 1521, il est excommunié. Sa rupture avec Rome devient manifeste et le luthéranisme s’érige en Église. 

En dehors de l’Allemagne, sous l’égide de Calvin (1509-1564), de Zwingli (1484-1531) et de Henri VIII (1509-1547) naissent d’autres Églises de la Réforme (Luthérianisme, Anglicanisme et Calvinisme). C’est le début du Protestantisme. La Réforme n’a pas été une affaire purement religieuse, la politique s’en mêlait et l’obscurcissait et l’Église est encore une fois déchirée. Les évêques catholiques se réunissent en concile à Trente (1545-1563) pour réaffirmer la doctrine catholique sur un certain nombre de questions controversées et poser les bases de la vraie réforme de l’Église déjà proclamée par le concile de Latran V[4]. Depuis, deux confessions chrétiennes s’affrontent parfois violemment et la politique s’en mêle pour garantir la stabilité et la paix dans les États par une foi unique. Cela contribue à durcir les oppositions religieuses et l’unité de l’Église est pour une fois encore brisée. Mais le XXe siècle est marqué par un tout autre contexte politique et social, culturel et religieux qui facilite une amélioration dans les rapports entre les chrétiens des différentes confessions religieuses. C’est dans ce contexte que le mouvement œcuménique a pris naissance. 

 

1.2 Quelques jalons historiques du mouvement œcuménique

Le mouvement œcuménique est d’abord une initiative de chrétiens protestants. De 1910 à 1938, ils ont franchi une première étape dans la voie de la réconciliation des Églises. Les difficultés rencontrées dans les missions sont à l’origine de ce mouvement. Dans les confrontations en matière de territoires conquis, ils prennent conscience d’un véritable malaise : le Christ est un, mais ceux qui ont la mission de l’annoncer au monde sont divisés. Cela pose problème à la crédibilité de leur annonce. Cette prise de conscience a amené les missions protestantes à se réunir en une 1ère conférence à Édimbourg en 1910. C’est là qu’est né (ou a pris naissance) le « mouvement œcuménique ». Les orthodoxes ont rejoint le mouvement œcuménique vers l’année 1920. 

Une deuxième étape est franchie dans le mouvement œcuménique avec la création du Conseil œcuménique des Églises (COE) dont le principe est adopté à Utrecht en 1938 et devenu effectif seulement en 1948 à l’Assemblée d’Amsterdam à cause de la guerre[5]. Le COE est un lieu de rencontre pour une « culture de l’unité » au sein des Églises fragmentées et fragilisées par les cassures effectuées dans l’histoire. Deux tendances au sein du même mouvement œcuménique se trouvent réconciliées à la rencontre d’Amsterdam : celle plus pragmatique et anti-dogmatique, manifestée à la première conférence de Stockholm (Life and Work, Vie et Action) en 1925 ; et une autre beaucoup plus doctrinale ou théologique apparue en 1927 à la première conférence tenue à Lausanne (Faith and Order, Foi et Constitution). 

En 1961, à l’Assemblée de New-Delhi, il y a eu une entrée massive au COE des orthodoxes des pays de l’Est (Roumanie, Russie, Bulgarie, Pologne). Aujourd’hui, 332 Églises de différentes traditions font partie du COE (trad. Protestante, anglicane, orthodoxe et orientale orthodoxe) ; la plupart ont signé des accords entre elles.  

 

1.3 Vers une définition et une compréhension de l’œcuménisme 

Les chrétiens ont pris conscience que la division entre eux est une entrave et un contre témoignage par rapport à l’enseignement de Jésus. Depuis le début du XXsiècle, à partir de cette prise de conscience et de cette volonté de dialoguer et de dépasser les fractures du passé, l’œcuménisme commence à se développer et à envisager de prendre le chemin de l’unité et de rétablir la communion au sein du Corps mystique du Christ. 

Ainsi, le mot œcuménisme[6] a pris un sens spirituel et est devenu un itinéraire de vie pour le rapprochement, la réconciliation et l’unité des chrétiens dans la pluralité des Églises et dans la dynamique du « mouvement œcuménique ». L’œcuménisme vient du mot grec οκουμένη (oikouménè), qui se traduit par « toute la terre habitée ». Son sens exprime donc une idée de rassemblement universel, dans la perspective la plus large possible au sein des Églises chrétiennes. Il désigne donc les efforts vers l’unité des chrétiens divisés

Nous pouvons dire que l’œcuménisme signifie au cours de l’histoire[7]:

• « ce qui appartient au monde habité ou qui le représente » ;

• « ce qui appartient à l’empire romain ou qui le représente » ;

• « ce qui a une valeur ecclésiale universelle » ;

• « ce qui concerne la tâche missionnaire universelle » ;

• « ce qui touche aux relations entre des Églises ou des chrétiens d’origines confessionnelles différentes » ;

• « la conscience spirituelle d’appartenir à la communion mondiale des Églises chrétiennes » ;

• « la disponibilité à s’engager pour l’unité de l’Église ».

Les trois dernières définitions sont utilisées pour désigner le mouvement œcuménique qui a pour mission de promouvoir l’unité des chrétiens au sein des Églises (catholique, protestante et orthodoxe). 

Aujourd’hui, le sens de l’œcuménisme s’est beaucoup développé grâce :

- à la semaine de prière pour l’unité des chrétiens instituée en 1908, aux États-Unis, par deux anglicans, Spencer Jones et Lewis Thomas Wattson (qui devint catholique la même année avec la communauté religieuse franciscaine qu’il venait de fonder au sein de l’Église anglicane américaine) entre le 18 janvier (à cette époque fête de la Chaire de Pierre à Rome) et le 25 janvier (fête de la conversion de saint Paul) ;

- à la fondation du Groupe des Dombes en 1937 par l’Abbé Paul Couturier et le pasteur suisse Baümlin pour un véritable dialogue entre les catholiques et les protestants dans un travail de recherche doctrinale ;

- au Conseil Œcuménique des Églises (COE) créé en 1948 pour favoriser le dialogue entre les diverses Églises chrétiennes ;

- La fondation de la Communauté de Taizé par le pasteur Roger Schutz en 1949 pour vivre ce qu’on peut appeler l’œcuménisme spirituel ; 

- Le décret du concile Vatican II sur l’œcuménisme, Unitatis redintegratio publié le 19 novembre 1964 ; 

- Des accords et des réalisations conjointes comme la traduction œcuménique de la Bible effectuée par des chrétiens de différentes confessions et publiée pour la première fois en 1975. À cela, s’ajoute la Concordance de la Traduction Œcuménique de la Bible parue en 1993 avec la même portée interconfessionnelle ;

- La déclaration commune de la Fédération Luthérienne Mondiale et de l’Église catholique (31 octobre 1999) au sujet de la doctrine de la justification, reconnue et signée également par le Conseil Mondial des Églises Méthodistes en 2006.

 

1.4  La conception magistérielle de l’Église catholique de l’œcuménisme jusqu’à Vatican II

L’Église catholique, dès le début, était très réticente au mouvement œcuménique. La position des papes (Léon XIII, Pie X et Benoît XV) est : le « retour » des « dissidents » au bercail. Un vocabulaire qui durera jusqu’au concile Vatican II. En 1927, Pie XI, avec son encyclique Mortalium animos avait mis fin à toute possibilité de dialogue œcuménique en interdisant aux catholiques d’y participer. Sa position ne se différenciait pas de celle des autres : le retour au bercail des dissidents : « L’union des chrétiens ne peut être procurée autrement qu’en favorisant le retour des dissidents à la seule et véritable Église du Christ, qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner ». Mise à part cette position officielle de l’Église catholique, il faut noter le blocage de toute perspective de dialogue du côté des chrétiens protestants à cause de la publication du dogme de l’Assomption de la Vierge Marie proclamée par Pie XII en 1950. Ils étaient scandalisés du fait que ce dogme est dépourvu d’appui biblique explicite. 

Par contre, il ne faut oublier le travail et l’engagement de certains pionniers catholiques parmi lesquels on peut citer le cardinal Mercier, Dom Lambert Beaudoin qui a fondé une abbaye, où coexistent des moines de rite oriental et de rite occidental, célébrant chacun dans leur rite respectif. Dans cette même dynamique, Dom Lambert lance la revue œcuménique Irenikon. On doit citer également l’abbé Paul Couturier avec sa fameuse relance de la « Semaine de prière pour l’unité des chrétiens » et la création du Groupe des Dombes ; et le père Yves Congar, o.p., qui livre une réflexion catholique du scandale de la division des chrétiens dans son ouvrage Chrétiens désunis, publié en 1937. 

Le pape Jean XXIII était fasciné par la recherche de l’unité des chrétiens. De manière symbolique, il a annoncé sa décision de convoquer la réunion du concile à la fin de la « Semaine de prière pour l’unité des chrétiens », le 25 janvier 1959. Suite à cela, il a posé des actes concrets qui traduisait sa volonté de rechercher l’unité : la création du Secrétariat pour l’unité des chrétiens (SPU) sous la houlette du cardinal Béa qui a mené à bien sa mission et a permis à cette commission de jouer un rôle important dans le déroulement du concile ; l’invitation au concile d’observateurs d’autres confessions chrétiennes. Il faut souligner aussi la teneur de son discours d’ouverture du concile le 11 octobre 1962 portant sur la réforme interne de l’Église et la question de l’unité des chrétiens

 

Chapitre II : L’entrée de l’Église catholique en œcuménisme avec le concile Vatican II

 

2.1 L’œcuménisme, une tâche irrécusable  de l’Église avec Vatican II

L’Église catholique, tout début, soit vers l’année 1928, a manifesté une attitude méfiante vis-à-vis du mouvement œcuménique naissant. Cependant, au lendemain de la rencontre d’Amsterdam, en 1949, (on est après la guerre), elle a manifesté une attitude plus positive envers celui-ci sans pour autant y prendre part. Le pas décisif se fait en 1964 avec le concile Vatican II : l’œcuménisme devient une tâche irrécusable de l’Église[8].  

