LES SACREMENTS : SIGNES DU SALUT AU MILIEU DE L’HUMANITÉ
LES SACREMENTS : SIGNES DU SALUT AU MILIEU DE L’HUMANITÉ
Le but de cette étude est de montrer en quoi et comment les sacrements sont signes de salut au milieu de l’humanité. En postulant cela, nous voulons les penser comme dimension constitutive de l’existence chrétienne, comme des expressions symboliques qui donnent à voir et à vivre ce qui façonne la vie chrétienne : le Mystère pascal du Christ. Pour atteindre ce but, nous commencerons par une courte analyse des sacrements comme médiation symbolique[1]. Dans une deuxième partie, nous essayerons d’étudier les sacrements comme efficacité symbolique de la Parole. Troisièmement, pour finir, nous aborderons l’enjeu pastoral des sacrements comme réalité symbolico-rituelleau milieu de l’humanité.
Les sacrements comme médiation symbolique
Parler des « sacrements comme signes de salut au milieu de l’humanité » nous demande d’apporter une précision importante dans notre démarche théologique. Suivant la ligne de pensée de Louis-Marie Chauvet, que nous trouvons assez judicieuse, nous croyons qu’il est préférable d’envisager ou de parler des sacrements en terme de « symbole » plutôt que de « signe »[2]. En effet, la notion de symbole traduit beaucoup mieux la réalité théologico-ontologique de l’alliance que comporte le sacrement. Le sacrement nous renvoie toujours au-delà du visible, du matériel et du tangible. Comme symbole, le sacrement engage toute l’existence du croyant. De plus, la dimension célébrative du sacrement invite le croyant à vivre son présent dans l’Aujourd’hui éternel de Dieu sans le détacher de son passé ni perdre de vue la vision de sa marche vers le lieu de sa pleine réalisation, la Jérusalem céleste. Cela est tellement vrai, que le sacrement est capable de tenir conjointement et le « déjà là » et le « pas encore » : la dimension eschatologique des sacrements. D’où la raison pour laquelle la rationalité théologico-liturgiquedes sacrements nous donne, à la manière du symbole, à penser et de quoi penser pour devenir ce que nous devons être et ce que nous recevons d’eux[3].
Cela étant, le caractère historico-salvifique des sacrements est à revaloriser dans les études de théologie sacramentaire. Parler des sacrements comme « signe » ou « symbole » de salut au milieu de l’humanité, c’est prendre conscience de la dimension d’échange et d’alliance des sacrements, où la part de l’homme n’a de valeur que parce que Dieu se fait Don gratuit. La part de l’homme n’est que la réception du don qui le pousse à l’action de grâce, à la reconnaissance puisque les sacrements sont la célébration de « l’Alliance qui prend corps dans l’humanité »[4]. À la lumière de l’approche de Benoît XVI sur l’éroset l’agapè[5], nous pouvons dire que dans toute célébration sacramentelle, il existe une relationsponsale et dialogale entre Dieu et l’homme. Dans les sacrements, « l’érosde Dieu pour l’homme est, en même temps, totalementagapè »[6]. Ce faisant, les sacrements s’attestent, en termes de médiation symbolique, non seulement comme don gratuitde Dieu, mais aussi comme moyen de salut[7].C’est-à-dire que par la médiation sacramentelle, Dieu s’engage résolument dans l’action de l’homme en faveur de l’homme. Il s’agit de l’efficacité ex opere operatodes sacrements. En conséquence, les sacrements donnent à l’homme de quoi recevoir la grâce de Dieu pour son bien et pour celui de toute l’humanité.
Les sacrements : efficacité symbolique de la Parole
Penser les sacrements comme médiation symbolique revient à les situer dans leur matrice biblique. Car ils sont « l’accomplissement figural de la Parole de Dieu proclamée dans la liturgie »[8]. Les sacrements sont médiation de la Parole, cette Parole qui s’est faite chair et qui a choisi librement de dresser sa tente au milieu de nous pour nous donner de contempler constamment sa gloire (cf. Jn 1, 14). Dans leur efficacité symbolique, les sacrements engagent l’« action », le « faire » et le « dire » ; le « signe » et la « parole » par lesquels les croyants reçoivent la grâce de Dieu dans leur humanité pour que le plus corporel puisse devenir le plus spirituel[9]. Par la célébration et la réception des sacrements de l’Église dans la foi, la grâce de Dieu vient se déposer sur le corps pour le faire devenir un corps habité par la Parole. Ainsi, revient-il à dire que si les sacrements sont signes au milieu de l’humanité, c’est parce qu’ils sont réellement, dans leur dimension symbolique, la « Parole de Dieu qui prend corps à travers le geste visible de l’Église »[10]. Car Dieu engage sa Parole pour le salut du monde : « Ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission » (Is55, 11). L’efficacité de la Parole advient dans les sacrements. Quand le prêtre en baptisant dit : « Je te baptise au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » avec le rite d’eau qui l’accompagne, c’est la Parole de Dieu qui fait événement et advient « sous le mode corporel propre à la ritualité »[11]. Cependant, c’est la lex orandide l’Église qui nous permet de penser l’efficacité symbolique de la Parole dans les sacrements. La proclamation de la Parole qui précède le geste sacramentel constitue un lieu théologique majeur (le récit des disciples d’Emmaüs en témoigne : Lc 24, 13-35). Le sacrement est l’accomplissement de la Parole de Dieu qui doit prendre corps dans la durée, dans l’existence humaine de chaque croyant : la dimension éthique des sacrements. Ceci dit, la Parole est au centre des sacrements et précède le rite. Car sans la Parole et la puissance de l’Esprit Saint le rite ne devient pas un sacrement. Une grande œuvre de la réforme liturgique de Vatican II : la remise en valeur de la liturgie de la Parole et les épiclèses à l’Esprit Saint dans la célébration des sacrements.
