JÉSUS OU JÉSUS CHRIST

JÉSUS ou JÉSUS-CHRIST

Écrit par

  • Joseph DORÉ : théologien, docteur en théologie, doyen de la faculté de théologie de l'Institut catholique de Paris
  • Pierre GEOLTRAIN : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
  • Jean-Claude MARCADÉ : agrégé de l'université, docteur ès lettres, directeur de recherche émérite au C.N.R.S.

 

Il est peu de personnages historiques dont l'influence sur l'histoire de l'humanité ait été aussi grande que celle de Jésus, eu égard à la durée exceptionnellement courte de sa prédication. Il n'a pas fondé de religion et sa vie n'est en rien comparable à celle du Bouddha, de Confucius ou de Mahomet dont l'activité s'exerça durant des années. Et pourtant, depuis deux mille ans, son enseignement est sans cesse repris et commenté par ses fidèles, sa personnevénérée comme celle du Fils de Dieu, la foi en lui annoncée en toutes les langues de la terre. Les non-chrétiens et les adversaires même du christianisme reconnaissent en lui une personnalité hors de pair et chacun interprète son œuvre et son message en fonction de ses options philosophiques ou politiques. Jésus est tour à tour présenté comme un moraliste, un maître à penser, un idéaliste un peu rêveur, un messager du socialisme ou un révolutionnaire. Le personnage historique a depuis longtemps donné naissance au mythe. Cela est d'autant plus normal que Jésus n'a rien écrit. Les Évangiles, qui sont notre seule source documentaire, ne sont pas des biographies de Jésus, ni un compte rendu de ses discours, mais un témoignage de la foi des premiers chrétiens (cf. ÉVANGILES). S'ils font constamment référence à des événements de la vie de Jésus, s'ils rapportent ses paroles, c'est sous la forme d'une prédication, d'une annonce du Christ. Aussi bien les faits que l'historien peut avancer concernant la vie de Jésus se réduisent-ils à peu de chose. Originaire d'une province obscure de l'Empire romain, il a sans doute une trentaine d'années lorsqu'il commence un ministère public, d'abord dans l'entourage de Jean-Baptiste, qu'il quitte bientôt pour aller prêcher en Galilée, sa patrie, où il recrute des disciples. Son enseignement, enraciné dans la tradition religieuse et scripturaire juive, est pourtant marqué d'une autorité particulière. Il ne commente pas les Écritures et n'ergote pas sur les articles de la Loi, comme le font les rabbis pharisiens, mais parle comme un prophète inspiré, annonçant la venue imminente du Royaume de Dieu et la nécessité de se soumettre, avant qu'il ne soit trop tard, à la volonté de Dieu, qu'il appelle son Père. Il utilise un langage clair, des images et des paraboles simples, accessibles au peuple. Cet enseignement et les guérisons qu'il accomplit, comme le font d'autres rabbis, attirent sur lui l'attention des Galiléens, mais aussi l'hostilité des rigoristes pharisiens, qui le considèrent comme un gêneur et cherchent à le prendre en faute. Quelques mois plus tard, Jésus monte à Jérusalem avec ses disciples pour la Pâque. Les Évangiles nous le montrent enseignant dans le Temple, aux prises avec les légistes et les membres du sacerdoce. Arrêté de nuit, abandonné par ses amis, il est mené devant le sanhédrin réuni à la hâte, puis conduit chez le procurateur romain, Pilate. L'accusation portée contre Jésus, lors de sa comparution, est d'ordre politique : il se serait dit « roi des Juifs ». Il est condamné à être crucifié et meurt sur la croix, sans doute la veille de la Pâque, sans qu'on puisse préciser l'année (autour des années trente). Bientôt après, ses disciples proclameront leur certitude que leur maître est ressuscité.


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Pierre Paul Rubens, Adoration des Mages. Vers 1617-1618. Huile sur toile. 251 cm x 328 cm. Musée des Beaux-Arts, Lyon. 

Crédits : Musée des Beaux-Arts, Lyon

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Crédits : Encyclopædia Universalis France

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Au total, ce que l'on connaît le moins mal du Jésus historique, ce sont les dernières heures de sa vie, qui représentent une bonne part de la matière évangélique, et surtout son enseignement. Mais le lecteur des Évangiles, historien ou non, se retrouve finalement devant la question que se posaient déjà ses contemporains : « Qui est-il ? ». À cette question, le Nouveau Testament donne la réponse de la foi.

Juif fervent, Jésus est pourtant entré en conflit avec les sages et les officiels de son peuple. Il a annoncé un Royaume et ce Royaume n'est pas venu. Il a entraîné des hommes derrière lui et, très vite, c'est lui qui est traîné au supplice des esclaves. Tout est alors fini et pourtant la foi reprend... Que de paradoxes autour de cette personne que chacun croit connaître et qui échappe à toute classification. Mais n'est-ce pas ce qui fait qu'il a pu si aisément franchir les frontières de son siècle et celles de sa nation ?


Le problème historique

Les sources

Devant l'indigence et le caractère incertain des documents païens ou juifs concernant Jésus, notre seule source est constituée par les quatre Évangiles. Encore ne sont-ils pas unanimes. Ils sont une prédication, une annonce de la foi, et chaque Évangile, par la manière dont il rapporte tel fait ou telle parole, par le cadre dans lequel il les insère, peut lui donner un sens et une interprétation différents. La comparaison des trois premiers Évangiles, dits synoptiques, est instructive à cet égard, pour les péricopes qu'ils ont en commun. Quant au quatrième Évangile, dit selon Jean, il représente une construction théologique élaborée dans laquelle il est difficile de distinguer ce qui pourrait être parole de Jésus et ce qui est commentaire du rédacteur. Cet Évangile a pourtant conservé des faits dignes de foi, notamment lorsqu'il rectifie les données des Évangiles de Matthieu, Marc et Luc. Au reste, tous les Évangiles sont tributaires de la tradition orale qui a véhiculé jusqu'à eux la matière qu'ils utilisent. Nulle part ils ne livrent des faits bruts. Un récitévangélique n'est pas une tentative de biographie et, lorsqu'il rapporte une parole, il cherche à transmettre un enseignement et non la littéralité des paroles du Maître. Mais la critique ne reste pas dépourvue. Une meilleure connaissance de l'araméen, langue maternelle de Jésus, l'étude de l'histoire des formes littéraires prises par la tradition, celle de l'histoire de la rédaction offrent à l'historien un certain nombre de points d'ancrage solides, en particulier pour reconstituer ce qu'a pu être l'enseignement de Jésus, non dans sa forme exacte mais du moins dans l'essentiel de ses affirmations. Pour ce qui concerne les événements précis de la vie de Jésus, il faut se montrer beaucoup plus circonspect. Nul n'oserait plus, de nos jours, écrire une vie de Jésus comme celles qui virent le jour au XIXe siècle. L'imagination suppléait alors au silence des sources ; on faisait appel à une psychologie de Jésus qui était le plus souvent celle de l'auteur. L'ouvrage d'Albert Schweitzer sur l'histoire des vies de Jésus a mis un terme définitif à ce genre de projet. Quant à l'entreprise inverse, quant aux thèses des mythologues qui, devant les difficultés rencontrées par l'historien, ont pensé les résoudre toutes en expliquant les Évangiles comme un mythe solaire ou un drame sacré purement symbolique, elle ne résiste pas à l'analyse. L'étude des Évangiles permet de dire, non seulement que Jésus a existé, mais encore bien plus.


Le milieu

La Palestine, à l'époque de Jésus, vit sous l'occupation romaine. La succession d'Hérode le Grand, en 4 avant J.-C., et le partage de son royaume entre ses trois fils ne se firent pas sans mal. Dès ce moment, la révolte gronde partout, et notamment en Galilée où Judas de Gamala provoque deux soulèvements avant d'être exécuté. Peu après l'arrivée de Pilate à Jérusalem en 26, une émeute est matée avec férocité. La situation politique est tendue, l'insurrection souhaitée par les nationalistes, qui mêlent dans une même haine l'occupant et ceux qui collaborent avec lui. La situation économique n'est pas meilleure : les impôts, les réquisitions et les corvées pèsent lourdement sur la population. Les trois grands partis juifs du temps n'ont pas tous la même attitude envers les Romains. Du point de vue religieux, ils ont tous en vue l'observance des commandements mosaïques, si bien que le judaïsme se présente plus comme une orthopraxie que comme une orthodoxie. Les esséniens eux-mêmes, qui vivent en marge de la société et du Temple, ne sont pas rejetés de la communauté juive.


Les sadducéens

Le parti des sadducéens n'est pas fortement organisé. Il se confond avec une classe privilégiée : le grand sacerdoce et les familles influentes et riches. C'est sous Jean Hyrcan (135-107 av. J.-C.) qu'ils sont devenus un parti de gouvernement ; et ils ont constamment lutté avec les pharisiens pour conserver ou reprendre le pouvoir. Depuis la conquête romaine, ils savent se montrer conciliants avec les pouvoirs successifs, mais se confinent de plus en plus dans le Temple, en conservant toute leur influence sur la caste sacerdotale. Ils sont essentiellement conservateurs, n'observant que la loi écrite et refusant tous les apports de la tradition pharisienne. Seul, le Pentateuque (les cinq livres de la Loi) fait autorité à leurs yeux et ils n'ont jamais admis les idées introduites plus ou moins récemment dans le judaïsme : le destin et la prédestination, l'angélologie, la croyance aux esprits, la résurrection, la rétribution finale. Ils ne partagent pas l'attente messianique de nombre de leurs compatriotes. Ils méprisent le peuple, qui le leur rend bien. « Les sadducéens ne persuadent que les riches, le peuple ne leur est pas favorable », écrit l'historien Flavius Josèphe.


Les pharisiens

Le même Josèphe définit les pharisiens comme un « parti qui semble plus religieux que les autres et commente les lois avec plus de soin ». La législation qu'ils proposent au peuple remonte, selon eux, à la « tradition des Pères ». Cette utilisation des traditions leur permettait de préciser la Loi – par exemple, ce qu'on pouvait faire ou ne pas faire le jour du sabbat –, d'en réinterpréter les exigences, mais parfois aussi de la modifier en fait, lorsque leurs précisions arrivaient à tourner le commandement. Deux écoles, l'une très rigoriste, l'autre plus ouverte, partageaient les pharisiens en deux tendances au début de notre ère. Mais tous raisonnaient en casuistes, et ils n'hésitaient pas à donner à la tradition la primauté sur la Loi. Une de leurs grandes réussites est la synagogue, qui fut l'instrument de leur influence sur le peuple. La synagogue désigne à la fois la communauté qui se réunit et le lieu où elle le fait. On s'y retrouvait le jour du sabbat pour la prière, la lecture de l'Écriture et l'homélie. Pendant la semaine, elle servait d'école, et l'on s'y instruisait de la Loi. Pour la plupart farouchement nationalistes, les pharisiens exécraient les Romains.


Les esséniens et les zélotes

Les esséniens menaient une vie communautaire, retirés dans le désert de Juda. Ils sont bien connus depuis la découverte d'une part importante de leur bibliothèque et de leur établissement monastique au bord de la mer Morte. On sait par ailleurs que des esséniens vivaient aussi dans les villes, comme des membres d'un tiers ordre. De recrutement surtout sacerdotal à l'origine, ils avaient rompu avec le culte du Temple, dont ils jugeaient les cérémonies souillées par un sacerdoce impur. Comme ils suivaient un ancien calendrier sacerdotal différent du calendrier officiel, ils se trouvaient coupés de la vie et des fêtes religieuses juives. Tous étaient des volontaires ; avant leur admission définitive dans la secte, ils devaient passer par un postulat d'un an et un noviciat de deux ans. Ils étaient soumis à une règle très stricte qui dictait des principes de hiérarchie et de rigoureuse obéissance. Les biens étaient mis en commun. Les esséniens avaient pour rites des bains quotidiens de purification et un repas sacré pris chaque jour en commun. Le but de cette vie communautaire est de faire en tout la volonté divine, d'étudier sans cesse la Loi et de mener une vie sainte qui réponde à ses exigences. Le caractère ésotérique de la secte, tant pour les ordonnances que pour les doctrines, est fortement marqué. On y enseigne un dualisme strict qui partage le monde et les hommes en deux camps : celui de la lumière, du bien et de la vérité (le parti de Dieu) et celui des ténèbres, du mal et du mensonge (le parti de Bélial). Au contraire des pharisiens, les esséniens pratiquent, dans leurs commentaires de l'Écriture, une exégèse inspirée. Les spéculations messianiques y fleurissent. La secte se prépare à la guerre apocalyptique et attend la fin pour la génération présente.

Enfin, c'est à cette époque aussi qu'apparaît le mouvement zélote, dont les origines restent obscures, mais dont on sait qu'il rassemble les partisans d'une action directe et immédiate contre l'occupant et ses complices. Tout incident leur est une occasion de déclencher une émeute. Redoutés des sadducéens, désapprouvés par les pharisiens, leur influence va croissant au point qu'ils entraîneront une grande partie du peuple lors de la guerre juive.


Les prises de position de Jésus et les sectes

Ces diverses sectes ne réunissent pourtant qu'une faible partie du peuple juif. Josèphe estime que le parti des pharisiens, le plus nombreux, ne dépasse pas six mille membres. La grande majorité des juifs constitue ce que les pharisiens appellent « le peuple du pays », sur lequel on n'est guère renseigné.

Il est important de pouvoir situer l'activité de Jésus dans ce contexte. En effet, Jésus sera très vite en butte à l'opposition des sadducéens, qui le considèrent comme un fauteur de troubles et montreront leur hostilité lors de son jugement. Certains pharisiens ont pu manifester de la sympathie pour lui et, dans son enseignement, on retrouve quelques formules proches des sentences pharisiennes. Mais, en stigmatisant leur légalisme étroit et la charge insupportable des observances qu'ils imposent aux juifs pieux, en dénonçant ceux qui n'ont que l'apparence de la piété, en les accusant de prendre le détail pour l'essentiel et la tradition pour la Loi, Jésus fera des pharisiens ses adversaires les plus redoutables, qui ne le lui pardonneront pas. Les Évangiles ne mentionnent pas les esséniens que Jésus a pourtant connus lorsqu'il était auprès de Jean-Baptiste. Si Jésus ne partageait ni leur haine pour les pécheurs ni leur obsession de la pureté rituelle, sa proclamation d'un bouleversement prochain n'est pas sans rapport avec l'espérance apocalyptique recueillie par l'essénisme. Enfin, Jésus a dû prendre plusieurs fois position à l'égard des aspirations zélotes, au sujet de l'impôt dû à César, par exemple. Sans doute a-t-on dû le prendre, ici ou là, pour un sympathisant zélote, d'autant plus facilement que quelques-uns de ses disciples avaient des attaches avec le mouvement zélote ; cela est certain pour Simon, dit le Zélote, vraisemblable pour Judas, et possible pour Pierre et les deux fils de Zébédée. Au moment de son arrestation, l'un d'eux tirera l'épée. Cette équivoque sera utilisée devant Pilate par ses accusateurs, qui le dénonceront comme incitant la nation à la révolte, empêchant de payer le tribut à César et se déclarant le Messie-Roi (Luc, XXIII, 2).