Outre la présence d’observateurs des autres confessions chrétiennes au concile, plusieurs documents conciliaires témoignent de cette ouverture à l’œcuménisme : Lumen gentiumDignitatis humanae et Nostra aetate. Mais, il faut résolument noter le décret sur l’œcuménisme, Unitatis redintegratio (UR) qui apporte la notion de « hiérarchie des vérités » et situe la recherche de l’unité dans le respect des différences considérées comme des richesses[9].

Ce décret comporte trois grands chapitres avec une cohérence théologique et ecclésiologique remarquable :

- Le 1er chapitre porte sur les principes catholiques de l’œcuménisme. Pas d’œcuménisme sans reconnaissance des « valeurs réellement chrétiennes qui se trouvent chez nos frères séparés ». Le 2e sur la rénovation de l’Église implique « la conversion du cœur » (n° 7), « la connaissance des frères des autres Églises » (n° 9), la « hiérarchie entre les vérités de foi » (n° 11) (L’Assomption de la Vierge Marie par exemple n’est pas à mettre au même plan que la Résurrection du Christ) et « la collaboration avec les autres chrétiens » (n° 12) ; et le 3e sur un descriptif des diverses Églises.

Mise à part ces textes, il faut souligner les gestes œcuméniques considérables qui ont aussi été posés, notamment la rencontre du pape Paul VI avec Anthénagoras, patriarche de Constantinople, en 1964 à Jérusalem ; leur visite mutuelle en 1967 ; la levée simultanée des anathèmes, jadis lancés entre Rome et Constantinople en 1054, par Paul VI et Athénagoras en 1965 ; la visite de Paul VI au COE en 1966 ; les visites de Jean-Paul II en 1982 au primat de l’Église anglicane de Cantorbéry et aussi à d’autres responsables religieux. 

Sans oublier les différentes rencontres de Benoît XVI avec les responsables des autres confessions chrétiennes pour continuer la recherche de l’unité des chrétiens initiée par le concile, il faut noter celles de François, en particulier sa visite en Suède les 31 octobre et 1er novembre 2016 pour le lancement des commémorations des 500 ans de la Réforme. 

Outre ces gestes, il faut mentionner les efforts considérables qui se font pour arriver à une harmonisation des liens théologiques et spirituels, enjeux importants pour l’unité possible tant souhaitée au sein de la grande Église et qu’on peut espérer sans exagération ni précipitation. Aujourd’hui, des chrétiens de diverses confessions participent à des liturgies communes comme la célébration de la Parole de Dieu et celle des baptêmes, disent le même Crédo et le même Notre Père, nourrissent le désir de partager une unique Table eucharistique. Autant de désirs qu’il faut nourrir avec une grande espérance. L’unité des chrétiens a une dimension eschatologique qu’il ne faut pas ignorer. L’unité s’accomplira en son temps. Le temps que, seul, le Christ seul connaît. L’essentiel c’est d’aller l’un vers l’autre avec respect et esprit d’écoute, de se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint, principe de l’unité des membres du Corps du Christ (l’Église) : « Remplis de l’Esprit Saint », « nous pourrons célébrer l’unité enfin accomplie » (cf. P.E, réconciliation II). 

 

 

 

2.2 L’entrée dans l’intelligence de certains textes magistériels sur l’œcuménisme 

2.2.1 Décret Unitatis redintegratio (UR) publié le 19 novembre 1964

L’unité des chrétiens est l’un des principaux buts du concile (UR n° 1) :

Promouvoir la restauration de l’unité entre tous les chrétiens est l’un des objectifs principaux du saint Concile œcuménique de Vatican II. Une seule et unique Église a été fondée par le Christ Seigneur. Et pourtant plusieurs communions chrétiennes se présentent aux hommes comme le véritable héritage de Jésus Christ. Tous certes confessent qu’ils sont les disciples du Seigneur, mais ils ont des opinions différentes. Ils suivent des chemins divers, comme si le Christ lui-même était divisé. Il est certain qu’une telle division s’oppose ouvertement à la volonté du Christ. Elle est pour le monde un objet de scandale et elle fait obstacle à la plus sainte des causes : la prédication de l’Évangile à toute créature. 

 

Or, le Maître des siècles, qui poursuit son dessein de grâce avec sagesse et patience à l’égard des pécheurs que nous sommes, a commencé en ces derniers temps à répandre plus abondamment sur les chrétiens divisés entre eux l’esprit de repentance et le désir de l’union. Partout les hommes sont très nombreux à avoir été touchés par cette grâce et, sous l’effet de l’Esprit Saint est né un mouvement qui s’amplifie de jour en jour chez nos frères séparés en vue de rétablir l’unité de tous les chrétiens.

À ce mouvement vers l’unité, qu’on appelle le mouvement œcuménique, prennent part ceux qui invoquent le Dieu Trinité et confessent Jésus comme Seigneur et Sauveur, non seulement pris individuellement, mais aussi réunis en communautés dans lesquelles ils ont entendu l’Évangile et qu’ils appellent leur Église et l’Église de Dieu. Presque tous cependant, bien que de façon diverse, aspirent à une Église de Dieu, une et visible, vraiment universelle, envoyée au monde entier pour qu’il se convertisse à l’Évangile et qu’il soit ainsi sauvé pour la gloire de Dieu.

 

Voilà pourquoi le Concile, considérant avec joie tous ces faits, après avoir exposé la doctrine relative à l’Église, pénétré du désir de rétablir l’unité entre tous les disciples du Christ, veut proposer à tous les catholiques les moyens, les voies et les modes d’action qui leur permettront à eux-mêmes de répondre à cet appel divin et à cette grâce.

 

Le mouvement œcuménique est l’un des signes des temps auquel nous devons prêter attention (UR n° 2) :

Étant donné qu’aujourd’hui, en diverses parties du monde, sous le souffle de la grâce de l’Esprit Saint, beaucoup d’efforts s’accomplissent par la prière, la parole et l’action pour arriver à la plénitude de l’unité voulue par Jésus Christ, le saint Concile exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre une part active à l’effort œcuménique. 

 

Par « mouvement œcuménique », on entend les entreprises et les initiatives provoquées et organisées en faveur de l’unité des chrétiens, selon les besoins variés de l’Église et selon les circonstances. Ainsi, en premier lieu, tout effort accompli pour éliminer les paroles, les jugements et les actes qui ne correspondent ni en justice ni en vérité à la situation des frères séparés et contribuent ainsi à rendre plus difficiles les relations avec eux. Ensuite, au cours de réunions de chrétiens de diverses Églises ou communautés, organisées dans un esprit religieux, le « dialogue » mené par des experts bien informés, où chacun explique plus à fond la doctrine de sa communauté et montre de façon claire ce qui la caractérise. Par ce dialogue, tous acquièrent une connaissance plus conforme à la vérité, en même temps qu’une estime plus juste de l’enseignement et de la vie de chaque communauté. De la même manière, ces communautés viennent à collaborer plus largement à toutes sortes d’entreprises qui, répondant aux exigences de toute conscience chrétienne, contribuent au bien commun. On peut aussi, là où c’est permis, se réunir pour une prière unanime. Enfin tous examinent leur fidélité à la volonté du Christ par rapport à l’Église, et entreprennent, comme il le faut, un effort soutenu de rénovation et de réforme.

 

La formation œcuménique est une réalité inhérente à la vie pastorale (UR n° 10) : 

La théologie et les autres disciplines, surtout l’histoire, doivent être enseignées aussi dans un sens œcuménique, pour mieux répondre à la réalité des choses.

 

Il est, en effet, très important que les futurs pasteurs et les prêtres possèdent une théologie œcuménique bien élaborée pour éviter toute polémique, surtout, surtout pour les questions concernant les relations des frères séparés avec l’Église catholique.

 

Car c’est de la formation des prêtres que dépendent surtout la nécessaire éducation et formation spirituelle des fidèles et des religieux.

 

De même, les catholiques missionnaires travaillant dans les mêmes pays que d’autres chrétiens doivent connaître, surtout aujourd’hui, les questions que pose l’œcuménisme à leur apostolat et les résultats qu’il obtient.

 

 

2.2.2 Décret Orientalium Ecclesiam (OE) publié le 21 novembre 1964

L’Esprit Saint organise l’unité du Corps mystique du Christ et les rites des diverses communautés chrétiennes sont une expression de cette unité (OE2) :

La sainte Église catholique qui est le Corps mystique du Christ, est composée des fidèles qui sont organiquement unis dans l’Esprit Saint par la même foi, les mêmes sacrements et le même gouvernement, et qui, en se fondant en diverses communautés dont la cohésion est assurée par la hiérarchie, constituent des Églises particulières ou rites. Entre ces Églises existe une admirable communion, de sorte que la diversité dans l’Église, loin de nuire à son unité, la met en valeur. C’est en effet le dessein de l’Église catholique de sauvegarder dans leur intégrité les traditions de chaque Église particulière ou rite. Elle veut également adapter son mode de vie aux besoins divers des temps et des lieux.

