Les fêtes patronales, une existence eschatologique et l’ouverture à une éthique baptismale
les fêtes patronales, une existence eschatologique
et l’ouverture à une éthique baptismale
Les fêtes patronales sont un lieu d’annonce du mystère pascal, un lieu où le peuple chrétien professe la foi en Jésus Christ, mort et ressuscité. Mais cette confession de foi n’est-elle pas eschatologique ? Le Christ dans son mystère pascal n’est-il pas l’avenir de l’homme et de l’humanité entière ? Jésus, sorti vivant du tombeau n’est-il pas entré dans la gloire de son Père pour assurer éternellement notre avenir ? Comme le souligne la première préface de l’Ascension, « il ne s’évade pas de notre condition humaine : mais en entrant le premier dans le Royaume, il donne aux membres de son corps l’espérance de le rejoindre un jour ». Le terme « espérance » a une profondeur pascale et eschatologique. Joseph Ratzinger souligne que dans la résurrection, un saut ontologique a été réalisé[1]. Par rapport à ce saut ontologique, il précise : « Ce saut ontologique concerne l’être en tant que tel et ainsi a été inaugurée une dimension qui nous intéresse tous et qui a créé pour nous tous un nouveau milieu de vie, de l’être avec Dieu »[2]. Le Christ ne se sépare pas de nous. Notre humanité est déjà présente au cœur de la Trinité. Ce nouveau milieu de vie dont parle Joseph Ratzinger est le Royaume. Tel est l’avenir de l’homme.
Dans la profession de foi pascale, le peuple de Dieu se trouve dans un « entre-deux », le monde présent et le monde à venir qui est l’accomplissement du don de l’amour de Dieu pour toute l’humanité qui se donne déjà à vivre dans ce monde présent (les bienfaits du mystère pascal du Christ dans la vie de l’Église, des baptisés et dans l’histoire). C’est un déjà là et un pas encore. Ce déjà là et ce pas encore, s’interpénètrent et en même temps se distancient. La foi pascale se situe dans ce mouvement. Et les fêtes patronales l’expriment fort bien en nous montrant que les fruits du mystère pascal du Christ travaillent en nous, mais en même temps, ils nous font tendre vers le but de notre vie : le salut définitif, le monde nouveau que le Christ pascal viendra inaugurer dans l’histoire.
Les fêtes patronales nous font expérimenter une Église qui pérégrine vers l’aboutissement de sa sainteté. En fait, c’est la destinée de tous les baptisés qui se profile quand, dans la célébration des fêtes patronales, l’Église, mère et éducatrice de la foi, présente les saints comme modèles. Car les saints témoignent que la foi pascale professée dans l’Église et par l’Église est une réalité dynamique qui nourrit notre espérance. Ils sont en Dieu pour toujours parce que le mystère pascal du Christ est accompli une fois pour toutes en eux, avons-nous déjà souligné. Les fêtes patronales nous proposent de confesser la foi pascale dans cette espérance tant que l’heure eschatologique n’est pas encore arrivée.
C’est toujours avec la matrice du mystère pascal que nous allons essayer d’esquisser une existence eschatologique et l’ouverture à une éthique baptismale des fêtes patronales. Ce projet est ambitieux. Pour cela, nous ne prétendons pas faire une théologie eschatologique des fêtes patronales. Notre propos sera de montrer comment les fêtes patronales avec le versant « résurrection » du mystère pascal proposent une perspective d’avenir pour les chrétiens, comment elles proposent de vivre dans l’espérance et, en même temps, rendre compte de la condition de leur vie baptismale dans le monde, rendre dynamique la foi pascale dans le souffle de l’Esprit qui achève en nous toute sanctification. Pour cela, nous nous référerons à l’Écriture Sainte, aux formulaires et anaphores du missel romain et à quelques théologiens comme Bernard Sesboüé, Hélène Bricout, Joseph Ratzinger, Karl Rahner et Joseph Moingt pour ne citer que ceux-là afin de fonder notre propos[3].
