LITURGIE CATHOLIQUE DE L'EUCHARISTIE
LITURGIE CATHOLIQUE DE L'EUCHARISTIE
L'eucharistie (du grec eucharistein, « rendre grâce, dire merci ») est l'acte majeur de la liturgie des chrétiens. Les catholiques l'appellent habituellement la « messe » (du latin missa, désignant dans les premiers siècles la seconde partie de la célébration, celle qui se passait après le renvoi des non-baptisés). Nous nous limiterons ici à l'Églisecatholique en Occident, de rite latin : il y a aussi des Églises catholiques orientales, mais leur liturgie ne diffère guère de celles des autres Églises d'Orient, celles qui ne sont pas dans la mouvance de Rome.
L'acte originel et sa célébration
L'originalité du christianisme, c'est que tout s'y ramène à un homme, Jésus de Nazareth, le « Christ » (en grec, celui qui est investi, par une « onction », de toute la puissance de Dieu). Beaucoup plus qu'un fondateur, il est reconnu comme la « Parole de Dieu », le « Fils de Dieu », ayant avec Dieu un tel lien qu'en lui c'est Dieu qui se rend présent. Déjà dans les Évangiles, en particulier celui de Jean, puis dans les premiers conciles (Nicée, 325), il est reconnu comme Dieu, au même titre que le Père, le Créateur, et totalement « un » avec lui.
Si le christianisme se ramène ainsi à la personne de Jésus, celui-ci se résume tout entier dans un geste, celui précisément qui est à l'origine de la messe. La veille de sa mort, au cours d'un repas « d'à Dieu », afin de manifester le sens et de sa vie et de sa mort, Jésus prit entre ses mains un morceau de pain puis une coupe de vin. Reprenant le rite traditionnel juif de la bénédiction, il les tendit devant lui comme un don offert, dans une prière d'action de grâce. Mais, de façon inattendue, il s'identifia lui-même à ce qu'il présentait ainsi : « C'est mon corps, c'est mon sang : prenez, mangez, buvez », c'est-à-dire : « C'est moi, c'est ma vie, telle que je l'ai toujours consacrée à Dieu, mon Père, et à chacun de vous ». Et il ajouta, ce qui est à l'origine de la messe des chrétiens : « Faites pareil », c'est-à-dire : « Refaites ce geste du pain partagé, mais vous aussi que votre vie soit donnée ». De ce repas, nous avons le récit dans une lettre de Paul et dans trois des quatre Évangiles (voir I Corinthiens II, 23-26 ; Matth. XXVI, 26-29 ; Marc XIV, 22-25 ; Luc XXII, 15-20). Constamment revécu au long des siècles, ce geste est devenu le centre de la vie chrétienne.
À partir de ce moment fondateur, ce qui va devenir « la messe » a connu toute une histoire. Dès le Nouveau Testament, Écritures chrétiennes adjointes aux Écritures juives, on voit les premières communautés célébrer ce qu'elles appellent « le repas du Seigneur » ou « la fraction du pain ». Avec deux composantes, deux moments successifs qu'on retrouvera constamment : une célébration de la Parole, évoquant celle que les Juifs célèbrent à la synagogue, et une seconde partie, autour du pain et du vin, qui rappelle plutôt les repas de fêtes dans les familles juives. Mais avec une nouveauté radicale par rapport aux liturgies juives : au-delà des Écritures proclamées et commentées, des psaumes chantés et des prières d'intercession, les grandes prières de « bénédiction » (« Bénis sois-tu, Seigneur, toi qui nous donnes... ») reprennent désormais le rituel de Jésus : « Prenez et mangez, ceci est mon corps. Prenez et buvez, ceci est mon sang, versé pour vous. » Autre nouveauté : ce « repas du Seigneur » n'est plus lié au sabbat juif, mais au premier jour de la semaine, en mémoire de la résurrection de Jésus, devenu pour les chrétiens « Jour du Seigneur », en latin Dies Domini, notre « dimanche ». Dans les Actes des Apôtres, témoignage sur la vie des premières communautés chrétiennes, ces célébrations sont mentionnées (Actes II, 24 et XX, 7-12).