 

L’œcuménisme conciliaire valorise et protège ce qui est légitime chez les chrétiens orientaux (OE, n° 6) :

Que tous les Orientaux sachent en toute certitude qu’ils peuvent et doivent toujours garder leurs rites liturgiques légitimes et leur discipline, et que des changements ne doivent y être apportés qu’en raison de leur progrès propre et organique. Les Orientaux eux-mêmes doivent donc observer toutes ces choses avec la plus grande fidélité ; ils doivent donc en acquérir une connaissance toujours meilleure et une pratique plus parfaite. Et s’ils s’en sont écartés indûment du fait des circonstances de temps ou de personnes, qu’ils s’efforcent de revenir à leurs traditions ancestrales. Quant à ceux qui, par leur charge ou leur ministère apostolique, sont fréquemment en rapport avec les Églises orientales ou leurs fidèles, ils doivent, en raison de l’importance de la fonction qu’ils exercent, être formés avec soin à la connaissance et à l’estime des rites, de la discipline, de la doctrine et des caractéristiques propres aux Orientaux. Aux instituts religieux et aux associations de rite latin qui œuvrent dans les pays d’Orient ou auprès des fidèles orientaux, on recommande vivement pour un apostolat plus efficace de créer des maisons, ou même des provinces de rite oriental, autant que faire se peut.

Les rapports avec les frères des Églises séparées de nous doivent être cordiaux et respectueux (OE, n° 24-25) :

Aux Églises d’Orient en communion avec le Siège apostolique romain appartient, à titre particulier, la charge de promouvoir l’unité de tous les chrétiens, notamment des chrétiens orientaux, selon les principes du décret de ce Concile sur l’œcuménisme, par la prière d’abord, par l’exemple de leur vie, par une religieuse fidélité aux anciennes traditions orientales, par une meilleure connaissance mutuelle, par la collaboration et l’estime fraternelle des choses et des hommes. 

 

Des Orientaux séparés qui, sous l’action de la grâce de l’Esprit Saint, viennent à l’unité catholique, on n’exigera pas plus que ne requiert la simple profession de foi catholique. Et puisque chez eux le sacerdoce est conservé de manière valide, les clercs orientaux qui viennent à l’unité catholique ont la faculté d’exercer l’Ordre qui leur est propre selon les règles établies par l’autorité compétente. 

 

2.2.3 Directoire pour l’application des normes et principes sur l’œcuménisme publié le 25 mars 1993

L’Église catholique considère le mouvement œcuménique comme l’œuvre de l’Esprit Saint.

N° 9 : Le mouvement œcuménique veut être une réponse au don de la grâce de Dieu, appelant tous les chrétiens à la foi au mystère de l'Église, dans le dessein de Dieu qui désire mener l'humanité au salut et à l'unité dans le Christ par l'Esprit Saint. Ce mouvement les appelle à l'espérance que se réalise pleinement la prière de Jésus pour « qu'ils soient un ». Il les appelle à cette charité qui est le commandement nouveau du Christ et le don par lequel l'Esprit Saint unit tous les fidèles. Le deuxième Concile du Vatican a clairement demandé aux catholiques d'étendre leur amour à tous les chrétiens avec une charité qui désire surmonter dans la vérité ce qui les divise et qui s'emploie activement à le faire ; ils doivent agir avec espérance et dans la prière pour la promotion de l'unité des chrétiens, et leur foi dans le mystère de l'Église les stimule et les éclaire de telle façon que leur action œcuménique puisse être inspirée et guidée par une vraie compréhension de l'Église qui est « le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain »[10].

 

L’unité pleine et visible de l’Église, c’est-à-dire la communion est le but du mouvement œcuménique.

N° 16 : La communion à l'intérieur des Églises particulières et entre elles est un don de Dieu. Il faut la recevoir avec joie et reconnaissance et la cultiver avec soin. Elle est entretenue de façon spéciale par ceux qui sont appelés à exercer dans l'Église le ministère de pasteur. L'unité de l'Église se réalise au milieu d'une riche diversité. La diversité dans l'Église est une dimension de sa catholicité. Toutefois la richesse même de cette diversité peut engendrer des tensions dans la communion. Mais, en dépit de ces tensions, l'Esprit continue à opérer dans l'Église en appelant les chrétiens, dans leur diversité, à une unité toujours plus profonde.

 

Les chrétiens doivent apprendre à vivre un œcuménisme opérationnel dans le champ de la recherche scientifique de la théologie et des disciplines qui y sont connexes.

N° 191 : Il existe bien des occasions de collaboration œcuménique et de témoignage commun dans l'étude scientifique de la théologie et des disciplines qui s'y rattachent. Une telle collaboration profite à la recherche théologique. Elle augmente la qualité de l'enseignement théologique, en aidant les professeurs à accorder à l'aspect œcuménique des questions théologiques l'attention qui est requise, dans l'Église catholique, par le Décret conciliaire Unitatis Redintegratio. Elle facilite la formation œcuménique des agents pastoraux (voir plus haut, au chap. III). Elle aide les chrétiens à examiner ensemble les grands problèmes intellectuels qu'affrontent les hommes et les femmes d'aujourd'hui à partir d'un fonds commun de sagesse et d'expérience chrétiennes. Au lieu d'accentuer leur différence, ils sont capables d'accorder la préférence due à la profonde harmonie de foi et de compréhension qui peut exister au milieu de la diversité de leurs expressions théologiques.

 

Le mouvement œcuménique implique aussi la pratique de la dimension sociale de la foi chrétienne.

N° 211 : L'Église catholique considère que la collaboration œcuménique dans la vie sociale et culturelle est un aspect important du travail visant à l'unité. Le Décret sur l'œcuménisme estime qu'une telle coopération exprime nettement le lien qui unit tous les baptisés[11].C'est pourquoi il encourage et appuie des formes très concrètes de collaboration :

« Cette collaboration, déjà établie en beaucoup de pays, doit être sans cesse accentuée, là surtout où l'évolution sociale ou technique est en cours, soit en faisant estimer à sa valeur la personne humaine, soit en travaillant à promouvoir la paix, soit en poursuivant l'application sociale de l'Évangile, ou par le développement des sciences et des arts dans une atmosphère chrétienne, ou encore par l'apport de remèdes de toutes sortes contre les misères de notre temps, telles que la faim et les calamités, l'ignorance et la pauvreté, la crise du logement et l'inégale distribution des richesses »[12].

 

2.2.4 L’encyclique Ut unum sint (UUS) du pape Jean-Paul II sur l’engagement œcuménique publiée le 25 mai 1995

L’œcuménisme est une activité missionnaire de l’Église. Elle doit travailler à rassembler tous les chrétiens divisés dans l’unité.

UUS, n° 5 : Avec tous les disciples du Christ, l'Église catholique fonde sur le plan de Dieu son engagement œcuménique de les rassembler tous dans l'unité. En effet, « l'Église est une réalité non pas repliée sur elle-même, mais plutôt ouverte de manière permanente à la dynamique missionnaire et œcuménique, puisqu'elle est envoyée au monde pour annoncer et témoigner, actualiser et diffuser le mystère de communion qui la constitue : rassembler tout et tous dans le Christ ; être, pour tous, sacrement inséparable d'unité ». 

 

L’unité des chrétiens est une exigence essentielle de notre foi. Une exigence qui naît du plus profond de notre identité de croyants en Jésus Christ. Nous invoquons l’unité, parce que nous invoquons le Christ. Nous voulons vivre l’unité, parce que nous voulons suivre le Christ[13].

UUS, n° 6 : L'unité de toute l'humanité déchirée est voulue par Dieu. C'est pourquoi il a envoyé son Fils, afin que, mourant et ressuscitant pour nous, il nous donne son Esprit d'amour. A la veille du sacrifice de la Croix, Jésus lui-même demande au Père pour ses disciples, et pour tous ceux qui croiront en lui, qu'ils soient un, une communion vivante. Il en découle non seulement le devoir, mais encore la responsabilité qui reviennent, devant Dieu et en fonction du plan de Dieu, à ceux et à celles qui par le Baptême deviennent le Corps du Christ, le Corps dans lequel la réconciliation et la communion doivent se réaliser en plénitude. Comment serait-il possible de rester divisés, si, par le Baptême, nous avons été « plongés » dans la mort du Seigneur, c'est-à-dire dans l'acte même par lequel Dieu, en son Fils, a détruit les barrières de la division ? La « division contredit ouvertement la volonté du Christ, et est un sujet de scandale pour le monde et une source de préjudices pour la très sainte cause de la prédication de l'Évangile à toute créature ».

 

Même si le mouvement œcuménique dans sa forme institutionnalisée a débuté sans l’Église catholique, par le tournant que fut la réforme conciliaire, celle-ci est allée au devant des autres Églises.