1. Une existence eschatologique
Le danger de notre discours théologique sur le mystère pascal annoncé et célébré dans les fêtes patronales, serait de le séparer de l’eschatologie. Hélène Bricout dans sa relecture de SC 8 souligne que « L’eschatologie appartient à la fois aux ²réalités dernières² qui demeurent ici-bas en espérance, même si elles sont déjà à l’œuvre dans l’existence humaine »[4]. Dans notre parcours, en nous référant à cette réflexion, nous voudrions penser une existence eschatologique à partir de la célébration des fêtes patronales afin de montrer comment elles font vivre en espérance les « réalités dernières » et comment les chrétiens commencent à les vivre dans leur existence humaine. L’eschatologie nous fait tourner vers l’amour infini de Dieu manifesté en Jésus Christ et que l’Esprit vivifie en nous. L’eschatologie nous fait tourner aussi vers la présence de l’Esprit. C’est par son activité dans notre vie, que nous sommes capables de nous tourner vers l’horizon de Dieu et de goûter sa promesse déjà réalisée dans notre aujourd’hui. Donc, notre foi pascale est une foi eschatologique.
Joseph Ratzinger parle de l’eschatologie du présent[5]. Le Christ vient à nous tous les jours (dans les ministères de l’Église, dans sa Parole, dans les sacrements, dans notre vie personnelle etc.). La présence et l’action de l’Esprit Saint rendent présente la Pâque du Christ dans la Pâque des chrétiens. La Pâque du chrétien est une vie dans l’Esprit, selon l’Esprit. C’est la croissance de la sainteté de chaque baptisé, de l’Église. Les fêtes patronales valorisent cette réalité eschatologique de la vie chrétienne car les saints qu’elles nous proposent comme modèles et compagnons de route ont su se laisser porter par le souffle de l’Esprit qui a fait fructifier le mystère pascal en eux. C’est pourquoi les fêtes patronales nous permettent d’accueillir, de vivre, de célébrer et d’annoncer le mystère pascal comme un acte libre de Dieu dans notre histoire et dans notre vie. C’est la liturgie, en particulier l’Eucharistie, qui nous permet de mieux définir l’eschatologie si l’on peut la définir vraiment. L’Eucharistie tout entière nous oriente vers l’eschatologie. Elle fait tourner les croyants vers l’avenir, vers le Christ pascal parce qu’il est « monté au ciel pour nous rendre participants de sa divinité »[6].
Le mystère pascal est un mystère d’engendrement. Il nous relie à la vie du Christ puisque « par sa résurrection d’entre les morts, il nous a donné la vie qui n’aura pas de fin », précise la deuxième préface des dimanches. C’est pourquoi les baptisés qui ont vécu pleinement cet engendrement dans leur vie partagent la gloire du Christ au ciel. Ils vivent la plénitude de la vie en Christ. C’est là que Dieu nous attend, c’est pour cette vie en plénitude que Jésus a livré sa vie, c’est pour cette vie en plénitude qu’il est sorti vivant du tombeau. Il y a un encouragement, une progression pour la foi pascale, pour la vie chrétienne puisque « notre existence périssable devient un passage vers le salut, par le Christ, notre Seigneur »[7]. C’est une espérance dans ce qui est déjà rendu possible dans la mort et la résurrection de Jésus. La liturgie des fêtes patronales nous montre que dans notre existence eschatologique, nous sommes soutenus par tous les baptisés qui sont déjà au ciel pour que « nous courrions jusqu’au bout l’épreuve qui nous est proposée et recevions avec eux l’impérissable couronne de gloire, par le Christ, notre Seigneur »[8]. Les chrétiens doivent vivre leur Pâque chaque jour, suivre le Christ jusqu’à la croix et à la glorification.
Par les fêtes patronales, l’Église propose aux chrétiens l’exemplarité d’une vie pascalisée de manière réussie : la vie du saint Patron lui-même. Elle leur montre ce qui les attend et ce qu’ils commencent à vivre déjà dans le concret de leur vie chrétienne. Cela doit pousser les chrétiens à un parti pris de l’espérance et lui donner une visée pratique[9]. Les fêtes patronales reviennent chaque année, mais chacune d’elles projette les fidèles à un avenir[10]. La démarche participative aux fêtes patronales a une portée eschatologique en elle-même, si l’on comprend l’eschatologie en lien avec le versant « résurrection » du mystère pascal, en incluant la traversée pascale de chaque chrétien dans l’histoire pour enfin s’éterniser avec Celui qui est entré le premier dans la gloire du Père. Nous sommes morts au péché pour récolter ce qui mène à la sainteté, pour aboutir à la vie éternelle (Rm 6, 22). Baptisés dans la mort et la résurrection du Christ, nous recevons le don gratuit de Dieu, la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur (Rm 6, 23).