Jésus et son ministère

La date et le lieu de la naissance de Jésus ne sont pas connus avec une grande précision. Les nombreux problèmes posés par les Évangiles de l'enfance laissent bien des incertitudes. La tradition le fait naître « dans les jours d'Hérode », c'est-à-dire quelques années avant notre ère, dont le point de départ ne fut fixé qu'au VIe siècle. Ses contemporains le connaissaient comme Galiléen, originaire de Nazareth, et ses compatriotes voyaient en lui « le fils de Joseph le charpentier » et « le fils de Marie ». Ses frères et sœurs sont mentionnés dans les Évangiles. Il est très possible que cette famille, comme d'autres familles juives, ait été de la descendance de David. Jésus ne s'en prévaudra pas, et il embarrassera même les scribes par une question au sujet de l'ascendance davidique du Messie, telle qu'ils l'enseignaient (Marc, XII, 35-37). On ignore tout de son enfance et de son adolescence. C'est à l'âge adulte (il aurait eu une trentaine d'années) qu'on le trouve auprès de Jean-Baptiste, au bord du Jourdain, non loin des installations esséniennes. Jean prêchait la venue imminente d'un Messie-Juge, appelait à la pénitence et à la conversion et baptisait dans le Jourdain d'un baptême conçu comme une purification définitive. On s'accorde aujourd'hui à reconnaître en Jean-Baptiste, sinon un essénien, du moins une ascète essénisant qu'a dû marquer la spiritualité des solitaires du désert. Les Évangiles montrent Jésus venant recevoir le baptême de Jean. Il est possible que Jésus ait suivi quelque temps Jean et ses disciples. Les premiers disciples de Jésus seront en tout cas d'anciens disciples du Baptiste. La tradition évangélique, même et surtout dans ses pointes polémiques contre les disciples de Jean, témoigne des liens qui avaient uni et continuaient d'unir les hommes de l'un et l'autre groupe.

Jésus fait alors une retraite solitaire au désert, tels les grands prophètes de jadis. Lorsqu'il en sort et apprend l'arrestation de Jean-Baptiste par Hérode Antipas, Jésus regagne la Galilée et commence à prêcher dans les bourgs, prenant la parole dans les synagogues le jour du sabbat, enseignant le peuple dans la campagne ou sur les bords du lac de Génézareth. Il appelle ses premiers disciples, galiléens comme lui ; bientôt il en choisit douze. Ce nombre, qui correspond aux douze tribus d'Israël, est souvent regardé comme purement symbolique et il est vrai que certains d'entre eux ne nous sont connus que par un nom sur une liste. Mais, outre la fermeté de la tradition sur ce point, le parallèle de l'organisation essénienne, qui place à sa tête un conseil de la communauté composé de douze hommes, confirme la vraisemblance de ce collège des Douze. C'est l'embryon d'une nouvelle communauté qui se forme autour de Jésus ; anciens disciples de Jean, zélotes et même un péager s'y côtoient. Abandonnant métier et famille, faisant bourse commune, ils vont suivre Jésus, qui les enverra prêcher à leur tour dans les villages de Galilée.

La chronologie et la géographie des Évangiles sont trop imprécises pour permettre de reconstituer les itinéraires de Jésus et délimiter la durée exacte de son ministère. Les Synoptiques ne mentionnent qu'une fête de Pâques, ce qui réduit cette durée à un an au plus. L'Évangile de Jean, lui, fait état de trois Pâques, ce qui implique un ministère de deux ans au moins, et de plusieurs montées de Jésus à Jérusalem, à l'occasion de diverses fêtes. Ce qui est probable en tout cas, c'est que ce ministère fut court et que plusieurs des déplacements de Jésus sont provoqués soit par la menace d'une arrestation sur l'ordre d'Hérode Antipas (Luc, IX, 9 ; XIV, 31), soit par l'hostilité de ses adversaires (Jean, IV, 1-3).

S'adressant à tous, ne se détournant pas des humbles et de ceux que les pharisiens regardent comme des « pécheurs », déclarant au contraire que c'est pour eux qu'il est venu, Jésus voit se presser autour de lui les malades, qui abondent dans ces villages de Palestine : aveugles, paralysés, hystériques, fous en liberté, tous ceux qu'on considère comme des démoniaques impurs. Nombreuses sont les guérisons qui lui sont attribuées. Même en éliminant les traits légendaires des récits qui les rapportent, il reste que Jésus passait, aux yeux de ses contemporains, pour avoir le pouvoir de guérir, ou, en termes de l'époque, de « chasser les démons ». Ce trait n'étonne pas. Les esséniens pratiquaient l'exorcisme, et Jésus demandait aux pharisiens : « Par qui vos disciples chassent-ils les démons ? » Mais la tradition évangélique est soucieuse de montrer que c'est la puissance de Dieu qui se manifeste ainsi en Jésus, qu'il a une autorité particulière dans ses actes comme dans son enseignement. Ses adversaires, eux, affirment que ce pouvoir est d'origine diabolique.


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Le Christ guérissant un hydropique et chassant les démons d'un possédé. Canon des Évangélistes. Bible latine, vélin, XIIe siècle. Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris. 

Crédits : Bridgeman Images 

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Avec la venue de Jésus en Judée, l'atmosphère se tend. Son enseignement dans la cour du Temple le met aux prises avec les sadducéens. Dans des circonstances difficiles à préciser, Jésus bouscule les marchands et les changeurs qui, dans le parvis, offrent aux pèlerins les animaux nécessaires au sacrifice et de l'argent « pur » pour acquitter la redevance due au Temple. La police du Temple tolérait bien des abus, et lorsque Jésus reproche aux responsables d'avoir transformé une maison de prière en caverne de voleurs, il rejoint le sentiment de plus d'un juif pieux. Mais il se montre ainsi de plus en plus gênant. Les autorités lui font poser des questions insidieuses pour trouver une raison de l'arrêter. Jésus fait front, devient incisif. Le conflit est ouvert.

La Pâque est proche. Jésus prend avec ses disciples un repas qui sera le dernier. Il n'est pas certain que ce fût un repas pascal ; la forme liturgique que la tradition a donnée au récit et les divergences des Évangiles sur la chronologie des derniers jours de Jésus ne permettent pas de l'affirmer. Au moins se déroule-t-il dans une atmosphère pascale. Dans la même nuit, c'est l'arrestation, dans laquelle Judas, l'un des Douze, a pu jouer un rôle qu'on a eu tendance à majorer de plus en plus. Le procès qui suit pose aussi de nombreux problèmes d'ordre juridique. Ce qui est certain, c'est que Jésus comparaît devant les instances juive et romaine, qui le considèrent l'une et l'autre comme un homme dangereux : les Juifs, pour des raisons essentiellement religieuses, le procurateur, pour des raisons d'ordre public. Quoi qu'il en soit, la responsabilité juridique de sa condamnation revient aux Romains et c'est au supplice romain, la crucifixion, qu'il est conduit. Il est mis à mort comme agitateur, accusé de s'être dit le roi des Juifs. La crucifixion a lieu la veille de la Pâque (d'après l'Évangile de Jean), plutôt que le jour de Pâques (d'après les Synoptiques) aux alentours de l'an 30. Tout semble achevé et pourtant cette mort n'est qu'une étape dans l'histoire de la foi chrétienne, puisque ses compagnons, qui l'ont abandonné au moment du drame, vont affirmer au péril de leur vie que « Dieu l'a ressuscité d'entre les morts ».


L'enseignement de Jésus

Ces quelques faits qu'on peut tenir pour assurés n'expliqueraient ni l'attrait que continue à exercer la figure de Jésus, ni la continuité qu'il y eut entre le Jésus de l'histoire et celui qu'annoncèrent les premiers chrétiens, si l'on ne pouvait atteindre l'enseignement qui fut le sien. Bien que marqué, dans les Évangiles, par les préoccupations particulières de l'Église primitive (catéchèse, liturgie, apologétique, etc.), cet enseignement peut être dégagé, non certes dans sa forme – car on ne peut prétendre remonter jusqu'aux paroles mêmes de Jésus –, mais dans son fond essentiel. Loin des théories abstraites, il est une ouverture directe sur l'homme et sur le monde qui s'exprime en sentences brèves ou sous forme de paraboles qu'il faut se garder d'interpréter comme des allégories : ce sont de petits récits vivants, de courtes scènes destinées à illustrer une vérité qu'on veut déposer dans la mémoire des auditeurs. Ces images, Jésus les puisait dans le trésor de l'Ancien Testament, mais les empruntait aussi à la vie quotidienne de son temps.


Le Royaume de Dieu

L'annonce du Royaume ou du Règne de Dieu tient la place centrale dans l'enseignement de Jésus. Cette attente du Règne de Dieu, aussi vieille qu'Israël, pouvait être entendue de diverses façons par les hommes de ce temps : soit que ce Règne s'établisse sur Israël par la libération du territoire national – c'était l'espérance des zélotes, que Jésus n'a pas retenue –, soit qu'il prenne la forme d'un bouleversement apocalyptique dont toute une littérature avait scruté les temps et les modes. Jésus n'a jamais donné de description du Royaume, mais il garde de l'apocalyptique juive l'idée d'une venue imminente. La tradition évangélique a transmis un logion, une parole, qui a pourtant dû lui poser un problème. « En vérité je vous le dis, il y en a parmi ceux qui sont ici qui ne goûteront pas la mort avant qu'ils voient le Royaume de Dieu venir avec puissance. » Face à cette irruption prochaine, chaque homme doit se décider. Maintes paraboles ont pour but de rappeler les exigences de l'heure qui risque d'être la dernière. C'est au moment de la moisson que se fera le tri entre le blé et la mauvaise herbe (Matth., XIII, 24-30). Jusqu'à la maturité du Royaume, les hommes sont mêlés et il n'est pas encore temps de trier les bons et les mauvais, d'exclure les pécheurs et de glorifier les justes. Pourtant, la tradition a conservé aussi le souvenir d'un enseignement qui présentait le Règne comme une réalité déjà présente, en attribuant à Jésus des déclarations comme celles-ci : « Si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, le Royaume de Dieu est donc venu à vous. » Et encore : « Car voici, le Royaume de Dieu est parmi vous. » On ne peut supprimer cette tension entre présent et futur. Il est probable que Jésus a affirmé que le Royaume était là, en sa personne, tout en annonçant, avec autant de force, que le Royaume devait venir. Mais il a surtout insisté sur le caractère unique de ce temps de salut qui commence, sur l'importance qu'il y a à ne pas passer à côté, sur la joie qu'il y a à trouver le Royaume et à tout quitter pour y pénétrer. Une parabole lui fait dire : « Le Royaume de Dieu est semblable à un trésor caché dans un champ et qu'un homme vient à trouver ; il le cache et, ravi de joie, il va vendre tout ce qu'il possède et achète ce champ. » Si le Royaume n'a pas de prix, c'est qu'il est le temps du pardon de Dieu qui s'adresse à toutes ses créatures. En fréquentant les pécheurs, ce que lui reprochent les pharisiens, Jésus veut témoigner de ce pardon divin selon la parole que lui prêtent les Évangiles : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »


La volonté de Dieu

C'est en fonction de cette « bonne nouvelle » qu'il faut comprendre les exigences que Jésus formule dans sa prédication. Ceux qui ont entendu l'appel, ceux qui renoncent à tout pour entrer dans le Royaume appartiennent désormais à un monde nouveau. Ils sont les enfants prodigues que le Père a recueillis dans la maison paternelle. Parce qu'ils sont pardonnés, leur vie nouvelle doit répondre à l'amour de Dieu. Dans leur radicalisme, les préceptes énoncés par Jésus dans son enseignement ne constituent pas une loi nouvelle qui promettait la béatitude à ceux qui pourraient l'accomplir. Ils disent plus simplement : « Ceux qui appartiennent au Royaume mènent, par reconnaissance, une vie en accord avec leur condition nouvelle. »

Jésus ne se sépare pas du judaïsme de son temps sur la question de l'autorité de la Loi. À un riche qui lui demande ce qu'il doit faire pour obtenir la vie éternelle, Jésus répond : « Tu connais les commandements. » Cette obéissance à la Loi, fondement de l'éthique juive, n'entraîne aucun mérite. « Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : nous sommes tout juste des serviteurs, nous n'avons fait que ce que nous devions. » Cette parole attribuée à Jésus est en parfait accord avec ce qu'enseignaient les docteurs de la Loi. Mais Jésus radicalise pourtant l'idée d'obéissance en refusant catégoriquement la soumission à une autorité purement formelle. Alors que les scribes mettaient sur un même plan tous les textes de l'Écriture, Jésus met en relief certains passages par rapport à d'autres. Par exemple, la Loi prévoyait qu'un homme pouvait abandonner sa femme en lui donnant une lettre de répudiation. Jésus s'appuie sur un texte de la Genèse pour montrer que la Loi véritable, conforme à la volonté du Créateur, ne donne pas à l'homme le droit de séparer ce que Dieu a uni. Ce n'est plus à une autorité formelle qu'il faut obéir. L'homme doit reconnaître ce qui est véritablement exigence de Dieu et distinguer, dans les Écritures, l'essentiel de ce qui ne l'est pas. C'est au nom de ce principe que les Évangiles lui font condamner maintes pratiques pharisiennes : « Vous acquittez la dîme [...] et vous laissez de côté ce qu'il y a de plus important dans la Loi. » Lorsqu'on lui reproche de violer le sabbat en guérissant un malade, il demande : « Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une vie ou de la tuer ? » Cette façon de poser le problème est significative d'une rupture totale avec une conception qui réduisait la Loi au faire ou ne pas faire. En toute situation, pour Jésus, le choix est entre faire le bien et faire le mal, sans qu'il y ait un troisième terme possible. C'est pourquoi il dénonce comme une mascarade la piété satisfaite de ceux qui croient avoir tout accompli en pratiquant une obéissance tout extérieure. La tradition évangélique va jusqu'à montrer Jésus ébranlant l'autorité formelle de l'Écriture en mettant dans sa bouche ces paroles : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre. Celui qui commet un meurtre en répondra au tribunal. Mais moi je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal [...] Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Mais moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis en son cœur l'adultère avec elle... Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pas.. Mais moi je vous dis de ne pas jurer du tout. » À l'exigence du droit, Jésus oppose ainsi, non pas un idéalisme moral mais une exigence plus haute, celle de Dieu, dont le caractère est absolu.

Lorsque Jésus résume toute la loi dans le double commandement : aimer Dieu et aimer son prochain, il ne cherche pas seulement, comme le faisaient quelquefois les rabbins, à apporter une simplification nécessaire de la casuistique juive dans laquelle le peuple se retrouvait difficilement (les docteurs de la Loi ayant comptabilisé 613 commandements positifs, 365 interdictions et 248 prescriptions diverses). Il énonce surtout le principe de toute obéissance : aimer Dieu, c'est soumettre sa propre volonté à la sienne. La conduite envers le prochain est liée à cette soumission première. La volonté égoïste, la prétention personnelle font alors place à l'esprit de service et au renoncement. Lorsqu'on demande à Jésus s'il faut aller jusqu'à pardonner sept fois, on lui attribue cette réponse : « Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois. » C'est dire que le pardon est infini, comme l'est celui de Dieu.