UUS, n° 14 : Tous ces éléments constituent par eux-mêmes un appel à l'unité pour qu'ils trouvent en elle leur plénitude. Il ne s'agit pas de faire la somme de toutes les richesses disséminées dans les Communautés chrétiennes, afin de parvenir à une Église que Dieu désirerait pour l'avenir. Suivant la grande Tradition attestée par les Pères d'Orient et d'Occident, l'Église catholique croit que, dans l'événement de la Pentecôte, Dieu a déjà manifesté l'Église dans sa réalité eschatologique, qu'il préparait « depuis le temps d'Abel le Juste ». Elle est déjà donnée. C'est pourquoi nous sommes déjà dans les derniers temps. Les éléments de cette Église déjà donnée existent, unis dans toute leur plénitude, dans l'Église catholique et, sans cette plénitude, dans les autres Communautés, où certains aspects du mystère chrétien ont parfois été mieux mis en lumière. L'œcuménisme vise précisément à faire progresser la communion partielle existant entre les chrétiens, pour arriver à la pleine communion dans la vérité et la charité.

 

2.2.5 La dimension œcuménique dans la formation de ceux qui travaillent dans le ministère pastoral publiée en 1997

Selon la prière sacerdotale de Jésus, ce à quoi nous aspirons c’est à l’unité dans l’amour du Père, qui nous est donné en Jésus Christ, un amour qui forme également la pensée et les doctrines.

N° 1 : Le Directoire pour l'application des principes et des normes sur l'œcuménisme insiste sur la dimension œcuménique, qui doit être pleinement présente dans tous les milieux et dans tous les moyens qui concernent la formation. Le présent document, réalisé par le Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, s'adresse à chaque évêque, aux Synodes des Églises orientales catholiques et aux Conférences épiscopales, ainsi qu'à tous ceux et celles qui ont une responsabilité particulière dans la formation au ministère pastoral. Son but est de les aider à accomplir leur tâche, aux plans local, national et régional, conformément aux principes généraux contenus dans le Décret conciliaire sur l'œcuménisme Unitatis redintegratio (1964), le Directoire (1993) et la Lettre encyclique Ut unum sint (1995). Les directives contenues dans ce document soulignent la nécessité d'une formation œcuménique pour tous ceux qui croient au Christ. Elles insistent surtout sur les conditions nécessaires pour une formation œcuménique approfondie de ceux qui se préparent à la pastorale, en tant que ministres ordonnés ou non, en recommandant particulièrement que les études théologiques comportent la dimension œcuménique requise. Le but de ce document est de rendre plus explicite ce qui est requis en ce sens par le Directoire, en particulier au chapitre III, et celui-ci doit se lire en se référant aux citations données en note.

 

Il n’y a pas d’œcuménisme sans conversion personnelle, sans renouvellement spirituel de l’Église et sans sanctification de la vie[14].

N° 7 : « Les relations œcuméniques constituent une réalité complexe et délicate qui implique tout à la fois l'étude et le dialogue théologiques, les contacts et les relations fraternelles, la prière et la collaboration pratique. Nous sommes appelés à œuvrer dans tous ces domaines. Se limiter à l'un d'entre eux tout en négligeant les autres ne donnerait aucun résultat. Cette vision globale de l'action œcuménique doit toujours être présente à l'esprit quand nous présentons et expliquons notre engagement ». Pour cette raison, il semble utile d'attirer l'attention sur quelques considérations d'ordre général ayant trait à la formation et qui sont importantes pour réaliser une telle tâche :

a) Vu les divers niveaux de la formation œcuménique, qui prépare à œuvrer dans les différents domaines mentionnés ci-dessus, elle doit non seulement transmettre des notions mais aussi motiver et animer la conversion et l'engagement œcuméniques de ceux qui en bénéficient. Elle doit également renforcer l'esprit de foi qui reconnaît que l'œcuménisme « dépasse les forces et les capacités humaines ».

b) Le Directoire évoque l'exigence d'une pédagogie adaptée « aux situations concrètes de la vie des personnes et des groupes ». On devra donc appliquer toutes les méthodes appropriées, aussi bien inductives que déductives.

c) S'il est vrai que la formation doctrinale a une place centrale dans la formation œcuménique, les questions spirituelles, pastorales et éthiques devront, elles aussi, être traitées.

d) Toute formation doctrinale sur l'œcuménisme doit aussi tenir compte du contexte dans lequel elle est donnée. Une attention particulière devra donc être accordée au milieu œcuménique et aux exigences pastorales propres à un pays ou à une région donnés.

 

2.3 Les principes catholiques de l’œcuménisme 

C’est au premier chapitre de Unitatis redintegratio que l’Église catholique définit clairement ses positions pour la vérité du dialogue œcuménique qu’elle embrasse avec une volonté incontestable. Elle souligne très nettement que l’unité de l’Église est un acte de l’Esprit Saint qui habite tous les croyants. La trinité des Personnes divines, l’unité d’un seul Dieu Père, et Fils, en l’Esprit Saint est le modèle et le principe de cette unité. C’est un éclairage nouveau qu’apporte le concile dans l’évolution du mouvement œcuménique et qui paraît tout à fait remarquable. Il faut noter que la définition des positions de l’Église catholique sur l’œcuménisme clairement exposée dans UR, fait écho à Lumen Gentium 8. Les principes suivants résument bien l’apport de ces deux documents conciliaires issus de Vatican II pour une meilleure compréhension et un meilleur développement du dialogue œcuménique du côté catholique et même aussi du côté des autres Églises. 

 

2.3.1 Permanence de l’unité

L’unité n’est pas une invention des chrétiens. Elle est un don du Christ que chacun des membres de l’Église reçoit et essaie de vivre quoique de manière imparfaite dans un esprit de communion. Cette unité déjà acquise se vit par la foi et les sacrements, en particulier le baptême considéré comme le fil conducteur de l’unité des chrétiens. Promouvoir l’unité des chrétiens ne veut pas dire qu’on est en train de refaire l’unité. L’unité est inhérente à l’existence de l’Église fondée par le Christ qui « subsiste dans l’Église catholique »[15]. Voilà une assertion ecclésiologique fondamentale pour le progrès de l’œcuménisme.

 

2.3.2 Le but du travail œcuménique 

L’unité visible n’est pas au terme de la route, même s’il faut continuer à travailler dans le sens de la pleine instauration. Elle est déjà en germination dans l’Église par la foi et la vie sacramentelle dans le souffle vivifiant de l’Esprit Saint. L’unité vers laquelle tendent les efforts des membres des Églises doit être perçue comme une réalité visible et invisible. Elle est de fait eschatologique comme on l’a déjà dit. Le but du travail œcuménique est de parfaire ou de travailler à rendre moins imparfaite cette unité sans laquelle l’Église du Christ ne peut exprimer et vivre la plénitude de sa catholicité, donc de son mystère[16].

 

2.3.3 Unité visible et invisible

Pour comprendre cet aspect, et ne pas fausser le réalisme œcuménique, il faut reprendre la formule novatrice de l’abbé Paul Couturier, en 1935-1937 : « Il faut prier pour l’unité que le Christ veut, dans le temps et par les moyens qu’il voudra ». L’unité de l’Église est en soi, une réalité déjà donnée dans ce que l’Église, par ses membres, vit et célèbre. Laquelle Église vit et subsiste dans l’Église catholique a-t-on déjà souligné. Cependant, il faut reconnaître qu’effectivement tous ceux qui s’unissent au Christ par le lien de la foi et de la vie sacramentelle authentique sont l’Église invisiblement une, mais plurielle dans ses formes visibles. Il faut donc continuer à rechercher la cohérence de la vie chrétienne à travers cette réalité visible et invisible qu’est l’unité. Cette perspective œcuménique trouve écho dans cet adage : « Ecclesia reformata, semper reformanda » (l’Église réformée, toujours à réformer) : une vraie démarche de l’unité visible et invisible vers laquelle nous tendons. 

Par contre, il faut éviter tout glissement vers une « unité de bisounours », utopique, parfaite, sans pour autant nier « l’aspect visible au risque d’aboutir à une dichotomie : d’un côté une Église universelle mais invisible, de l’autre des Églises visibles limitées. Une telle conception des choses serait évidemment une contradiction totale avec le mystère même de l’Église qui, de part la volonté de son fondateur et à son image, est un mystère à la fois visible et invisible »[17].

 

2.3.4 Unité et diversité

Œcuménisme ne signifie jamais uniformité. L’unité des chrétiens se vit et se construit dans la diversité des Églises. Autrement dit, l’unité doit être envisagée dans la dynamique de la diversité[18]. Les chrétiens sont appelés à promouvoir l’unité dans « le respect et l’acceptation des diversités légitimes »[19]. L’unité ne sera jamais catholique sans cette diversité reconnue comme une richesse des Églises. Car l’œcuménisme est un échange de dons. Il n’est pas un processus d’appauvrissement, ni d’absorption, mais d’enrichissement réciproque. La diversité légitime ne s’oppose pas aux charismes que l’Esprit communique (1 Co 12). Ne pas honorer cela dans l’approche œcuménique, risque de fausser la voie de l’unité et d’entraîner des conflits et des divisions encore aujourd’hui. 

 

Chapitre 3 : L’œcuménisme en/au travail

 

Tous les chrétiens sont appelés à collaborer, à travailler dans le sens de l’unité. L’unité voulue et donnée par Dieu. C’est pourquoi l’œcuménisme ne peut pas être une affaire d’un moment, ni une réalité planifiée pour des occasions de grandes rencontres. Il est existentiel et se déploie à trois niveaux : spirituel, caritatif et doctrinal. 