Les fêtes patronales sont proposées aux chrétiens comme un itinéraire de vie dans le Christ. Cet itinéraire doit être nourri par la Parole de Dieu et les sacrements. Dans cet itinéraire de vie, les chrétiens peuvent avoir tendance à séparer l’événement pascal de sa réalité future. Joseph Moingt nous exhorte à éviter cette séparation[11]. Si nous pouvons envisager l’eschatologie à l’intérieur des fêtes patronales, c’est grâce au versant « résurrection » du mystère pascal du Christ. La résurrection de Jésus, souligne Joseph Moingt, s’effectue en disant son sens : en renvoyant au futur[12]. Ce futur nous concerne car c’est pour nous aussi qu’il est mort et ressuscité, c’est pour nous aussi qu’il est glorifié et c’est pour nous aussi qu’il reviendra dans la gloire. C’est donc la liturgie, en particulier les sacrements, pour reprendre Louis-Marie Chauvet à notre manière, qui évitent aux chrétiens de séparer le mystère pascal de l’eschatologie[13]. La liturgie les appelle à vivre leur vie chrétienne à la lumière de la Résurrection du Christ et « à faire du cheminement sur terre une période de progrès dans la vie spirituelle pour pouvoir accéder à la plénitude eschatologique »[14]. Les participants à la célébration des fêtes patronales peuvent continuer à mener le combat spirituel en suivant les traces de leurs prédécesseurs dans la foi. Ils peuvent apprendre à vivre la dimension pascale de leur vie, c’est-à-dire reconnaître que le Christ est mort et ressuscité pour eux et accueillir cette grâce afin d’entrer dans une vie de béatitudes sans fin. Cela rejoint l’enseignement de saint Paul quand il dit : « Ceux qu’il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu’il a rendus justes, il leur a donné sa gloire » (Rm 8, 30). C’est la condition de la vie baptismale des croyants qui est mise en évidence ici, c’est tout l’enjeu de leur relation avec le Christ. La gloire que le Christ a donnée aux saints, aux membres de son Corps mystique, est le fruit de sa Pâque. Cette gloire nous est donnée « au fur et à mesure que par le baptême et par une vie digne du baptême, nous serons associés à la Pâque du Christ »[15].
La célébration des fêtes patronales peut être l’occasion d’une conversion profonde. Par le témoignage et l’encouragement des saints, les chrétiens sont appelés à faire mourir en eux ce qui n’appartient qu’à la terre (Col 3, 5) pour devenir des hommes nouveaux dans le Christ. C’est un appel à actualiser le mystère pascal du Christ dans leur vie. Les chrétiens et tous ceux qui participent aux fêtes patronales peuvent découvrir leur humanité comme un lieu de grâce, un lieu où le Christ vient habiter pour le sanctifier, mais aussi un lieu « en devenir ». Ils sont appelés à regarder leur propre vie de foi pour l’ajuster à Dieu et continuer à marcher dans l’espérance du salut. La sainteté est un chemin à parcourir. L’existence eschatologique chrétienne est un regard vers la Jérusalem d’en haut. L’existence eschatologique des baptisés est le chemin de la foi pascale. Célébrant le mystère pascal du Christ, les fêtes patronales peuvent jouer un rôle important dans la vie spirituelle des croyants en les aidant à vivre des moments de réconciliation et de miséricorde dans leur vie de foi. S’appuyant sur le Christ et sur le témoignage des saints et de toute l’Église, les chrétiens peuvent progresser dans la foi, courir avec endurance l’épreuve qui leur est proposée car ils seront honorés par le Christ comme les martyrs[16]. Les fêtes patronales sont des occasions d’aider les fidèles à mieux percevoir le dynamisme de la sequela Christi, à découvrir la vie du saint Patron qui peut façonner leur propre vie chrétienne avec une vision eschatologique.