Dieu

Pour exprimer les rapports de l'homme avec Dieu, Jésus n'a donné aucune définition métaphysique de Dieu ni parlé le langage de la mystique. Il n'a pas cherché à dire ce qu'était Dieu en soi, mais il a exprimé ce que, selon lui, Dieu était pour l'homme. Il l'a fait notamment en montrant Dieu comme un Maître, dont les hommes sont les serviteurs, et comme le Père, dont l'amour entoure sans cesse ses enfants.

En parlant de Dieu comme du Maître, dans plusieurs de ses paraboles, Jésus pense sans doute aux métayers à qui les propriétaires confiaient la gestion de leurs terres. Semblable à eux, l'homme doit se montrer fidèle dans la mission qui lui est confiée et trouver sa joie dans le service accompli. Si pourtant il est infidèle, il est en dette avec son Maître, comme un intendant qui, par sa mauvaise gestion, devient débiteur du propriétaire. Mais quel homme pourrait bien se dire fidèle ? Il est toujours en dette envers Dieu, et c'est pourquoi Jésus, dans la prière qu'il donne à ses disciples, leur fait dire : « Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes les avons remises à ceux qui nous devaient. » Or Dieu est toujours prêt à remettre cette dette. La parabole du serviteur impitoyable met en relief cette générosité divine. On y voit le roi remettre sa dette, dont le montant est colossal, à un de ses serviteurs qui le supplie de prendre patience. Tel est Dieu pour l'homme ; le pécheur même peut avoir la certitude du pardon, si du moins il accorde lui-même son pardon aux autres hommes qui ont des torts envers lui. Sinon, il sera mesuré comme il a mesuré, et le Maître se montrera un juge inexorable.

Parce que Dieu est le Maître de ce royaume futur dont la lumière brille déjà dans la vie de ceux qui sont prêts à l'accueillir, il est aussi le Dieu proche à qui confiance doit être faite.

Toute une série de paroles, peu importe ici la façon dont la tradition les a mises en forme, reflète cette foi en un Père prêt à prendre également soin de ses enfants, jour après jour. « Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtu. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement [...] Votre Père céleste sait ce dont vous avez besoin. » Cette foi, déjà exprimée dans la vieille sagessejuive, n'est pas une naïveté enfantine. Elle ne prêche pas le fatalisme, mais condamne le souci de l'homme qui se croit maître de son sort parce qu'il poursuit la richesse et la puissance. Là encore, il faut choisir : « Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent [...] Ne vous amassez pas des trésors sur la terre [...] mais amassez-vous des trésors dans le ciel. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »

Mais celui qui s'adresse à Dieu, après l'avoir choisi pour Maître, peut tout attendre de lui. Car, le cours du monde comme les choses de la vie reposant sur l'action libre de Dieu, la prière n'est pas, selon l'enseignement de Jésus, un accommodement de soumission au destin, mais une demande confiante, dans le renoncement à tout droit. Cette idée rejoint celle qu'expriment d'autres sentences montrant que l'attitude de l'homme qui veut entrer dans le Royaume doit être celle du petit enfant (et celle du pauvre), symbole de celui qui n'a rien à donner, mais tout à recevoir.

Ce Père, à qui Jésus veut conduire les hommes, est pour lui, de façon toute particulière, son Père. Le judaïsme connaissait bien cette représentation de Dieu comme Père. Mais, les travaux de J. Jeremias l'ont montré, aucun juif n'aurait osé s'adresser à Dieu en disant : mon Père. Le terme araméen abba, utilisé par les enfants, aurait, en effet, paru trop familier. Jésus, selon la tradition unanime des Évangiles, a toujours employé, lorsqu'il priait, cette expression « mon Père », par laquelle il veut préciser, sans doute, l'intimité particulière qui l'unit à Dieu. Cette observation vient confirmer et éclairer le fait que Jésus se présente, parle et agit avec une autorité de révélateur : il a conscience d'être dans une communion particulière avec Dieu, à laquelle il invite ceux qui viennent à lui.

—  Pierre GEOLTRAIN


Les discours sur le Christ

Le mot « christologie » francise le grec logos pour le faire désigner la parole ou, mieux, le « discours », qui porte, en ce cas, sur christos. Un christos qui fait penser d'emblée à celui que les chrétiens appellent « le Christ » et dont ils tirent justement leur nom.

Cette sommaire explication de mots peut suffire à poser au moins deux problèmes dont le traitement sérieux entraînera beaucoup plus loin.

Le terme « christos » n'est lui-même que le mot grec qui traduit l'hébreu māšīah. L'un comme l'autre renvoient à l'action d'oindre, à une onction (d'huile sainte) par laquelle un chef (charismatique) se trouve rituellement investi pour la conduite et le « salut » d'un peuple. Si l'histoire, comme l'étymologie, fonde cette signification élémentaire commune aux deux termes francisés « christ » et « messie », est-ce à dire pour autant que l'équivalence en soit acquise dans les mentalités courantes ?

Pour être habituelle dans notre horizon culturel et religieux, une autre équivalence dissimule en revanche un plus profond problème : dire « [le] Christ » est-ce nécessairement dire « Jésus-Christ » ? Cela ne va pas de soi. Il n'est pas besoin en effet d'être spécialiste en histoire des religions et des sociétés pour admettre que la question du messianisme est bien loin de se réduire à celle de Jésus.

Bref :

Quel est le sens général du terme « christ-messie » ? Pourquoi et pour qui y a-t-on recouru dans le passé ? Quelle signification est-il encore susceptible de revêtir pour nous aujourd'hui ?

En quel sens particulier a-t-il pu et peut-il toujours être appliqué non seulement spécialement mais préférentiellement, voire exclusivement, à Jésus de Nazareth ?

Tels sont les deux problèmes qui donnent déjà légitimité minimale à un « discours » sur « christ », à cette réflexion que désigne le mot « christologie ». Si peu familier soit-il à beaucoup, on peut voir que l'interrogation sur « le messie », à laquelle il apparaît maintenant renvoyer, déborde notablement le champ de la particularité chrétienne où il a, de fait, préférentiellement cours, pour rejoindre des interrogations et des intérêts humains beaucoup plus larges. Ceux-ci se vérifient d'abord dans le champ religieux. Non seulement le judaïsme et l'islam – ce qui fait déjà beaucoup –, mais nombre d'autres courants religieux, y compris récents, font en effet expressément place à un messianisme. Cela oblige déjà à situer au niveau plus général des grandes religions du monde une interrogation dont le christianisme n'a plus, dès lors, le monopole.

On peut cependant aller plus loin encore à partir d'un trait inhérent à la notion même de Messie : son rapport à des attentes et des aspirations humaines qu'il est supposé venir exaucer. Ne dit-on pas de telle personne, ou même de tel événement dont on espère beaucoup (sinon tout ! ) : « Il est attendu... », ou bien : « On l'a accueilli... comme le messie » ? Ici n'est-ce pas tout simplement l'homme qui s'exprime, religieux ou non, l'homme comme tel lorsqu'il s'interroge sur ce qui peut donner sens à son existence comme individu, comme peuple, ou même comme espèce ? Et y a-t-il ou non un répondant effectif au « principe espérance » (Bloch) qui court à travers toute l'histoire, qu'il s'exprime ou non en terme de « messianisme » ? À ce stade, on a bel et bien rejoint, après le « singulier chrétien » et le « général religieux », l'universel humain. Quoi qu'il en soit des deux autres, il est clair que c'est bien à ce troisième niveau qu'il conviendra de décider de l'intérêt et de l'importance d'une « christologie », telle du moins que nous sommes maintenant en mesure d'en poser la question. La décision en cause relèvera, quant à elle, de l'instance la plus singulière qui soit : le sujet personnel, le « je » – bref, l'instance qui, seule, peut dire : je crois, j'espère, j'attends.


Messie et messianismes

Il est assez naturel d'inaugurer une question sur « le Messie » par une investigation historico-religieuse dans la Bible, tant il est patent que c'est dans le peuple d'Israël que la notion même en a été formulée originairement.

Deux compléments seront toutefois apportés pour tirer au clair la notion de messianisme : on fera d'abord droit à l'élaboration sociopolitique dont elle a fait par la suite l'objet ; on mentionnera ensuite l'acception anthropologico-existentielle que notre époque lui a donnée.


Investigation historico-religieuse

Il est essentiel à Israël de se concevoir comme Peuple de Dieu, peuple de l'Alliance avec Dieu, détenteur des Promesses et, à ce titre, porté, tout au long de son devenir historique, par la dynamique d'une espérance vivante, maintenue envers et contre tout à travers épreuves et échecs de tous ordres.

Or, de fait, cette espérance d'Israël ne va pas seulement à Dieu et aux biens que Dieu peut donner directement de sa main. Peu à peu, d'Abraham à David, en passant en particulier par Moïse et les « Juges », elle s'est aussi formulée en référence à des médiateurs humains, à des figures humaines porteuses et actrices de salut pour le peuple élu de Dieu. C'est dans ce cadre précis que le roi d'Israël (ou de Juda), héritier de la dynastie davidique et jérusalémite, a été conçu comme l'« Oint de Yahwé » – c'est-à-dire, équivalemment, comme un « messie » que Dieu octroyait à son peuple (cf., par exemple, Psaumes 2, 18, 84, 110, 132). Mais l'histoire et les déceptions qu'elle engendrait ayant peu à peu fait réaliser qu'aucun chef historique d'Israël n'accomplissait les promesses et n'exauçait l'espérance, le regard se porta en avant, et c'est de l'avenir, pour des « temps meilleurs », que l'on en vint à attendre « celui qui « sauverait » son peuple ». Ainsi toutes les figures porteuses et structurantes de la vie d'Israël finirent-elles par être utilisées pour donner corps à un messianisme qui se formulera dès lors de plus en plus, et finalement exclusivement, dans l'horizon du futur : non seulement la figure du roi, mais également celle du prophète et celle du prêtre. À Qumrān, par exemple, c'est même « deux Messies » que l'on attendait : le « Messie sacerdotal d'Aaron » et le « Messie politique d'Israël ». À l'époque de Jésus, plus généralement, deux grandes conceptions surtout s'affrontaient. L'une, plus populaire, était affectée d'un fort coefficient politique face aux persécutions hellénistiques (Antiochus IV Épiphane), aux répressions hasmonéennes (époque des Macchabées) et à la domination romaine (après 63 av. J.-C.). L'autre, au contraire, accentuait la dimension transcendante et apocalyptique du salut et de son médiateur : les traits messianiques qui caractérisent la figure du Fils de l'Homme (DanielVII surtout) valent d'un être céleste qui apparaît revêtu de « puissance », au tournant des temps, et « sur les nuées du ciel ».


Élaboration sociopolitique

Si c'est tout cet ensemble de figures et de représentations qu'il convient d'avoir présent à l'esprit lorsqu'on parle du messianisme en sa figure originaire et paradigmatique qui, judéo-biblique, est donc historico-religieuse, il n'a pas manqué d'interprètes pour en exemplifier quasi exclusivement la version proprement politique et belliqueuse : résistance à l'oppression, révolte et sédition, sur arrière-fond de violence sociale et d'exaltation apocalyptique.

Ainsi une certaine sociologie des religions en est-elle venue à proposer, du messianisme, une interprétation à dominante sociopolitique que représente bien, en français, l'ouvrage de Henri DesrocheDieux d'hommes. Dictionnaire des messianismes et millénarismes de l'ère chrétienne (Mouton, 1969). Autour d'un chef « inspiré » – « charismatique » – qui annonce un renversement imminent de l'ordre établi et même un bouleversement du monde, des populations se lèvent, portées à la fois par la révolte et par l'espoir, pour hâter, fût-ce par des moyens violents, l'advenue d'un « nouvel âge » et d'un « monde nouveau » (éventuellement eux-mêmes encore intermédiaires, avant l'accomplissement plénier et définitif encore un temps différé). Un âge et un monde où, enfin, régneraient la justice et l'égalité dans la prospérité et la paix.


Acception anthropologico-existentielle

Mais nombre d'auteurs, historiens, philosophes ou théologiens ont d'abord dénoncé ici une réduction politique. À ne s'en tenir qu'à eux, des penseurs d'obédience juive (W. Benjamin, G. Scholem et F. Rosenzweig) défendent tous l'originalité d'« une conception proprement théologique du messianisme ». Elle s'exprime clairement dans les concepts de « Règne » ou de « Royaume de Dieu », qui lui sont essentiels.

En outre, on a fait valoir que la notion de messianisme dépassait le cadre strict de la conception judéo-chrétienne. D'abord parce que celle-ci s'enracine dans le cadre plus vaste du Moyen-Orient antique où se rencontrait largement l'espoir d'un « fils de roi » qui « sauverait » son peuple et instaurerait une « ère nouvelle ». Ensuite parce que « dans presque toutes les religions, on repère des traces de ce que le terme « Christ » entend exprimer » (A. Gounelle, Le Christ et Jésus, rapportant la pensée de Paul Tillich).

Aussi faut-il bien reconnaître la dimension religieuse ou transcendante comme un trait spécifique du messianisme, et admettre que ce sont les religions qui, « peu ou proue, toutes », contribuent « à former et à définir la notion de « Christ ».

Il faut pourtant faire encore un pas de plus, estime Paul Tillich. Puisque nous sommes désormais entrés dans un âge séculier et séculariste, la question se pose d'une compréhension non religieuse de cette notion, pourtant essentiellement religieuse, du messianisme ! Est-il possible de se donner ici une conception qui ne serait ni platement politique ou sociopolitique, ni nécessairement juive ou religieuse : tel serait, en somme, le problème du messianisme – et donc de la christologie – aujourd'hui. Paul Tillich, quant à lui, cherche la solution dans une direction existentielle-anthropologique, mais qui puisse faire droit au(x) mode(s) d'affirmation de Dieu praticable(s) à l'ère de la sécularisation. Le principe qu'il pose ici est que « Christ est le nom particulier que la Bible donne à une réalité universellementattendue et pressentie ».

Le premier aspect de cette réalité est que « la notion de « Christ » désigne « ce que » tous les humains, sans exception, cherchent sans arriver à le trouver », car tout homme est manifestement à la recherche d'« autre chose », d'un « nouvel être ». Mais, s'il en va ainsi, c'est parce qu'aucun homme ne « coïncide » vraiment avec lui-même, c'est parce qu'il se sent « aliéné », privé de « quelque chose » qu'il estime pourtant devoir lui appartenir en propre. La notion de messianisme renvoie aussi à cette « nature ou essence profonde de notre être », que l'existentialisme, par exemple, a si bien mise en valeur : nous ne nous réalisons jamais que dans une existence toujours marquée, dans son autoréalisation même, par des « sentiments de malaise, d'inauthenticité, et également de détresse, d'angoisse, d'insécurité qui en résultent ». Il s'en faut, toutefois, que la réalité ainsi « universellement espérée et recherchée », qui pourrait arracher l'homme à l'aliénation et lui apporter l'« authenticité » (on dit aussi l'« accomplissement ») qu'il vise, soit « surhumaine ou inhumaine » : le troisième aspect de la notion de « Christ », qui fait aussi son intérêt, serait justement de désigner « l'homme véritable et authentique que nous ne réussissons pas à être »... Cela posé, l'important est alors de découvrir que, ainsi compris, « Christ » est l'« être nouveau », la nouvelle possibilité d'être-homme qui, imprévisible et gratuite quoique souhaitée et attendue (mais non irrationnelle ni contradictoire), a surgi et s'est avérée ou « incarnée » précisément en Jésus. Pourquoi en Jésus ? Parce qu'en lui s'est « révélée » en humanité la « Réalité » que tous les hommes recherchent, à laquelle ils sont de fait tous référés, et que (de bien des manières différentes d'ailleurs) une part seulement d'entre eux nomme précisément « Dieu ». Dans ce lien étroit entre l'humanité et Dieu, que Jésus se trouve de la sorte avoir établi lui-même et avoir par là même ouvert à tous les hommes, il faudrait voir le cinquième, le dernier et le plus décisif aspect de la notion de « Christ » et, donc, de l'idée de messianisme.