3.1 L’œcuménisme spirituel[20]

« Cette conversion du cœur et cette sainteté de vie, ensemble avec les prières publiques et privées pour l’unité des chrétiens, doivent être regardées comme l’âme de tout l’œcuménisme et peuvent à bon droit être appelées œcuménisme spirituel »[21].

C’est le Christ lui-même qui a prié pour l’unité de tous ceux qui croiront en son nom par le service apostolique des Douze. La prière des chrétiens pour l’unité est une participation à la prière de Jésus qui a promis que toute prière adressée au Père en son nom serait exaucée (cf. Jn 15, 7). L’œcuménisme ne peut pas se faire sans la prière pour l’unité. Elle conduit les chrétiens à regarder le Royaume de Dieu et l’unité de l’Église sous un jour nouveau ; elle approfondit leurs liens de communion et leur permet d’affronter courageusement les souvenirs douloureux, les difficultés sociales et les faiblesses humaines[22]. Par la prière, les chrétiens ne cessent de rechercher l’unité par le chemin du dialogue et de la réconciliation.

L’œcuménisme spirituel réclame la conversion du cœur et la sainteté de vie pour qu’il y ait réconciliation et communion. L’œcuménisme spirituel permet de prendre conscience, dans un esprit de prière, des blessures des divisions pour enfin parcourir ensemble, dans une grande liberté, le chemin de l’unité. La prière, la repentance et la conversion sont les piliers de l’œcuménisme spirituel qui est « l’âme de tout l’œcuménisme » (UR n° 8). Parmi les grands efforts des chrétiens vers l’œcuménisme spirituel, outre la « Semaine de prière pour l’unité des chrétiens », il faut souligner la prière du Notre Père qu’ils disent avec les mêmes mots depuis l’année 1966 ; la Traduction œcuménique de la Bible (la TOB) en 1972 pour prier et travailler avec la même traduction de la Bible. L’œcuménisme spirituel consiste à demander à Dieu la force de s’écouter et de se comprendre. 

 

 

 

 

3.2 L’œcuménisme caritatif

C’est l’œcuménisme de l’action commune qui n’est qu’une exigence de la foi[23]. Les chrétiens, dans leur recherche de l’unité doivent savoir travailler ensemble et poser des actions concrètes qui traduisent la dimension sociale de leur foi. Ils apprennent à témoigner ensemble de la joie de l’Évangile dans le monde, à se retrouver ensemble selon l’esprit même du décret Unitatis redintegratio dans certains combats pour le respect de la personne humaine, la promotion de la paix, l’application sociale de l’Évangile, le développement des sciences et des arts, la lutte contre la misère et la faim dans le monde, la sauvegarde de la création etc.[24].

L’œcuménisme caritatif peut favoriser une certaine appréciation et reconnaissance des valeurs réciproques dans le chemin de l’unité vers lequel tendent les chrétiens. 

 

3.3 L’œcuménisme doctrinal

Dialoguer sur les questions doctrinales est d’une grande importance pour la recherche de l’unité. Il faut chercher à partager en Église une foi commune, à respecter, à développer et à vivre les différentes traditions théologiques, liturgiques, spirituelles et canoniques authentiquement enracinées dans la Tradition apostolique. Pour cela, il faut prendre le temps de s’écouter, de se comprendre dans un travail de réflexion commune sous la puissance de l’Esprit qui peut aider à un discernement vrai[25].

Le Travail théologique et doctrinal[26], traitant des sujets qui divisent encore les Églises, est capital pour trouver des accords par le dialogue. Grâce à ces dialogues, elles peuvent exprimer et expliquer leur foi et leurs questionnements dans une ambiance de fraternité et de vérité. Cela empêche de tomber dans une sorte d’œcuménisme fusionnel ou synthétique qui falsifierait tout effort pour un œcuménisme authentique. Outre le respect et l’écoute attentive de l’autre, l’œcuménisme doctrinal requiert le sens de la hiérarchie des vérités, le respect et l’acceptation franche d’une certaine diversité dans l’appréhension et dans la formulation de la même foi commune[27].

 

Chapitre 4 : L’œcuménisme après Vatican II

 

4. 1 Des décisions concrètes[28]

Les décisions conciliaires s’accompagnent d’un développement impressionnant des contacts et des rencontres œcuméniques. On peut souligner l’entrée de beaucoup de conférences épiscopales dans les Conseils d’Églises chrétiennes, formés dans la plupart des pays, des régions du monde ou des continents. 

Il y a aussi, ce qu’on a appelé « l’œcuménisme à la base », c’est-à-dire la  participation de certains fidèles catholiques à des groupes œcuméniques  dans lesquels ils prient et lisent la Bible ensemble soit au niveau des paroisses soit au niveau des diocèses. Il faut souligner que cet œcuménisme a largement fonctionné pendant les vingt ans qui ont suivi le concile. Mais, le rythme a été moins intense à cause d’une série de mesures restrictives du côté catholique. De plus, on le constate, dans les vingt dernières années, on est beaucoup plus porté vers le dialogue interreligieux que sur l’œcuménisme. 

 

4.2 Les problèmes théologiques principaux[29]

Avant toute reconnaissance des principaux problèmes théologiques qui divisent encore les Églises chrétiennes, il faut souligner que ce qui nous rassemble l’emporte de beaucoup sur ce qui nous divise. Nous pouvons noter par exemple que les affirmations centrales du christianisme telles qu’elles ont été fixées dans les écrits bibliques et dans les formulaires des Crédos des Églises anciennes ne font plus l’objet de controverse entre les grandes Confessions chrétiennes aujourd’hui. Il y a aussi un très large consensus qui se fait aujourd’hui sur les questions qui touchent à la doctrine de Dieu et à celle du Christ (la christologie) et même à celle de la Vierge Marie (grâce à l’important travail du Groupe des Dombes sur la doctrine mariale). Les points de divergences théologiques des Églises aujourd’hui concernent les notes qui suivent. 

 

4.2.1 Le rôle et la mission du pape[30]

Aujourd’hui, il faut le reconnaître, la conception catholique de la papauté fait problème pour toutes les autres Églises chrétiennes. C’est pour cette raison que le pape Jean-Paul II a invité, dans son encyclique Ut unum sint (1995), les autres Confessions chrétiennes et les théologiens à faire des propositions pour un exercice de ce ministère qui soit effectivement un ministère d’unité (n° 95). 

Pour les protestants, l’utilité d’un ministère d’unité reposant sur une seule personne n’a rien d’évident. C’est plus difficile pour eux d’accepter un tel ministère en vertu du courant dans lequel ils s’inscrivent. Quant aux orthodoxes, ils ne refusent pas un ministère universel de présidence mais pas selon la théologie et la forme qu’il revêt actuellement. 

 

4.2.2 L’Écriture, la Tradition et les traditions[31]

Plus d’un pensent qu’un retour à la Bible permettra un accord de fond. Mais, ce n’est pas évident. Malgré l’éminent travail commun des exégètes des différentes Églises sur les méthodes d’étude de la Bible aboutissant à la TOB, les accords œcuméniques pour clarifier certains points, des divergences d’interprétation demeurent surtout avec les Églises de la Réforme. 

À cela s’ajoutent des différences propres aux différences Églises sur la valeur donnée à l’Écriture et, dans l’Église catholique, la place reconnue à un magistère qui n’existe pas de la même façon dans les autres Églises. 

 

4.2.3 La doctrine des sacrements[32]

Une vraie difficulté. Elle porte d’abord sur le nombre des sacrements ou plutôt sur ce qu’une Église considère comme sacrement et les raisons pour lesquelles elle le fait. Les Églises de la Réforme ne reconnaissent que deux sacrements : le Baptême et l’Eucharistie, qui sont pour elles les seuls réellement attestés dans l’Écriture. 

Sur le baptême, une des grosses questions est celle de l’articulation entre le Baptême et la foi. Si toutes les Églises s’accordent pour dire que l’un et l’autre sont unis, on constate cependant deux modèles dominants. Dans celui de la tradition réformée, le Baptême est davantage compris comme une ratification de la foi. Dans les traditions catholiques et orthodoxes, ou même des Églises luthériennes, le Baptême est d’abord vu comme un don de la grâce qui nous précède. 

Les différents documents œcuméniques (en particulier la Déclaration commune sur la doctrine de la justification, le BEM) ont permis de reconnaître que les deux manières de voir sont légitimes et qu’il ne convient pas de les opposer. On est donc arrivé sur de larges accords sur le Baptême y compris sur celui des petits enfants. Mais certaines Églises protestantes, dans la mouvance évangélique et pentecôtiste, refusent cependant tout Baptême qui ne serait pas précédé d’une confession de foi. 

En ce qui concerne l’Eucharistie, le point majeur de divergence porte sur la signification et le sens profond du Repas du Seigneur (Cène ou Eucharistie). On le verra plus à fond en abordant la question de l’hospitalité eucharistique. Toutefois, les Églises catholique et orthodoxe s’accordent sur sept sacrements, même si elles leur donnent parfois un sens un peu différent. 