Parlant de la vision eschatologique, les fêtes patronales dans leur déploiement liturgique nous demandent de la sobriété dans notre travail réflexif. Notre discours théologique n’est-il pas limité par rapport au mystère de Dieu qui nous saisit ? L’eschatologie en effet est à mettre en rapport avec la force ressuscitante du Christ qui, par l’Esprit, tire l’histoire en avant en direction de l’accomplissement de la promesse de Dieu, a fait remarquer Louis-Marie Chauvet[17]. Entre la montée du Christ au ciel et son retour glorieux, on peut dire que le mystère pascal est au travail par la puissance de l’Esprit Saint et la mission de l’Église. Ce que nous serons, ne paraît pas encore clairement, mais nous sommes déjà portés par la certitude de la foi. Le Christ mort et ressuscité est là avec nous, mais en même temps, cette présence se fait absence. Notre existence est marquée foncièrement par l’attente de l’accomplissement du mystère pascal. Ainsi donc, les fêtes patronales dans leur prisme liturgique ou célébratif, nous permettent d’accueillir le mystère pascal comme « notre transitus avec le Christ »[18]. C’est chaque jour que nous passons de la mort à la vie, de la tristesse à la joie, de la fatigue au repos jusqu’à ce que nous nous reposions définitivement en Lui. La prière après la communion proposée pour la solennité de tous les saints nous oriente vers cette visée eschatologique : « Quand tu nous auras sanctifiés dans la plénitude de ton amour, fais-nous passer de cette table, où tu nous as reçu en pèlerins, au banquet préparé dans ta maison ». À la lumière de cette prière, nous pouvons comprendre que c’est à partir de l’Eucharistie à un plus haut point (on peut en tenir compte aussi des expressions de la piété populaire, des autres activités spirituelles que nous avons déjà citées) que les fêtes patronales expriment à leur manière le caractère eschatologique de notre vie chrétienne. Les baptisés, soutenus par la liturgie, en particulier par l’Eucharistie, avancent courageusement vers la plénitude de l’amour de Dieu pour participer définitivement à son banquet dans son Royaume.
2. L’ouverture à une éthique baptismale
La vie baptismale est une vie d’engagement avec le Christ dans le monde. Par leur baptême, les chrétiens sont configurés au Christ comme prêtres, prophètes et rois. Toute vie de sainteté est conditionnée par ces trois fonctions formant une seule et même dignité christique. Le chrétien, réalise sa vie éthique baptismale en vivant ou en accomplissant ces trois fonctions dans le monde comme membre de l’Église du Christ (LG 32-38). C’est dans l’Église qu’on reçoit la grâce de la filiation divine et c’est au nom de l’Église et par l’Église qu’on rend témoignage à l’Évangile du Christ au cœur du monde. Ainsi, tout baptisé :
1) Par la fonction sacerdotale, est appelé à offrir le culte spirituel à Dieu, à glorifier Dieu par toute sa vie, à célébrer Dieu en tout et partout. Toute occasion lui est possible pour exercer son sacerdoce baptismal.
2) Par la fonction prophétique, est appelé à travailler pour l’émergence d’un monde nouveau, un monde juste et fraternel ; à annoncer l’Évangile dans sa radicalité pour aider ceux qui le reçoivent à vivre non pas « sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit » (Rm 8, 9).
3) Par la fonction royale, est associé au Christ Serviteur et Lumière du monde pour le salut de tous les hommes ; à combattre le mal, à souffrir avec le Christ pour être avec Lui dans la gloire (Rm 8, 17).