La christologie serait ainsi, au bout du compte, le discours qui expose et éclaire, à la lumière de ce qui s'est avéré-révélé par et en l'homme Jésus (et qui l'a fait désigner et reconnaître lui-même précisément comme Messie-Christ), ce qu'il en est du lien et des rapports qui existent et-ou peuvent exister entre l'homme-les hommes et Dieu. Mais préciser ce lien et ces rapports suppose évidemment que l'on éclaire ceux que Jésus lui-même entretient avec Dieu. C'est bien ce qu'ont entendu faire, dès leurs origines et à travers toute leur histoire, ceux que leur nom même rattache indissolublement à « Christ » : les chrétiens.


Jésus et le Christ

Le christianisme est né à partir du moment où des hommes qui, membres du peuple juif et partageant son espérance, avaient suivi Jésus et s'étaient faits ses « disciples » avant de devenir ses « Apôtres » en sont venus à reconnaître en lui non seulement le Messie d'Israël, mais la vraie révélation de l'unique Dieu et le sauveur de toute l'humanité. La juste intelligence de la christologie proprement chrétienne et l'évaluation correcte de son possible intérêt pour aujourd'hui supposent donc d'abord une enquête sur ses origines apostoliques néo-testamentaires. Mais elles appellent aussi un survol de l'élaboration doctrinale de la Tradition chrétienne et, enfin, un regard sur les orientations majeures de la réflexion des théologiens contemporains.


Les origines néo-testamentaires

Au commencement, ici, il y a le fait historique : Jésus de Nazareth ; au terme, il y a la reconnaissance de ce Jésus comme « Christ, Fils de Dieu et Seigneur ».

Quatre données, bien mises à jour par la recherche exégétique et historique contemporaine, portent un éclairage décisif sur un tel passage. D'abord : jamais Jésus ne s'est présenté lui-même comme le Messie, le Christ. Ensuite : malgré cela, le titre de « Christ » n'en a pas moins pris à son sujet tant d'importance qu'il a même fini par résorber en lui tout ce que les disciples de Jésus ont cru pouvoir dire de lui pour éclairer le mystère de son identité : tous les titres qui lui furent (et lui restent) appliqués par ailleurs – aussi bien, par exemple, « Fils de l'Homme » (Synoptiques) ou « Sauveur » (Paul), que « Logos » (Jean) et « Fils de Dieu » (tout le Nouveau Testament) – se sont en effet vus en quelque sorte supplantés par lui puisqu'on pouvait, et on peut toujours, penser avoir tout dit de Jésus quand on l'a dit « Christ ». Troisième donnée : c'est au titre d'une démarche de foi qui engageait toute leur existence et le sens qu'ils croyaient pouvoir lui reconnaître, que les disciples ont effectivement tenu Jésus pour « le Christ » ; cette simple appellation qu'ils lui appliquaient et lui réservaient traduisait de fait leur conviction qu'il était bel et bien « celui qui devait venir », celui que leur foi et leur espérance attendaient, celui que Dieu même avait promis et devait donner. Enfin : c'est précisément dans la mesure où il paraissait avoir partie liée avec Dieu, et même réaliser l'action et la présence de Dieu même parmi les hommes au cœur de l'histoire, que la foi – qui, du coup, devenait justement foi « chrétienne » – pouvait ainsi reconnaître en Jésus le Messie, le Christ, le Christ-Messie de Dieu.

Comment ces différentes données néo-testamentaires s'éclairent-elles, dans leur coexistence contrastée ? C'est un fait que si des juifs ont « écouté » et « suivi » Jésus, c'est bien qu'ils estimaient trouver par et en lui ce qu'ils attendaient, ce qu'ils recherchaient. Or, à le suivre, ils furent de plus en plus surpris de le voir prendre des positions et adopter des comportements stupéfiants. Par l'appel inconditionnel à le suivre qu'il adressait à ses auditeurs, par son autorité souveraine d'exorciste et de thaumaturge, par sa prétention à mettre sa propre parole au niveau de cette Parole de Dieu qu'était la Torah (« Il vous a été dit [...] – et moi je vous dis... »), par ses déclarations de pardon du péché (pardon que Dieu seul pouvait accorder !), par sa façon de traiter avec Dieu selon un rapport d'une familiarité totalement inouïe en Israël (il va jusqu'à l'appeler, et il est seul à le faire, « Abba-papa » !), par tout cela et par bien d'autres paroles et actes encore, Jésus apparut de plus en plus mystérieux à ceux qui, l'ayant suivi, s'interrogeaient de plus en plus précisément sur son identité réelle : « D'où lui vient donc cette autorité ? » (Marc, II, 7) ; « Qui donc est-il, celui-là ? » (Marc, IV, 41).

Quoi qu'il en soit, de telles prétentions ayant, de fait, suscité dans le peuple et parmi ses chefs une hostilité qui devait, ni plus ni moins, conduire au meurtre de Jésus, ses disciples furent, après sa mort, totalement désemparés. C'est à la faveur de ces expériences nommées « apparitions » qu'ils firent après la mort de Jésus (et qui les conduisirent à professer que, dès lors, il était ressuscité, c'est-à-dire revenu de la mort : cf. Matt., XXVIII, Luc, XXIV ; Jean, XX-XXI), que les disciples virent s'éclairer le « mystère » de Jésus.

Il fallait « comprendre », découvrirent-ils alors (« esprits lents à croire ! » sera-t-il dit aux disciples d'Emmaüs), que, si Jésus avait fait montre d'autorité et de puissance durant sa vie terrestre, celles-ci n'étaient pas à interpréter selon le registre et le mode de l'autorité et de la puissance traditionnellement reconnues au Messie-Christ de l'espérance d'Israël (dont Jésus avait précisément refusé de se laisser appliquer, sans plus, le titre) : on avait bel et bien pu le mettre à mort ! Inversement, si Jésus avait connu la mort, il ne fallait pas en conclure qu'il avait été abandonné (ou maudit) par Dieu, mais que sa mort même faisait, comme telle, partie d'un mystérieux plan divin : elle permettait à Dieu d'affirmer sa puissance contre et sur la mort, puisqu'il arrachait à ses rets celui qui y avait été bel et bien soumis.

Bref : à mettre en rapport ce qui s'était avéré déjà durant le temps de « l'existence terrestre » de Jésus et ce qui maintenant, après sa mort, se révélait de lui – en éclairant ceci par cela, et inversement –, les disciples en vinrent à professer que Jésus était venu de Dieu précisément pour ouvrir aux hommes un chemin de vie qui puisse leur permettre à eux aussi de traverser la mort même. Que, donc, faisant ainsi l'œuvre de Dieu, il était la révélation et l'action, « l'incarnation » et la présence de Dieu même. Et que cela s'avérait précisément dans ce qu'il réalisait ici et maintenant pour le salut de ceux qui, le suivant, croyaient et croient en lui.

Aussi les textes les plus élaborés du Nouveau Testament purent-ils en venir à présenter Jésus, cet homme, comme la propre « Image » (Colossiens, I, 15), le vrai « Logos » (la « vraie Parole », Jean, I, 1 sqq.), le « Fils unique » de Dieu lui-même (Galates, IV, 4 ; HébreuxI, 2), venu en ce monde pour le salut du monde. Et tel est précisément le sens que prit, au bout du compte, la confession plénière de Jésus comme « Christ » vers la fin des origines apostoliques néo-testamentaires : elle impliquait la reconnaissance pleine et entière de « cet homme » comme le propre et vrai Fils du Dieu unique, en même temps que comme le propre et vrai Sauveur du monde entier.


La tradition chrétienne

On devra se contenter d'un rapide survol, limité à la période patristique (et conciliaire) qui est, de fait, celle où s'élabora la doctrine qui, à travers les siècles, malgré des séparations institutionnelles postérieures et sans préjudice pour des interprétations théologiques diversifiées selon les écoles, devait rester professée jusqu'aujourd'hui dans les Églises chrétiennes.

Le résultat le plus net des prises de conscience apostoliques et du message néo-testamentaire qui en est issu est donc d'avoir abouti, sur la base de l'événement pascal, à poser la double « nécessité » suivante : « penser ensemble » Jésus et Dieu, et les penser eux-mêmes tous les deux en lien avec la question du salut des hommes, qu'ils sont censés opérer de concert. C'est un fait que la grande tradition chrétienne, qui a formulé le « dogme christologique » – c'est-à-dire ce que les Églises chrétiennes tiennent pour la juste manière de recevoir le témoignage apostolique –, ne l'a fait qu'en respectant fidèlement ces deux données structurantes du Nouveau Testament.

Pour honorer la première donnée, les « Pères de l'Église » (IIe-VIIe s.) eurent à faire face à bien des questions. S'il fallait vraiment tenir l'appartenance du Christ à Dieu, pouvait-on reconnaître Jésus, en qui Dieu même se révélait, comme un homme en tout semblable à nous ? Ou bien devrait-on ne lui attribuer que l'apparence d'un corps (docétisme) ? Corrélativement, s'il était vraiment homme, n'était-il pas exclu de le tenir pour Dieu ; ne suffisait-il pas de le dire « divin », de voir en lui, certes, l'être le plus proche de Dieu, et par qui, même, Dieu crée et sauve tous les autres, mais un être malgré tout extérieur à Dieu et différent de lui (arianisme) ?

Contre ces multiformes façons d'accommoder le témoignage apostolique en le ramenant aux canons d'une rationalité par nature rétive au Mystère qu'il attestait, les Pères purent faire reconnaître et la pleine humanité et la pleine divinité de Jésus-Christ, en lesquelles ils croyaient « selon les Écritures ». Si le premier point découlait clairement du Nouveau Testament, c'est Nicée (325), le premier concile œcuménique, qui trancha le second, affirmant que « Jésus-Christ Notre Seigneur » est « Dieu de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, de même nature que le Père » (homoousiosconsubstantialem Patri).

Quand furent ainsi affirmés le « vrai homme » et le « vrai Dieu », c'est à deux autres conciles, Éphèse (431) puis Chalcédoine (451), qu'il revint de prendre position sur leur articulation. Jésus-Christ fut dit : « parfait en humanité, parfait en divinité, le même Dieu vraiment et homme vraiment [...], en deux natures [...] qui se rencontrent en une seule personne ou hypostase ». Telle fut la « définition » de Chalcédoine, qui voulut faire converger dans l'équilibre l'approche antiochienne – Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste –, soucieuse (contre le monophysisme) de mettre en valeur la distinction (sans séparation) des « natures » (physeis), et l'approche alexandrine – Athanase, Cyrille –, désireuse (contre le nestorianisme) d'insister sur l'union (sans confusion) selon l'unique « personne » (ou « hypostase ») du Verbe de Dieu qui, incarné en Jésus, « assumait » en lui-même toute sa réalité humaine.

Mais, si les Pères ont ainsi pu faire droit à la première des données majeures du témoignage apostolique qui liait si étroitement Jésus et Dieu, c'est avant tout parce qu'ils furent rigoureusement fidèles à la seconde, qui leur imposait de ne jamais prendre position sur l'être de Jésus et sa relation à Dieu qu'à partir de ce qu'ils étaient dits avoir opéré et réalisé de concert « pour nous les hommes et pour notre salut » (affirmation centrale du credo de Nicée-Constantinople, toujours en vigueur dans les assemblées dominicales des chrétiens).

Dans ce refus d'une spéculation purement abstraite, dans cette volonté résolue de ne jamais dissocier révélation de Dieu et salut des hommes ou, plus radicalement, question de Dieu et sens de l'existence humaine, réside le trait le plus net de l'enseignement de la grande tradition chrétienne en matière de « christologie » et, plus largement, de foi chrétienne. S'il ne fut pas toujours respecté par la suite, et dans la théologie « scolaire » en particulier, il représente en revanche l'un des meilleurs étais des élaborations christologiques contemporaines... qui ne manquent cependant pas de souligner que Dieu est « toujours plus grand » que le salut qu'il donne.


Les théologies contemporaines

Il est un point au moins par lequel toutes les théologies contemporaines s'accordent avec les origines chrétiennes et avec la tradition qui les relie les unes aux autres : la place centrale et décisive qu'elles accordent à la christologie. C'est avec cette dernière que, pour elles aussi, se décide tant ce qu'on peut dire de Dieu et de son mystère que ce qu'il peut en être de l'homme et de son destin. La chose est notable aussi bien chez les protestants (K. Barth, par exemple) que chez les catholiques (K. Rahner, par exemple). Cela posé (qui, donc, les concerne toutes), on se contentera d'évoquer, parmi les très nombreuses, très diverses et très riches christologies contemporaines – car tout théologien digne de ce nom se doit de prendre position en la matière –, ce qu'on peut tenir ici pour les orientations majeures de la recherche et de la réflexion.

On doit tout d'abord relever la grande importance accordée à la donnée historique concernant Jésus de Nazareth. L'époque n'est plus où l'on se déclarait soit impuissant soit méfiant en ce domaine. Depuis les contestations bultmaniennes, la recherche exégétique a beaucoup progressé (E. Käsemann, E. Fuchs, G. Ebeling, H. Schlier, H. Schürmann...). Et, si les théologiens s'accordent à considérer que ne peut être tenu pour christologie authentique que ce qui peut valoir du Jésus de l'histoire – événement pascal compris –, ils tendent aussi à admettre que ce que la science historique peut établir par elle-même a suffisamment de consistance pour faire apparaître la base, historique elle aussi, à partir de laquelle les disciples ont pu en venir (et être fondés) à professer (dans une foi où ils peuvent toujours être suivis) résurrection, rôle salvifique et divinité de Jésus-Christ. Il en résulte, entre autres, un intérêt renouvelé pour l'ensemble des « mystères » de la vie de Jésus : événements, comportements, enseignements.

Une deuxième caractéristique des travaux christologiques contemporains est leur orientation sotériologique marquée, au point que les énoncés christologiques y apparaissent avoir par essence une signification sotériologique et que, inversement, les énoncés sotériologiques n'y paraissent tenables que sur un fondement christologique. En d'autres termes : le souci est ici constant et général de mettre en rapport Mystère du Christ d'une part et « anthropologie » ou « question de l'homme » et de son possible « salut » (sôtêria en grec) d'autre part.

Déjà, on peut noter tout ce que, dans les perspectives d'une interrogation d'ordre éthique, et le message et l'exemple de Jésus paraissent pouvoir éclairer de l'existence humaine, de la gestion qu'on peut en faire et du « sens » qu'on peut lui donner. Mais, plus avant, on doit aussi relever ceci : le fait que la foi chrétienne professe un Dieu-qui-s'est-fait-vrai homme (ou : un homme personnellement uni à Dieu) invite à renoncer à tout jamais à opposer l'un à l'autre un champ du « divin » et un monde de l'« homme ». S'il faut en croire le christianisme, ce n'est que par et dans le second que l'on peut authentiquement avoir accès au premier ; mais, inversement, celui-ci propose de se donner lui-même au second, au point que, pour cela, il s'est fait à la lettre « Dieu-avec-et-pour-nous : Emmanuel » (Matt., I, 23).