 

4.2.4 Le ministère dans l’Église[33]

Sur la question du ministère dans l’Église, les différences sont claires entre les Églises. Déjà en 1948, le COE avait proposé une typologie des familles d’Église dans laquelle la question du ministère jouait un rôle important : « La tendance dite catholique insiste avant tout sur la continuité visible de l’Église dans la succession apostolique de l’épiscopat. La tendance dite protestante souligne essentiellement l’initiative de la Parole de Dieu et la réponse de la foi-initiative et réponse concentrée dans la doctrine de la justification Sola fide ».

C’est donc la question du ministère épiscopal et de la succession apostolique qui est au centre du débat mais pas uniquement : il faut également mentionner la nature du ministère ordonné, la signification de l’ordination et ses effets. Pour les catholiques et les orthodoxes, un homme devient prêtre au cours de l’ordination célébrée par un évêque. Il est définitivement consacré par Dieu à cette mission. Lui seul célèbre l’eucharistie. Pour les protestants, la fonction de pasteur (homme ou femme) n’a pas de caractère sacramentel et dans certains cas, l’Église peut confier à un fidèle la présidence de la Cène. Le président de région (chez les réformés) ou l’inspecteur ecclésiastique (chez les luthériens), nommé parfois évêque, est un pasteur appelé pour un temps à servir les autres pasteurs et garantir l’unité de son Église. Ces différences mettent en jeu le regard porté sur les célébrations des autres, leur validité ou leur conformité à l’Évangile. 

 

4.2.5 La doctrine du mariage et les mariages mixtes[34]

Les différences confessionnelles sur ce point ne sont pas aussi marquées que sur la question des ministères. Une fois encore, ce qui est en jeu ici, c’est la compréhension de la nature sacramentelle du mariage. Naturellement, en ce qui concerne les mariages mixtes, c’est-à-dire des mariages qui unissent un fidèle d’une Église ou communauté ecclésiale avec un fidèle d’une autre Église, ces différentes conceptions du mariage vont avoir une répercussion directe. 

Cependant, il faut mentionner que les mariages mixtes sont aussi un vrai lieu d’œcuménisme et bien souvent un ferment d’unité particulièrement fécond entre les Églises. 

 

4.3 Les nouveaux défis de l’œcuménisme[35]

Mise à part les avancées considérables qui ont marqué la période post-conciliaire dans le domaine œcuménique, il faut mettre en exergue quelques grands défis actuels du mouvement œcuménique tels que : les difficultés rencontrées dans le dialogue avec l’orthodoxie, en particulier en Russie ; la prolifération des Églises évangéliques ou pentecôtistes qui rassemblent plus d’un quart des chrétiens dans le monde et qui sont, pour la plupart d’entre elles, très réticentes au dialogue œcuménique ; les sectes qui endoctrinent et manipulent les gens faibles ; les affaiblissements de certaines grandes Églises qui les poussent à se recentrer sur leurs spécificités et leurs différences par rapport aux autres communautés, plutôt qu’à chercher l’unité ; la mondialisation et le flux migratoire qui exigent un brassage important au niveau des Églises. 

 

4.4 L’accord théologique ne suffit pas à faire l’unité[36]

La division des Églises chrétiennes n’est pas uniquement de nature doctrinale ou théologique. Elle est aussi liée à des manières d’être, à un certain rapport au passé et à la tradition, à une manière de célébrer la liturgie, à des appartenances culturelles et politiques diversifiées et controversées. 

Les accords doctrinaux ou théologiques passés entre les Églises ne suffisent pas à résoudre les problèmes œcuméniques actuels. Il faut une prise en compte des différents paramètres et contextes mondiaux ou sociaux qui influent sur la vie active des Églises tels que les lois civiles qui encouragent le mariage pour tous, l’euthanasie, l’avortement, les débats sur la bioéthique, le consumérisme qui attaque la foi à la racine etc. Il y a beaucoup de sujets qui peuvent diviser les chrétiens. Il y a encore de grands défis pour l’œcuménisme. D’où l’importance d’un œcuménisme plus réaliste et plus pratique pour compléter l’œcuménisme dit doctrinal ou même spirituel. 

 

4.5 L’œcuménisme n’est pas une matière à option

Le fil conducteur de notre étude sur l’œcuménisme est la position catholique depuis le concile Vatican II. La recherche de l’unité des chrétiens est irréversible. Toutefois, il faut prendre conscience que l’unité vers laquelle tendent les Églises n’est pas automatique même si on en voit déjà les prémices. Il faut toujours s’engager à un œcuménisme vrai qui libère les Églises de tout conservatisme et mimétisme. Il ne faut pas que l’œcuménisme devienne lieu de scandale pour les plus petits. C’est vraiment un chemin à parcourir avec cohérence et le souci de faire la vérité. L’œcuménisme n’est pas une matière à option. Il fait partie de la mission même de l’Église. 

 

 

 

 

Chapitre 5. L’œcuménisme, une conséquence obligatoire d’une ecclésiologie de communion

5.1 L’œcuménisme comme ecclésiologie de communion quoique de manière imparfaite

Les chrétiens sont appelés à former un seul corps qui est l’Église de Jésus Christ. L’attitude d’ouverture des chrétiens entre eux est un signe de communion. Il y a une ecclésialité des communautés chrétiennes qui doit être vécue par le cœur. Car l’unité des chrétiens est au-delà de l’Église visible, l’Église organisée hiérarchiquement comme société. L’unité des chrétiens doit être d’abord envisagée à travers l’Église corps mystique du Christ même si les deux sont indissociables. De ce point de vue, l’œcuménisme est une ecclésiologie de communion. Bien avant le décret Untitatis redintegratio, Lumen gentium, dans son huitième numéro laisse entrevoir cette ecclésiologie de communion : 

Le Christ, unique médiateur, crée et continuellement soutient sur la terre, comme un tout visible, son Église sainte, communauté de foi, d’espérance et de charité, par laquelle il répand, à l’intention de tous, la vérité et la grâce. Cette société organisée hiérarchiquement d’une part et le corps mystique d’autre part, l’ensemble discernable aux yeux et la communauté spirituelle, l’Église terrestre et l’Église enrichie des biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux choses, elles constituent au contraire une seule réalité complexe, faite d’un double élément humain et divin. C’est pourquoi, en vertu d’une analogie qui n’est pas sans valeur, on la compare au mystère du Verbe incarné. Tout comme en effet la nature prise par le Verbe divin est à son service comme un organe vivant de salut qui lui est indissolublement uni, de même le tout social que constitue l’Église est au service de l’Esprit du Christ qui lui donne la vie, en vue de la croissance du corps (cf. Ep 4, 16)[37].

Ce qui fonde l’œcuménisme, c’est la foi et la charité vécues par les chrétiens au nom du Christ par leur baptême et leur participation au repas pascal, l’Eucharistie, source de la communion ecclésiale. Dans cette dynamique, il y a une dimension de mystère qui nous dépasse et que les Églises sont appelées à vivre dans un esprit solidarité ecclésiale. 

L’œcuménisme ou la restauration de l’unité des Églises nécessite une véritable compréhension du rapport de chaque Église à l’unique Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique ; une réelle appartenance au mystère de l’Église qu’on peut appeler une sorte de « consistance ecclésiale » vécue au sein des autres Églises ; des liens entretenus avec celles-ci. L’Église catholique a fait un déplacement ecclésiologique majeur qui lui a permis de valoriser l’ecclésialité des autres Églises, en particulier celles issues de la Réforme. L’Église orthodoxe et l’Église catholique se reconnaissent « sœurs » dans le cadre d’une ecclésiologie de communion. 

L’Église catholique reconnaît que la division des Églises « s’oppose ouvertement à la volonté du Christ »[38]. Gardienne de l’unité, puisqu’en elle « subsiste l’unique Église du Christ » - (subsistit in), elle s’engage résolument au rétablissement de l’unité des Églises en reconnaissant ses propres erreurs. La communion vers laquelle tendent les Églises est déjà présente dans l’Église catholique (subsista in). Il s’agit bien entendu de la communion déjà donnée par le Christ et que les chrétiens divisés espèrent sa croissance de jour en jour jusqu’au retour glorieux du Christ. 

 

5.2 L’ecclésialité des Églises non catholiques

L’Église catholique, en affirmant que l’unique Église du Christ subsiste en elle, ne veut pas dire que les autres Églises seraient des Églises moindres. Non ! Elle reconnaît et valorise la « consistance ecclésiale » des autres Églises en tant qu’elles participent elles aussi au mystère du Christ bien qu’avec des déficiences à cause de la division[39].

La reconnaissance de l’« ecclésialité » des autres Églises tient aux « éléments de sanctification et de vérité »[40] qui se trouvent en elles et qui structurent aussi bien l’Église que la vie chrétienne : la foi, l’Écriture, la vie sacramentelle, la prédication, la prière, la charité, la liturgie, la diaconie, les charismes etc.[41]. Ces éléments constituent une sorte de « communion » quoique imparfaite avons-nous déjà noté, puisque « tout cela qui provient du Christ et conduit à Lui, appartient de droit à l’unique Église du Christ »[42]In fine, l’« ecclésialité » reconnue chez les autres Églises repose sur le fait qu’elles « considèrent le Christ comme source et centre de la communion ecclésiale », que les chrétiens se nourrissent de l’Écriture et qu’ils sont incorporés au Christ par le sacrement du Baptême, qu’ils célèbrent dans la Sainte Cène le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur et professent la même foi baptismale. Tout cela constitue la communion qui existe entre l’Église catholique et les autres Églises quoique imparfaite, et peut servir de tremplin pour la croissance du dialogue œcuménique. 