C’est pourquoi, les chrétiens doivent s’entraider et se supporter mutuellement sur le chemin de la sainteté afin de donner le témoignage d’une vie harmonisée avec celle du Christ. D’où l’importance de la communion ecclésiale que nous avons déjà soulignée dans le troisième chapitre de notre travail[19]. Ils doivent puiser à la liturgie dans laquelle et par laquelle ils célèbrent les bienfaits de Dieu et reçoivent le pain de la Parole et de l’Eucharistie. Le chrétien, pour être en bonne santé spirituelle, afin de vivre sa condition de vie baptismale dans le monde, doit pouvoir se nourrir de la Parole, des sacrements et de la prière. C’est là que se joue sa Pâque avec le Christ. Enrico Mazza nous aide à le percevoir : « Le délai entre la mort et la résurrection du Christ et sa venue finale dans la gloire n’est pas un temps mort : c’est le temps de l’Église et des sacrements, notamment de l’Eucharistie »[20]. L’Eucharistie nous situe vraiment dans le déjà là et le pas encore. Elle est eschatologique dans le sens où elle nous fait faire mémoire des actes de salut que le Christ a opérés dans l’offrande de sa vie sur la Croix et dans sa glorieuse résurrection. En ce sens, l’homme et l’histoire trouveront leur accomplissement définitif dans le retour glorieux du Christ. C’est vers ce retour eschatologique que nous oriente l’Eucharistie. Dans chaque Eucharistie, nous nous adressons au Christ en disant: « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ». Il me semble que les fêtes patronales nous permettent d’envisager une éthique baptismale en tenant compte de tout ce que nous venons de dire. La célébration des fêtes patronales a pour but de faire grandir les fidèles dans la dynamique du don, de la diaconie. Ainsi l’exprime la deuxième préface des saints : « car leur exemple nous stimule, et leur prière fraternelle nous aide à travailler pour que ton règne arrive ». Cela concerne l’après de leur participation à la célébration des fêtes patronales. Que peuvent-ils devenir ? Quel témoignage de foi peuvent-ils donner ? Comment appliquer dans leur vie, plus ou moins, les vertus du saint Patron ? C’est dans l’Eucharistie célébrée que les fidèles doivent apprendre à faire de leur vie une liturgie quotidienne. La vie chrétienne est une vie eucharistique, c’est-à-dire une vie qui rend grâce à Dieu pour le mystère du Christ qui s’accomplit aujourd’hui, mais aussi une vie donnée pour la gloire de Dieu et le salut du monde. La vie eucharistique ne va pas sans les trois pôles dont parle Louis-Marie Chauvet : Écriture, sacrement, éthique[21]. Il y a une dimension verticale et horizontale de la vie éthique baptismale : d’abord, la dimension verticale (le service vers le haut) qui vise le rapport du croyant avec Dieu, l’accueil du don de Dieu qui précède toute autre action. Le chrétien cherche à faire correspondre sa vie à la volonté de Dieu. Puis, la dimension horizontale (le service d’en bas) qui vise le prochain. C’est le service du frère. Les deux dimensions ne s’opposent pas. Elles doivent conduire le baptisé à vivre une foi dynamique. Si les fêtes patronales ne poussent pas les fidèles à cette dimension, elles courent le risque d’être infructueuses. Elles doivent les aider à aller aux « périphéries » pour reprendre cette expression du Pape François, pleine d’une portée missionnaire. Les saints sont des gens des « périphéries », c’est-à-dire toujours auprès de nous pour témoigner de l’amour de Dieu et donner à rencontrer le Christ.
Le chrétien, participant aux fêtes patronales, est appelé à travailler pour la justice et la paix, à être sel et lumière pour les autres, bref, à s’engager à faire ce qui est bien, ce qui permettra aux autres de rendre gloire à Dieu. Tout être humain est capable du bien, mais faire le bien au nom de la foi chrétienne est d’un autre ordre. La vie du chrétien « doit être la traduction concrète de son amour inconditionnel pour Dieu et pour les hommes ses frères, et qu’un tel amour représente l’accomplissement parfait de toute la loi »[22]. En disant cela, Karl Rahner n’invente pas une nouvelle loi d’amour. C’est celle du Christ fondée dans l’événement de la croix et de la résurrection. Aimer son prochain comme le Christ a aimé, c’est vivre le mystère pascal dans sa radicalité. En ce sens, les fêtes patronales peuvent conduire les fidèles à créer un équilibre entre leur vie de foi et le service de l’amour, la diaconie. Car les saints sont un bel exemple de l’harmonie entre la foi et la diaconie. La bénédiction pour la fête des saints utilisée dans les fêtes patronales nous le montre : « Qu’il (Dieu) vous bénisse en vous offrant leur aide, afin que vous puissiez vous donner davantage à son service et à celui de vos frères ». Par cette bénédiction, les participants à la célébration des fêtes patronales sont envoyés en mission. Ils sont envoyés témoigner au milieu du monde ce qu’ils ont vécu, à faire comme les saints : être au service de Dieu et au service de leurs frères.