Reste alors à préciser pourquoi et jusqu'où Dieu est, ainsi, « avec-et-pour-nous ». Si les christologies d'aujourd'hui insistent pour faire valoir que le salut qu'Il offre aux hommes doit prendre corps pour eux dès ce temps et ce monde (théologies « politiques » et théologies « de la libération »), elles n'en valorisent pas moins le caractère au départ et toujours radicalement gratuit, et l'achèvement espérable seulement pour le terme eschatologique de l'histoire. Par ailleurs, les sotériologies les plus récentes sont aussi celles qui se préoccupent le plus et le mieux de répondre à la question majeure que soulève de soi leur affirmation centrale : qu'en est-il de ceux qui, incroyants ou croyants d'autres religions, ne reconnaissent pas en Jésus-Christ « le Sauveur » (théologie et christologie « des religions ») ?

La troisième caractéristique des christologies d'aujourd'hui est qu'elles ont tout à fait conscience que, conformément d'ailleurs à toute la tradition dont elles sont issues, elles sont obligées de repenser toutes les notions courantes concernant « Dieu » et la divinité. C'est notable tant chez K. Rahner et H.-U. von Balthasar du côté catholique que chez K. Barth et E. Jüngel du côté protestant.

Si Dieu se révèle vraiment en Jésus, il faut alors revoir toutes les conceptions usuelles d'immutabilité, d'impassibilité, d'éternité et d'invulnérabilité divines. Et, plus profondément encore, s'Il se communique vraiment à Jésus-Christ et, par lui, aux hommes, il faut alors Le penser communicable – et ici peut prendre tout son sens la confession traditionnelle d'un Dieu Trinité : que Dieu soit Trinité apparaît même, ni plus ni moins, comme la « condition de possibilité » et de la christologie (Dieu fait homme en Jésus-Christ) et de la sotériologie (Dieu sauvant les hommes en se communiquant à eux comme Esprit).

Ceux qui, le voyant parler, agir et vivre, s'interrogeaient au sujet de Jésus, le questionnaient ainsi : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » C'est par cette voie seulement que ceux qui l'ont bien voulu ont pu le reconnaître comme le Christ de Dieu, faisant naître ainsi à la fois la christologie et le christianisme. On ne cachera pas que, y compris à l'époque contemporaine, c'est toujours une espérance et une foi qui peuvent conduire à reconnaître le même Jésus comme le Christ-Messie, au sens à la fois théologal et anthropologique qui a été exposé ici.

Cela étant, la question est évidemment de savoir si les hommes d'aujourd'hui attendent vraiment quelque chose et peuvent encore espérer quelqu'un. Le christianisme et la christologie ne vivent que de ce que des hommes estiment effectivement pouvoir donner à ces questions la réponse positive qui les fait, précisément, chrétiens. Là est leur audace ; là, leur seule « justification » – mais là aussi, sans doute, leur toujours actuelle crédibilité.

—  Joseph DORÉ


Les représentations du Christ dans l'art

Le Christ est devenu au cours des siècles de christianisme la pierre angulaire de la représentation du divin ou de réalités spirituelles, voire métaphysiques. Dans les trois derniers siècles du Ier millénaire, la crise violente de l'iconoclasme a conduit les Églises à élaborer une théologie de l'image qui justifie la figuration du Dieu-Homme. La tradition iconographique, s'appuyant sur un consensus dogmatique ecclésial, s'est fixée dans l'Orient orthodoxe et s'y est perpétué jusqu'à aujourd'hui ; en revanche dans l'Occident catholique romain elle a été petit à petit transformée au profit des différents courants et individualités qui se sont manifestés selon les cultures et les époques.


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Enluminure anglaise représentant le Christ en «.Soleil de justice.», vers 1360-1380. Jacobus Anglicus, Omne Bonum, Manuscrit royal. British Library, Londres. 

Crédits : British Library/ AKG

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Après le concile de Trente, les deux traditions des figurations christologiques se sont définitivement établies : l'orientale fondée sur des canons et une technique très stricts, totalement distincte de la peinture « profane » ; l'occidentale où la peinture religieuse, qui n'est pas séparée de la peinture en général, a valeur d'édification.

À partir du XVIIIe siècle, sous la poussée de la sécularisation de plus en plus forte de la culture, le sujet du Christ aura tendance à être utilisé par les artistes tant chrétiens que non chrétiens comme un thème parmi d'autres. Dépouillé de ses éléments figuratifs multiséculaires, il reste comme métonymie de la souffrance humaine et de l'espérance, exemple d'idéal humain représenté dans chaque pays sous des traits anthropologiques nationaux.


De la possibilité de représenter le divin 

La division entre Occident et Orient dans le monde chrétien s'est établie, pour une part importante, à partir de la question de l'image, en premier lieu de l'image du Fils de Dieu. Issu du judaïsme pour lequel toute image est interdite, parce que susceptible de provoquer l'idolâtrie, mais évoluant dans le monde gréco-romain où il y a une profusion de représentations de dieux et de demi-dieux, le christianisme, jusqu'au Ve siècle, développera de façon diffuse et quelque peu anarchique un art avec des images représentant le Christ, Marie, les saints d'une manière « réaliste » ou symbolique (croix, agneau, cep). Les cultes des morts en Égypte, à Rome et en Syrie eurent une grande influence sur la formation de l'iconographie chrétienne de façon générale. Jusqu'au concile iconoclaste de Constantinople en 754, convoqué par Constantin V Copronyme, il n'y eut pas de doctrine ecclésiale concernant les images sacrées. On constate en effet que certains fidèles les rejettent, d'autres les acceptent. L'iconographie du Christ s'établit peu à peu. Avant le IVe siècle, ce ne sont que des représentations didactiques, pourrait-on dire, des épisodes de la vie de Jésus ; puis après le Ier concile œcuménique de Nicée, en 325, au fur et à mesure que le christianisme se fait de plus en plus officiel, apparaissent les scènes de la Passion ou encore la figuration du Christ-Roi.

Au IVe siècle, saint Basile le Grand peut affirmer que « l'honneur rendu à l'image se rapporte au prototype ». Les empereurs byzantins se servent des images sacrées, surtout de celle du Christ, pour exprimer et propager des idées religieuses et politiques. L'Église, elle, ne se prononça pas de façon universelle. On note, au IVe siècle, des rejets de toute représentation du divin ou du sacré sur les murs des églises (synode local d'Elvire en Espagne, entre 305 et 312 ; lettre d'Eusèbe à Constantia, sœur de l'empereur Constantin ; textes de saint Épiphane de Chypre...). En revanche, le concile Quinisexte (in Trullo), tenu à Constantinople en 691, affirme dans le canon 82 qu'il faut représenter le Christ non sous la forme symbolique de l'agneau, telle qu'elle existait surtout en Occident, mais « selon son aspect humain ». Face à l'interdit de l'image divine et sacrée chez les juifs et les musulmans qui ne cessaient de polémiquer contre l'idolâtrie chrétienne, les Pères du Quinisexte opposent à ce qu'ils considèrent comme des religions de la Loi, une religion de la Grâce.

Mais l'empereur Léon III fait détruire en 726, sur la Grande Porte de bronze de son palais l'icône du Christ et la remplace par une croix avec une épigramme affirmant que « l'empereur ne peut admettre une figure (eïdos) du Christ sans voix et sans souffle » et que les Écritures s'opposent à toute image du Christ selon sa nature humaine. C'est le début de la guerre contre les icônes qui provoquèrent entre les « vénérateurs des images » (iconodoules) et les « briseurs des images » (iconoclastes) des querelles et des luttes sanglantes qui durèrent sous le règne de Léon III l'Isaurien (717-740) et celui de son fils Constantin V Copronyme (741-775). Le premier concile iconoclaste de 754, tenu à Constantinople dans le palais de Hiera, déclara hérétique la fabrication et la vénération des icônes en général. En 764, Constantin V Copronyme fit détruire dans le Milion la fresque des six conciles œcuméniques et la remplaça par une représentation des jeux de l'hippodrome et de son cocher préféré !

Face aux positions des iconoclastes, qui s'appuyaient sur des interprétations théologiques très subtiles, l'Église « orthodoxe » dut, à son tour, élaborer une théologie de l'icône où la représentation du Christ était rendue possible par son Incarnation. Saint Jean Damascène, au VIIe siècle, fut le premier grand théologien des images sacrées, qui justifie ainsi la possibilité de figurer le Dieu-Homme : « Lorsque Celui qui existe de toute éternité dans la forme de Dieu, s'est dépouillé en assumant la forme d'esclave, devenant ainsi limité dans la quantité et la qualité, ayant revêtu la marque (charakter) de la chair, alors figure-Le sur une planche et expose à la vue de tous Celui qui a voulu apparaître. »

Il y eut entre 780 et 815 une pause et un retour aux pratiques iconophiles. C'est alors que put se tenir, à Nicée, le VIIe concile œcuménique en 787 qui consacra dogmatiquement le culte des images : « Celui qui se prosterne devant l'icône se prosterne devant l'hypostase de celui qui est inscrit en elle. »

Mais l'empereur Léon V l'Arménien réunit en 815 un deuxième concile iconoclaste dans la cathédrale Sainte-Sophie, présidé par le patriarche Théodote. Ce n'est qu'en 843 que fut rétabli définitivement dans l'Église « le triomphe de l'orthodoxie », c'est-à-dire de la vénération des icônes. La justification théologique de la représentation du divin fut établie par le saint higoumène du monastère du Stoudion, Théodore, et surtout par le patriarche Nicéphore. Pour le Stoudite, le Christ est descriptible dans son Hypostase tout en restant indescriptible dans sa divinité. Un des arguments originaux de saint Nicéphore est de faire de l'icône une matrice où vient reposer l'Indescriptible, de la même façon que Dieu le Fils est descendu dans le sein de la Vierge.

L'Orient orthodoxe maintiendra fidèlement la tradition issue du VIIe et dernier concile œcuménique de Nicée, avec des canons iconographiques admis par toute la communauté ecclésiale. L'Occident catholique ne voudra voir dans l'image, de façon générale, qu'une vertu de pédagogie religieuse et la représentation du Christ y fluctue au gré des courants esthétiques et des artistes, sans pratiquement d'autres limites que celle de la morale ecclésiale.


L'image du Christ dans l'histoire sacrée

Les Saintes Faces

À partir de la fin du VIe siècle apparaissent dans le monde byzantin des représentations du Christ « non faites de main d'homme » (acheiropoïètes), des « Saintes Faces » qui furent portées à la tête des armées comme gage de victoire dans les guerres contre les Perses, tels le labarum (étendard) constantinien ou le vexille (signe de la victoire) romain. L'archétype du Christ acheiropoïète est, sur la base des témoignages et de la tradition ecclésiale orthodoxe, cette image imprimée sur un linge (le mandylion) par le Christ lui-même. Ce linge avait été rapporté au roi d'Édesse, Abgar, pour le guérir de sa lèpre, par le peintre Hannan, qui avait été envoyé pour faire le portrait du Sauveur et n'y était pas parvenu. Cette « image non faite de main d'homme » fut emmurée pour la soustraire à la destruction des païens. Cet archétype est attesté dans la ville d'Édesse à partir de la fin du VIe siècle jusqu'à 944, date où l'Acheiropoïète fut apportée triomphalement à Constantinople après avoir été achetée par les empereurs Constantin Porphyrogénète et Romain Ier. Après le sac de Constantinople par les croisés en 1204, on perd sa trace.

Les copies de la Sainte Face se sont multipliées. Parmi elles on pourrait peut-être compter l'image imprimée sur le Saint Suaire de Turin. Les plus anciens exemplaires sont Le Sauveur Acheiropoïète de l'école de Novgorod (XIIe s.) et celui de Rostov-Souzdal (XIIIe s.) de la galerie Trétiakov à Moscou, ou encore la Sainte Face de la cathédrale de Laon(XIIe-XIIIe s.). Au XXe siècle, le Mandylion à la Sainte Face du moine Grégoire Krug (1969, ermitage du Saint-Esprit, Le Mesnil-Saint-Denis) témoigne de façon éclatante de la permanence du sujet.

Parallèlement, dans l'Église occidentale, se développe le thème du voile de Véronique, à partir d'une légende remontant au IVe siècle selon laquelle Véronique (déformation de « vera icona ») aurait essuyé avec un linge le visage du Christ marchant vers le Golgotha. La face du Christ serait restée imprimée sur ce linge. Ce Suaire de sainte Véronique (sans doute une œuvre serbe du XIIIe siècle) se trouve à Saint-Pierre de Rome. Cet archétype est à l'origine de multiples copies, depuis le panneau du Maître de la sainte Véronique qui représente cette dernière tenant le Suaire (Alte Pinakothek, Munich) jusqu'à la virtuose Sainte Face gravée au burin en 1649 par Claude Mellan ou la vigoureuse Sainte Face de Rouault (1933, Musée national d'art moderne, Paris).


Deux images du Christ

L'image du Dieu-Homme qui s'est perpétuée à travers des récits souvent apocryphes fut, au cours des siècles, l'expression de l'idéal des hommes selon les époques et les cultures. Il y eut certainement une transmission orale de l'aspect physique du Christ historique dont témoigne un apocryphe des premiers siècles du christianisme, la Lettre de Lentulus : Lentulus, consul de Tibère et supérieur du procurateur romain Ponce Pilate, se serait trouvé en Palestine au moment du procès de Jésus et aurait envoyé une missive à Rome dans laquelle le Christ est ainsi décrit : « Cet homme est de haute taille, d'aspect élancé ; sa face est sévère et pleine de vertus [...] Ses cheveux sont de la couleur du vin ; ils tombent jusqu'aux oreilles en boucles sombres ; des oreilles aux épaules, ils sont ondulés et brillants ; des épaules à la ceinture, ils se répartissent en deux comme chez les Nazaréens. Son front est haut et pur ; son visage lisse et légèrement vermeil ; son allure est douce et caressante, son nez et sa bouche sont irréprochables ; sa barbe est épaisse, de la même couleur que ses cheveux ; ses yeux sont bleu clair. »

Cette description a été interprétée selon les critères esthétiques de chaque époque, depuis la Renaissance jusqu'aux nazaréens, aux préraphaélites et à Maurice Denis, en passant par la production stéréotypée du style saint-sulpicien, qui a son équivalent dans l'Orient orthodoxe dans sa production d'icônes kitsch à partir du XIXe siècle.