Il faut toutefois souligner ce qui fait défaut à cette « ecclésialité » de certaines Églises issues de la Réforme quant aux réalités et aux signes sacramentels qui sont partie intégrante du mystère de l’Église aux yeux de l’Église catholique. Parmi lesquels, Unitatis rendintegratio mentionne : « en raison surtout de la déficience du sacrement de l’Ordre (praesertim propter Sacramenti Ordinis defectum), elles n’ont pas conservé la substance propre et intégrale du mystère eucharistique »[43]. Bref, le nœud est la question du ministère ordonné et de l’Eucharistie. 

 

5.3 La question de l’hospitalité eucharistique, un vrai problème ?

Beaucoup de membres de nos communautés aspirent à recevoir l’Eucharistie à une même table, comme expression concrète de la pleine unité. Nous faisons l’expérience de la souffrance de celles et ceux qui partagent leur vie tout entière, mais ne peuvent pas partager la présence rédemptrice de Dieu à la table eucharistique. Nous reconnaissons notre responsabilité pastorale commune pour répondre à la soif et à la faim spirituelles de nos fidèles d’être un dans le Christ. Nous désirons ardemment que cette blessure dans le Corps du Christ soit guérie. C’est l’objectif de nos efforts œcuméniques, que nous voulons faire progresser, y compris en renouvelant notre engagement pour le dialogue théologique[44].

 

Qu’est-ce que l’hospitalité eucharistique dans la dynamique de l’œcuménisme ? 

C’est la possibilité pour un chrétien de communier dans une autre confession, et pour une Église d’accueillir à sa table eucharistique un fidèle venu d’une autre Église chrétienne. C’est un point crucial dans le domaine de l’œcuménisme. On emploie souvent le terme d’intercommunion, mais il semble qu’il est préférable de parler d’hospitalité eucharistique ou partage de l’Eucharistie, car cela sous entendrait que des ministres de deux confessions différentes célèbrent ensemble une Eucharistie. 

Le problème de la communion eucharistique entre les Églises est un scandale présenté par la division autour d’un sacrement qui devrait les unir toutes comme sacrement d’unité : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain » (1 Co 10, 16-17). Le partage de l’Eucharistie ne va pas de soi même si le problème ne se pose pas de la même manière dans toutes les Églises. Les Églises protestantes sont très ouvertes au partage eucharistique. Lors de la Cène, les pasteurs disent, avant le partage du pain et de la coupe, que « tout membre communiant d’une autre Église chrétienne, qui désire communier, a sa place à la table du Seigneur » sans toutefois négliger « la dimension de conscience ». Pour les orthodoxes, seuls les chrétiens appartenant à l’orthodoxie peuvent participer au partage du pain et du vin. 

L’Église catholique, quant à elle, dans le Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme, montre une certaine souplesse en ce qui concerne les Églises orthodoxes, mais moins pour les Églises issues de la réforme. 

En fait, l’hospitalité eucharistique mérite d’être discernée. Elle ne doit pas être une simple formalité. Elle doit viser le but théologique et ecclésiologique qui la surplombe.  L’Eucharistie n’est pas banale. Le « discernement du corps du Seigneur » concerne à la fois son corps eucharistique et son corps ecclésial[45]. Ceux qui partagent la même Eucharistie sont ceux qui partagent la même foi ecclésiale. On ne peut dissocier la communion eucharistique de la communion ecclésiale : l’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église. L’Eucharistie est ordonnée à un ensemble de réalités et de signes sacramentels qui engagent l’ensemble de la foi. Il y a en jeu, la question de la présence réelle ou la présence sacramentelle concernant la doctrine eucharistique ; la question du ministère ordonné pour la présidence de l’Eucharistie ; la question du ministère pétrinien au service de la charité et de la communion de l’Église etc. La communicatio in sacris, c’est-à-dire la participation à la prière, à la liturgie, et surtout à la communion eucharistique d’une Église séparée d’elle a été fixée par le concile :

Il n’est pas permis de considérer la communicatio in sacris comme un moyen à utiliser sans discernement pour restaurer l’unité des chrétiens. Deux principes règlent principalement cette communicatio : exprimer l’unité de l’Église ; faire participer aux moyens de grâce. Elle est, la plupart du temps, interdite du point de vue de l’expression de l’unité ; la grâce à procurer la recommande quelquefois. Quant à la façon pratique d’agir, eu égard aux circonstances de temps, de lieux et de personnes, c’est l’autorité épiscopale locale qui doit prudemment donner des instructions, à moins qu’il n’y ait eu d’autres dispositions de la Conférence épiscopale, selon ses propres statuts, ou du Saint-Siège[46].

 

Toutefois, il peut y avoir hospitalité eucharistique pour des besoins réels et dans un esprit de communion fraternelle suffisamment mûri et continu qui respecte également la doctrine eucharistique catholique (par exemple l’Eucharistie célébrée dans des foyers œcuméniques ou dans les groupes œcuméniques stables). Toute démarche pour une éventuelle hospitalité eucharistique requiert nécessairement le discernement et l’avis de l’évêque, responsable du ministère d’unité au sein de la communauté diocésaine. Une telle ouverture ne doit pas causer de scandale aux membres des communautés ecclésiales. Le partage eucharistique peut être envisagé pour des protestants ou des orthodoxes qui sont isolés de leur communauté ecclésiale respective, des personnes engagées dans l’œcuménisme, des couples dont les conjoints appartiennent à deux confessions chrétiennes différentes. 

Toutefois, la question de pouvoir communier ensemble à l’Eucharistie reste un problème majeur auquel il faut sans cesse travailler afin de trouver une issue théologique ou doctrinale permettant aux Églises de puiser leur force à l’unique « repas eucharistique ».

 

Conclusion

L’œcuménisme, un signe des temps pour l’Église dans le monde d’aujourd’hui

L’Église catholique, avec le concile Vatican II, est entrée dans l’œcuménisme avec détermination et aide les autres Églises à progresser sur le chemin de l’unité dans un esprit de vérité et de charité, dans un souci fraternel et de dialogue. Ensemble, toutes les Églises ont pris conscience des dégâts qu’a causé leur division à la crédibilité de l’annonce de l’Évangile. Chemin faisant, elles découvrent que l’unité vers laquelle elles tendent est un don du Christ lui-même. 

L’œcuménisme est un signe des temps que les chrétiens ne doivent cesser de scruter à la lumière de l’Esprit Saint, Principe de l’unité de l’Église. Dans la recherche de cette unité ecclésiale brisée par les divisions, l’Église catholique doit toujours agir avec « respect fraternel et charité » pour édifier. De ce point de vue, ce numéro de Unitatis redintegratio reprend et développe la doctrine de Lumen Gentium 15[47] :

Parmi les éléments ou les biens par l’ensemble desquels l’Église se construit et est vivifiée, plusieurs et même beaucoup, et de grande valeur, peuvent exister en dehors des limites visibles de l’Église catholique : la Parole de Dieu écrite, la vie de grâce, la foi, l’espérance et la charité, d’autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d’autres éléments visibles. Tout cela, qui provient du Christ et conduit à lui, appartient de droit à l’unique Église du Christ. 

De même, chez nos frères séparés s’accomplissent beaucoup d’actions sacrées de la religion chrétienne qui, de manières différentes selon la situation diverse de chaque Église ou communauté, peuvent certainement produire effectivement la vie de grâce, et l’on doit reconnaître qu’elles donnent accès à la communion du salut[48].

 

Tout compte fait, l’œcuménisme ne peut se faire que dans la mouvance de l’Esprit. Il y a toujours un examen à frais nouveau sur ce qu’est l’Église et son unité, ainsi qu’une prise de conscience nouvelle de la responsabilité de tous chrétiens pour restaurer l’unité enfin brisée par les divisions et les soubresauts de l’histoire du christianisme.

Ceci dit, on peut se demander est-ce que l’œcuménisme est possible dans la réalité des Églises en Haïti ? Il n’est pas évident de trouver une réponse qui soit satisfaisante. L’œcuménisme en Haïti, s’il existe, se révèle bien difficile. Comment dialoguer avec toutes ces sectes qui poussent comme des champignons et qui sont très hostiles au dialogue avec les autres Églises, en particulier avec l’Église catholique ? Comment promouvoir le dialogue œcuménique alors que c’est déjà inadmissible au sein même des Églises protestantes en Haïti ? L’avenir de l’œcuménisme en Haïti est à envisager avec une espérance réaliste et à surmonter les grandes divisions byzantines qui se nourrissent encore par beaucoup d’Églises issues de la Réforme et des sectes qui s’implantent dans les milieux populeux des grandes villes. 

 

 

Prière pour l’unité des chrétiens[49]

 

Seigneur Jésus, 
qui à la veille de mourir pour nous, 
as prié pour que tous tes disciples 
soient parfaitement un, 
comme toi en ton Père, 
et ton Père en toi,
Fais-nous ressentir douloureusement 
l’infidélité de notre désunion.

Donne-nous la loyauté de reconnaître 
et le courage de rejeter 
ce qui se cache en nous 
d’indifférence, de méfiance, 
et même d’hostilité mutuelle.