Les saints invitent toujours à un dynamisme de la vie chrétienne, à une synergie entre le culte et l’engagement du chrétien dans le monde. De ce point de vue, il faut reconnaître que « L’œuvre de l’homme ne fait pas nombre avec l’œuvre de Dieu, mais elle est comme assumée dans l’œuvre de Dieu qui est première, comme le rappelle la structure du mémorial »[23]. L’homme n’accomplit pas ses œuvres pour équivaloir à Dieu. Ce qu’il fait est une participation à l’œuvre de Dieu. Tout lui est déjà donné par gratuité. Si l’homme en rendant grâce à Dieu pose des actes d’amour ou de charité envers le prochain et envers la création, c’est pour mieux rester dans le dynamisme de la grâce qui lui est communiquée par Dieu lui-même et « vivre dans ce monde en hommes nouveaux »[24]. De ce point de vue, Joseph Ratzinger n’hésite pas à souligner l’importance de la vigilance. Pour lui, « La vigilance est surtout ouverture au bien, à la vérité, à Dieu, au milieu d’un monde souvent inexplicable et au milieu du pouvoir du mal »[25]. C’est dans cette dynamique que nous pouvons concevoir une dimension éthique de la vie baptismale à travers le prisme liturgique des fêtes patronales. Et cela éviterait de plonger les chrétiens dans une logique de marchandage ou du « donnant donnant » avec Dieu. Ça ne doit pas être « un alibi de bonne conscience » comme l’a souligné Louis-Marie Chauvet, parlant de la dimension éthique de la foi chrétienne[26]. On est porté par la logique du pur don, on reçoit gratuitement, on donne gratuitement. Le culte liturgique des fêtes patronales oriente le chrétien vers une continuité de l’amour dans les actes quotidiens. C’est ainsi que nous l’exprime une collecte pour les saints qui ont exercé une activité caritative : « Accorde-nous de toujours agir avec charité, à l’exemple de saint N., pour être comptés parmi les bénis de ton Royaume ». Il ne s’agit pas d’instrumentaliser la célébration des fêtes patronales au service d’une vie éthique, mais il s’agit d’un réalisme évangélique, d’une cohérence de la vie chrétienne stimulée par le témoignage et l’engagement des saints. En tout cela, le baptisé doit agir avec une grande sobriété pour reprendre cette expression de Joseph Ratzinger en faisant ce qui est juste, non pas selon ses propres désirs, mais selon l’orientation de la foi[27].
Conclusion
Dans cette contribution, notre objectif était de montrer comment le versant « résurrection » du mystère pascal oriente la célébration des fêtes patronales vers une dimension eschatologique et vers une éthique baptismale. Les fêtes patronales peuvent nous conduire à un cheminement eschatologique, c’est-à-dire nous pouvons cheminer dans l’attente impatiente du retour du Christ, de l’accomplissement du Royaume tout en vivant dans le monde notre vie de foi. Nous avons montré que cette attente n’est pas une attente passive, mais active. Cela nous conduit à une vie cohérente, à une éthique baptismale, à concrétiser l’Évangile du Christ dans notre vie. Notre foi pascale se vit et se construit dans le temps, dans la durée : le temps historique et le temps liturgique.
Nous avons souligné que l’eschatologie, l’autre facette du mystère pascal est une vérité de foi qui englobe le chrétien dans sa vie et dans sa mort. Elle englobe également l’Église et l’histoire. Les saints, pour leur part, témoignent de l’ouverture du chrétien à la dimension eschatologique de sa vie, de sa foi en Christ mort et ressuscité. Ainsi, les fêtes patronales sont une invitation adressée au chrétien à avancer dans sa Pâque avec assurance en sachant que son avenir est déjà assumé par un Autre, le Christ : « Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jn 14, 3). Ce ne sont pas les actes moraux ou éthiques que fait le chrétien qui déterminent son avenir eschatologique, même s’ils contribuent à l’accueillir, mais c’est un acte libre de Dieu accompli en Jésus Christ dans son mystère pascal. Notre avenir eschatologique est déjà rendu possible par Celui qui est entré le premier dans la gloire de son Père avons-nous déjà souligné. C’est grâce à Lui, que tous ceux qui sont plongés dans sa mort et sa résurrection pourront y entrer. En ce sens, les saints nous stimulent et nous servent de modèles. Les saints nous apprennent à vivre le dynamisme eschatologique de notre vie pascale. Nous n’accèderons pas au Royaume comme on accède à une soirée dansante parce qu’on a payé son billet. Nous y accèderons parce que c’est la volonté même de Dieu de nous rendre participants de sa propre vie. Nous y accèderons parce que le Christ et nous sommes un. Voilà ce que les fêtes patronales nous ont fait découvrir par le versant « résurrection » du mystère pascal en célébrant les saints.