Au cours des deux mille ans de représentations du Christ on peut, sommairement, partager celles-ci en deux orientations. D'un côté, « le plus beau des enfants des hommes » qui « triomphe par l'éclat attrayant de sa beauté », selon un psaume de David. Origène, saint Grégoire de Nysse, saint Jérôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostomedéfendent cette conception. Au VIIe siècle, saint Jean Damascène définissait ainsi la beauté divine du Sauveur : « Taille élevée, sourcils abondants, œil gracieux, nez bien proportionné, chevelure bouclée, attitude légèrement courbée, teint distingué, barbe noire, visage ayant la couleur du froment comme celui de la Vierge, doigts longs, voix sonore, parole suave. »

À l'opposé, des théologiens du IVe siècle, comme saint Cyrille, évêque de Jérusalem, ou saint Basile le Grand, se référaient plutôt à la description du Messie faite par Isaïe : « Le Fils de l'Homme est sans beauté et sans éclat, nous l'avons vu et nous l'avons méconnu. C'était un objet de mépris, le dernier des hommes, un homme de douleurs et connaissant l'infirmité. »

Cette oscillation entre un « beau Dieu » (celui de la sculpture gothique) et un Christ souffrant (celui, par exemple de Grünewald) se retrouve constamment depuis les premières catacombes jusqu'à la fin du XXe siècle.


L'art chrétien primitif

Les catacombes

Les débuts de l'art chrétien que nous connaissons remontent à la fin du IIe et au début du IIIe siècle. On trouve quelques peintures funéraires dans les diverses catacombes du sous-sol romain, ces cimetières chrétiens qui étaient de vraies cités souterraines (outre Rome, on en trouve à Naples, en Sicile, à Malte, en Tunisie et en Égypte). Les premières représentations pariétales assimilent l'imagerie païenne, suivent les modèles gréco-romains. Avant le milieu du IVe siècle, la plupart des épisodes de la vie du Christ sont des illustrations de sa vie publique, de ses miracles ; il n'y a pas de représentation de la Passion, ni de la Royauté du Christ. De façon générale, les œuvres paléochrétiennes ne reflètent pas l'angoisse de la mort ni les drames du monde. Le Christ prend les traits mythiques d'Orphée (qui est descendu aux enfers comme lui), d'un jeune homme enseignant ou du Bon Pasteur (Catacombes des Saints-Pierre-et-Marcellin, Rome, seconde moitié du IIIe siècle, et de Saint-Callixte, IIIe siècle), selon Ézéchiel (XXXIV, 12) : « Comme un pasteur passe en revue son troupeau quand il est au milieu de ses brebis dispersées, je passerai en revue mes brebis », repris par saint Jean : « Je suis le bon pasteur » (X, 11). Le Bon Pasteur a les traits de l'Hermès grec. On trouve aussi le Christ-Hélios sous les traits de Phébus conduisant un attelage (Grottes vaticanes, Rome, fin du IIIe siècle). On adopta également une iconographie à la fois symbolique et emblématique et non « hiérohistorique » (c'est-à-dire se référant à une histoire sacrée selon la terminologie d'Henry Corbin) : ainsi, le poisson, l'agneau, la colombe, le cep, sont-ils les emblèmes christologiques par excellence. L'acrostiche du mot grec ichthus (poisson) permet de lire : « Jésus-Christ fils de Dieu, Sauveur ». On retrouve le Poisson-Christ partout : sur les fresques (Chapelle A2 de la catacombe Saint-Callixte, IIe siècle), sur les sarcophages, les vases, les amulettes. Le poisson se transforme parfois en dauphin, l'animal qui avait sauvé le poète Arion des abîmes. L'agneau pascal remplace aussi pendant des siècles l'image directe du Dieu-Homme, de la même façon que la colombe qui deviendra par la suite le symbole du Saint-Esprit. À partir du texte de saint Jean (XV, 5) : « Je suis le cep, vous êtes les sarments », on put figurer, à la fois comme décor et comme emblème, des motifs issus de la vigne. La croix latine, elle, n'apparaîtra que dans la première moitié du IVe siècle. Ainsi, avant les premières définitions dogmatiques du Christ, l'art chrétien s'en tient à une iconographie sobre dans le trait et la couleur, visant au symbolique et à l'abstrait, en contradiction avec l'esthétique naturaliste dominante à cette époque.


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Le cubiculum d'Orphée, dans la catacombe de Domitille à Rome. 

Crédits : V.Pirozzi/ De Agostini/ Getty Images

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L'art byzantin

Le IVe siècle voit le christianisme triompher en 380 comme religion officielle de l'Empire romain ; Constantinople, fondée en 324, devient, à la fin du siècle, lors de la séparation définitive de l'Orient et de l'Occident, la capitale de l'Empire byzantin ; les deux premiers conciles œcuméniques, celui de Nicée en 325 et celui de Constantinople en 381, permettent de fixer la manière de représenter le Christ : il est l'image de Dieu le Père (« Celui qui M'a vu a vu le Père », Jn, XIV, 9) ; les Pères de l'Église, comme Basile de Césarée, Jean Chrysostome, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, développent, précisent, amplifient la doctrine christologique. L'art byzantin chrétien a rayonné pendant les mille années de l'histoire de Byzance qui se termine par la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, mais continue de se manifester dans tous les pays où se maintient encore la culture orthodoxe (Grèce, Russie, Ukraine, SerbieRoumanieArménie, Syrie, Égypte, Éthiopie).

C'est à partir du IVe siècle que s'établirent les canons, admis par l'ensemble de l'Église, des représentations du Christ. Le concile œcuménique d'Éphèse en 431, comme celui de Chalcédoine en 451, confirmèrent contre Nestorius, les partisans d'Arius et les monophysites que le Christ est à la fois vrai Dieu et vrai homme, et la place de Marie comme Mère de Dieu (Théotokos) dans l'économie divine. Ainsi peut-on voir dans l'église Sainte-Marie-Majeure, à Rome, tout un cycle d'images soulignant la divinité de l'Enfant et l'importance théologique de Sa Mère.

Au XIIe siècle, apparaît le sujet de l'Amnos (l'Agneau) montrant le Christ-Enfant couché sur la patène et offert au sacrifice sur l'autel.

Le « Christ trônant », le « Christ vainqueur » tenant une croix à longue hampe, qui existait sur les sarcophages du milieu du IVe siècle, devient le « Pantocrator », le Souverain de l'Univers qui bénit le monde et est placé sous les voûtes des coupoles centrales (Sainte-Sophie de Constantinople, fin du IXe siècle). L'analogie entre l'empereur, chef du pouvoir spirituel et temporel, et le Roi céleste permet à l'image du Pantocrator de connaître une grande fortune : on la trouve à Sainte-Sophie de Kiev, à l'église de Nea Moni à Chios, à la cathédrale de Cefalù en Sicile ou à l'église de Daphni, en Grèce. La glorification du pouvoir impérial est illustrée par la mosaïque de la tribune sud de Sainte-Sophie de Constantinople, où l'on voit le Christ trônant entre l'empereur Constantin Monomaque et l'impératrice Zoé.

Un thème fréquent aux XIe et XIIe siècles est celui de la Communion des apôtres où l'on voit, tantôt le Christ au centre (mosaïque du XIe siècle dans l'église de la Vierge-des-Chaudronniers à Thessalonique), tantôt un Christ dédoublé distribuant d'un côté le pain et de l'autre le vin (ce sujet sera largement utilisé par la suite, comme par exemple dans l'Epitaphios, broderie du XIVe siècle, musée Benaki, Athènes).

Autre sujet qui se fait insistant à partir du XIe siècle, celui de la Déisis, l'imploration, où un Christ trônant est entouré de la Mère de Dieu et de saint Jean le Précurseur (le Baptiste) qui tendent les mains vers lui en signe d'intercession pour le monde (détail du Triptyque dit d'Harbaville, ivoire de la fin du Xe siècle, musée du Louvre ; détail de la mosaïque du Jugement dernier, XIIe siècle, cathédrale de Torcello). La Déisis se trouve généralement au-dessus des portes royales des iconostases orthodoxes.

L'originalité de l'art byzantin provient de ce qu'il a conjugué l'art oriental (Asie Mineure, Syrie, Perse), dont il est principalement issu, et l'art hellénique.

Plusieurs tendances iconologiques coexistent dans l'art byzantin de façon générale : la tendance « mondaine » (caractère officiel, impérial, narratif, humaniste, psychologique, pittoresque) et la tendance théologique-liturgique. Les matériaux principalement utilisés sont, outre la pierre et le bois, l'ivoire (parmi les beaux exemplaires du Xe siècle, Le Christ couronnant Romanos et Eudoxie, Bibliothèque nationale, Paris ; Le Christ enseignant, Museum of Art, Cleveland ; La Crucifixion, Kestner-Museum, Hanovre ou Le Christ Pantocrator, musée des Beaux-Arts, Lyon) et la mosaïque qui connaît alors un essor considérable. Le Christ de la frise en mosaïque qui déroule les épisodes de sa vie à Saint-Apollinaire-Neuf, à Ravenne, (VIe siècle) se caractérise par le réalisme du visage et la somptuosité du vêtement (or, argent, cristaux, marbre, porphyre, nacre).

À partir du IXe siècle, le Pantocrator domine un programme iconologique qui tient compte de la liturgie et des développements de la théologie. Il est monumental, son regard embrasse le monde, il est hiératique, sévère, en dehors du temps (chapelle Palatine, Palerme).

Les principales mosaïques où le Christ est le personnage central, en particulier dans les « Crucifixions », les « Descentes aux enfers » (ou Anastasis), se trouvent à Saint-Marc de Venise, à Sainte-Sophie de Kiev, à Daphni (en Grèce de façon générale), en Sicile. À partir du XIVe siècle, le Christ Pantocrator perd son expression austère qui se fait plus familière (coupole de Fétijé-Djami à Constantinople).


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«Le Christ bénissant», mosaïque de la basilique Saint-Marc, vers 1230. 

Crédits : Cameraphoto/ AKG

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L'image du Christ occupe aussi une place centrale dans les miniatures qui illustrent les livres sacrés, dans l'art des émaux et le travail des métaux.

Dans ces différentes représentations, l'anatomie et la perspective sont délibérément ignorées. Le Christ byzantin, démesurément grandi, dépasse les figures qui l'entourent. C'est un Christ de majesté, triomphant, qui – même sur la Croix – ne trahit pas les affres du supplice mais semble au contraire porter le gibet où il est cloué. C'est un Christ de la rédemption et de la résurrection.


Le Moyen Âge occidental

L'art préroman et roman

L'époque carolingienne du VIIIe et du IXe siècle fut un moment très important de l'évolution des arts en Occident. La monarchie franque voulait s'identifier à l'idéal impérial antique et favorisa une floraison artistique qui, sur plusieurs points, s'opposait à la tradition byzantine. Sous Charlemagne, commence à se creuser le fossé qui séparera l'Empire romain d'Occident et celui d'Orient. On ne favorisa pas seulement les innovations théologiques (le « filioque » par exemple, qui ajoute dans le Credo latin la mention du Fils comme origine, à l'égal du Père, de la personne du Saint-Esprit) mais également les spécificités esthétiques de ce que l'on a appelé « la Renaissance carolingienne » qui se signala par un retour aux sources classiques romaines, en conservant cependant beaucoup de traits de l'art byzantin, le tout étant renouvelé par les traditions locales irlandaises, anglo-saxonnes, mérovingiennes, qui introduisirent des réseaux linéaires complexes ignorés jusque-là (Le Christ victorieux, plat d'ivoire, fin du VIIIe siècle, musées royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles ; Le Christ bénissant du Calice de Tassilo, vers 770, trésor de l'abbaye de Kremsmünster). Sur les manuscrits, les bronzes, les ivoires, les plaques de métal ou de pierre, s'inscrivent des thèmes qui apparaissent à ce moment-là en Occident. Ainsi de l'image du Christ mort sur la Croix (Crucifixion, plaque en bronze doré d'Athlone, VIIIe siècle, Musée national de Dublin ; Initiale T du Sacramentaire de Gellone, fin du VIIIe siècle, Bibliothèque nationale, Paris). Ainsi de l'image du Christ sortant du tombeau (la « Résurrection »), de l'iconographie du « Jugement dernier » qui se fixe à cette époque (Saint-Jean de Müstair ; abbaye de Saint-Gall). Un thème très fréquent également est celui de la Majestas Domini (Sacramentaire de Charles le Chauve, vers 870, Bibliothèque nationale, Paris).

La conjonction des éléments chrétiens traditionnels et des éléments populaires indigènes conduit à une esthétique qui allie une certaine rusticité au raffinement subtil de l'ornementation. La réforme liturgique carolingienne, à partir de 769, visant à imposer un « ordre romain », se reflète dans les évangéliaires, psautiers et bibles alors réalisés. Le plus célèbre est l'Évangéliaire de Godescalc (781-783, Bibliothèque nationale, Paris), dans lequel le Sauveur a l'aspect d'un jeune homme blond, imberbe, aux yeux grands ouverts sur le monde, proche du Christ de l'abside de San Vitale à Ravenne. La couleur vert olive et brune des enluminures de ce manuscrit contraste avec la polychromie byzantine. Parmi les autres évangéliaires, notons ceux de Lorsch (Bibliothèque vaticane, Rome, et Victoria and Albert Museum, Londres) et de Saint-Médard de Soissons.


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Christ en majesté: Jésus trônant devant les murs de la Jérusalem céleste. Évangéliaire de Godescalc, enluminure carolingienne sur parchemin, école d'Aix-la-Chapelle, 781. Bibliothèque nationale, Paris. 

Crédits : AKG

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San Vitale, Ravenne (Italie), l'abside, VIe siècle. 

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Dans le prolongement de l'art carolingien, l'Occident chrétien connaît aux XIe et XIIe siècles un nouvel essor artistique où viennent s'inscrire des courants anciens (antiques, paléochrétiens, byzantins en Italie et en Provence) ou des influences mésopotamiennes et perses par l'intermédiaire de l'art musulman (Espagne et provinces méridionales).

Dans le décor sculpté dans la pierre ou le bois, dans la peinture murale, dans le vitrail, dans les métaux précieux et l'orfèvrerie, dans l'ivoire, le Christ est omniprésent. Il est au centre du courant mystique des monastères : Christ en majesté (linteau de Saint-Genès-des-Fontaines, 1020-1021 ; plaque du déambulatoire de Saint-Sernin de Toulouse ; partie centrale du tympan représentant le Jugement dernier à la cathédrale Saint-Lazare d'Autun, vers 1120 ; devant d'autel en bois peint, fin du XIe et début du XIIe siècle et fresque de l'église de Tahull, 1123, Museo de Arte de Cataluña, Barcelone), Christ trônant (tympan de la Porte de Gallus de la cathédrale de Bâle, fin du XIIe siècle), ou représenté dans les épisodes de sa vie (Ascension du tympan de la face sud de l'église Saint-Sernin de Toulouse, vers 1100 ; Tentation du Christ de l'abbaye Saint-Martin à Plaimpied, première moitié du XIIe siècle ; Le Christ envoyant les apôtres prêcher l'Évangile du tympan de l'église Sainte-Madeleine de Vézelay ; « Descentes de Croix » : chapiteau polychrome de Saint-Nectaire, tympan d'Oloron-Sainte-Marie, bas-relief du cloître de Silos, en Castille, XIIe siècle).


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Basilique Sainte-Madeleine, Vézelay (Yonne), portail de l'avant-nef, XIIe siècle. 

Crédits : Peter Willi/ Bridgeman Images 

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Dans L'Arrestation du Christ (fresque de Vic, XIIe siècle) le hiératisme des formes ne contredit pas le dynamisme de la scène, un dynamisme non descriptif mais qui traverse la structure architectonique de la scène, ce qui est traduit par les mouvements en éventail des robes du Christ et de Judas, confrontés aux spirales des corps des soldats et de la frise ornementale du bas de la composition.