Rites et hiérarchie
Dans les premiers siècles, ces assemblées s'organisent. Des responsables apparaissent, prenant la suite des premiers « apôtres » de Jésus : des épiscopes (du grec episkopos, « surveillant » ; origine du mot évêque), des presbytres (du grec presbyteros, « anciens » ; origine du mot prêtre), des diacres (du grec diakonos, « serviteurs »). Des titres qui, à l'époque, ne sont pas religieux mais propres au gouvernement de la cité. Les premiers chrétiens d'ailleurs n'ont ni temples ni synagogues : ils se rassemblent pour célébrer dans leurs maisons. Lorsque, avec la paix de Constantin, les communautés vont pouvoir se développer au grand jour, des « maisons d'église » sont construites, reprenant souvent le plan des synagogues. Les grandes basiliques romaines sont aussi empruntées pour le culte. Un culte qui, à l'époque, est encore l'affaire de tout le peuple, avec une grande diversité d'acteurs et de « ministères ».
De très anciens rituels sont parvenus jusqu'à nous, à travers la Didachè, ou Enseignement des apôtres (fin du Ier siècle), le témoignage de Justin (vers 150), ou dans les Constitutions apostoliques (IIIe siècle). Ils attestent déjà une structure assez stable de la célébration qu'on retrouvera au long des siècles à travers une grande diversification des traditions locales : liturgies romaines (longtemps célébrées en grec) ou milanaises, africaines, mozarabes en Espagne, gallicanes en Gaule (surtout à partir de Charlemagne), celtique en Irlande ou en Écosse.
Une première unification romaine fut effectuée au XIe siècle par le pape Grégoire VII. Cette « réforme grégorienne » prenait acte d'une longue évolution qui avait peu à peu fait émerger un « clergé », véritable acteur de la célébration reprenant tous les rôles autrefois confiés à divers membres de la communauté, distingué des « fidèles » devenus de plus en plus spectateurs des célébrations, d'autant plus que, depuis le VIe siècle, le peuple ne parle plus latin. L'architecture des églises évolue dans le même sens, se rapprochant des temples anciens, avec une nette distinction entre le chœur, domaine du clergé, et la nef. Parfois même, avec les jubés, cette séparation devenait une vraie barrière, voire un mur. Au XIIIe siècle, le « missel » se généralise, figeant par écrit le texte de la célébration et le détail des gestes à accomplir (les rubriques, écrites en rouge), afin d'éviter toute improvisation. Les fidèles sont d'autant plus tenus à distance que, sans doute en raison d'un fort sentiment d'indignité, ils s'abstiennent de plus en plus de communier. Il a fallu un concile, Latran IV en 1215, pour imposer la communion (du seul pain, non du vin, réservé aux clercs) au moins une fois par an, au temps de Pâques. Dans la théologie de cette époque, l'insistance porte moins sur l'action de grâce du Christ et la communauté rassemblée que sur le pain eucharistique et la « consécration » par laquelle il devient le corps du Christ présenté à l'adoration des fidèles, qui se contentent, en quelque sorte, de le dévorer des yeux.
Au XVIe siècle, le concile de Trente (1545-1563) canonise cet aspect de l'eucharistie. Face aux attaques des divers courants protestants, dont les plus radicaux (Zwingli) ramènent l'eucharistie à une réalité purement figurative, il insiste sur la « présence réelle » du Christ dans les « saintes espèces » (le pain et le vin). On parle de « transubstantiation ». Le projet est pourtant lancé de réformer la messe en revenant « aux anciennes normes des Pères ». Mais, faute de temps et de moyens (les recherches sur le christianisme antique n'en sont pas encore là), ce projet est remis à plus tard : en fait, il sera mené à bien par le deuxième concile du Vatican. Et c'est dans l'urgence, en 1570, que le pape Pie V promulgue pour toute l'Église de tradition latine un seul et unique rituel, celui qui était célébré à la curie romaine. Avec le souci de couper court à la prolifération de rituels incontrôlés, mais l'inconvénient d'imposer à toute l'Église une messe aménagée pour être célébrée par des prélats en l'absence du peuple.