Père Diesel PHAT
[1] J. Ratzinger, Jésus de Nazareth, la figure et le message, Paris, Parole et Silence, « Oeuvres complètes » 6/1, 2014, p. 586.
[2] Id.
[3] B. Sesboüé, La résurrection et la vie, op. cit. ; Hélène Bricout, « La liturgie terrestre, participation à la liturgie céleste », op. cit. ; J. Ratzinger, Jésus de Nazareth, la figure et le message, op. cit. ; K. Rahner, Traité fondamental de la foi, études sur le concept du christianisme, Paris, Cerf, « Oeuvres » 26, 2011 ; J. Moingt, L’homme qui vient de Dieu, Paris, Cerf, « Cogitatio fidei » 176, 1993.
[5] J. Ratzinger, Jésus de Nazareth, la figure et le message, p. 597. L’auteur citant un commentaire de saint Bernard de Clairveaux montre que le temps intermédiaire (le temps que nous vivons) n’est pas un temps vide. Le Christ vient à nous à tous les instants de notre vie même si nous attendons sa venue définitive.
[6] Deuxième préface de l’Ascension.
[7] Missel romain, 3e préface des dimanches, p. 491.
[8] Première préface des saints, Missel romain, p. 510.
[9] Voir J. Caillot, « Eschatologie et liturgie : les résonnances de l’espérance », LMD 220, 1999/4, 7-22, p. 13.
[10] En Haïti, il est coutume que le curé de la paroisse, à la fin de la célébration eucharistique de la fête patronale prononce le mot de remerciement. En terminant, il souhaite toujours aux pèlerins un bon retour chez eux et les invite à revenir l’année suivante pour célébrer la même patronale.
[11] Voir J. Moingt, L’homme qui vient de Dieu, p. 297.
[12] Id.
[13] Voir L.-M. Chauvet, « Eschatologie et sacrement », LMD 220, 1999/4, 53-71, p. 57.
[14] R. Winling, « Place du mystère de la résurrection du Christ dans la théologie patristique », Connaissance des Pères de l’Église (CPE), 93, mars 2004, p. 58.
[15] A.-M. Roguet, « Qu’est-ce que le mystère pascal », p. 17.
[16] Voir Saint Cyprien, A Fortunatus, de l’exhortation au martyre, XII. Textes choisis et présentés par Denys Gorce, Belgique, Les Éditions du Soleil Levant, « Les écrits des saints », 258, 1961, p. 187.
[17] L.-M. Chauvet, « Eschatologie et sacrement », LMD 220, 1999/4, 53-71, p. 70.
[18] Ce vocabulaire est de Louis-Marie Chauvet. Voir son article « Eschatologie et sacrement » déjà cité à la page 66.
[19] Cela fait apparaître deux réalités inhérentes à la vie de l’Église : les ministères et les charismes. La célébration des fêtes patronales dans tout ce qui constitue sa liturgie, fait émerger ces principes ecclésiaux qui ne sont pas décalés par rapport au versant « mystère pascal ».
[20] E. Mazza, « La dimension eschatologique des prières eucharistiques actuelles », LMD 220, 1999/4, 89-104, p. 91.
[21] Nous ne les reprenons pas ici de manière détaillée. Voir L.-M. Chauvet, Symbole et sacrement, p. 167-194.
[22] K. Rahner, Traité fondamental de la foi, études sur le concept du christianisme, p. 533.
[23] P. Prétot, « La liturgie et son potentiel de formation éthique », Revue d’éthique et de théologie morale, Paris, HS/2008 (n. 251), 147-162, p. 154.
[24] Missel romain, prière après la communion pour le commun des saints religieux, p. 838.
[25] J. Ratzinger, Jésus de Nazareth, la figure et le message, p. 595.
[26] L.-M. Chauvet, Symbole et sacrement, p. 181.
[27] Voir J. Ratzinger, Jésus de Nazareth, la figure et le message, op. cit., p. 595.
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