Vers l'an 1000, le monde chrétien vit dans une permanente angoisse de fin du monde. Le Christ-Juge suprême de l'humanité égarée est récurrent. À l'église Sainte-Foy de Conques (XIe-XIIe siècles) on peut lire : « Pécheurs, si vous ne réformez vos mœurs, sachez que vous subirez un jugement redoutable ». À côté de cette iconographie eschatologique, on trouve un Christ attentif aux souffrances des hommes (par exemple sur le tympan central de Saint-Gilles-du-Gard, 1125-1145) ou plein de légèreté et de grâce comme dans L'Apparition du Christ à Marie-Madeleine sur un chapiteau de la cathédrale d'Autun auquel la beauté des plis du vêtement donne un rythme musical et aérien.


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Église Sainte-Foy, Conques (Aveyron), tympan du portail occidental, « Le Jugement dernier », XIe siècle. 

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Il y eut, selon les aires géographiques, une étonnante diversité de conceptions dans la figuration du Christ. Le Christ en gloire catalan de Saint-Clément de Tahull est représenté comme un homme du peuple au visage allongé, avec des traits très accusés, des sourcils brutalement dessinés, un nez fort et droit, des yeux grands et noirs, des cheveux et une barbe ondulés. En Bourgogne, le Christ manifeste un total abandon, une douceur infinie, une noble sérénité (bois polychrome du milieu du XIIe siècle, Louvre, le Christ de VézelayXIIe siècle). Le Christ germanique a un aspect plus réaliste, il est marqué par sa mission tragique (par exemple, le Christ en bois des XIe-XIIe siècles du Kunstmuseum de Düsseldorf, ou celui du Landesmuseum für Kunst-und Kulturgeschichte de Münster).

Sur la Croix, le Christ, le plus souvent, semble – conformément à la tradition orientale – porter l'instrument de son supplice, les mains sont ouvertes et dressées vers le haut (Christ en croix, bois polychromé, XIIe siècle, église d'Arlet (Haute-Loire) ; Christ-majesté de CruillesXIIe siècle, musée diocésain de Gérone ; Christ en croix du tympan de l'église d'Escunau en Espagne, XIIe siècle). Mais on constate l'apparition de crucifixions où le corps du Christ se fait plus affaissé et où les mains sont tournées vers le bas en signe d'accablement, avec – dans plusieurs cas – des gouttes de sang suintant du visage et de tout le corps supplicié (Christ en croix, bois polychromé, fin du XIIe siècle, musée d'Innsbruck ; Torse du Christ du Reliquaire de Pépin, début du XIIe siècle, trésor de Sainte-Foy de Conques ; Christ de Saint-LéonardXIIe siècle, musée de Valère, Sion).

D'une manière générale, les christs romans frappent par leur harmonie entre humain et divin. Leurs yeux, tantôt grands ouverts sur une autre réalité, tantôt fermés, plus en signe de méditation que de mort, disent l'éternité.


Le Christ dans l'art gothique

Dès la fin du XIIe siècle les représentations du Christ se font à la fois plus intellectuelles et plus anthropocentriques. Le XIIIe siècle est dominé par la pensée de saint Thomas d'Aquin, issue d'Aristote et de saint Augustin. Des éléments rationalistes et humanistes transforment l'orientation eschatologique des siècles précédents. Le XIIIe siècle a surtout développé les cycles de l'Enfance (La Nativité du jubé de la cathédrale de Chartres avec un Christ-Enfant harmonieux, richement emmailloté) et de la passion-résurrection, donnant peu de place au cycle de la vie publique du Christ, résumée aux scènes du baptême dans le Jourdain, des noces de Cana, de la tentation et de la transfiguration.


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La Tentation de Jésus au désert, vitrail, XIIIe siècle. Victoria and Albert Museum, Londres. 

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L'innovation la plus marquante est celle du « beau Dieu » qui répond à l'idéal de l'homme éclairé par le savoir, l'intelligence, le rayonnement intérieur. Aux portails des cathédrales, à Amiens, Reims, Chartres, Paris, le « beau Dieu » exprime la douceur, la fermeté et la noblesse. Le plus souvent, comme à Amiens, il foule aux pieds le lion et le dragon, bénit de la main droite et tient de la gauche l'Évangile.

On retrouve les mêmes traits de pure harmonie dans le bel ensemble en pierre du Christ et Saint Jean (env. 1330, Staatliche Museen, Berlin) où se manifeste une grande tendresse humaine dans le geste affectueux de Jésus sur l'épaule du « disciple bien-aimé » dont la tête repose, en total abandon, sur la poitrine du Maître.

Les enluminures des livres d'heures et des psautiers, qui ont connu une grande fortune au XIIIe siècle, proposent de nombreuses figurations de cette nature : Le Christ apparaissant à Marie-Madeleine dans le Psautier de Blanche de Castille (1230, bibliothèque de l'Arsenal, Paris), Onction du corps du Christ du Psautier d'Ingeburge (vers 1200, au musée de Chantilly).

La percée de nombreuses fenêtres dans les murs des cathédrales favorise l'épanouissement de l'art du vitrail et tous les sujets touchant au Christ sont représentés avec un grand raffinement (Couronnement d'épines à la Sainte-Chapelle de Paris, vers 1250 ; Vitrail de la Passion dans la cathédrale de Bourges, vers 1210-1215 ; Le Christ en majesté et laCrucifixion de la cathédrale d'Auxerre, vers 1220...).

Le XIVe siècle poursuivra dans cette voie et verra s'imposer l'iconographie du « Couronnement de la Vierge », qui était apparue vers 1250 (Chartres, Paris, Senlis, Laon, Mantes, Braine, Corbie) où le Christ bénit solennellement sa Mère (idéalisée et très rajeunie à partir de cette époque).

On note que l'expression du Christ dans les « Crucifixions » se fait plus « humaine », plus proche des souffrances réelles d'un supplicié. Dans Le Dévot Christ de la cathédrale de Perpignan (1329) les ravages causés par une longue agonie sont soulignés avec réalisme. On retrouve ces christs douloureux, au corps décharné, en Suède (Calvaire de Tvéta) en Norvège (Le Christ en Croix de Trudheim), en Allemagne (Le Christ sur une Croix fourchue de Gösfeld, vers 1340).

De façon générale, le christ gothique se libère peu à peu du hiératisme intemporel des christs romans, se veut plus « vraisemblable », plus « naturel » dans les proportions, les attitudes, les gestes, dans les drapés des vêtements, plus amples et variés.


Les icônes russiennes et russes

Du XIIe au XIVe siècle, moment où se forme la Moscovie, première étape de la future Russie, puis de l'Empire russe, les maîtres grecs dominent la production iconographique de la « Rouss kiévienne » à partir du XIIe siècle. Bien entendu, l'art russien est une branche de l'arbre byzantin, mais, dès le début, il propose une image moins sévère, moins sombre de l'icône du Christ, comme on peut le constater dans une œuvre comme Le Christ aux cheveux d'or du Kremlin (XIIe siècle), plein de lyrisme et de suavité spirituelle. De même la Sainte Face de l'école de Vladimir-Souzdal(XIIe siècle, galerie Trétiakov, Moscou) baigne dans une lumière dorée, les proportions sont harmonieuses comme les ondulations de la chevelure et de la barbe, les yeux légèrement décalés manifestent dans la sérénité la divino-humanité.

À partir du « Christ en majesté » de la Déisis qui surmonte l'iconostase, cette barrière couverte de rangées d'icônes séparant les fidèles du sanctuaire qui se consolide de façon spécifique en Russie moscovite du XIVe siècle au XVIe siècle, on en est arrivé à sa figuration emblématique sous la forme d'un ange de feu, incarnation de la Sophia divine. De tels sujets théologiques apparaissent en Moscovie dès le XIVe siècle : Le Grand PrêtreL'Œil toujours vigilantLe Fils uniqueLe Verbe de DieuL'Œil de la fureur, etc.

L'image du Christ diffère selon les écoles (Novgorod, Pskov, Tver, Rostov-Souzdal, Moscou). Il suffit de comparer les œuvres des trois illustres peintres de la grande époque de l'icône russe : le Pantocrator (1378) dans la fresque du Sauveur à la cathédrale de la Transfiguration de Théophane le Grec, à Novgorod, garde des accents byzantins avec une violente et nerveuse expression de la touche picturale ; en revanche, quelques années plus tard, Le Sauveur de Zvénigorod (vers 1400, galerie Trétiakov, Moscou) d'AndreïRoublev reflète un type anthropologique d'homme russe qui exprime l'harmonie et la sérénité. Dans cette icône est concentré tout l'idéal de beauté de l'homme russe. Tout en observant les proportions des volumes, Roublev resserre les yeux, le nez, la bouche, ce qui donne un caractère à la fois austère, mystique et lyrique à son œuvre ; l'icône de la Crucifixion de Maître Denis [Dionissii] (vers 1500, galerie Trétiakov, Moscou) manifeste un art gracieux, élégant, délicat à la limite du maniérisme.


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Andreï Roublev: «Le Sauveur». Détrempe sur bois, vers 1420. Galerie Tretiakov, Moscou. 

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On trouve le tracé linéaire du corps, au lieu du modelé régulier, avec des coloris éclatants et une fraîcheur toute « paysanne » dans des œuvres comme La Descente de croix (école du Nord, fin du XVe siècle, galerie Trétiakov, Moscou), ou bien La Cène (école du Nord, fin du XVe siècle, musée d'Art russe, Kiev).

Peu à peu l'influence italianisante (la manière « franque ») avec l'introduction de l'illusionnisme perspectiviste et du mimétisme réaliste vient rompre l'équilibre miraculeux qu'avait maintenu l'icône russe jusqu'au XVIe siècle. L'archiprêtre vieux-croyant Avvakoum fulmine contre les figures du Christ chez Simon Ouchakov (Sauveur Acheiropoïète, 1678, galerie Trétiakov, Moscou), qui a un caractère plus douceâtre, plus charnel aussi que toutes les représentations du passé : « Dieu a permis la prolifération d'une peinture d'icônes fautive en Russie [...] On représente le Sauveur Emmanuel avec un visage bouffi, une bouche vermeille, des cheveux bouclés, des bras et des muscles épais, et son aspect général est celui d'un Allemand, à cela près que l'on n'a pas attaché de sabre à sa ceinture. »

L'écrivain Nicolas Leskov a souligné en plein XIXe siècle, en opposition avec l'art religieux occidental et sa variante réaliste russe, l'absence de tout sensualisme dans la représentation orthodoxe russe de la face du Christ qui « a une expression mais point de passions [...] Ses traits sont à peine indiqués mais l'impression qu'on en a est complète. Il a, c'est vrai, un air quelque peu paysan mais malgré cela vénération lui est due » (Au bout du monde, 1875).

Le retour à la tradition russienne ou russo-byzantine se fera au XXe siècle. Le moine Grégoire Krug (1908-1969) a créé de nombreuses images du Christ : leur tonalité brune et la vigueur expressive du trait, dans la lignée de Théophane le Grec, s'y allient à une extrême harmonie du visage du Sauveur dont l'humanité bienveillante nous permet d'avoir un certain accès au divin. À l'ermitage du Saint-Esprit au Mesnil-Saint-Denis, on peut admirer des icônes et des fresques représentant le Christ, exécutées dans les années 1960 par Grégoire Krug : Le Mandylion à la Sainte Face (1969), le PantocratorLa Descente aux enfers (Anastasis), Ne te lamente pas sur moi, Mère. Ici, comme l'écrit Mahmoud Zibawi dans L'Icône. Sens et histoire, « au sein d'un monde sécularisé, la Byzance spirituelle retrouve [son] souffle irénique ».


Réformes en Occident


Naissance de l'humanisme

À la fin du XIIIe siècle, en Italie, l'esthétique dominante venue de Byzance, commence à être transformée, dans la représentation du Christ aussi, par un souci de plus de réalisme et d'expression psychologique. C'est ainsi que le Crucifix peint par Cimabue (musée des Offices, Florence), comme celui de l'église San Domenico, à Arezzo (1260-1265), est fait de pathétique et de recherche plastique. Son disciple, Giotto, a illustré la vie et la passion du Christ dans la chapelle des Scrovegni à Padoue, imposant une vision du Sauveur plus « sociologique », plus narrative aussi dans son lyrisme. Ami de Dante, Giotto s'intéresse dans ses représentations à l'expression des sentiments humains.


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Cimabue, Crucifix. Tempera sur bois. 336 cm x 267 cm. Église Saint-Dominique, Arezzo, Italie. 

Crédits : De Agostini/ Getty Images

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Intérieur de la chapelle des Scrovegni à Padoue. Fresques de Giotto, vers 1305. 

Crédits : Antonio Quattrone/ Archivio Quattrone/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

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Devant le Sanhédrin qui l'a fait arrêter, Jésus s'est déclaré «fils de Dieu». Pour un tel blasphème selon la loi juive, le grand prêtre Caïphe arrache ses vêtements. Giotto, Jésus devant Caïphe, fresque du cycle des Histoires du Christ, vers 1303-1305. Chapelle des Scrovegni, Padoue,... 

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Giotto (1266 env.-1337), Le Rêve de Joaquim, vers 1305, fresque. Chapelle des Scrovegni, Padoue, Italie. 

Crédits : Raffaello Bencini/ Bridgeman Images

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Les figures du Christ du dominicain Fra Angelico sont remarquables par la richesse de la polychromie, la délicatesse des coloris, la beauté céleste des traits (fresques du couvent San Marco, à Florence).

À Sienne, Duccio di Buoninsegna, tout en restant fidèle au hiératisme mystique byzantin, en assouplit cependant les modelés et introduit une gamme colorée personnelle (L'Incrédulité de saint ThomasLa Dormition de la Vierge, début du XIVe siècle, musée de l'Œuvre de la cathédrale de Sienne)


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Duccio di Buoninsegna: «Descente de croix», vers 1310. Détrempe sur bois. Museo dell'Opera Metropolitana, Sienne. 

Crédits : Erich Lessing/ AKG

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Entre le XIIIe et le XVe siècle, les images du Christ produites par les nombreuses écoles italiennes sont le reflet d'une époque riche en grands poètes, en philosophes, en théologiens et en érudits. Le Christ a un aspect noble, impassible, des traits réguliers, des habits aux couleurs harmonieuses. C'est un Christ adapté à la nature chatoyante, au climat tempéré, à la lumière transparente de l'Italie centrale. On trouve ces traits de grâce, d'élégance, de délicatesse, chez Simone Martini, ami de Pétrarque. Dans La Vierge et l'Enfant du Palais communal de Sienne (1315), l'Enfant est un bambino blond qui bénit d'une main et tient un rouleau dans l'autre. Chez les frères Pietro et Ambrogio Lorenzetti, ou chez Masaccio dans sa Crucifixion (XVe siècle, musée de Capodimonte, Naples) où l'expression d'apaisement du Crucifié contraste avec les attitudes et les expressions de profond désespoir de la Vierge, de saint Jean et de Marie-Madeleine.

Chez Piero della Francesca (Le Baptême du Christ, National Gallery, Londres, La Flagellation du Christ, Galerie nationale des Marches, UrbinLa Résurrection du Christ, Palais communal de Borgo San Sepolcro), le Christ s'humanise certes, son corps est modelé, mais il garde conceptuellement de l'héritage byzantin le refus du narratif anecdotique ou sensualiste pour ne laisser apparaître que l'élément d'éternité.