Accorde-nous de nous rencontrer tous en toi, 
afin que, de nos âmes et de nos lèvres, 
monte incessamment ta prière 
pour l’unité des chrétiens, 
telle que tu la veux, 
par les moyens que tu veux.

En toi, qui es la charité parfaite, 
fais-nous trouver la voie 
qui conduit à l’unité, 
dans l’obéissance à ton amour 
et à ta vérité.

Amen.

 

 

 

 



[2] W. Kasper, Manuel d’œcuménisme spirituel, Bruyère-le-Chatel, Nouvelle Cité, 2007, p. 12.

[3] Ibid., p. 5. 

[4] Le Ve concile du Latran (1512-1517) se déroula dans un contexte politico religieux difficile avec trois buts principaux : obtenir la paix en Europe, entreprendre la réforme de l’Église « dans la tête et dans les membres », et décider la croisade contre les Turcs. Cf. Guy Bedouelle, « Latran V », Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, « Quadrige » 374, 1998, 649-650. 

[5] Cette étape du mouvement œcuménique est foncièrement marquée par la seconde guerre mondiale (1939-1945).

[6] Ce mot fut introduit par Yves Congar en 1937, puis repris et confirmé par le concile Vatican II dans UR, n° 4. 

[7] Cf. La Conférence des évêques de France, « Qu’est-ce que l’œcuménisme ? », https://eglise.catholique.fr, consulté le 10 décembre 2019. 

[8] René Girault, Construire l’Église une, Paris, Desclée de Brouwer, 1990, p. 47. 

[9] Cf. UR n° 1 § 1 : « Promouvoir la restauration de l’unité entre tous les chrétiens est l’un des objectifs principaux du saint Concile œcuménique de Vatican II. Une seule et unique Église a été fondée par le Christ Seigneur. Et pourtant plusieurs communions chrétiennes se présentent aux hommes comme le véritable héritage de Jésus Christ. Tous certes confessent qu’ils sont les disciples du Seigneur, mais ils ont des opinions différentes. Ils suivent des chemins divers, comme si le Christ lui-même était divisé. Il est certain qu’une telle division s’oppose ouvertement à la volonté du Christ. Elle est pour le monde un objet de scandale et elle fait obstacle à la plus sainte des causes : la prédication de l’Évangile à toute créature ».

 

[10] Cf. LG, n° 1.

[11] Cf. UR, n° 12.

[12] Id.

[13] Pape François, Discours lors de l’assemblée plénière du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, 10 novembre 2016, Documentation catholique, n° 2526, 2e trimestre, avril 2017, p. 34-35. 

[14] Walter Kasper, « L’Engagement œcuménique de l’Église catholique », Routhier Gilles et Villemin Laurent (dir.), Nouveaux apprentissages pour l’Église. Mélanges en l’honneur de Hervé Legrand, o.p.,  Paris, Cerf, 2006, 40. 

[15] Cf. LG n° 8 ; UR n° 4 § 3 ; UUS n° 14. Dans le régime théologique catholique, le pape est celui qui préside à l’unité de l’Église visible du Christ. Une telle vision théologique crée des difficultés à l’œcuménisme puisqu’elle n’est pas reconnue dans les autres Églises. 

[16] Cf. UR, n° 4.

[17] Paul Faynel, « Œcuménisme », Dictionnaire de théologie chrétienne, Paris, Desclée, 1979, 304.

[18] C’est précisément ce que défendit Oscar Cullmann dans un livre très significatif intitulé : L’unité par la diversité, Paris, Cerf, 1986. 

[19] Paul Faynel, « Œcuménisme », Dictionnaire de théologie chrétienneop. cit., p. 304. 

[20] Dès qu’on parle d’œcuménisme spirituel, le nom de l’abbé Paul Couturier refait surface. Il a pas mal contribué à l’émergence de cet œcuménisme. Mais aujourd’hui, il ne faut pas oublier les travaux du théologien Walter Kasper en ce domaine. Il faut le dire, il a beaucoup contribué à un tel esprit de manière théologique. Ses différentes contributions en témoignent. Dans ce cours, nous avons apprécié largement ses contributions pour la compréhension et la clarté de notre démarche.

[21] UR, n° 8. 

[22] Walter Kasper, Manuel d’œcuménisme spirituel, p. 13.

[23] Paul Faynel, « Œcuménisme », Dictionnaire de théologie chrétienne, p. 305. 

[24] Cf. UR n° 12. Mais, il faut aussi tenir compte d’autres engagements pris en commun par les Églises en particulier celles de France par exemple dans le domaine de la paix avec la belle prise de position sur le commerce des armes en date du 13 mai 1973 ; les documents importants tels que : Pour construire la paix. Recherche œcuménique (1985) ; Lutter autrement. Pour une action non violente responsable et efficace. Des chrétiens s’expriment (1989) etc. 

[25] L’œcuménisme doctrinal se fait à deux niveaux : bilatéral, c’est-à-dire entre deux Églises ; multilatéral, quand il engage plusieurs ou toutes les Églises ensemble. 

[26] Outre le travail du Groupe des Dombes sur beaucoup de points névralgiques, il faut souligner le document « Baptême, Eucharistie, Ministère » élaboré par la commission « Foi et Constitution » lors de son Assemblée plénière tenue à Lima, au Pérou, en 1992. Ce document est à apprécier pour plusieurs raisons : d’abord, il est une œuvre à laquelle ont collaboré les représentants de toutes les Églises, ce qui est une grande première dans l’histoire des Églises séparées. Sur les 128 membres présents à Lima, 114 étaient délégués par des Églises appartenant au COE dont 76 protestants (33 réformés, 22 luthériens, 13 méthodistes, 8 baptistes), 23 orthodoxes, 14 anglicans, 1 vieux-catholique. Les 14 autres venaient des Églises non-membres du COE : 12 catholiques (théologiens désignés par Rome pour faire partie organiquement de « Foi et Constitution » depuis 1968 ; l’un d’eux, le père Tillard, est même vice-président de cette commission), 1 pentecôtiste, 1 adventiste. Le second trait d’appréciation est que ce document n’est pas un accord, mais un texte de convergence proposé aux Églises, pour une réception, après un temps de réflexion et d’assimilation. Pour approfondir cette recherche, voir René Girault, Construire l’Église une, p. 68-71. 

[27] Paul Faynel, « Œcuménisme », Dictionnaire de théologie chrétienne, p. 306.

[28] Cf. Jean-Marie Vezin et Laurent Villemin, Les sept défis de Vatican II, Paris, Desclée de Brouwer, 2012, p. 146 (extrait).

[29] Id. 

[30] Ibid., p. 147. 

[31] Id

[32] Ibid., p. 148. 

[33] Cf. Ibid., p. 149. 

[34] Id

[35] Cf. Ibid., p. 152-153.

[36] Cf. Ibid., p. 153-154. 

[37] LG, n° 8. 

[38] UR, n° 1. 

[39] Cf. UR, n° 3. 

[40] LG, n° 8. 

[41] Cf. UR, n° 3. 

[42] Id

[43] Ibid., n° 22. 

[44] Déclaration commune à l’occasion de la commémoration commune catholique-luthérienne de la Réforme, Lund, 31 octobre 2016.

 

[45] Conférence des évêques de France, Commission épiscopale pour l’unité des chrétiensL’hospitalité eucharistique avec les chrétiens issus de la Réforme en France (1983), n° 1, documentation-unitedeschretiens.fr, consulté le 16 décembre 2019.

[46] UR, n° 8. 

[47] « Avec ceux qui, étant baptisés, portent le beau nom de chrétiens sans professer pour autant intégralement la foi ou sans garder l’unité de la communion sous le Successeur de Pierre, l’Église se sait unie pour de multiples raisons. Il en est beaucoup, en effet, qui tiennent la Sainte Écriture pour leur règle de foi et de vie, manifestent un zèle religieux sincère, croient de tout leur cœur au Dieu Père tout-puissant et au Christ Fils de Dieu et Sauveur, sont marqués par le baptême qui les unit au Christ, et même reconnaissent et reçoivent d’autres sacrements dans leurs propres Églises ou dans leurs communautés ecclésiales. Plusieurs d’entre eux jouissent même de l’épiscopat, célèbrent la sainte Eucharistie et entourent de leur piété la Vierge Mère de Dieu. À cela s’ajoute la communion dans la prière et dans les autres bienfaits spirituels, bien mieux, une véritable union dans l’Esprit Saint, qui, par ses dons et ses grâces, opère en eux aussi son action sanctifiante et dont la force a permis à certains d’entre eux d’aller jusqu’à verser leur sang. Ainsi, l’Esprit suscite en tous les disciples du Christ le désir et les initiatives qui tendent à l’union pacifique de tous, suivant la manière que le Christ a voulue, en un troupeau unique sous l’unique Pasteur. À cette fin, l’Église notre Mère ne cesse de prier, d’espérer et d’agir, exhortant ses fils à se purifier et à se renouveler pour que, sur le visage de l’Église, le signe du Christ brille avec plus de clarté. 

[48] UR, n° 3. 

[49]Cette prière pour l’unité des chrétiens est adaptée d’un texte de l’abbé Paul Couturier (1881 – 1953), prêtre du diocèse de Lyon, « témoin et précurseur d’un authentique œcuménisme ». Cf. https://eglise.catholique.fr, consulté le 5.01.2020.

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