Un enjeu pastoral
Il y a un binôme important à ne pas négliger dans la proposition des sacrements comme signes de salut au milieu de l’humanité : la sacramentalité de la Parole, la sacramentalité de l’Église et la sacramentalité de l’homme. Au cœur des sacrements se trouvent la Parole, l’Église et l’homme. Sans la Parole, les sacrements deviennent des rites magiques, sans contenu théologique. Sans l’Église, ils resteraient au niveau conceptuel, incapables de « s’événementiser » ou de devenir des actes concrets et porteurs de grâce. Les sacrements accompagnent l’Église, à travers le temps et les événements de chaque époque, dans l’accomplissement de sa mission au service de Dieu et de l’homme. Sans l’homme, ils n’auraient plus d’importance. L’aspect de réceptivité des sacrements s’annulerait. Les sacrements sont à recevoir, célébrer et proposer dans la logique de la médiation sacramentelle de l’Église qui est « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain »[12]. Ainsi, la célébration de tout sacrement évoque l’agir de Dieu en faveur de l’homme et la réponse de l’homme au don gratuit de Dieu. Comme signes de salut au milieu de l’humanité, les sacrements ne doivent jamais être chosifiés, mais célébrés comme « événements » des « plaies pascales » du Christ dans la vie des hommes de notre temps. D’où l’importance de leur dimension symbolique. Il ne servirait à rien de proposer les sacrements aux hommes d’aujourd’hui s’ils [les sacrements] ne sont pas destinés à faire « événement » dans leur vie, à s’inscrire dans leur histoire, leur culture et leur vie quotidienne. Les sacrements ne traduisent pas efficacement l’idée de « signes de salut pour l’humanité » s’ils ne sont pas pensés dans leur rôle initiatique et le suivi mystagogique que la vie sacramentelle réclame dans sa performance rituelle. C’est par leur valeur événementielle qu’ils pourront être proposés aux hommes d’aujourd’hui, non plus comme le couronnement d’un temps de préparation bien mérité, mais comme la réception d’une promesse de vie, une entrée dans l’Alliance avec Dieu[13]. La célébration des sacrements doit pouvoir transformer l’existence du croyant, tout comme elle doit transformer nos centres de formation et nos paroisses en de véritables sanctuaires de Dieu et de la vie, en de véritables lieux pour la foi et l’évangélisation[14]. Nous ne devons jamais oublier que l’Église évangélise aussi par les sacrements. Dire « non » à une demande de sacrement nous rappelle James Mallon, c’est « faire avorter toute possibilité de conversion et de transformation »[15]. Toutefois, cela implique une pastorale d’accompagnement et de proximité qui se fait dans le temps. C’est tout le contraire d’une « pastorale liturgique et sacramentelle liquide », dépourvue de tout contenu théologique et moral. La pastorale liturgique et sacramentelle que nous devons mettre sur pieds pour accompagner l’homme d’aujourd’hui dans ses périphéries existentielles ne saurait négliger la dimension de "gradualité" pour mieux accompagner, discerner et intégrer la fragilité[16]. Voilà des clés pour penser les sacrements comme signes et symboles de salut au milieu de l’humanité dans ce contexte hypermoderne.
Père Diesel PHAT
Spécialiste de la liturgie et des sacrements
[1]Voir Louis-Marie Chauvet, Symbole et sacrement, Paris, Cerf, « Cogitatio fidei », 144, 2011.
[2]Ibid., pp. 117-162.
[3]Voir la thèse du père Jean Rodney Brévil,Liberté et histoire dans la réflexion philosophique et théologique du père Albert Chapelle SJ, Rome, Université pontificale Sainte Croix, 2017, pp. 25-62. Le premier chapitre de la thèse du père Jean Rodney sur le « symbole » est une aide précieuse pour entrer plus facilement dans la compréhension de la théologie sacramentaire développée par Louis-Marie Chauvet dans son ouvrage que nous venons de citer ci-dessus.
[4]Frédérique Poulet, « Les sacrements et leurs rituels, initiative et grâce divines », https://liturgie.catholique.fr, consulté le 12 octobre 2018.
[5]Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas est, publiée le 25 décembre 2005. Dans les prochaines citations, ce document sera désormais appelé DCE.
[6]DCE, n° 10.
[7]À travers les sacrements comme fruits du Mystère pascal du Christ, Dieu se donne, élève les hommes et les hommes se tournent vers Dieu : le « Sursum corda »et le « Habémus ad Dóminum » sacramentels se trouvent harmonisés.
[8]Robert Scholtus, « Pourquoi les sacrements ? », p. 497.
[9]Louis-MarieChauvet, Le corps, chemin de Dieu, p. 23.
[10]Cette phrase citée est de Louis-Marie Chauvet, « Le baptême / La foi prise au mot », KTO,Présenté par Régis Burnet,diffusé le 20/04/2014.
[11]Louis-Marie Chauvet, « Une relecture de symbole et sacrement », Questions Liturgiques88, 2007, p. 123.
[13]Nous nous sommes inspirés de Robert Scholtusdans son article : « Pourquoi les sacrements ? », op. cit., p. 499.
[14]Pour mieux approfondir cet aspect, voir James Mallon,Manuel de survie pour les paroisses, Paris, Artège, 2015, pp. 215-249.
[15]Ibid., p. 216.
[16]Voir Pape François, Amoris Laetitia, chapitre 8.
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