L'art provençal a produit deux chefs-d'œuvre du gothique tardif : La Pietà d'Avignon (vers 1457, Louvre) et Le Couronnement de la Vierge (vers 1454, Louvre) d'Enguerrand Quarton. Chez ce dernier les deux personnages aux traits identiques qui couronnent la Vierge sont à la fois le Père et le Fils, ils incarnent la beauté, la bonté, l'harmonie. Quant au Christ de La Pietà d'Avignon, son corps supplicié irradie l'espérance de la vie éternelle et de la résurrection plutôt que l'horreur d'une mort ignominieuse.

Dans les livres d'heures du XVe siècle, ceux des frères Limbourg (musée Condé de Chantilly), de Jean Fouquet (Livred'heures d'Étienne Chevalier), ou du Maître des Heures de Rohan (Bibliothèque nationale de France), le Christ est paré de tous les feux polychromes d'un art décoratif raffiné et subtil.


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Maître des Heures de Rohan, Lamentation, enluminure, vélin. Bibliothèque nationale de France, Paris. 

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Dans la tapisserie aussi le thème du Christ est élaboré avec une grande variété et beaucoup de raffinement (fils d'or et d'argent mêlés à la laine). On peut citer ici L'Apparition du Christ à Marie-Madeleine dans l'église de La Chaise-Dieu ou encore Le Christ assis devant l'autel aux sept chandeliers d'or (XIVe siècle) dans l'Apocalypse d'Angers avec sa vision ésotérique et eschatologique.

Dans les pays flamands, après le caractère dramatique de La Descente de Croix de Rogier Van der Weyden (Prado), se forma une image d'un Jésus familier, proche des humbles et moins des grands théoriciens de la théologie. Ce Christ des petites gens incarne l'aspiration d'hommes solides, laborieux, qui unissaient le Rédempteur à leur vie de tous les jours, lui faisant partager leurs malheurs et leurs joies pendant les temps difficiles de l'invasion étrangère. Il en est ainsi dans La Cène de Dieric Bouts (1464-1467), ou Les Noces de Cana (vers 1500-1510) de Gerard David.

Du Christ de Bosch émanent pureté et innocence face aux grimaces de la comédie humaine (Christ portant sa croix de l'Escurial, Le Christ aux outrages, le Christ entre Adam et Ève dans le panneau central du Jardin des délices (Prado) ou le Christ au centre de la Table des péchés capitaux (vers 1489, Prado).

Dans La Montée au Calvaire de Bruegel l'Ancien (1564), l'aventure tragique du Fils de l'Homme apparaît comme un fait banal perdu au milieu des occupations de la vie quotidienne que cet événement ne vient pas interrompre.

Dans les pays germaniques, le Christ est représenté le plus souvent comme affreusement éprouvé par les souffrances de la Passion. Son corps est couvert de plaies d'où ruisselle abondamment le sang. Il ploie sous le poids de la Croix et les coups de ses bourreaux. Il en ainsi du Couronnement d'épines du Maître de la Passion de Karlsruhe ou de la Crucifixion de Hans Schäufelein. La scène de la crucifixion est rendue avec une violence extrême dans le Retabled'Issenheim de Matthias Grünewald (vers 1510). Les mains et les pieds crispés et convulsés, les gouttes de sang réparties sur le corps comme des taches de lèpre donnent de la tragédie du Calvaire une image saisissante de réalisme. Quant au Christ au tombeau de Holbein le Jeune, il exhibe un corps en train de se décomposer. Après avoir vu cette œuvre en 1867, Dostoïevski s'est exclamé : « Devant un tel tableau on peut perdre la foi. »


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Matthias Grünewald: «La Résurrection». Retable d'Issenheim, premier volet droit extérieur. Huile sur bois, 1512-1515. Musée Unterlinden, Colmar. 

Crédits : Erich Lessing/ AKG

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Triomphe de l'humanisme, maniérisme et théâtralité et 

Pendant la Renaissance, la tradition du Christ-icône a tendance à être supplantée par une représentation d'un Christ-tableau religieux. On revient à l'idéal de la beauté antique en opposition à la prétendue obscurité du Moyen Âge. Le Christ est plus proche d'un philosophe du Banquet de Platon dans La Cène de Léonard de Vinci que du Jésus de l'Évangile. La Tête du Christ de Michel-Ange est celle d'un jeune dieu, son Christ du Jugement dernier rappelle un Jupiter ou quelque dieu païen dans toute sa splendeur athlétique. Avec la Renaissance, l'artiste ne s'inscrit plus en effet dans la tradition des canons figuratifs définis par le dogme ou admis par toute la communauté ecclésiale.


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Réalisée à la suite d’une commande du duc de Milan, Ludovic Sforza, qui souhaitait faire de Santa Maria delle Grazie le mausolée de sa famille, La Cène connut une gestation difficile. De plus, la technique choisie par Léonard de Vinci, qui utilisa de la peinture à l’huile, entraîna... 

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Le Christ est placé dans des paysages mi-réels mi-fantastiques, comme dans Christ priant dans le jardin de Mantegna (musée des Beaux-Arts de Tours). On cherche l'illusion de la réalité par l'emploi systématique de la perspective dite « scientifique ». Le génie individuel interprète selon ses propres critères esthétiques et philosophiques le sujet christologique. Raphaël souligne la beauté surnaturelle du Sauveur et sa suprême sagesse, par exemple dans La Dispute du Saint-Sacrement. Si les Vierges de Léonard, de Raphaël ou de Botticelli sont de jeunes et jolies Madones, l'Enfant qu'elles tiennent ressemble fort à Cupidon (La Madone SixtineLa Madone du Grand-DucLa Belle Jardinièrede Raphaël, ou La Vierge aux rochers de Léonard, La Madone à la grenade ou La Vierge trônant avec les saints de Botticelli). C'est le cas aussi de La Madone au Rosier de Bernardino Luini (vers 1525, pinacothèque de Brera, Milan).

Chez les peintres vénitiens, on trouve le même souci d'offrir la vision d'un Christ au corps gracieux, aux modelés féminins et rappelant même – dans La Lamentation sur le Christ mort de Carpaccio – quelque Orphée exténué. Pour Véronèse (Jésus et le CenturionLes Noces de CanaLa Cène chez Lévi), ou pour Tintoret (La Femme adultère devant le Christ) le Christ s'inscrit dans le pittoresque d'une narration mi-biblique mi-historique, dans un décor d'architectures à colonnes et dalles en marbre, accompagné de personnages vêtus de riches étoffes. L'irréalisme d'un Christ évangélique à la tunique lumineuse au milieu d'un paysage vibrant de vérité marque une œuvre comme La Transfiguration de Giovanni Bellini (Galerie nationale de Capodimonte, Naples).

De façon générale, à partir de la Renaissance, s'installe une image du Christ comme personnage principal d'une histoire théâtrale restituée dans sa couleur locale, ce qui permet de faire valoir la virtuosité de la technique picturale.

En Espagne, le Greco donne à son Jésus portant la croix un regard halluciné, mystique, tout irradié de lumière. Démesurément allongé comme dans l'Espolio de la cathédrale de Tolède, le corps du Christ est dans une position extatique, une main sur la poitrine et la tête renversée vers le ciel. Cet allongement des formes se fait maniériste dans une œuvre comme La Très-Sainte-Trinité du Prado (1577-1579). Le mysticisme baroque du Greco se traduit tout particulièrement dans La Résurrection du Christ (1605-1610, Prado) où la verticalité du corps nu du Sauveur flotte dans un état d'apesanteur. La théâtralité des œuvres du Greco est animée d'un souffle visionnaire.



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De 1570 à 1614, Greco donne quatre versions de cet épisode tiré des Évangiles et qui revêt un sens particulier dans le contexte de la Contre-Réforme. Par son usage de la couleur, la place de l'architecture qui rappelle des œuvres tant vénitiennes que romaines, cette peinture concentre les... 

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Dans Le Christ gisant du sculpteur Gregorio Hernández (début du XVIIe siècle, Musée national de Sculpture, Valladolid), le réalisme du sang coagulé, de la bouche et des yeux mi-ouverts dans le figement de la mort, atteint un vrai pathétique. Dans La Flagellation et Le Christ en croix de Velázquez, il ne reste que le théâtral. Ni Zurbarán, ni Murillo ne sauront retrouver la vision d'un Christ inspiré. Il faut attendre Goya, par exemple dans L'Arrestation du Christ, pour avoir une conception du Fils de l'Homme comme symbole des souffrances de la condition humaine, annonçant ainsi les interprétations du XXe siècle.

C'est à Rembrandt que revient, au XVIIe siècle, d'avoir créé une image à la fois humaine et mystique du Rédempteur. Son œuvre Les Pèlerins d'Emmaüs avec son jeu d'ombres et de lumières en est le meilleur témoignage. Dans ses eaux-fortes ou ses burins, le Christ est omniprésent : dans Le Golgotha par exemple ou Les Trois Croix, c'est toujours la victoire de la lumière sur les ténèbres. Ce souffle religieux peut sembler se perdre dans les formes tumultueuses et pathétiques de la Pietà ou de L'Érection de la Croix de Rubens.


Entre académisme et mysticisme

En France, pendant le Grand Siècle, la plupart des artistes en vue produisent des christs de commande, académiques et fades du point de vue de l'expression religieuse, bien que toutes les ressources d'une bonne technique soient mises à l'œuvre (Poussin, Le Sueur, Le Brun, Vouet). Deux peintres cependant se distinguent à cette époque par leur interprétation mystique de la figure de Jésus. Chez Philippe de Champaigne, il n'y a aucune recherche de l'effet mais une austérité spirituelle qui nous rappelle les liens du peintre avec les jansénistes de Port-Royal. Chez Georges de La Tour, le Nouveau-Né du musée de Rennes, comme L'Adoration des bergers du Louvre contiennent à la fois une saisissante réalité et une spiritualité profonde dont l'essence mystique vient de l'Enfant emmailloté vers lequel converge la lumière.

Au XIXe siècle, les christs d'Ingres, de Delacroix, de Chassériau, de Carrière ne sont que des exercices de style. Ils ne sont, spirituellement parlant, que les ombres des christs antérieurs. Quant à l'abondante production saint-sulpicienne, elle donne des représentations du Christ stéréotypées, totalement affadies et sans aucune vigueur ni esthétique ni théologique.

Odilon Redon (Le Christ du Sacré-Cœur) ou le très beau Christ jaune de Gauguin (1889, Albright Art Gallery, Buffalo) possèdent une touche mystique moderne empreinte de primitivisme ; chez Maurice Denis, dont la thématique chrétienne est une part essentielle de l'œuvre, s'ajoute une note d'idyllisme.

En Russie, les réalistes engagés « ambulants » de la seconde moitié du XIXe siècle interprètent le Christ à la lumière des lectures sociopolitiques des évangiles. Dans Le Christ au désert de Kramskoï (galerie Trétiakov), c'est un intellectuel solitaire et abandonné de tous qui est représenté. Pourtant une voie royale avait été tracée par Alexandre Ivanov, auteur d'une académique Apparition du Christ au peuple (galerie Trétiakov), dans l'imposant cycle d'aquarelles intitulé Esquisses bibliques, le monument le plus important depuis Rembrandt consacré à l'interprétation des sujets de l'Écriture ; dans soixante-huit aquarelles de cette série, le Christ apparaît sous un aspect à la fois humaniste, mystique et visionnaire.

Il revient à Nicolas Gay (1831-1894), interprète des idées de Tolstoï sur le Christ – considéré comme l'homme le plus sublime qui ait jamais existé mais pas comme Dieu – d'avoir accentué, dans un naturalisme vigoureux, le caractère déformé et horrible du corps supplicié sur la Croix (voir, par exemple, la Crucifixion du musée d'Orsay).


Peinture moderne et contemporaine

Jung remarque que le Christ symbolise le moi et qu'il est une projection du moi. C'est ce qui caractérise d'une façon générale l'iconographie du Christ au XXe siècle.

Dans les mouvements fauviste et expressionniste, Emil Nolde, en Allemagne, et Georges Rouault, en France, créeront des images du Sauveur d'une grande force. Chez Nolde, c'est le Galiléen, le Sémite, qui nous renvoie à un temps originel. Chez Rouault, le Christ prend sur ses épaules le mystère des douleurs de l'humanité qui lui crie « Miserere ! ».

À la fin des années 1920, le peintre russe Malévitch reviendra à des images christiques avec ses têtes de paysan qui tiennent de l'Acheiropoïète et du Pantocrator. Quant à Jawlensky, il donnera une série de visages du Christ réduits à quelques traits ou à de larges touches dans ses Méditations. Chez lui, la face du Christ est à la fois croix et fenêtre s'ouvrant sur le monde spirituel. Le catholique « tridentin » Dalí a plusieurs fois abordé le sujet du Christ, parfois même de façon blasphématoire. Son Christ de Saint-Jean-de-la-Croix, qui reprend un dessin cursif du grand mystique d'Avila, porte sur sa nuque, tel un nouvel Atlas, le monde entier.

Quant à Chagall, il a figuré la crucifixion dans vingt-six de ses œuvres ; pour lui, le Christ est un prophète juif qui symbolise la souffrance de son peuple.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, le Christ deviendra un thème qui sera exploité par les peintres croyants ou non croyants. Chez le catholique Zadkine ou dans la Crucifixion en métal (1960) conçue en Union soviétique par le sculpteur orthodoxe Maxime Arkhanguelski, il y a le souci de perpétuer dans les formes de la modernité l'image toujours vivante du Christ.

Un rôle capital fut joué en France par la revue L'Art sacré des pères dominicains Regamey et Couturier entre 1937 et 1954, qui firent appel aux artistes novateurs de leur temps sans considération d'appartenance religieuse. La Crucifixionde Matisse, comme le dialogue Bacon-Picasso sur ce sujet, sont la marque, sinon d'une adhésion à une foi précise, du moins du respect pour une forme esthético-spirituelle porteuse d'une vérité humaine provenant du plus profond de la culture européenne. Chez l'Allemand Eugen Schönebeck (Crucifixion, 1963, coll. Dr Rabe, Berlin ; Sans titre (Crucifixion), 1963, Berlinische Galerie, Berlin), ou bien chez l'Espagnol Antonio Saura, il ne s'agit pas de la tradition chrétienne ou d'autoportraits christiques, mais d'un témoignage venant du tréfonds de la communauté humaine. Dans les dernières décennies du XXe siècle, on note la présence insistante du thème christologique chez de jeunes artistes comme Jean-Michel Alberola dans son cycle Étudier le corps du Christ ou chez Robert Combas dans de nombreuses petites sculptures ou dans des peintures comme la Crucifixion avec les deux larrons ; chez l'artiste catholique ou chez l'agnostique, le thème du Crucifié est celui de l'identification à la Passion de l'Artiste lui-même et, à travers elle, celui de la condition humaine.

—  Jean-Claude MARCADÉ


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POUR CITER L’ARTICLE

Joseph DORÉ, Pierre GEOLTRAIN, Jean-Claude MARCADÉ, « JÉSUS ou JÉSUS-CHRIST », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 28 juin 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/jesus-jesus-christ/

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