La réforme conciliaire
Il faudra attendre le « mouvement liturgique » du XXe siècle, où les fidèles s'impliquent de plus en plus dans une célébration dont ils ne veulent plus être seulement spectateurs, puis le deuxième concile du Vatican qui en prendra acte, pour que la préoccupation première redevienne « la participation pieuse et active » de tous à la célébration (Constitution sur la liturgie, 4 décembre 1963). C'est avec cette principale consigne que le concile demanda que soit élaboré un nouveau rituel, plus proche de la messe antique.
La réforme liturgique promulguée par le pape Paul VI le 3 avril 1969 et mise en œuvre par lui avec la même autoritéque tous ses prédécesseurs, eut ainsi comme principal objectif de rendre toute la communauté véritablement acteur de la liturgie, exerçant dans la messe, au nom de son baptême et de son appartenance au corps du Christ, un véritable « sacerdoce baptismal ». Par le sacrement de l'ordination qu'il a spécialement reçu, l'évêque, ou en son nom le prêtre, qui préside la célébration signifie la place du Christ comme tête de ce corps.
Les incidences les plus visibles de cette réforme visant à redonner la messe à toute l'Église furent la transformation des autels, de telle sorte que la communauté puisse voir et entendre ce qui redevenait sa prière, et, dans la même perspective, l'adoption de la langue de tout le monde. De plus un certain nombre de doublets et d'adjonctions accumulés au long des siècles furent supprimés. Ainsi, cette réforme ne se voulut pas d'abord une adaptation à une nouvelle époque mais plutôt le retour à des pratiques antérieures, plus authentiquement « traditionnelles », comme l'atteste la reprise de prières eucharistiques très anciennes à côté du « canon romain » de saint Pie V (fixé vers le VIIIe siècle) : prière eucharistique de saint Basile, utilisée par les Églises d'Orient (IVe siècle) et d'Hippolyte de Rome (IIIe siècle).
En fait cette liturgie, non pas nouvelle mais renouvelée, est l'expression la plus visible de toute l'œuvre du deuxième concile du Vatican. À propos de ce concile, on a parlé d'ouverture, d'optimisme, ou même de « reddition » à l'égard de ce monde. Il s'agissait en fait d'un acte de foi et d'une démarche missionnaire : « Puisque le Christ est la lumière des nations... », et afin qu'il le devienne toujours davantage, il convient que l'Église se tourne résolument vers ce monde pour lui annoncer l'amour du Père.
Il n'est pas surprenant alors que l'opposition à cette démarche du deuxième concile du Vatican – suscitée principalement par les textes sur la liberté religieuse, l'œcuménisme ou le dialogue interreligieux – se soit comme cristallisée contre la liturgie qui en est issue. L'attachement à un décorum et à des rites anciens, au latin même incompris, est donc devenu le signe de ralliement, le drapeau en quelque sorte, d'un courant contestataire, dit « traditionaliste », extrêmement minoritaire (2 747 pères avaient voté pour la constitution sur la liturgie, et 4 contre). C'est ce refus du concile qui a mené à un véritable schisme lorsque Mgr Marcel Lefebvre, chef de file de l'un de ces courants mais seul évêque parmi eux, décida d'ordonner des évêques malgré l'interdiction de Rome (30 juin 1988). On comprend alors que, pour tenter de résorber cette dissidence avant qu'elle ne se développe de façon irrémédiable, le pape Benoît XVI ait concédé la faculté de célébrer la messe, de façon « extraordinaire », c'est-à-dire exceptionnelle, selon le rite antérieur, celui de saint Pie V (motu proprio du 7 juillet 2007). Sans rien renier de la valeur ni de l'autorité de la réforme voulue et opérée par Paul VI, il s'agissait pour son successeur, par cette concession dont on peut penser qu'elle deviendra un jour sans objet, d'éviter que la célébration de la « communion » devienne le lieu de l'expression de la division.
— Jean-Noël BEZANÇON
BIBLIOGRAPHIE
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POUR CITER L’ARTICLE
Jean-Noël BEZANÇON, « LITURGIE CATHOLIQUE DE L'EUCHARISTIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 27 juin 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/liturgie-catholique-de-l-eucharistie/
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